Une Banque Populaire condamnée pour le placement d'actions Natixis. Une nouvelle jurisprudence selon Europe 1 et l'AFUB ?! Les médias ne font pas la jurisprudence, investisseurs attention.



Une Banque Populaire condamnée pour le placement d'actions Natixis. Une nouvelle jurisprudence selon Europe 1 et l'AFUB ?!  Les médias ne font pas la jurisprudence, investisseurs attention.
Une grande affaire à en croire les médias !? Or il n'en est probablement rien, du moins en l'état. La Banque Populaire des Alpes a été condamnée par le tribunal d'instance de Grenoble à indemniser un de ses clients auprès de qui elle avait placé des actions de Natixis SA, la banque d'affaires du désormais "Groupe BPCE". Hier matin Europe 1 et Serge Maître de l'AFUB refaisaient la jurisprudence en matière bancaire et financière en annonçant qu'il y avait là une nouvelle jurisprudence et que la voie était ouverte à des milliers d'investisseurs pour faire du contentieux.

Cette précipitation dans "l'analyse" est regrettable. Il est du reste piquant que les journalistes pointent du doigt un éventuel conflit d'intérêts de la banque en se permettant, pour Europe 1 par exemple, d'interroger le seul représentant d'une association qui s'emploie à les poursuivre systématiquement. On comprend qu'il puisse penser qu'il y a là matière à attaquer les banques...

Non, Europe 1 et l'AFUB ne font pas la jurisprudence en droit bancaire ! Et le fait que ces informations mal digérées soient reproduites par cent "cent médias" ne change rien à la force de cette décision.

La décision en question émane du modeste (pardon Madame ou Monsieur le président) tribunal d'instance de Grenoble, qui n'est pas nécessairement connu pour sa spécialisation en droit bancaire et financier. Il ne s'agit pas d'une juridiction supérieure et encore moins de la juridiction qui, seule, en droit, peut donner des lignes jurisprudentielles nouvelles (la Cour de cassation qui en ce domaine est très précise).

On en vient un peu au droit.

Selon le site cBanque, le jugement du 8 septembre du TI de Grenoble se fonderait sur deux aspects qui tiennent en une citation du jugement qui estime que la banque aurait « manqué à ses obligations de mise en garde, d'information, de conseil et de loyauté ». Il y a dans cette véritable pile de motifs deux aspects ; au-delà même de la décision, on peut en discuter car deux idées de principe sont en cause.

Premier aspect

A ces seuls mots, on peut dire que ce cumul de motivation est mal venu et témoigne d'une absence de distinction. Un fondement juridique qui cumule le défaut d'information, de mise en garde et de conseil pose un problème interne de cohérence.

On est là sur un registre connu de l'obligation de notifier les risques liés à l'investissement. Nous avons proposé cette évolution en 2004 et elle a été consacrée dans des termes plus fermes et larges (en incluant parfois les actions ordinaires négociés au comptant).

Néanmoins, les choses sont difficiles sauf peut-être pour le devoir d'information. Le devoir de mise en garde a pu décevoir de nombreux plaideurs que la Cour de cassation aura renvoyé à leurs pertes. Pour le ou les conseils posent de nombreuses difficultés (voyez notre dernière analyse (Un contrat de conseil invite à redéfinir l'obligation de conseil, Dalloz 2011, J. , 1600, commentaire de Cass. com. 22 mars 2011). En tout cas, une condamnation dans cette veine n'a rien de nouveau et dépend d'éléments de fond qui empêchent en général, à ce stade de la procédure, de voir "une jurisprudence".

Une motivation à trois branches peut paradoxalement prouver qu'aucune n'est solide !

Second aspect

Le défaut de loyauté est lui un motif d'un autre ordre et qui est classique en droit bancaire (voyez l'affaire Crédit Lyonnais / Bernard TAPIE) et presque (la matière est neuve) en droit des services d'investissement. Il est d'autant plus plausible que, toujours selon le site cBanque, il était reproché au banquier « d'avoir tu le conflit d'intérêt » puisque la banque avait un intérêt propre à placer les actions Natixis.

Il nous semble du coup que le conflit d'intérêt, prohibé par les textes relatifs aux services d'investissement, ne puisse guère que donner lieu à des jurisprudences d'application et non à de véritables jurisprudences - soit des décisions judiciaires créatrices de véritables règles ou principes juridiques.

En revanche, le cumul des deux reproches que constituent ces deux aspects, ces moyens de droit, semblent possible, encore qu'il interroge (voyez in fine).

En synthèse

La Banque Populaire a perdu une manche, il est loin d'être acquis qu'elle perde en appel. Quand bien même ce serait le cas, et quand bien même un pourvoi en cassation serait rejeté, il ne faudrait pas penser que tout investisseur sera en quelque sorte indemnisé pour ses pertes sur les actions Natixis (sur les pertes de l'investisseur, voyez notre présentation dans l'ouvrage collectif avec N. MATHEY, JF RIFFARD et J STOUFFLET, TD de droit bancaire, sept. 2011, éd. Lexisnexis).

Lançons un avertissement aux non-avertis juridiques. Investisseurs attention, n'écoutaient pas ceux qui vous invitent à attaquer les banques en invoquant des décisions qui n'ont que peu d'autorité. Vous pourriez perdre 3 ou 4 ans de procédure pour comprendre que la jurisprudence est bien plus fine que quelques lignes de journaux peuvent le laisser penser.

Depuis divers arrêts de 2008, plusieurs investisseurs ont été déboutés, sous le contrôle de la Cour de cassation, malgré le raffermissement de la jurisprudence (voy. H. CAUSSE, Responsabilité boursière : nouvelle donne pour la distribution financière et la gestion de patrimoine, Revue de droit bancaire et financier, juillet-août 2008, éd. LexisNexis, p. 40). Un point du dossier peut démontrer que l'investisseur savait les risques de pertes encourus.

Pour la question du conflit d'intérêts, le problème se pose il est vrai (nous l'avions souligné dans les Mélanges J. CALAIS-AULOY dans un texte intitulé L'investisseur), mais il est immense et ne sera pas réglé en une affaire. Il peut en outre être en conflit avec l'information légale exigée par le régulateur car, si elle a été correctement donnée, cette information a pu purger les risques attachés au conflit d'intérêts. Que ce dernier existe ne prouve pas qu'il a posé problème - il a pu n'être que latent - et encore moins qu'il est à la source d'un préjudice.

Investisseurs, la route est longue...

Note du 15 sept. 2009.

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