Un peu de droit des biens : le Moulin n'était plus, mais quid du droit d'usage sur l'eau du canal ? (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012)



Un peu de droit des biens : le Moulin n'était plus, mais quid du droit d'usage sur l'eau du canal ? (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012)
Commencer l'année par un arrêt de droit civil rappelle le sillon de ce site de droit pour qui se méprendrait. Les notions fondamentales du droit sont indispensables à toute analyse juridique et elles sont souvent dans le Code civil. La technicité des décisions contractuelles ou commerciales ici commentées ne sauraient pousser à l'oublier. Voilà donc une décision comme les juristes les aiment, poétique et fondamentale (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012).

La subtilité du droit y est habillée d'une coque authentique faite de beaux faits, de lieux concrets propres à l'imagination et de choses typiques ! Là-dessus passent la main de l'homme, celle qui signe quelques actes juridiques, celle qui laisse à l'abandon un bien immobilier ou celle du maître des lieux qui, par quelques aménagements du bien, crée une servitude par destination du père de famille en le divisant après avoir donné à son fonds de terre une configuration nouvelle et spéciale (définition pratique de la servitude du bon père de famille).

Une personne avait acheté un terrain avec une maison incluant un moulin, lequel avait fini et de fonctionner et avait été démonté. Le propriétaire avait donc renoncé au droit d'usage de la force motrice du canal, droit qui permet d'utiliser la force de l'eau qui passe et qui est utilisée par tel ou tel mécanisme ; cette force motrice sert à ce que l'on veut, faire bouger une meule qui broie du grain ou faire de l'électricité (en respectant diverses lois spéciales). Sur ce constat de l'arrêt d'exploitation du moulin, le propriétaire en amont l'avait assigné pour faire juger que le propriétaire de l'ancien moulin n'avait aucun droit sur l'eau du canal. Cette assignation visait, après cela, à autoriser le demandeur à interrompre le cours d'eau, son projet n'étant pas davantage détaillé : on ne sait pas pourquoi il voulait éteindre ce cours d'eau, mais qu'importe pour la compréhension, en droit, de l'arrêt. Ce dernier est construit sur la réponse à deux pourvois différents comportant deux moyens différents.

Le droit d'usage sur l'eau peut-il être supprimé dès lors qu'il n'a pas été utilisé et que les installations utiles à cet usages ont été démantelées ? Il semble que oui si, comme en l'espèce, ce droit provient d'un pur droit né par accession (I), mais non s'il résulte d'une servitude établie par destination du père de famille (II).

L'accession de propriété, mécanisme inopérant quant au droit d'usage

Le demandeur, voisin en amont, gagna le procès en appel et le moyen que le propriétaire du moulin présenta est rejeté par la Cour de cassation. La difficulté est tranchée sur le fondement de l'article 546 du Code civil qui institue un mécanisme général d'accession à la propriété reposant sur une présomption. L'idée en est que tout qui s'unit au fonds est également l'objet de la propriété en question. Le juge du droit estime que la cour d'appel a "exactement retenu que l'article 546 du code civil instaure une présomption simple de propriété par accession en faveur de celui qui l'invoque, et relevé que l'ancien moulin ne fonctionnait plus depuis une quarantaine d'années, que les installations hydrauliques avaient été totalement démantelées... le caractère avéré de la désaffection de l'exploitation hydraulique permettait de renverser la présomption édictée par l'article 546".

En somme, mais c'est résumer l'arrêt à l'excès, il ne peut y avoir d'accession que sur un droit qui peut en pratique exister ou qui se conçoit, le droit d'usage ne se conçoit pas seul et de façon abstraite (voyez notre remarque dubitative en conclusion). On a un peu de mal à se convaincre du propos ; on notera d'ailleurs que le droit d'usage, partie de la propriété, est perpétuel et qu'il pourrait inclure le non-usage. Autre serait la situation si le cours d'eau avait lui-même disparu, là en effet on concevrait mal d'avoir un droit d'accession sur ce qui n'existe pas ou plus. Le mécanisme d'accession a en effet pour vocation d'attirer dans l'objet de la propriété des choses que l'on n'y plaçait pas initialement et d'évidence.

Mais en pratique le rejet de ce moyen est neutre car il y avait une autre partie au procès, ce qui met néanmoins en cause le voisin car ces deux fonds de terre avaient à l'origine, comprend-on, le même propriétaire (le "père de famille" qui peut instaurer une servitude).


Un peu de droit des biens : le Moulin n'était plus, mais quid du droit d'usage sur l'eau du canal ? (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012)
La servitude du père de famille, au fondement d'un droit d'usage

Le bon propriétaire du moulin, pour qui plus rien ne tournait rond, avait mis en cause son vendeur. Dans l'acte de vente authentique de 1980, outre la parcelle et la construction, l'eau, le canal, le moulin, l'usage... tout y était consigné ! Dans une clause d'acte de notaire ! Comment ce qui avait été acheté pouvait être anéanti par la volonté du voisin d'arrêter le cours du canal ?!

C'est un peu la question que pose le propriétaire avec le second moyen auquel la Cour de cassation est amenée à répondre.Si formellement le moyen invoqué contre les voisins est de pur droit des biens, il s'inscrit dans un cadre familial sur lequel ce bref aperçu ne permet pas de revenir. Toutefois, cet aspect explique peut-être, outre le conflit, on n'en est pas sûr, la parfaite prise en compte d'un "détail" concernant les manivelles permettant d'actionner l'écluse qui alimentait le canal.

Ce détail, ce fait, va permettre à la Cour de cassation de casser l'arrêt de la cour d'appel de Pau au motif qu'au moment de la division de la parcelle le droit d'usage existait, non tant du fait de l'existence du moulin, qui n'est qu'un moyen pratique d'user de la force hydraulique, que par la possibilité de gérer l'eau par les manivelles de l'écluse. Sous le bénéficie de ces observations, on note que ce second moyen de cassation est fondé sur les articles 693 et 694 du code civil relatifs aux servitudes établies par le père de famille sur un fonds (ces dernières existent même sans acte, la configuration de fait donnée par ledit père de famille, propriétaire, vaut titre de servitude : art. 642, C. civ.). Ce sont les textes qui sont appliqués pour casser l'arrêt et l'on reprend l'attendu :

"Attendu que pour débouter les consorts X... de leur demande tendant à dire qu'ils bénéficient d'une servitude par destination du père de famille d'usage du canal passant par le fonds appartenant à Mme E... ,

l'arrêt d'appel retient que...

les consorts X... doivent rapporter la preuve que la prétendue servitude d'écoulement des eaux dans le canal présentait un caractère apparent au jour de la division des fonds et qu'elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou bien sur celui-ci,

mais qu'au moment de la division, il n'existait plus de signe apparent de servitude au sens des dispositions de l'article 694 du code civil, puisque toutes les installations hydrauliques avaient disparu et que la seule présence du canal ne suffit pas à caractériser la servitude dès lors pour que ladite servitude existe, il faut rapporter la preuve qu'il est possible de diriger artificiellement l'eau dans le canal, mais également d'en assurer le débit et la gestion, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que Mme E... avait récupéré les manivelles permettant de manoeuvrer l'écluse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ; ..
."

L'arrêt d'appel est ainsi cassé "seulement en ce qu'il a débouté les consorts X... des fins de leurs demandes tendant à se voir reconnaître un droit d'eau sur les parcelles appartenant à Mme E...". Cette formule d'un "droit d'eau" évoque un droit d'usage sur l'eau qui est à notre sens l'essentiel sur le plan pratique de l'utilité de la propriété, même si le noble article 546 du Code civil ne fonde pas la décision. Ce droit d'usage sur l'eau dont on peut penser qu'il peut prendre diverses formes : usage de la force motrice, usage d'une rétention pour faire une réserve utile, usage direct pour arroser...

On se demandera si la Cour de cassation a été mise en état de raisonner avec tous les concepts utiles, le droit d'usage nous semblant un peu négligé... mais il faudrait une réflexion approfondie pour être constructif. En tout cas, ces quelques mentions précisent l'importance de l'eau sur un fonds de terre même si, en contrepartie, le passage est source de contraintes, dont les contraintes juridiques que l'arrêt suggère.

Note initialement publiée le 14 janvier 2013

Un peu de droit des biens : le Moulin n'était plus, mais quid du droit d'usage sur l'eau du canal ? (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012)
Copie de la base publique Legifrance

Cour de cassation
chambre civile 3

Audience publique du mercredi 28 novembre 2012
N° de pourvoi: 11-24191
Non publié au bulletin Cassation partielle

M. Terrier (président), président
Me Copper-Royer, Me Foussard, SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)


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Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Pau, 26 avril 2011), que M. et Mme X... sont propriétaires en vertu d'un acte du 17 octobre 1980 de parcelles de terre sur lesquelles est implantée une maison d'habitation dite " le moulin d'Uchacq " et qui sont traversées par un canal ; que Mme Maylis Y... épouse E..., propriétaire de parcelles sur lesquelles passe le canal en amont, les a assignés pour faire juger qu'ils n'avaient aucun droit sur le canal, qu'elle pouvait interrompre la circulation de l'eau et obtenir le paiement de dommages-intérêts ; que les époux X... ont assigné en garantie leur vendeur, M. Y... ; que M. X... étant décédé en cours d'instance, ses héritiers, Mme Solange X... épouse Z..., Mme Brigitte X... épouse A..., Mme Aurore X..., Mme Chantal X..., Mme Dominique X..., Mme Joëlle X..., Mme Marie-Christine X... et son épouse Mme Anne-Louis B... (les consorts X...) sont intervenus volontairement et ont formé des demandes reconventionnelles ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes tendant à voir dire qu'ils bénéficient de la présomption de propriété sur le canal d'amenée d'eau avec toutes les conséquences de droit et que leur moulin bénéficie du droit d'eau, alors, selon le moyen :

1°/ que la renonciation à un droit ne se présume pas ; que l'acte de vente du 17 octobre 1980 entre Mme veuve Y... et M. Philippe Y..., d'une part, et les époux X..., d'autre part comportait une clause ainsi libellée : " comme condition particulière des présentes, les consorts Y..., vendeurs, s'obligent à maintenir le droit d'eau pour le petit canal qui traverse la propriété acquise par M. et Mme X..., à peine de tous dommages-intérêts à leur charge, sans préjudice du droit qu'auraient M. et Mme X... de faire rétablir la circulation de l'eau par toute voie judiciaire " ; qu'il est donc incontestable que le droit d'eau mentionné à cet acte avait encore une cause au moment de la passation de l'acte de vente, sans quoi les acheteurs y auraient renoncé ; qu'en déboutant dès lors les consorts X... de leur demande tendant à dire qu'en application de l'article 546 du code civil, ils bénéficient de la présomption de propriété sur le canal d'amenée d'eau avec toutes les conséquences de droit et que le moulin bénéficie du droit d'eau, quand il résultait de la clause insérée dans l'acte de vente que les acheteurs n'avaient pas entendu renoncer au droit d'eau qui était l'accessoire du moulin, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 546 du code civil ;

2°/ que le canal d'amenée d'eau est réputé appartenir en entier au propriétaire d'un moulin dès lors qu'il est un ouvrage artificiel et différent du lit de la rivière et qu'il a été dès l'origine créé à usage exclusif du moulin ; que la renonciation à un droit ne se présume pas ; qu'il est incontestable que le canal qui traverse le moulin, propriété des consorts X..., est un canal artificiel qui a été installé pour l'utilisation du moulin ; qu'il en résulte que les consorts X... en sont donc propriétaires avec toutes les conséquences en résultant ; que pour les débouter de leur demande tendant à dire qu'en application de l'article 546 du code civil, ils bénéficient de la présomption de propriété sur le canal d'amenée d'eau avec toutes les conséquences de droit et que le moulin bénéficie du droit d'eau, la cour d'appel a énoncé qu'il est établi et non contesté que l'ancien moulin ne fonctionne plus depuis une quarantaine d'années, que les installations hydrauliques ont été totalement démantelées, que l'ensemble a été transformé en immeuble à usage d'habitation, et que par ailleurs la digue située à l'entrée du canal d'amenée d'eau n'existe plus de sorte que le caractère avéré de la désaffection de l'exploitation permet de renverser la présomption simple édictée par l'article 546 du code civil, puisqu'il ne reste plus qu'un canal ayant perdu depuis longue date son rôle d'alimentation du moulin, et qu'aujourd'hui, il n'a tout au plus qu'une fonction d'agrément ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si la modification de la destination du moulin avait impliqué une volonté des acquéreurs de renoncer à leur droit d'accession, et en conséquence à leur droit de propriété sur le canal d'amenée d'eau et à leur droit d'eau avec toutes les conséquences de droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 546 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant exactement retenu que l'article 546 du code civil instaure une présomption simple de propriété par accession en faveur de celui qui l'invoque, et relevé que l'ancien moulin ne fonctionnait plus depuis une quarantaine d'années, que les installations hydrauliques avaient été totalement démantelées, que l'ensemble avait été transformé en immeuble à usage d'habitation et que l'acte authentique d'achat de l'immeuble démontrait que n'avait pas été acquis un moulin mais une maison à usage d'habitation comportant un jardin et un terrain, la cour d'appel a, à bon droit, déduit de ces seuls motifs, sans être tenue d'effectuer une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que le caractère avéré de la désaffection de l'exploitation hydraulique permettait de renverser la présomption édictée par l'article 546 et de rejeter la demande des consorts X... fondée sur l'application du principe du droit d'accession ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu les articles 693 et 694 du code civil ;

Attendu que pour débouter les consorts X... de leur demande tendant à dire qu'ils bénéficient d'une servitude par destination du père de famille d'usage du canal passant par le fonds appartenant à Mme E... , l'arrêt retient que les consorts X... doivent rapporter la preuve que la prétendue servitude d'écoulement des eaux dans le canal présentait un caractère apparent au jour de la division des fonds et qu'elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou bien sur celui-ci, mais qu'au moment de la division, il n'existait plus de signe apparent de servitude au sens des dispositions de l'article 694 du code civil, puisque toutes les installations hydrauliques avaient disparu et que la seule présence du canal ne suffit pas à caractériser la servitude dès lors pour que ladite servitude existe, il faut rapporter la preuve qu'il est possible de diriger artificiellement l'eau dans le canal, mais également d'en assurer le débit et la gestion, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que Mme E... avait récupéré les manivelles permettant de manoeuvrer l'écluse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE,
mais seulement en ce qu'il a débouté les consorts X... des fins de leurs demandes tendant à se voir reconnaître un droit d'eau sur les parcelles appartenant à Mme E... , l'arrêt rendu le 26 avril 2011, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Pau, autrement composée ;

Condamne Mme Y... épouse E... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille douze.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Copper-Royer, avocat aux Conseils, pour les consorts X...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté les Consorts X... de leurs demandes tendant à voir dire qu'ils bénéficient de la présomption de propriété sur le canal d'amenée d'eau avec toutes les conséquences de droit et que leur moulin bénéficie du droit d'eau.

AUX MOTIFS QUE « par acte authentique du 30 décembre 1978, Mme veuve Y... a fait donation à Mme Maylis Y... épouse E... de la nue-propriété de diverses parcelles de terre, et par acte authentique du 17 octobre 1980, Mme veuve Y... et M. Philippe Y... ont vendu aux époux X... une partie des parcelles ayant fait l'objet de la donation, comprenant notamment un immeuble connu sous le nom de moulin d'Uchacq.

Cet acte de vente comporte une clause ainsi libellée :

« comme condition particulière des présentes, les consorts Y..., vendeurs, s'obligent à maintenir le droit d'eau pour le petit canal qui traverse la propriété acquise par M. et Mme X..., à peine de tous dommages-intérêts à leur charge, sans préjudice du droit qu'auraient M. et Mme X... de faire rétablir la circulation de l'eau par toute voie judiciaire ».

A la suite de l'acte de donation de la nue-propriété entre les enfants Y..., le tracé de ce canal s'est trouvé compris dans les parcelles partagées entre eux, à savoir M. Philippe Y... et Mme Maylis Y... épouse E....

Le litige est né de ce que le 15 juin 2005, Mme Maylis E... a signé un acte sous seing privé en vue de la vente d'une partie de la propriété qui lui avait été donnée, comprenant notamment le terrain boisé traversé d'un canal.

Le 5 octobre 2005, Mme Anne-Marie X... lui a fait signifier une sommation interpellative lui rappelant l'existence de l'engagement pris par le vendeur contenu dans l'acte de vente du 17 octobre 1980.

Il convient de préciser et il n'est pas contesté que Mme Maylis E... avait récupéré les manivelles permettant de manoeuvrer l'écluse.

Mme E... soutient que les consorts X... n'ont aucun droit sur les parcelles qu'elle envisage de vendre, et ceux-ci, après avoir soutenu devant le premier juge qu'ils bénéficient d'une servitude « de droit d'eau » sur ces parcelles et qu'ils sont en droit d'obtenir la libre circulation de l'eau, s'appuient à titre principal en cause d'appel sur les dispositions de l'article 546 du code civil pour voir dire et juger qu'ils bénéficient d'une présomption de propriété sur le canal d'amenée d'eau.

L'article 546 du code civil dispose que la propriété d'une chose, soit mobilière, soit immobilière donne le droit sur tout ce qu'elle produit, et sur ce qui s'y unit accessoirement, soit naturellement, soit artificiellement.

Il s'agit du droit d'accession qui instaure une présomption simple en faveur de celui qui l'invoque.

Les consorts X... soutiennent que le propriétaire d'une installation utilisant la force hydraulique est également supposé être le propriétaire des canaux et des biefs d'arrivée et d'écoulement des eaux nécessaires à cette installation.

Or d'une part, il est établi et non contesté que l'ancien moulin ne fonctionne plus depuis une quarantaine d'années, que les installations hydrauliques ont été totalement démantelées, et que l'ensemble a été transformé en immeuble à usage d'habitation, alors que par ailleurs la digue située à l'entrée du canal d'amenée d'eau n'existe plus.

Dès lors, le caractère avéré de la désaffection de l'exploitation permet de renverser la présomption simple édictée par l'article 546 du code civil, puisqu'il ne reste plus qu'un canal ayant perdu depuis longue date son rôle d'alimentation du moulin, et qu'aujourd'hui, il n'a tout au plus qu'une fonction d'agrément.

Au surplus, l'acte authentique d'achat de l'immeuble démontre que, contrairement à ce que déclarent les consorts X..., ils n'ont pas acquis un moulin mais une maison à usage d'habitation comportant un jardin et un terrain ; qu'en conséquence, le droit d'eau mentionné à l'acte n'avait plus de cause au moment de la passation de l'acte de vente.

Dès lors, la demande présentée par les consorts X... fondée sur l'application du principe du droit d'accession ne pourra qu'être rejetée » (arrêt p. 6 et p. 7 alinéas 1 et 2).

ALORS QUE, D'UNE PART, la renonciation à un droit ne se présume pas ; que l'acte de vente du 17 octobre 1980 entre Madame Veuve Y... et Monsieur Philippe Y..., d'une part, et les époux X..., d'autre part comportait une clause ainsi libellée : « comme condition particulière des présentes, les consorts Y..., vendeurs, s'obligent à maintenir le droit d'eau pour le petit canal qui traverse la propriété acquise par M. et Mme X..., à peine de tous dommages-intérêts à leur charge, sans préjudice du droit qu'auraient M. et Mme X... de faire rétablir la circulation de l'eau par toute voie judiciaire » ; qu'il est donc incontestable que le droit d'eau mentionné à cet acte avait encore une cause au moment de la passation de l'acte de vente, sans quoi les acheteurs y auraient renoncé ; qu'en déboutant dès lors les Consorts X... de leur demande tendant à dire qu'en application de l'article 546 du Code civil, ils bénéficient de la présomption de propriété sur le canal d'amenée d'eau avec toutes les conséquences de droit et que le moulin bénéficie du droit d'eau, quand il résultait de la clause insérée dans l'acte de vente que les acheteurs n'avaient pas entendu renoncer au droit d'eau qui était l'accessoire du moulin, la Cour d'appel a violé les articles 1134 et 546 du Code civil.

ALORS QUE, D'AUTRE PART, le canal d'amenée d'eau est réputé appartenir en entier au propriétaire d'un moulin dès lors qu'il est un ouvrage artificiel et différent du lit de la rivière et qu'il a été dès l'origine créé à usage exclusif du moulin ; que la renonciation à un droit ne se présume pas ; qu'il est incontestable que le canal qui traverse le moulin, propriété des Consorts X..., est un canal artificiel qui a été installé pour l'utilisation du moulin ; qu'il en résulte que les Consorts X... en sont donc propriétaires avec toutes les conséquences en résultant ; que pour les débouter de leur demande tendant à dire qu'en application de l'article 546 du Code civil, ils bénéficient de la présomption de propriété sur le canal d'amenée d'eau avec toutes les conséquences de droit et que le moulin bénéficie du droit d'eau, la Cour d'appel a énoncé qu'il est établi et non contesté que l'ancien moulin ne fonctionne plus depuis une quarantaine d'années, que les installations hydrauliques ont été totalement démantelées, que l'ensemble a été transformé en immeuble à usage d'habitation, et que par ailleurs la digue située à l'entrée du canal d'amenée d'eau n'existe plus de sorte que le caractère avéré de la désaffection de l'exploitation permet de renverser la présomption simple édictée par l'article 546 du Code civil, puisqu'il ne reste plus qu'un canal ayant perdu depuis longue date son rôle d'alimentation du moulin, et qu'aujourd'hui, il n'a tout au plus qu'une fonction d'agrément ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si la modification de la destination du moulin avait impliqué une volonté des acquéreurs de renoncer à leur droit d'accession, et en conséquence à leur droit de propriété sur la canal d'amenée d'eau et à leur droit d'eau avec toutes les conséquences de droit, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 546 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté les Consorts X... de leur demande tendant à dire qu'ils bénéficient d'une servitude d'usage du canal passant par le fonds appartenant à Madame E... par application des articles 693 et 694 du Code civil.

AUX MOTIFS QUE « par acte authentique du 30 décembre 1978, Mme veuve Y... a fait donation à Mme Maylis Y... épouse E... de la nue-propriété de diverses parcelles de terre, et par acte authentique du 17 octobre 1980, Mme veuve Y... et M. Philippe Y... ont vendu aux époux X... une partie des parcelles ayant fait l'objet de la donation, comprenant notamment un immeuble connu sous le nom de moulin d'Uchacq.

Cet acte de vente comporte une clause ainsi libellée :

« comme condition particulière des présentes, les consorts Y..., vendeurs, s'obligent à maintenir le droit d'eau pour le petit canal qui traverse la propriété acquise par M. et Mme X..., à peine de tous dommages-intérêts à leur charge, sans préjudice du droit qu'auraient M. et Mme X... de faire rétablir la circulation de l'eau par toute voie judiciaire ».

A la suite de l'acte de donation de la nue-propriété entre les enfants Y..., le tracé de ce canal s'est trouvé compris dans les parcelles partagées entre eux, à savoir M. Philippe Y... et Mme Maylis Y... épouse E....

Le litige est né de ce que le 15 juin 2005, Mme Maylis E... a signé un acte sous seing privé en vue de la vente d'une partie de la propriété qui lui avait été donnée, comprenant notamment le terrain boisé traversé d'un canal.

Le 5 octobre 2005, Mme Anne-Marie X... lui a fait signifier une sommation interpellative lui rappelant l'existence de l'engagement pris par le vendeur contenu dans l'acte de vente du 17 octobre 1980.

Il convient de préciser et il n'est pas contesté que Mme Maylis E... avait récupéré les manivelles permettant de manoeuvrer l'écluse.

Mme E... soutient que les consorts X... n'ont aucun droit sur les parcelles qu'elle envisage de vendre, et ceux-ci, après avoir soutenu devant le premier juge qu'ils bénéficient d'une servitude « de droit d'eau » sur ces parcelles et qu'ils sont en droit d'obtenir la libre circulation de l'eau, s'appuient à titre principal en cause d'appel sur les dispositions de l'article 546 du code civil pour voir dire et juger qu'ils bénéficient d'une présomption de propriété sur le canal d'amenée d'eau …..

A titre subsidiaire, ils ont soutenu que la stipulation exprimée par les parties au moment de la rédaction de l'acte de vente du 17 octobre 1980 exprime l'existence d'une servitude par destination du père de famille au sens de l'article 693 du code civil, opposable aux autres fonds servants non parties à l'acte, par l'effet de l'article 694 du code civil.

L'article 693 du code civil édicté qu'il n'y a destination du père de famille que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.

Il s'agit de deux conditions cumulatives ; la première est remplie, puisque les fonds en cause ont appartenu au même propriétaire.

Par contre, pour établir la deuxième condition, les consorts X... doivent rapporter la preuve que le propriétaire commun ait cherché à aménager ces fonds comme s'il s'agissait d'une servitude.

L'article 694 du code civil dispose que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné.
En l'espèce, les consorts X... doivent rapporter la preuve que la prétendue servitude d'écoulement des eaux dans le canal présentait un caractère apparent au jour de la division des fonds, et qu'elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou bien sur celui-ci.

Or, au moment de l'établissement de l'acte de donation de 1978 ou bien lors de la vente du 17 octobre 1980, il n'existait plus de signe apparent de servitude au sens des dispositions de l'article 694 du code civil, puisque toutes les installations hydrauliques avaient disparu et que la seule présence du canal ne suffit pas à caractériser la servitude.

En effet, pour que ladite servitude existe, il faut rapporter la preuve qu'il est possible de diriger artificiellement l'eau dans le canal, mais également d'en assurer le débit et la gestion, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Ce deuxième moyen n'est donc pas fondé, et les consorts X... seront en définitive déboutés de l'ensemble de leurs demandes, y compris de celles en dommages-intérêts et indemnités » (arrêt p. 6 alinéas 1à 8 et p. 7 alinéas 3 à 11).

ALORS QUE si le propriétaire des deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l'un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d'exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que Madame E... avait récupéré les manivelles permettant de manoeuvrer l'écluse ce dont il résultait que la servitude d'écoulement des eaux sous le moulin, apparente au moment de la division du fonds, existait en faveur du fond aliéné puisque Madame E... avait récupéré les manivelles dans le seul but de diriger l'eau dans le canal et d'en assurer le débit et la gestion ; que dès lors en énonçant que pour que ladite servitude existe, il fallait rapporter la preuve qu'il était possible de diriger artificiellement l'eau dans le canal, mais également d'en assurer le débit et la gestion, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, quand elle avait constaté que Madame E... avait récupéré les manivelles dans le seul but de diriger l'eau dans le canal et d'en assurer le débit et la gestion, la Cour d'appel n'a pas déduit de ses constatations les conséquences légales qui en découlaient et a violé les article 693 et 694 du Code civil.

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Analyse
Décision attaquée : Cour d'appel de Pau , du 26 avril 2011

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