Il y a dans les arrêts de cassation, en synthèse, le piment de la vie. Ayant plaidé, jeune, divers conflits de propriété et de possession, et ayant en souvenir les cours de mon maître le Professeur Alain SEUBE qui, à grands coups de manche de toge, m'a appris le droit de la copropriété, je savoure à l'occasion quelques arrêts dits de "droit des biens". Celui rapporté ci-dessous met en scène un enquiquineur.
Mais qui est-il cet enquiquineur ?
Celui qui a besoin de faire des travaux sur un mur auquel il ne peut avoir accès qu'en se plaçant chez le voisin et qui entend entrer chez ledit voisin ?
Ou bien ce voisin qui, au nom de la propriété, ne veut pas que l'autre débarque chez lui (pour trois semaines) avec son échelle ou échafaudage ?
Manifestement la question se pose jusqu'à faire cinq ans de procédure... et jusqu'à un arrêt de cassation.
L'issue du litige donne raison à ceux dont il a été constaté "la nécessité de réaliser des travaux sur la toiture du pavillon des époux Y... du côté de la propriété de Mme X..." ; la cour d 'appel avait également constaté deux points factuels : "le refus du maire de la commune de voir installer une nacelle en vue d'effectuer ces travaux à partir de la voie publique, sans passage sur le fonds de Mme X..." et, également, "le coût disproportionné de toute autre solution au regard de la valeur des travaux à effectuer".
La Cour de cassation contrôle les conditions d'existence de cette "servitude dite du tour d'échelle", mais elle ne va pas au fond des choses, à raison car elle n'en sortirait pas : elle considère que "la cour d'appel... a souverainement retenu qu'il n'existait aucun autre moyen pour réaliser ces travaux que de passer sur le terrain de Mme X..." ; la Cour de cassation reprend toutefois la main pour dire ce que signifierait le fait, pour le voisin, de refuser cette intrusion. Ce serait "commettre un abus de droit" (soit un cas spécial de responsabilité civile délictuelle) que de "s'opposer à l'installation d'un échafaudage en éventail ou sur pieds dans la propriété voisine pour une durée de trois semaines".
Cet arrêt, d'une solution simple, se prêtera assez bien à un commentaire dans les facultés de droit pour comporter de nombreuses notions juridiques.
Il faudra cependant aller un peu plus loin que ces simples explications qui empruntent à la paraphrase sans référence aux textes, à la jurisprudence antérieure et aux auteurs. Il s'agissait ici, seulement, non point de "faire du droit", mais de dire le piment des arrêts et de la vie, le sel des deux.
Extrait de Legifrance
Cour de cassation
chambre civile 3 Audience publique du mercredi 15 février 2012
N° de pourvoi: 10-22899
Publié au bulletin Rejet
M. Terrier (président), président
Me Foussard, SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)
--------------------------------------------------------------------------------
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 juin 2010) que se plaignant du refus de Mme X... de les autoriser à poser un échafaudage sur sa propriété pendant le temps nécessaire à la réalisation des travaux de réfection de la toiture de leur pavillon, les époux Y... ont assigné leur voisine pour obtenir l'autorisation d'y procéder ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu'un propriétaire ne peut être tenu de souffrir le passage d'un voisin sur son fonds à l'effet de réaliser des travaux que pour autant que ceux-ci concernent une partie de l'immeuble du voisin qui serait autrement physiquement inaccessible, telle qu'un mur situé en limite de propriété ; qu'en revanche, le voisin ne dispose pas d'un " tour d'échelle " pour réaliser des travaux sur une partie de son immeuble qui n'est pas physiquement inaccessible depuis sa propriété ; qu'au cas d'espèce, en contraignant Mme X... à subir l'installation d'un échafaudage sur son fonds à l'effet de permettre à ses voisins M. et Mme Y... de procéder à des réparations sur le toit de leur maison, sans constater que cette partie de leur immeuble était physiquement inaccessible depuis leur propre fonds, les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision au regard de l'article 544 du code civil ;
2°/ que le bénéfice d'un " tour d'échelle ", permettant à un propriétaire d'imposer au propriétaire voisin un passage voire une installation temporaire sur son fonds à l'effet de réaliser des travaux ne peut être accordé que pour autant qu'il s'agisse du seul moyen possible pour y parvenir ; qu'au cas d'espèce, en condamnant Mme X... à supporter l'installation d'un échafaudage sur son fonds pour permettre à ses voisins M. et Mme Y... de procéder à des réparations sur la toiture de leur maison, en retenant qu'il s'agissait du seul moyen possible pour y parvenir, excluant par principe le recours à d'autres moyens au motif que ceux-ci seraient trop onéreux, quand le coût des moyens alternatifs de réaliser les travaux était insuffisant à conclure qu'il s'agissait du seul moyen possible justifiant l'atteinte aux prérogatives du propriétaire, les juges du fond ont violé l'article 544 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté la nécessité de réaliser des travaux sur la toiture du pavillon des époux Y... du côté de la propriété de Mme X..., le refus du maire de la commune de voir installer une nacelle en vue d'effectuer ces travaux à partir de la voie publique, sans passage sur le fonds de Mme X... et le coût disproportionné de toute autre solution au regard de la valeur des travaux à effectuer, la cour d'appel, qui a souverainement retenu qu'il n'existait aucun autre moyen pour réaliser ces travaux que de passer sur le terrain de Mme X... et en a déduit que celle-ci ne pouvait, sous peine de commettre un abus de droit, s'opposer à l'installation d'un échafaudage en éventail ou sur pieds dans la propriété voisine pour une durée de trois semaines, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ; la condamne à payer aux époux Y... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille douze.
Mais qui est-il cet enquiquineur ?
Celui qui a besoin de faire des travaux sur un mur auquel il ne peut avoir accès qu'en se plaçant chez le voisin et qui entend entrer chez ledit voisin ?
Ou bien ce voisin qui, au nom de la propriété, ne veut pas que l'autre débarque chez lui (pour trois semaines) avec son échelle ou échafaudage ?
Manifestement la question se pose jusqu'à faire cinq ans de procédure... et jusqu'à un arrêt de cassation.
L'issue du litige donne raison à ceux dont il a été constaté "la nécessité de réaliser des travaux sur la toiture du pavillon des époux Y... du côté de la propriété de Mme X..." ; la cour d 'appel avait également constaté deux points factuels : "le refus du maire de la commune de voir installer une nacelle en vue d'effectuer ces travaux à partir de la voie publique, sans passage sur le fonds de Mme X..." et, également, "le coût disproportionné de toute autre solution au regard de la valeur des travaux à effectuer".
La Cour de cassation contrôle les conditions d'existence de cette "servitude dite du tour d'échelle", mais elle ne va pas au fond des choses, à raison car elle n'en sortirait pas : elle considère que "la cour d'appel... a souverainement retenu qu'il n'existait aucun autre moyen pour réaliser ces travaux que de passer sur le terrain de Mme X..." ; la Cour de cassation reprend toutefois la main pour dire ce que signifierait le fait, pour le voisin, de refuser cette intrusion. Ce serait "commettre un abus de droit" (soit un cas spécial de responsabilité civile délictuelle) que de "s'opposer à l'installation d'un échafaudage en éventail ou sur pieds dans la propriété voisine pour une durée de trois semaines".
Cet arrêt, d'une solution simple, se prêtera assez bien à un commentaire dans les facultés de droit pour comporter de nombreuses notions juridiques.
Il faudra cependant aller un peu plus loin que ces simples explications qui empruntent à la paraphrase sans référence aux textes, à la jurisprudence antérieure et aux auteurs. Il s'agissait ici, seulement, non point de "faire du droit", mais de dire le piment des arrêts et de la vie, le sel des deux.
Extrait de Legifrance
Cour de cassation
chambre civile 3 Audience publique du mercredi 15 février 2012
N° de pourvoi: 10-22899
Publié au bulletin Rejet
M. Terrier (président), président
Me Foussard, SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)
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Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 10 juin 2010) que se plaignant du refus de Mme X... de les autoriser à poser un échafaudage sur sa propriété pendant le temps nécessaire à la réalisation des travaux de réfection de la toiture de leur pavillon, les époux Y... ont assigné leur voisine pour obtenir l'autorisation d'y procéder ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu'un propriétaire ne peut être tenu de souffrir le passage d'un voisin sur son fonds à l'effet de réaliser des travaux que pour autant que ceux-ci concernent une partie de l'immeuble du voisin qui serait autrement physiquement inaccessible, telle qu'un mur situé en limite de propriété ; qu'en revanche, le voisin ne dispose pas d'un " tour d'échelle " pour réaliser des travaux sur une partie de son immeuble qui n'est pas physiquement inaccessible depuis sa propriété ; qu'au cas d'espèce, en contraignant Mme X... à subir l'installation d'un échafaudage sur son fonds à l'effet de permettre à ses voisins M. et Mme Y... de procéder à des réparations sur le toit de leur maison, sans constater que cette partie de leur immeuble était physiquement inaccessible depuis leur propre fonds, les juges du fond n'ont pas donné de base légale à leur décision au regard de l'article 544 du code civil ;
2°/ que le bénéfice d'un " tour d'échelle ", permettant à un propriétaire d'imposer au propriétaire voisin un passage voire une installation temporaire sur son fonds à l'effet de réaliser des travaux ne peut être accordé que pour autant qu'il s'agisse du seul moyen possible pour y parvenir ; qu'au cas d'espèce, en condamnant Mme X... à supporter l'installation d'un échafaudage sur son fonds pour permettre à ses voisins M. et Mme Y... de procéder à des réparations sur la toiture de leur maison, en retenant qu'il s'agissait du seul moyen possible pour y parvenir, excluant par principe le recours à d'autres moyens au motif que ceux-ci seraient trop onéreux, quand le coût des moyens alternatifs de réaliser les travaux était insuffisant à conclure qu'il s'agissait du seul moyen possible justifiant l'atteinte aux prérogatives du propriétaire, les juges du fond ont violé l'article 544 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté la nécessité de réaliser des travaux sur la toiture du pavillon des époux Y... du côté de la propriété de Mme X..., le refus du maire de la commune de voir installer une nacelle en vue d'effectuer ces travaux à partir de la voie publique, sans passage sur le fonds de Mme X... et le coût disproportionné de toute autre solution au regard de la valeur des travaux à effectuer, la cour d'appel, qui a souverainement retenu qu'il n'existait aucun autre moyen pour réaliser ces travaux que de passer sur le terrain de Mme X... et en a déduit que celle-ci ne pouvait, sous peine de commettre un abus de droit, s'opposer à l'installation d'un échafaudage en éventail ou sur pieds dans la propriété voisine pour une durée de trois semaines, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ; la condamne à payer aux époux Y... la somme de 2 500 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille douze.