Dans une série de 5 arrêts, la Cour de cassation rejette le pourvoir contre des décisions d'appel qui avaient condamné un "conseil en gestion de patrimoine" (pour un résumé de la jurisprudence, Doit bancaire et financier, p. 116, n° 186).
Essayez ci-contre, sur ce sujet, les tags : CIF, Gestion de patrimoine, Obligation de conseil, CGP CGPI, Banques.
Nous ne sommes pas, avec ces arrêts, dans de la haute ingénierie juridique. La Cour use de l'arme générale et floue, quoique peu critiquée en doctrine, de l'obligation d'information et de conseil. Cette obligation est plutôt inutilisable dans des relations juridiques autres où le professionnel a vu ses obligations précisées.
Néanmoins, même quand la cour n'utilise pas cette fameuse expression, pour retenir ou non la responsabilité d'un CIF, CGP ou d'une banque, etc., les auteurs commentent parfois les décisions en invoquant eux-mêmes l'expression ; le schéma mental, structure imposé à l'esprit, est parfois l'ennemi de la rigueur intellectuelle.
Le pourvoi ne manquait pas de critiquer les arrêts d'appel en indiquant les multiples nuances en cause. Obligation de renseignement, de mise en garde, de conseil ; la juge du droit reprend son idée et son expression pour répondre. La structure imposée à l'esprit joue également ici.
Ici, l'intermédiaire d'assurance tombe sur cette obligation flexible et attrape-tout : "a ainsi caractérisé les manquements de la société Cincinnatus à son obligation de conseil et d'information".
S'agissait-il d'information ou de conseil, personne ne le saura jamais. On distingue ces obligations sauf lorsqu'on les confond...
Les documents remis à l'investisseur étaient, il est vrai, très rassurants et n'évoquaient pas les risques de l'opération (placement, investissement ?).
On peut donc comprendre que, face aux événement essuyés (qu'on ne décrit pas), les investisseurs aient pu être vus comme ayant été mal informés, ou mal conseillés, nuance !
Nuance sur laquelle, à nouveau, on ne peut rien dire sinon que cette obligation large et flexible et à quatre faces au moins est une sorte de "bonne à tout faire du juge" de la responsabilité des professionnels, autant au fond que devant la Cour de cassation.
Ce disant, nous sommes dans un jugement de valeur, du reste assez général, qui, cependant, nous semble avoir été celui du juge d'appel. Le rejet du pourvoi signifie que la Cour de cassation appuie cette démarche, encore qu'elle contrôle au vu de sa notion (à elle !).
Cette expression est vague par rapport à diverses obligations spéciales, des professionnels de la finance et du patrimoine, et des dispositions légales (!) spéciales, notamment du Code monétaire et financier. Si tel n'était pas le cas en l'espèce, la gestion de patrimoine est une activité identifiée pour plusieurs acteurs légaux du CMF.
Ce dernier code pourrait inspirer toutes les chambres de la Haute juridiction, mais il est vrai que le droit des services d'investissement a très tard été appliqué dans sa rigueur et avec rigueur, en sorte que le modèle n'a jamais été mis en valeur. C'est presque une autre histoire. Il n'est pas une structure de l'esprit.
Voilà un aspect de la décision, et un seul.
En matière de GP, on a l'impression qu'il y a pas moins de 3 poids 3 mesures... C'est passionnant à expliquer dans un cours de droit bancaire quand les étudiants réalisent que les banquiers ne sont pas seulement des teneurs de comptes et des spécialistes de la lettre de change... Les étudiants réalisent aussi, et alors, l'indivisibilité du bancaire et du financier (pour une banque c'est un problème de droit bancaire, et pour un CIF c'est un problème de droit financier ? et pour le CGP indépendant ?). On voit aussi la connexion avec le droit des assurances.
Ces observations, donc, ne commentent pas la décision dans le détail, et, en outre, l'on ne fait que noter que sur le second pourvoi au moyen unique, le notaire s'en sort. Lui !
_______________________
Post scriptum : un autre arrêt de la même chambre, du 12 septembre, sur une information fiscale, ne retient pas la responsabilité d'un professionnel...
Arrêt rassurant les professionnels
Un signalement de décision allant dans un sens différent, sinon contraire, permet au lecteur de passage, et au non juriste, averti, de réaliser qu'il faut beaucoup d'art pour comprendre le droit de l'investissement, et encore davantage pour comprendre le juge.
__________________
Un des 5 arrêts de cette série extrait d ela base publique Legifrance :
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 26 septembre 2019
N° de pourvoi: 18-21402 18-23165
Non publié au bulletin Cassation partielle sans renvoi
Mme Batut (président), président
Me Le Prado, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° K 18-21.402 et B 18-23.165 ;
Donne acte à la société civile professionnelle V... Z..., H... S..., J... K..., O... Q..., F... G..., C... N... et Y... B... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Caisse de crédit mutuel de Dijon Darcy ;
Donne acte à la société Cincinnatus assurance du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Caisse de crédit mutuel de Dijon Darcy ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. P..., désireux de réaliser un investissement immobilier dans un but de défiscalisation, est entré en relation avec la société Cincinnatus assurance (la société Cincinnatus), conseiller en gestion de patrimoine, qui, au terme d'une étude personnalisée, lui a conseillé d'investir dans un programme immobilier Château d'Abondant, développé sous l'égide de la société Financière Barbatre (le promoteur-constructeur), et présenté comme éligible au dispositif de défiscalisation institué par la loi n° 62-903 du 4 août 1962 sur les monuments historiques ; que, par acte du 1er mars 2003, M. P... et son épouse ont constitué la société civile immobilière Aviva MH (l'acquéreur) ; que, suivant acte du 10 décembre 2003, l'acquéreur a donné procuration à « tout clerc » de la société civile professionnelle A... I..., L... U..., V... Z..., H... S..., J... K..., O... Q..., F... G... et C... N..., devenue la SCP V... Z..., H... S..., J... K..., O... Q..., F... G..., C... N... et Y... B... (la SCP notariale), aux fins d'acquérir et emprunter pour son compte une somme auprès d'une banque, en vue de financer l'achat d'un lot dans l'ensemble immobilier ainsi que les travaux de réhabilitation ; que, le 27 décembre 2003, la SCP notariale a reçu l'acte authentique d'acquisition ; que le promoteur-vendeur et ses filiales chargées de la réalisation des travaux et de l'exploitation de la future résidence hôtelière ont été placés en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire avant la réalisation des travaux de réhabilitation ; que, soutenant que le lot acquis avait perdu toute valeur, M. P... et l'acquéreur ont assigné la société Cincinnatus et la SCP notariale en responsabilité et indemnisation ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° B 18-23.165 :
Attendu que la société Cincinnatus fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la SCP notariale, à payer à l'acquéreur la somme de 320 449 euros, alors, selon le moyen :
1°/ que l'obligation de renseignement, de conseil et de mise en garde incombant au conseil en gestion de patrimoine ne s'étend pas aux aléas juridiques ou financiers susceptibles de survenir pendant le cours normal de l'investissement qu'il a proposé à son client, lorsque ces aléas ne présentent aucune spécificité et sont de la connaissance de tous ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la société Cincinnatus ne pouvait s'exonérer de son défaut d'information sur les risques et aléas du projet par l'affirmation péremptoire selon laquelle l'aléa est inhérent à un tel programme d'investissement et connu de tous, tandis que cet aléa avait été exclu « de sa proposition totalement sécurisée » ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la société Cincinnatus n'était pas tenue de mettre en garde M. P... sur le fait que toute opération d'investissement immobilier aux fins de défiscalisation est susceptible d'échouer en cas de défaillance ultérieure de l'un des participants au projet de construction, risque inhérent à toute opération immobilière et de la connaissance de tous, et qui ne présentait aucune spécificité au regard du placement proposé, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, devenu l'article 1231 du même code en ce qui concerne M. P..., et 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code en ce qui concerne la SCI Aviva MH ;
2°/ que l'obligation de renseignement, de conseil et de mise en garde incombant au conseil en gestion de patrimoine ne s'étend pas aux aléas juridiques ou financiers susceptibles de survenir pendant le cours de l'investissement qu'il a proposé à son client, dès lors qu'à la date à laquelle il a conseillé ce placement, il ne disposait d'aucun élément de nature à l'alerter sur le risque d'un échec prévisible de l'opération d'investissement ; qu'en l'espèce, la société Cincinnatus faisait valoir que, lorsque le placement litigieux avait été proposé à M. P... en 2003, elle avait préalablement procédé à des investigations sur la santé financière des sociétés du groupe Barbatre et sur l'état d'avancement du projet, sans disposer de la moindre information permettant de douter du succès de l'opération projetée, qui répondait notamment à l'ensemble des critères permettant de bénéficier des dispositions défiscalisantes de la loi Malraux ; que la cour d'appel a néanmoins retenu que la société Cincinnatus avait manqué à son devoir de conseil et de mise en garde envers M. P..., dans la mesure où la commercialisation du programme à plus de 70 % ne suffisait pas en soi à garantir le succès de l'opération, qu'une proposition de livraison du bien en janvier 2005 tandis qu'il n'était pas contesté que le permis de construire n'était pas encore délivré, était irréaliste, et que la remise de la documentation commerciale afférente au programme et aux statuts de l'ASL ne pouvait valoir fourniture d'un conseil adapté compte tenu de la complexité des mécanismes proposés ; qu'en se prononçant ainsi par des motifs impropres à caractériser en quoi la société Cincinnatus, qui n'est pas un professionnel de la construction immobilière, avait pu identifier le moindre élément révélant un risque d'échec de l'opération à la date de la décision d'investir de M. P..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil, devenu l'article 1231 du même code en ce qui concerne M. P..., et 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code en ce qui concerne la SCI Aviva MH ;
3°/ que l'obligation de renseignement, de conseil et de mise en garde incombant au conseil en gestion de patrimoine ne s'étend pas aux aléas juridiques ou financiers susceptibles de survenir pendant le cours de l'investissement qu'il a proposé à son client, dès lors qu'à la date à laquelle il a conseillé ce placement, il ne disposait d'aucun élément de nature à l'alerter sur le risque d'un échec prévisible de l'opération d'investissement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs propres comme adoptés, que la faisabilité de l'opération n'avait pas été mise en péril avant le mois de janvier 2004, date à laquelle M. P... avait déchargé la société Cincinnatus de toutes ses obligations ; qu'en décidant néanmoins que la société Cincinnatus avait manqué à son devoir de conseil envers M. P... pour ne pas l'avoir alerté sur les risques d'échec de l'investissement immobilier proposé, après avoir constaté que de tels risques n'étaient pas caractérisés à la date à laquelle M. P... avait décidé d'investir ni même à la date à laquelle il avait déchargé la société Cincinnatus de son mandat, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, devenu l'art.1231 du même code en ce qui concerne M. P..., et 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code en ce qui concerne la SCI Aviva MH;
Mais attendu qu'après avoir constaté que la présentation de l'opération conseillée se conclut ainsi : « votre montage sera totalement sécurisé » et que la société Cincinnatus n'a émis aucune réserve sur l'existence d'un éventuel aléa, l'arrêt retient que la présentation ne comporte aucune explication sur l'opération de restauration immobilière, qu'il n'existe aucune mention relative aux obligations de l'investisseur, telle que celle tenant à la réalisation des travaux, aléa qui conditionnait pourtant la défiscalisation recherchée, et que ne figure aucune indication sur les risques encourus en cas de retard dans le démarrage des travaux ou d'inexécution de ceux-ci, alors qu'une date de fin de chantier est expressément indiquée, que ces risques n'étaient pas de la "connaissance de tous" et que cette information lui était due, même s'il pouvait être admis que la société Cincinnatus n'avait pas de raison de douter de la fiabilité des entreprises du promoteur-constructeur ; que la cour d'appel a ainsi caractérisé les manquements de la société Cincinnatus à son obligation de conseil et d'information à l'égard de l'acquéreur sur l'aléa essentiel de l'opération de défiscalisation ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° K 18-21.402 :
Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
Attendu que, pour condamner la SCP notariale, in solidum avec la société Cincinnatus, à payer à l'acquéreur la somme de 320 449 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices, l'arrêt retient que la SCP notariale aurait dû attirer l'attention de l'acquéreur sur l'aléa essentiel de cette opération que représentait l'absence de garantie de bonne fin des travaux, dont le succès était économiquement subordonné à la réhabilitation complète de l'immeuble ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le notaire, qui n'est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, n'était pas tenu d'informer l'acquéreur du risque d'échec du programme immobilier, qu'il ne pouvait suspecter au jour de la signature de la vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'en application des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile, la Cour de cassation est en mesure de statuer au fond, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SCP V... Z...,
Essayez ci-contre, sur ce sujet, les tags : CIF, Gestion de patrimoine, Obligation de conseil, CGP CGPI, Banques.
Nous ne sommes pas, avec ces arrêts, dans de la haute ingénierie juridique. La Cour use de l'arme générale et floue, quoique peu critiquée en doctrine, de l'obligation d'information et de conseil. Cette obligation est plutôt inutilisable dans des relations juridiques autres où le professionnel a vu ses obligations précisées.
Néanmoins, même quand la cour n'utilise pas cette fameuse expression, pour retenir ou non la responsabilité d'un CIF, CGP ou d'une banque, etc., les auteurs commentent parfois les décisions en invoquant eux-mêmes l'expression ; le schéma mental, structure imposé à l'esprit, est parfois l'ennemi de la rigueur intellectuelle.
Le pourvoi ne manquait pas de critiquer les arrêts d'appel en indiquant les multiples nuances en cause. Obligation de renseignement, de mise en garde, de conseil ; la juge du droit reprend son idée et son expression pour répondre. La structure imposée à l'esprit joue également ici.
Ici, l'intermédiaire d'assurance tombe sur cette obligation flexible et attrape-tout : "a ainsi caractérisé les manquements de la société Cincinnatus à son obligation de conseil et d'information".
S'agissait-il d'information ou de conseil, personne ne le saura jamais. On distingue ces obligations sauf lorsqu'on les confond...
Les documents remis à l'investisseur étaient, il est vrai, très rassurants et n'évoquaient pas les risques de l'opération (placement, investissement ?).
On peut donc comprendre que, face aux événement essuyés (qu'on ne décrit pas), les investisseurs aient pu être vus comme ayant été mal informés, ou mal conseillés, nuance !
Nuance sur laquelle, à nouveau, on ne peut rien dire sinon que cette obligation large et flexible et à quatre faces au moins est une sorte de "bonne à tout faire du juge" de la responsabilité des professionnels, autant au fond que devant la Cour de cassation.
Ce disant, nous sommes dans un jugement de valeur, du reste assez général, qui, cependant, nous semble avoir été celui du juge d'appel. Le rejet du pourvoi signifie que la Cour de cassation appuie cette démarche, encore qu'elle contrôle au vu de sa notion (à elle !).
Cette expression est vague par rapport à diverses obligations spéciales, des professionnels de la finance et du patrimoine, et des dispositions légales (!) spéciales, notamment du Code monétaire et financier. Si tel n'était pas le cas en l'espèce, la gestion de patrimoine est une activité identifiée pour plusieurs acteurs légaux du CMF.
Ce dernier code pourrait inspirer toutes les chambres de la Haute juridiction, mais il est vrai que le droit des services d'investissement a très tard été appliqué dans sa rigueur et avec rigueur, en sorte que le modèle n'a jamais été mis en valeur. C'est presque une autre histoire. Il n'est pas une structure de l'esprit.
Voilà un aspect de la décision, et un seul.
En matière de GP, on a l'impression qu'il y a pas moins de 3 poids 3 mesures... C'est passionnant à expliquer dans un cours de droit bancaire quand les étudiants réalisent que les banquiers ne sont pas seulement des teneurs de comptes et des spécialistes de la lettre de change... Les étudiants réalisent aussi, et alors, l'indivisibilité du bancaire et du financier (pour une banque c'est un problème de droit bancaire, et pour un CIF c'est un problème de droit financier ? et pour le CGP indépendant ?). On voit aussi la connexion avec le droit des assurances.
Ces observations, donc, ne commentent pas la décision dans le détail, et, en outre, l'on ne fait que noter que sur le second pourvoi au moyen unique, le notaire s'en sort. Lui !
_______________________
Post scriptum : un autre arrêt de la même chambre, du 12 septembre, sur une information fiscale, ne retient pas la responsabilité d'un professionnel...
Arrêt rassurant les professionnels
Un signalement de décision allant dans un sens différent, sinon contraire, permet au lecteur de passage, et au non juriste, averti, de réaliser qu'il faut beaucoup d'art pour comprendre le droit de l'investissement, et encore davantage pour comprendre le juge.
__________________
Un des 5 arrêts de cette série extrait d ela base publique Legifrance :
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du jeudi 26 septembre 2019
N° de pourvoi: 18-21402 18-23165
Non publié au bulletin Cassation partielle sans renvoi
Mme Batut (président), président
Me Le Prado, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° K 18-21.402 et B 18-23.165 ;
Donne acte à la société civile professionnelle V... Z..., H... S..., J... K..., O... Q..., F... G..., C... N... et Y... B... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Caisse de crédit mutuel de Dijon Darcy ;
Donne acte à la société Cincinnatus assurance du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la Caisse de crédit mutuel de Dijon Darcy ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. P..., désireux de réaliser un investissement immobilier dans un but de défiscalisation, est entré en relation avec la société Cincinnatus assurance (la société Cincinnatus), conseiller en gestion de patrimoine, qui, au terme d'une étude personnalisée, lui a conseillé d'investir dans un programme immobilier Château d'Abondant, développé sous l'égide de la société Financière Barbatre (le promoteur-constructeur), et présenté comme éligible au dispositif de défiscalisation institué par la loi n° 62-903 du 4 août 1962 sur les monuments historiques ; que, par acte du 1er mars 2003, M. P... et son épouse ont constitué la société civile immobilière Aviva MH (l'acquéreur) ; que, suivant acte du 10 décembre 2003, l'acquéreur a donné procuration à « tout clerc » de la société civile professionnelle A... I..., L... U..., V... Z..., H... S..., J... K..., O... Q..., F... G... et C... N..., devenue la SCP V... Z..., H... S..., J... K..., O... Q..., F... G..., C... N... et Y... B... (la SCP notariale), aux fins d'acquérir et emprunter pour son compte une somme auprès d'une banque, en vue de financer l'achat d'un lot dans l'ensemble immobilier ainsi que les travaux de réhabilitation ; que, le 27 décembre 2003, la SCP notariale a reçu l'acte authentique d'acquisition ; que le promoteur-vendeur et ses filiales chargées de la réalisation des travaux et de l'exploitation de la future résidence hôtelière ont été placés en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire avant la réalisation des travaux de réhabilitation ; que, soutenant que le lot acquis avait perdu toute valeur, M. P... et l'acquéreur ont assigné la société Cincinnatus et la SCP notariale en responsabilité et indemnisation ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° B 18-23.165 :
Attendu que la société Cincinnatus fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec la SCP notariale, à payer à l'acquéreur la somme de 320 449 euros, alors, selon le moyen :
1°/ que l'obligation de renseignement, de conseil et de mise en garde incombant au conseil en gestion de patrimoine ne s'étend pas aux aléas juridiques ou financiers susceptibles de survenir pendant le cours normal de l'investissement qu'il a proposé à son client, lorsque ces aléas ne présentent aucune spécificité et sont de la connaissance de tous ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que la société Cincinnatus ne pouvait s'exonérer de son défaut d'information sur les risques et aléas du projet par l'affirmation péremptoire selon laquelle l'aléa est inhérent à un tel programme d'investissement et connu de tous, tandis que cet aléa avait été exclu « de sa proposition totalement sécurisée » ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que la société Cincinnatus n'était pas tenue de mettre en garde M. P... sur le fait que toute opération d'investissement immobilier aux fins de défiscalisation est susceptible d'échouer en cas de défaillance ultérieure de l'un des participants au projet de construction, risque inhérent à toute opération immobilière et de la connaissance de tous, et qui ne présentait aucune spécificité au regard du placement proposé, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, devenu l'article 1231 du même code en ce qui concerne M. P..., et 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code en ce qui concerne la SCI Aviva MH ;
2°/ que l'obligation de renseignement, de conseil et de mise en garde incombant au conseil en gestion de patrimoine ne s'étend pas aux aléas juridiques ou financiers susceptibles de survenir pendant le cours de l'investissement qu'il a proposé à son client, dès lors qu'à la date à laquelle il a conseillé ce placement, il ne disposait d'aucun élément de nature à l'alerter sur le risque d'un échec prévisible de l'opération d'investissement ; qu'en l'espèce, la société Cincinnatus faisait valoir que, lorsque le placement litigieux avait été proposé à M. P... en 2003, elle avait préalablement procédé à des investigations sur la santé financière des sociétés du groupe Barbatre et sur l'état d'avancement du projet, sans disposer de la moindre information permettant de douter du succès de l'opération projetée, qui répondait notamment à l'ensemble des critères permettant de bénéficier des dispositions défiscalisantes de la loi Malraux ; que la cour d'appel a néanmoins retenu que la société Cincinnatus avait manqué à son devoir de conseil et de mise en garde envers M. P..., dans la mesure où la commercialisation du programme à plus de 70 % ne suffisait pas en soi à garantir le succès de l'opération, qu'une proposition de livraison du bien en janvier 2005 tandis qu'il n'était pas contesté que le permis de construire n'était pas encore délivré, était irréaliste, et que la remise de la documentation commerciale afférente au programme et aux statuts de l'ASL ne pouvait valoir fourniture d'un conseil adapté compte tenu de la complexité des mécanismes proposés ; qu'en se prononçant ainsi par des motifs impropres à caractériser en quoi la société Cincinnatus, qui n'est pas un professionnel de la construction immobilière, avait pu identifier le moindre élément révélant un risque d'échec de l'opération à la date de la décision d'investir de M. P..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil, devenu l'article 1231 du même code en ce qui concerne M. P..., et 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code en ce qui concerne la SCI Aviva MH ;
3°/ que l'obligation de renseignement, de conseil et de mise en garde incombant au conseil en gestion de patrimoine ne s'étend pas aux aléas juridiques ou financiers susceptibles de survenir pendant le cours de l'investissement qu'il a proposé à son client, dès lors qu'à la date à laquelle il a conseillé ce placement, il ne disposait d'aucun élément de nature à l'alerter sur le risque d'un échec prévisible de l'opération d'investissement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté, par motifs propres comme adoptés, que la faisabilité de l'opération n'avait pas été mise en péril avant le mois de janvier 2004, date à laquelle M. P... avait déchargé la société Cincinnatus de toutes ses obligations ; qu'en décidant néanmoins que la société Cincinnatus avait manqué à son devoir de conseil envers M. P... pour ne pas l'avoir alerté sur les risques d'échec de l'investissement immobilier proposé, après avoir constaté que de tels risques n'étaient pas caractérisés à la date à laquelle M. P... avait décidé d'investir ni même à la date à laquelle il avait déchargé la société Cincinnatus de son mandat, la cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, devenu l'art.1231 du même code en ce qui concerne M. P..., et 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code en ce qui concerne la SCI Aviva MH;
Mais attendu qu'après avoir constaté que la présentation de l'opération conseillée se conclut ainsi : « votre montage sera totalement sécurisé » et que la société Cincinnatus n'a émis aucune réserve sur l'existence d'un éventuel aléa, l'arrêt retient que la présentation ne comporte aucune explication sur l'opération de restauration immobilière, qu'il n'existe aucune mention relative aux obligations de l'investisseur, telle que celle tenant à la réalisation des travaux, aléa qui conditionnait pourtant la défiscalisation recherchée, et que ne figure aucune indication sur les risques encourus en cas de retard dans le démarrage des travaux ou d'inexécution de ceux-ci, alors qu'une date de fin de chantier est expressément indiquée, que ces risques n'étaient pas de la "connaissance de tous" et que cette information lui était due, même s'il pouvait être admis que la société Cincinnatus n'avait pas de raison de douter de la fiabilité des entreprises du promoteur-constructeur ; que la cour d'appel a ainsi caractérisé les manquements de la société Cincinnatus à son obligation de conseil et d'information à l'égard de l'acquéreur sur l'aléa essentiel de l'opération de défiscalisation ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° K 18-21.402 :
Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
Attendu que, pour condamner la SCP notariale, in solidum avec la société Cincinnatus, à payer à l'acquéreur la somme de 320 449 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ses préjudices, l'arrêt retient que la SCP notariale aurait dû attirer l'attention de l'acquéreur sur l'aléa essentiel de cette opération que représentait l'absence de garantie de bonne fin des travaux, dont le succès était économiquement subordonné à la réhabilitation complète de l'immeuble ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le notaire, qui n'est pas soumis à une obligation de conseil et de mise en garde concernant la solvabilité des parties ou l'opportunité économique d'une opération en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, n'était pas tenu d'informer l'acquéreur du risque d'échec du programme immobilier, qu'il ne pouvait suspecter au jour de la signature de la vente, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'en application des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile, la Cour de cassation est en mesure de statuer au fond, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la SCP V... Z...,