Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

Quand une cour d'appel est très éloignée de la protection des investisseurs et du droit de l'investissement (Cass. com., 27 mars 2024, 22-16.136, Publié.)



Il y a des arrêts qu'on ne comprend pas ; en fait partie l'arrêt de la cour d'appel de Paris que la Cour de cassation a cassé le 27 mars 2024.

L'arrêt est publié au Bulletin de la cour, sa formulation très générale est par nature pédagogique. Un professionnel CGP... et CIF, totalement impliqué dans un investissement, avait été exonéré de toute responsabilité car, notamment, il n'avait pas rédigé la plaquette commerciale relative à l'investissement ― entendre ic par "investissement" le ou les biens achetés. C'est évidemment le cas dans 90 % des cas pour ces professionnels qui sont des intermédiaires et conseils.

La cour d'appel a en définitive jugé que la société de conseil était étrangère au dossier.

Vous noterez les articles violés par le juge d'appel (infra), le code monétaire et financier est un espace exotique pour certains juristes... et même pour certains magistrats.

Le cas de la plaquette est notable, je le relève avec plaisir. J'ai parfois enseigné sur la plaquette !

Ce beau document au papier glacé fait oublier tout le droit pour idéaliser le placement... La plaquette est, il est vrai, un moyen essentiel, pratique et intellectuel, pour présenter l'opération et convaincre l'interlocuteur d'investir.

La plaquette est l'une des bases du contact commercial, et les clients doivent bien la garder. Elle comporte parfois des termes qui diffèrent des documents contractuels, ce qui a alors une incidence sur les termes contractuels à retenir et à appliquer.

Ainsi, le juge peut tenir compte de la plaquette car ce document de synthèse peut avoir déterminé le consentement de l'investisseur. Mais c'est une autre histoire... Sauf à dire que ces dissonances (entre plaquette et contrat signé) ne devraient pas exister car les intermédiaires sont soumis à une obligation de loyauté que l'on peut considérer comme renforcée par rapport à celle de droit commun. La loyauté n'est pas seulement une obligation contractuelle mais également une obligation professionnelle.

Le renfort vient de là. Même s'il n'est pas évident de le fixer dans des arrêts.

Il vient aussi du fait que la prestation est le conseil lui-même ! Le conseil est la prestation essentielle ou principale de l'intermédiaire, et le client paye pour. On n'est pas là dans le cas des obligations de conseils que les avocats et les parties voient à tout bout de contrat pour engager la responsabilité d'un professionnel dont la tâche n'est pas, au principal, de conseiller.

Le conseil peut s'appliquer et s'exécuter avec ou sans plaquette, pour revenir à ce bel objet juridique (et de marketing).

En l'espèce, le problème ne tenait pas à l'invocation de la plaquette contre l'intermédiaire, mais le fait qu'il n'en serait pas l'auteur.

Le CGP ou le CIF peut participer à la réalisation de la plaquette, ou des autres documents, mais de toute façon sa responsabilité tient uniquement, à l'égard de l'investisseur, à sa qualité de conseil : à la prestation de conseil qu'il rend (ou qu'il est sensé rendre). La prestation, le service, le contrat !


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Quand une cour d'appel est très éloignée de la protection des investisseurs et du droit de l'investissement (Cass. com., 27 mars 2024, 22-16.136, Publié.)


Cour de cassation, chambre commerciale, 27 mars 2024, 22-16.136, Publié.


COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 27 mars 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 176 F-B
Pourvoi n° U 22-16.136

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 MARS 2024

1°/ Mme [IK]
  • , épouse
[NC], domiciliée [Adresse 14],

2°/ Mme [MG] [R], veuve
  • , domiciliée
[Adresse 26],

3°/ Mme [DL]
  • , veuve
[MN], domiciliée [Adresse 21],

4°/ Mme [Z]
  • , épouse
[RJ], domiciliée [Adresse 20],

5°/ Mme [RR]
  • , domiciliée
[Adresse 7],

6°/ Mme [W]
  • , domiciliée
[Adresse 17],

7°/ Mme [RC]
  • , épouse
[V], domiciliée [Adresse 8],

8°/ Mme [H]
  • , épouse
[VU], domiciliée [Adresse 18],

9°/ M. [MV]
  • , domicilié
[Adresse 28] (États-Unis),

10°/ M. [AZ] [WP], domicilié [Adresse 5],

11°/ M. [G]
  • , domicilié
[Adresse 29],

12°/ Mme [U] [WP], épouse [J], domiciliée [Adresse 19],

13°/ Mme [B] [WP], épouse [HO], domiciliée [Adresse 11],

14°/ Mme [HW] [WP], épouse [A], domiciliée [Adresse 24],

15°/ M. [SM] [WP], domicilié [Adresse 12],

16°/ Mme [C] [WP], épouse [HH], domiciliée [Adresse 10],

17°/ M. [WB]
  • , domicilié
[Adresse 3],

18°/ M. [IS] [WP], domicilié [Adresse 15],

19°/ Mme [E]
  • , épouse
[DT], domiciliée [Adresse 23],

20°/ M. [Y]
  • , domicilié
[Adresse 2],

21°/ M. [WI]
  • , domicilié
[Adresse 6],

22°/ Mme [K]
  • , épouse
[F], domiciliée [Adresse 25],

23°/ Mme [I]
  • , épouse
[M], domiciliée [Adresse 4],


24°/ M. [P]
  • , domicilié
[Adresse 16],

25°/ M. [WX]
  • , domicilié
[Adresse 13],

26°/ Mme [SF]
  • , domiciliée
[Adresse 27] (Belgique),

27°/ M. [D]
  • , domicilié
[Adresse 1],

agissant tous en qualité d'ayants droit de la succession de [O] [ID]
  • , veuve de
[S] [LZ] [X] [T],

ont formé le pourvoi n° U 22-16.136 contre l'arrêt rendu le 28 février 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 10), dans le litige les opposant :

1°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,

2°/ à la société MMA IARD, société anonyme,

ayant toutes deux leur siège [Adresse 9],

3°/ à la société Chatel patrimoine, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 22],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [IK]
  • , épouse
[NC], de Mme [R], veuve
  • , de Mme
[DL]
  • , veuve
[MN], de Mme [Z]
  • , épouse
[RJ], de Mmes [RR] et [W]
  • , de Mme
[RC]
  • , épouse
[V], de Mme [H]
  • , épouse
[VU], de M. [MV]
  • , de M.
[AZ] [WP], de M. [G]
  • , de Mme
[U] [WP], épouse [J], de Mme [B] [WP], épouse [HO], de Mme [HW] [WP], épouse [A], de M. [SM] [WP], de Mme [C] [WP], épouse [HH], de M. [WB]
  • , de M.
[IS] [WP], de Mme [E]
  • , épouse
[DT], de M. [Y]
  • , de M.
[WI]
  • , de Mme
[K]
  • , épouse
[F], de Mme [I]
  • , épouse
[M], de MM. [P] et [WX]
  • , de Mme
[SF]
  • et de M.
[D]
  • , agissant tous en qualité d'ayants droit de la succession de
[O] [ID]
  • , veuve de
[S] [LZ] [X] [T], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat des sociétés MMA IARD assurances mutuelles, MMA IARD, et Chatel patrimoine, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 février 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 février 2022), M.
  • et sa soeur,
[O] [LZ] [X] [N], ont confié en 2006 la gestion de leur patrimoine à la société Chatel patrimoine, conseiller en gestion de patrimoine et en investissements financiers.

2. En septembre 2012, un représentant de cette société s'est rendu à leur domicile pour leur présenter et leur remettre une plaquette décrivant le projet d'acquisition, par un groupe dont la société Vova était la filiale, d'une chaîne de restaurants. Le 13 décembre 2012, M.
  • et sa soeur ont souscrit à l'emprunt obligataire émis par cette dernière société pour financer l'opération.

    3. Seul le premier intérêt obligataire a été payé fin 2013 et la société Vova a été mise en liquidation judiciaire en 2017. M.
  • et les ayants droit de
[O] [LZ] [X] [N], entre temps décédée (les consorts
  • ), ont assigné la société Chatel patrimoine et ses assureurs, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, en réparation du préjudice subi en raison de la perte de leur investissement.

    Examen du moyen

    Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

    Enoncé du moyen

    4. Les consorts
  • font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes à l'encontre de la société Chatel patrimoine et de ses assureurs, alors :

    « 1°/ qu'aux termes des articles L. 541-1, I et II et L. 550-1 du code monétaire et financier, les conseillers en investissements financiers proposent par voie de publicité ou de démarchage d'acquérir des droits sur des biens mobiliers ou immobiliers lorsque les acquéreurs n'en assurent pas eux-mêmes la gestion, ou recueillent des fonds à cette fin ; qu'en considérant que la remise par la société Chatel de la plaquette de l'opération n'engageait pas sa responsabilité en qualité de conseiller en investissements financiers du fait qu'elle n'avait pas été chargée de sa présentation et qu'elle était étrangère à sa conception, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter sa responsabilité en qualité de conseiller en investissements financiers résultant de la présentation de la plaquette et de l'organisation du financement de l'opération, privant ainsi son arrêt de base légale au regard des dispositions susvisées, ensemble l'article 1147 (désormais 1231-1) du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

    2°/ qu'aux termes de l'article L. 541-1, II, du code monétaire et financier, les conseillers en investissements financiers peuvent recevoir aux fins de transmission des ordres pour le compte d'un client auquel ils ont fourni une prestation de conseil ; que, pour refuser à la société Chatel patrimoine la qualité de conseil en investissements financiers, la cour d'appel a énoncé que "s'agissant du suivi de l'opération, il ressort des documents contractuels, des échanges de courriers, qu'ils établissent que la société Chatel est bien intervenue en qualité de conseiller en gestion de patrimoine, de CIF auprès des consorts
  • , dans le cadre des missions qui lui avaient été confiées par ces derniers", que "les courriers versés aux débats adressés par la société Chatel aux consorts
  • , indiquent qu'elle est intervenue pour concrétiser le financement des obligations Vova", et que "ces échanges traduisent l'intervention de la société Chatel pour transmettre les demandes de ses clients et faire exécuter les ordres donnés en sa qualité d'intermédiaire" ; qu'elle a pourtant conclu que "les solutions qu'elle a pu proposer pour le financement des obligations souscrites ne permettent pas d'en déduire que la société Chatel a agi en qualité de CIF" ; qu'en statuant par de tels motifs, dont il résultait, contrairement à la déduction qu'elle en a faite, que la société Chatel patrimoine, en transmettant les ordres de ses clients aux fins de financement de leur souscription à l'emprunt obligataire qu'elle leur avait présenté, agissait en qualité de conseiller en investissements financiers, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à écarter la qualité de conseiller en investissements financiers, privant ainsi son arrêt de base légale au regard des dispositions susvisées. »

    Réponse de la Cour

    Vu les articles L. 541-1, I et II, L. 544-1 et L. 550-1 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007, et l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

    5. Il résulte de ces textes que le conseiller en investissement financier peut fournir un service de réception et de transmission d'ordres pour le compte d'un client auquel il fournit une prestation de conseil, le cas échéant par voie de démarchage.

    6. Pour rejeter les demandes d'indemnisation des consorts
  • fondées sur les manquements allégués de la société Chatel patrimoine à ses obligations de conseiller en investissements financiers, l'arrêt, après avoir relevé que le représentant de la société Chatel patrimoine s'est rendu au domicile de ses clients pour leur remettre la plaquette de présentation de l'opération « Marmiton », a concrétisé la souscription par ses clients à l'acquisition d'obligations émises par la société Vova en transmettant leurs demandes et en faisant exécuter leurs ordres, puis que la société Chatel patrimoine est intervenue, en qualité de conseiller en gestion de patrimoine et de conseiller en investissement financier auprès des consorts
  • , retient qu'il n'est pas établi qu'elle était chargée de la présentation et du contenu de la plaquette décrivant l'opération d'acquisition de la chaîne de restauration et son financement, qu'elle était étrangère à sa conception et à sa rédaction et qu'elle n'a perçu à ce titre aucune rémunération en qualité d'intermédiaire ou de courtier. Il en déduit que cette société n'a pas agi, pour l'opération litigieuse, en qualité de conseiller en investissement financier, n'a pas contracté un devoir de conseil sur le contenu de la plaquette, et qu'elle n'avait pas à vérifier l'exactitude des documents remis et qu'elle n'était pas tenue de remettre un rapport écrit préalable sur les avantages et risques liés à l'acquisition des obligations Vova, dès lors qu'elle n'était pas partie à l'opération.

    7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé, par refus d'application, les textes susvisés.

    PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

    CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 février 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

    Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

    Condamne la société MMA IARD assurances mutuelles, la société MMA IARD et la société Chatel patrimoine aux dépens ;

    En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société MMA IARD assurances mutuelles, la société MMA IARD et la société Chatel patrimoine et les condamne à payer à Mme
[IK]
  • , épouse
[NC], Mme [R], veuve
  • , Mme
[DL]
  • , veuve
[MN], Mme [Z]
  • , épouse
[RJ], Mmes [RR] et [W]
  • , Mme
[RC]
  • , épouse
[V], Mme [H]
  • , épouse
[VU], M. [MV]
  • , M.
[AZ] [WP], M. [G]
  • , Mme
[U] [WP], épouse [J], Mme [B] [WP], épouse [HO], Mme [HW] [WP], épouse [A], M. [SM] [WP], Mme [C] [WP], épouse [HH], M. [WB]
  • , M.
[IS] [WP], Mme [E]
  • , épouse
[DT], M. [Y]
  • , M.
[WI]
  • , Mme
[K]
  • , épouse
[F], Mme [I]
  • , épouse
[M], MM. [P] et [WX]
  • , Mme
[SF]
  • et M.
[D]
  • , agissant tous en qualité d'ayants droit de la succession de
[O] [ID]
  • , veuve de
[S] [LZ] [X] [T], la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille vingt-quatre et signé par lui et Mme Labat, greffier présent lors du prononcé. ECLI:FR:CCASS:2024:CO00176

________________________

Analyse

Titrages et résumés
Cassation civil - BOURSE - Conseiller en investissement financier - Prestation de conseil - Service de réception et de transmission d'ordres - Obligation d'information et de conseil

Il résulte des articles L. 541-1, I et II, L. 544-1 et L. 550-1 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007, et 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, que le conseiller en investissement financier peut fournir un service de réception et de transmission d'ordres pour le compte d'un client auquel il fournit une prestation de conseil, le cas échéant par voie de démarchage, et qu'il est tenu alors à une obligation d'information et de conseil

Textes appliqués
2016.
Articles L. 541-1, I et II, L. 544-1 et L. 550-1 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007 ; article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février

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