Passerelle pour le Barreau : un ATER n'est pas un "enseignant-chercheur", quoiqu'il enseigne et cherche, comme d'autres (Cass. civ. 1re, 19 janv. 2022, n° 20-18.801)



Passerelle pour le Barreau : le sujet passionne !

Voyez ici même le sujet très suivi à propos des juristes d'entreprises...

Il pourrait encore plus intéresser d'ici quelques années... mais chut ! Nous reviendrons sur le sujet !

Pour l'heure, un arrêt (lien et texte ci-dessous) signale le dispositif qui fait parler de "passerelle" : devenir avocat sans le diplôme du CAPA.

Un ATER titulaire du doctorat, qui avait dispensé des cours pendant 5 ans, a tenté de bénéficier de la dispense pratique et théorique (un an d'école d'avocat) : cette exception bénéficie principalement aux maîtres de conférences des universités selon l'article 98 (cité en note). Les ATER (attachés temporaires de d'enseignement et de recherche), recrutés par un CDD, ne sont pas maîtres de conférences.

Détaillons l'affaire.

I. Un ATER n'est pas un "enseignant-chercheur" (EC), au sens de l'expression légale précitée, quoiqu'il enseigne et cherche, comme d'autres du reste. La recherche n'est le monopole de personne et nombre de professionnels enseignent et font des recherches (leurs publications en attestent), l'enseignement non plus (mais cela est évident).

Cette référence aux EC à été faite ailleurs, un commentaire résume l'arrêt par un intitulé "L’accès dérogatoire à la profession d’avocat strictement limité pour les enseignants-chercheurs" ( par Cécile Caseau-Roche évoquant l'arrêt précité : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/l-acces-derogatoire-profession-d-avocat-strictement-limite-pour-enseignants-chercheurs ).

A notre sens, cependant, cet accès n'est pas limité "pour", "pour les enseignants-chercheurs", mais "aux" enseignants-chercheurs (EC). Entendez les véritables "enseignants-chercheurs" selon la loi et le décret.

Pour toutes les disciplines universitaires (de la géographie à l'informatique...), les EC sont soit des professeurs d'université soit des maîtres de conférences (MCF) des universités ; ces deux corps d'agents publics sont en partie régis par des textes communs, notamment un fameux et célèbre décret de 1984, tant de fois modifié (...), chaque fonction ayant aussi quelques dispositions propres.

Ne font pas partie des EC :

- les maîtres de conférences utilisant ce titre (titre au demeurant légal et réglementaire) par la tolérance ministérielle à l'égard de certaines écoles ou institutions publiques ou para-publiques (autorisées à délivrer des diplômes nationaux) ; le moindre intervenant y utilise parfois cette appellation dans une confusion désobligeante pour les MCF des universités !
- les divers chargé d'enseignements et de cours...
- ni les ATER.

II. Un attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER) ne relève pas du décret de 1984, pour ne pas être institué par ce décret de 1984. L'affaire est réglée depuis ce décret appliquant la loi Savary de 1984 sur les universités, lequel n'a jamais été modifié pour y faire figurer les ATER, lesquels relèvent d'un décret du 7 mai 1988 (voyez encadré ci-dessous).

Le sort fait aux ATER est observable ailleurs ; dans diverses écoles privées, des enseignants ont par leur contrat de travail également une mission de recherche, et ils enseignent et ils évaluent et notent pour l'obtention de diplômes reconnus, d'une façon ou d'une autre, par l'autorité publique. Néanmoins, ils ne sont pas "enseignants-chercheurs" au sens de la loi et du décret.

Nous ne jugeons pas la valeur du système, cela prendrait de nombreuses pages et des développements non juridiques.

Il est certain que certains enseignants-chercheurs de l'Université n'enseignent qu'a minima et cherchent peu, l'absence de toute gestion réelle de la part du ministère et des universités le permet. Ceux qui, sans l'un de ces statuts, enseignent et cherchent ailleurs qu'à l'université peuvent se sentir également "enseignants-chercheurs". Il n'en reste pas moins que par divers concours, difficiles, les EC sont devenus professeur ou MCF des universités, soit "enseignants-chercheurs".

III. La notion essentielle est là. C'est celle d'EC. Enfin, pas exactement.

Les professeurs d'université ne sont pas soumis à la condition de 5 ans pour être dispensés de toute formation à l'école d'avocat, à la différence des maîtres de conférences, n l'a dit. Donc la notion d'EC n'est pas directement en cause. L'article 98 précité (cité en noté) ne vise pas les professeurs d'université, on le redit, lesquels bénéficient d'un autre régime d'exception (en simple : ils sont automatiquement avocat).

En effet, le texte appliqué est l'article 98 précité du décret pris en application la loi de 1971 relative aux professions judiciaires. L'ATER invoqua l'article 98 dans son pourvoi et l'attendu de réponse se fonde sur cette disposition :

"l'article 98, 2°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 pour les maîtres de conférence, les maîtres assistants et les chargés de cours." La Cour de cassation fait une faute d'orthographe usuelle (il manque le "s" à conférence), elle ne connaît pas toujours bien l'université, on l'a déjà dit ici. Donc la notion d'enseignant-chercheur n'est pas utilisée.

Cette formule visant les MCF et les anciennes fonctions de maître assistant et de chargé de cours a déjà été interprétée. Et depuis les textes ayant institué le statut des ATER, jamais il n'a été soutenu sérieusement qu'un ATER bénéficie de cette disposition.

La confusion a pu ici ou là régner. Nul doute que, dans certains cas, pour faire plaisir à tel ou tel, un Barreau ait pu inscrire au tableau des avocats tel ou tel chargé de cours (on met une majuscule à Barreau, car on vise des personnes juridiques, à la différence de la Cour de cassation). Si personne n'a, alors, attaqué la décision de l'Ordre, qui violait cet article 98, l'inscription au Barreau aura été efficace : tel ou tel, qui n'aurait jamais dû être inscrit au Barreau, l'a été (l'injustice est partout).

Ces vicissitudes de l'application de la loi ne doivent pas être ignorées, mais elles ne jouent pas dans l'interprétation et l'application de la loi quand le juge est saisi.

IV. S'il y a un apport de l'arrêt, mais à nouveau il nous semble que cela a toujours été jugé, c'est que même si l'ATER est docteur (en droit) et qu'il enseigne un cours magistral, et depuis 5 ans, il ne peut pas être qualifié de "chargé de cours", au sens de l'article 98, 2° ; cette expression ancienne n'a plus... cours ! Elle n'a plus de réalité institutionnelle dans les universités.

C'est la raison pour laquelle le décret est interprété en considérant les deux corps universitaires historiques rassemblés dans la notion d'enseignants-chercheurs, alors que l'article 98 ne vise pas les EC, il n'utilise pas cette expression.

Le juge n'étant pas le pouvoir réglementaire, lequel est dévolu au pouvoir exécutif (...), il ne peut pas "actualiser" cette disposition (elle pourra donner lieu à d'autres discussions avec les enseignants contractuels que le statut universitaire suscite). Pour les ATER, au moins un juriste aura cru l'inverse au point de plaider jusque devant la Cour de cassation.

L'espoir fait vivre et surtout il fait se battre... judiciairement.



Hervé CAUSSE
Titualire du Pré-CAPA et du CAPA
Docteur en droit privé,
Professeur des universités (section droit privé et sciences criminelles)


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* L'arrêt via le site de la Cour de cassation, avec les moyens annexés à la décision

* Article 98.

Sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat :

1° Les notaires, les huissiers de justice, les greffiers des tribunaux de commerce, les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises, les anciens syndics et administrateurs judiciaires, les conseils en propriété industrielle et les anciens conseils en brevet d'invention ayant exercé leurs fonctions pendant cinq ans au moins ;

Les maîtres de conférences, les maîtres assistants et les chargés de cours, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion, justifiant de cinq ans d'enseignement juridique en cette qualité dans les unités de formation et de recherche ;

3° Les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises ;

4° Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ;

5° Les juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale.

6° Les juristes salariés d'un avocat, d'une association ou d'une société d'avocats, d'un office d'avoué ou d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle en cette qualité postérieurement à l'obtention du titre ou diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée ;

7° Les collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions ;

Les personnes mentionnées aux 3°, 4°, 5°, 6° et 7° peuvent avoir exercé leurs activités dans plusieurs des fonctions visées dans ces dispositions dès lors que la durée totale de ces activités est au moins égale à huit ans.


L'arrêt

* Source : Cour de cassation.


COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 19 janvier 2022
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 70 FS-B
Pourvoi n° Z 20-18.801

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2022

M. [C] [N], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 20-18.801 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],
2°/ au conseil de l'ordre des avocats du barreau de Fontainebleau, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ au bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Fontainebleau, domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. [N], et l'avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Avel, Mornet, Chevalier, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, M. Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Dazzan, Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Lavigne, avocat général, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mars 2020), M. [N] a sollicité son inscription au tableau des avocats du barreau de Fontainebleau, sous le bénéfice de la dispense de formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat prévue à l'article 98, 2°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 pour les maîtres de conférence, les maîtres assistants et les chargés de cours.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M. [N] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'inscription au tableau, alors « que la cour d'appel statue sur les recours dirigés contre les décisions du conseil de l'ordre relatives à l'inscription au tableau après avoir invité le bâtonnier à présenter ses observations personnelles ; qu'en se prononçant sur le recours formé contre la décision du conseil de l'ordre des avocats de Fontainebleau du 19 septembre 2018 autorisant l'inscription au tableau de M. [N] quand il ne ressort ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure, que le bâtonnier en exercice ait été invité à présenter ses observations, peu important que le conseil de l'ordre ait été partie à l'instance, la cour d'appel a violé les articles 102 et 16 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. »

Réponse de la Cour

3. En énonçant que le bâtonnier n'avait pas soulevé d'observation, la cour d'appel a fait ressortir que celui-ci avait été invité à présenter ses observations, de sorte que le moyen n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. M. [N] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; qu'en se bornant à retenir, pour rejeter la demande d'inscription au barreau de l'ordre des avocats de Fontainebleau de M. [N], docteur en droit, qu'il justifiait de 38 heures de cours magistraux par année universitaire pour les années universitaire 2013/2014 et 2014/2015, 48 heures pendant l'année 2015/2016 et 50 heures pour chacune des deux années universitaires suivantes, soit 2016/2017 et 2017/2018, mais que l'activité d'enseignement avait été exercé à temps partiel pour les deux premières années et à titre accessoire en qualité de vacataire pour les années suivantes, sans répondre aux conclusions opérantes de M. [N] faisant valoir qu'il avait dispensé 57,5 heures de cours magistral pour chacune des années universitaires 2018/2019 et 2019/2020, de sorte que ses heures dépassaient pendant les cinq dernières années le minimum d'heure d'un enseignant-chercheur titulaire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, les maîtres de conférences, les maîtres assistants et les chargés de cours, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion, justifiant de cinq ans d'enseignement juridique en cette qualité dans les unités de formation et de recherche ; qu'en retenant, pour rejeter sa demande d'inscription au tableau de l'ordre des avocats, que M. [N], titulaire d'un doctorat depuis 2013 et ayant dispensé des cours magistraux pendant cinq années, ne pouvait bénéficier de la dispense dès lors qu'il n'aurait exercé cette activité qu'à temps partiel et en qualité de vacataire, la cour d'appel, qui a ajouté une condition au bénéfice de la dispense que le texte ne comporte pas, a violé l'article 98, 2°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ;

3°/ que sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, les maîtres de conférences, les maîtres assistants et les chargés de cours, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion, justifiant de cinq ans d'enseignement juridique en cette qualité dans les unités de formation et de recherche ; que le statut de vacataire n'est pas à lui seul de nature à exclure le bénéfice de la dispense ; qu'en retenant néanmoins que M. [N] ne pouvait bénéficier de la dispense dès lors qu'il avait dispensé ses cours magistraux à l'université en qualité de vacataire, la cour d'appel a violé l'article 98, 2°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. »

Réponse de la Cour

5. Ayant relevé que M. [N] se prévalait d'une activité d'enseignement en qualité d'attaché temporaire d'enseignement et de recherche (ATER), puis de vacataire, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a rejeté sa demande d'inscription au tableau sous le bénéfice de la dispense prévue à l'article 98, 2°, du décret du 27 novembre 1991, laquelle n'est applicable qu'aux maîtres de conférence, maîtres assistants et chargés de cours, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion et justifient de cinq ans d'enseignement juridique, en cette qualité, dans les unités de formation et de recherche.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [N] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur référendaire empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.

P/Le conseiller referendaire rapporteur empeché Le president

Le greffier de chambre





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