"LegalTech" : la bulle grossit sans grand risque d'éclatement (2)



"LegalTech" : la bulle grossit sans grand risque d'éclatement (2)
Dans les années 90 l'informatique individuelle était la énième vraie révolution économique. Tout consommateur pourrait désormais être aisément en contact avec toute entreprise pour de multiples services, certains exclusivement électroniques. Le développement utile (investissements) et ses perspectives (chiffre d'affaires) donnèrent une bulle : tout ingénieur en électronique qui avait une idée frôlant l'internet pouvait aisément lever 15 millions de francs de capital (social).
On parlait alors de la Nouvelle économie : la bourse de Paris a alors créé un marché spécial qui a été une catastrophe pour les investisseurs. Le Nouveau Marché a donné lieu à une folie générale pour finir en quasi- faillite - presque aussi générale) : 80 % des sommes investies ont été perdues.

Comme dans la ruée vers l'or, tous les marchands de pelle se sont enrichis : les avocats, les comptables, les auditeurs, les intermédiaires financiers, les conseillers en patrimoine... 15 ans après il n'y a plus assez d'actionnaires en France... Sans doute l'économie aura alors absorbé des compétences et tracé des voies, les sommes n'ont pas totalement été perdues pour la collectivité.

Mais nombreux sont ceux qui ne s'en sont pas remis : humainement, socialement, économiquement, intellectuellement... Les bulles tuent en claquant.

Il est donc sage d'éviter l'enthousiasme : les projets ne font pas bon ménage avec les illusions. La vraie révolution économique où tout le monde gagne n'existe pas. Et le changement de paradigme n'y change rien, car il est vrai qu'une centaines de trouvailles finit par se concentrer en une situation (produit/succès public) qui est spectaculaire.

Quand Saint-Pierre-et-Miquelon a perdu de son intérêt de port, l'aspect subit de la chose était réel sur place, comme on l'entend à relire le cahier de Lucien dans Les larmes de pierre de Eugène Nicole (Folio, p. 266 ; professeur de littérature à l'Université de New York, l'auteur a retracé les modes de vie de l'archipel dans plusieurs romans) :

"L'importance de l'archipel pour la Grande Pêche tomba du jour où les voiliers qui venaient chaque printemps
de France sur les bancs de Terre-Neuve et de là à Saint-Pierre, où ils déchargeaient leurs morues et se
ravitaillaient, furent remplacés par des chalutiers à vapeur qui allèrent charbonner... directement à Sydney.",


mais le fait était annoncé par le long travail des ingénieurs.

Depuis près d'un siècle, la révolution est devenue, comme la crise, un phénomène permanent. Les restructurations, politiques et sociales et, aussi, technologiques et d'entreprises, sont une réalité quotidienne. Ainsi, au nom d'une révolution imminente, les papiers et analyses pleuvent. En son nom, on se laisserait embarquer dans des financements hasardeux ou des aventures professionnelles délirantes.

Il ne faut pas y renoncer d'emblée, singulièrement quand on est jeune, mais il faut avoir que l'on peut y perdre son argent ou son temps et bien plus si on n'y est pas préparé. Il faut aussi savoir que participer à une cavalcade économique jalonnée de succès de centaines d'entrepreneurs ne rendra pas tout le monde riche.

Cela est peut-être spécialement vrai pour le secteur juridique qui ne peut pas être comparé au secteur pétrolier... Ces derniers jours on lit dans le très sérieux Les Echos un article de legaltech, disruptif, prédictif ... presque un smart-article (fait de toutes les généralités suspendues dans l'air actuel).

"Le secteur du droit s’apprête à connaître d’importants bouleversements consécutifs à l’émergence de nouveaux services tels que l’automatisation des procédures administratives dites para-légales, la gestion et la création d’actes automatisés, la justice prédictive, ou plus simplement la mise en relation avec des avocats."

Bon, le début de la fin commence modestement : il s'agit de mettre en relation l'avocat et les clients ; or, depuis le téléphone (devenu portable, devenu smartphone donc terminal informatique multitâche...), ça va assez bien de ce côté-là. L'amélioration ne profitera qu'aux avocats geeks qui, néanmoins, seront toujours aussi peu spécialisés qu'auparavant.

Il se pourrait que le progrès technologique soit nul pour le consommateur de services juridiques. Il se pourrait donc qu'il n'entende rien payer, même indirectement, pour ce "service". Le remplacement et la mutation des professions prendront plus de dix ans et si, pour tout juriste, il faut presser le pas, il convient de ne pas entamer une course irréfléchie en criant "legaltech, legaltech, legaltech" sans de solides acquis, sans un objectif précis et sans quelque idée pour y parvenir.

La legaltech existera mais ses effets sur les juristes, le droit et les citoyens ne seront peut-être pas saillants. Il se pourrait donc qu'elle existe de façon modeste voire confidentielle. La bulle grossit mais elle devrait rester modeste et donc sans grand risque (général) d'éclatement.

Les propos légers sur la justice prédictive montrent le caractère pusillanime de certaines analyses pseudo-économiques ou de pseudo-projets d'entreprises.

La Justice a toujours eu besoin d'un juge et d'avocats et parfois d'un juge qui poursuit (le ministère public), de greffiers et d'huissiers... Les outils et les sources seront plus performants, mais il faudra encore des êtres humains pour les manier et même les concevoir ou les certifier.

Tous ces gens sont et seront des femmes ou des hommes de chair et d'os...



à suivre...




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