Le notaire oublie de demander une signature de caution dans un bel acte authentique : le banquier prêteur engage sa responsabilité (Cour de Cassation 1e, 21 novembre 2006, pourvoi : 05-11607, publié)



Un notaire avait oublié de demander une signature de caution dans un bel acte authentique. Le banquier prêteur avait tenté d’engager sa responsabilité : après avoir perdu en appel, le banquier parvient logiquement à faire casser l’arrêt d’appel. La responsabilité en cause est celle de l'article 1382, et non celle de 1147, parce que le banquier n'est pas le client du notaire, mais un correspondant informel. Le banquier devrait gagner son procès devant la cour de renvoi après que le notaire aura soutenu, selon nous, l’insoutenable.


La société UCB Entreprises (l’UCB) avait accordé un prêt à la société Puma pour le financement de la construction d'une maison individuelle. Cette société financière a recherché la responsabilité de M. X..., notaire associé, et de la SCP G-B (notaire assurés par les Mutuelles du Mans). L’UCB assigna le notaire pour obtenir réparation de son préjudice : elle avait en effet été dans l'impossibilité de demander paiement en tant que caution à M. Y..., dirigeant de la société Puma, emprunteuse.

L’UCB considérait que c’était par suite de l'omission du notaire, rédacteur de l'acte authentique de prêt, qu’elle ne pouvait faire jouer cette garantie. Le fondement paraissait clair et indiscutable, peut important que le cautionnement consenti (ou envisagé ?) par ce dirigeant ait été accordé pour sûreté de la dette sociale de Puma.

Or, oh surprise, l'arrêt attaqué a débouté la banque de sa demande. En synthèse, et d’un autre point de vue, c’était dire :

un notaire peut oublier de faire signer une caution !
...sous-entendu et très certainement... quand toutes les correspondances préalables à la signature montraient que le dirigeant avait accepté d’être caution et l’UCB avait demandé un garantie.

Comment la Cour d’appel de Paris a-t-elle pu exonérer de sa responsabilité une faute aussi grossière, lourde pour reprendre la langue du civiliste ?

Ce sont bien les justifications qu’elle a données qui sont le plus intéressant car, pour le reste, dire qu’il n’y a pas faute du notaire ne tient pas la route.

La décharge de responsabilité a été obtenu au prix d’une double violation de la loi (lato sensu), ce qui amène à commenter aux mots près l'arrêt publié.

En premier lieu, la Cour de Paris a retenu que le report de la date d'exigibilité du crédit, consenti par la banque à la société emprunteuse, avait "nécessairement donné lieu à des discussions qui ont nécessairement conduit la banque à découvrir l'absence de caution". On voit mal l’intérêt et la pertinence de l’argument. La cour de cassation censure parce que « en retenant ainsi une circonstance de fait qui n'était pas dans le débat et dont elle a déduit le caractère fautif de l'attitude de la banque, comme cause exclusive de son propre dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ». La cassation intervient ici sur le fondement de l’article 7 du NCPC : le juge ne doit pas fantasmer des faits ! L’œuvre judiciaire est œuvre scientifique : on discute des faits prouvés et, ni l’adversaire ni encore moins le juge ne doivent supputer ou imputer des faits qui ne sont pas avancés ou qui ne sont pas prouvés. La leçon intéressera tous les étudiants (voire les justiciciables) qui oublient parfois les faits d’une affaire « au profit » du Droit, notamment dans les commentaires d’arrêts. Le droit s’applique à des faits, sans faits certains aucune règle ne peut jouer !

En second lieu, la Haute Juridiction censure sur le fondement de l'article 1382 du code civil qui a été violé par les juges d’appel. Pour rejeter l'action de l'UCB Entreprises, l'arrêt d’appel retient qu'elle s'est abstenue de tout acte de poursuite alors qu'elle disposait pourtant de garanties, tel le privilège du prêteur de deniers, à une époque où la société débitrice était in bonis ; elle considère alors que ce sont ses propres négligences, atermoiements et tergiversations qui sont « la cause exclusive de l'impossibilité de recouvrement de la totalité de sa créance ».

En plus simple, le notaire opposa au banquier le fait qu’il aurait pu encaisser sa créance au préalable et par d’autres voies que cette caution. La meilleure défense est l’attaque !

En vérité, à l’action du banquier, à être cohérent, il fallait répliquer par la démonstration d’une absence de faute du notaire ! Là, la chose coinçait. Ainsi, l’attaque n’était pas, dans un premier temps, la meilleure défense. En effet, une faute préalable (celle du notaire) n’est pas effacée par une faute subséquente (celle du banquier). Là où les choses changent, c’est sur le plan du préjudice, voire du lien de causalité. En pure théorie, on aurait donc pu attendre une réponse sur ce terrain : s’il existe deux fautes il s’agit de les caractériser et, ensuite, autre point, d’en dire les éventuelles (causalité) conséquences (dommage).

C’est ce que va dire la Cour de cassation. La Cour détache la caractérisation de la faute et ses éventuelles conséquences.

La cour d’appel a violé l’article 1382 parce que « en se déterminant ainsi, sans s'assurer, comme elle y était invitée par l'UCB Entreprises qui invoquait la situation du marché de l'immobilier et le non achèvement de la construction financée par le prêt, que ces circonstances n'étaient pas susceptibles de justifier l'attitude attentiste de la banque – c’est la question de la caractérisation de la faute : il n’y a pas de faute de la banque, le juge du fond a fantasmé des faits !

La Cour de cassation enfonce ensuite le clou : l’absence de faute fait en « sorte « qu'en réalité le recouvrement de la créance n'en avait pas été compromis ». La Cour parachève alors, telle dans une leçon de droit : la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la faute qu'elle a retenue ni le lien de causalité entre cette faute et le dommage, a violé le texte susvisé.

Prof. Hervé CAUSSE
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