La Cour de cassation vient de traiter de la laïcité à propos de deux licenciements. Les deux arrêts sont en sens radicalement différents, le second annule le licenciement pour ne pas avoir respecté les droits d'une employée de crèche hors du secteur public. Il faudra voir si le juge de renvoi suit la position, en droit, de la Cour de cassation. Ce sera devant la Cour d'appel de Paris.
Sinon, on pourrait aller vers un arrêt d'Assemblée plénière.
Le second arrêt refuse d'étendre le principe de neutralité confessionnelle. Deux points ont décidé les magistrats. La crèche est reconnue comme poursuivant un intérêt général mais n'est pas en charge d'un service public, ce qui est le cas de certaines personnes privées ; on doute nous habite - mais nous ne savons pas tout de l'intérêt général - quand il est au coeur d'une personne morale dans de telles circonstances d'accueil du public.
Le service public n'est-il pas qu'un moyen spécial de réaliser l'intérêt général ?
Ce dernier évincerait-il la laïcité ?
Le second argument est plus conjoncturel et tient à la rédaction de la clause du règlement intérieur de la crèche ; la clause de neutralité (l'article en cause du règlement intérieur) est jugée nulle car trop générale, d'abord dans ses termes même (elle visait la "neutralité et la laïcité" au lieu de viser les ports de signes par exemple...) mais aussi dans son domaine pour viser tout salarié, quand le veilleur de nuit peut arborer ce qu'il veut car personne ne le voit ; ainsi, si la clause est nulle, la messe est dite et le procès perdu pour l'employeur. Sauf le point du domaine de la clause, qui peut se discuter, nous craignons que la question n'ait finalement été assez bien visée, le succès médiatique de l'affaire prouve que tout le monde a compris de quoi il s'agissait (à noter, "l'argument médiatique", je viens d'y penser). Mais il est difficile de reprocher à la Cour de cassation de ne pas appliquer à la lettre l’article L 1321-3 du code du travail qui est rigoureux avec les limitations aux libertés tout en invoquant la lettre de l'article 1er de la Constitution.
Les juges du fond ont sans doute été sensible à ce qui se passe sur "le terrain" à raison des revendications religieuses des uns et des autres, sous des formes multiples et qui, comme les enfants testent les parents dans leur autorité, visent parfois davantage à tester la société dans sa conviction de la laïcité que pour jouir d'une liberté.
Dans ce jeu, le droit européen n'est pas radicalement laïque comme en témoigne le communiqué de la Cour de cassation qui rappelle les termes de la directive applicable.
La laïcité n'est pas universelle.
Nombre de ses partisans devraient songer à la diffuser internationalement avant de prétendre la renforcer au plan interne : nous sommes là aussi dans un monde global.
En tout cas, affaire à suivre.
Pour une fois, je reproduis le communiqué de la Cour.
Les arrêts, cliquez sur les liens ci-après
Laïcité non
Laïcité oui
Communiqué relatif aux arrêts n° 536 (11-28.845) et 537 (12-11.690) de la chambre sociale
Arrêt n° 536 du 19 mars 2013 (11-28.845) de la chambre sociale
Arrêt n° 537 du 19 mars 2013 (12-11.690) de la chambre sociale
Par deux arrêts rendus le 19 mars 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé les contours du principe de laïcité, dans deux affaires de licenciement d’une salariée aux motifs qu’elle portait un voile islamique laissant voir le visage mais couvrant les cheveux et contrevenait ainsi à une disposition du règlement intérieur de l’employeur.
Dans l’affaire concernant la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine Saint-Denis, s’agissant d’une salariée travaillant comme “technicienne de prestations maladie”, la Cour de cassation juge pour la première fois que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. Le licenciement de la salariée est dès lors déclaré fondé.
En revanche, dans l’affaire Baby Loup (F 11-28.845), s’agissant d’une crèche privée, qui ne peut dès lors, en dépit de sa mission d’intérêt général, être considérée comme une personne privée gérant un service public, la Cour de cassation rappelle que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Le principe de laïcité ne peut dès lors être invoqué pour priver ces salariés de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail.
Selon les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail intégrant les dispositions de la directive de l’Union européenne du 27 novembre 2000 prohibant les discriminations fondées notamment sur les convictions religieuses, les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Tel n’est pas le cas de la clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur de l’association Baby Loup applicable à tous les emplois de l’entreprise. Une telle clause étant invalide, le licenciement de la salariée pour faute grave aux motifs qu’elle contrevenait aux dispositions de cette clause du règlement intérieur constitue une discrimination en raison des convictions religieuses et doit être déclaré nul. L’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait déclaré le licenciement fondé est dès lors cassé.
Code du travail, Article L1321-3
Le règlement intérieur ne peut contenir :
1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement ;
2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
3° Des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap.
Sinon, on pourrait aller vers un arrêt d'Assemblée plénière.
Le second arrêt refuse d'étendre le principe de neutralité confessionnelle. Deux points ont décidé les magistrats. La crèche est reconnue comme poursuivant un intérêt général mais n'est pas en charge d'un service public, ce qui est le cas de certaines personnes privées ; on doute nous habite - mais nous ne savons pas tout de l'intérêt général - quand il est au coeur d'une personne morale dans de telles circonstances d'accueil du public.
Le service public n'est-il pas qu'un moyen spécial de réaliser l'intérêt général ?
Ce dernier évincerait-il la laïcité ?
Le second argument est plus conjoncturel et tient à la rédaction de la clause du règlement intérieur de la crèche ; la clause de neutralité (l'article en cause du règlement intérieur) est jugée nulle car trop générale, d'abord dans ses termes même (elle visait la "neutralité et la laïcité" au lieu de viser les ports de signes par exemple...) mais aussi dans son domaine pour viser tout salarié, quand le veilleur de nuit peut arborer ce qu'il veut car personne ne le voit ; ainsi, si la clause est nulle, la messe est dite et le procès perdu pour l'employeur. Sauf le point du domaine de la clause, qui peut se discuter, nous craignons que la question n'ait finalement été assez bien visée, le succès médiatique de l'affaire prouve que tout le monde a compris de quoi il s'agissait (à noter, "l'argument médiatique", je viens d'y penser). Mais il est difficile de reprocher à la Cour de cassation de ne pas appliquer à la lettre l’article L 1321-3 du code du travail qui est rigoureux avec les limitations aux libertés tout en invoquant la lettre de l'article 1er de la Constitution.
Les juges du fond ont sans doute été sensible à ce qui se passe sur "le terrain" à raison des revendications religieuses des uns et des autres, sous des formes multiples et qui, comme les enfants testent les parents dans leur autorité, visent parfois davantage à tester la société dans sa conviction de la laïcité que pour jouir d'une liberté.
Dans ce jeu, le droit européen n'est pas radicalement laïque comme en témoigne le communiqué de la Cour de cassation qui rappelle les termes de la directive applicable.
La laïcité n'est pas universelle.
Nombre de ses partisans devraient songer à la diffuser internationalement avant de prétendre la renforcer au plan interne : nous sommes là aussi dans un monde global.
En tout cas, affaire à suivre.
Pour une fois, je reproduis le communiqué de la Cour.
Les arrêts, cliquez sur les liens ci-après
Laïcité non
Laïcité oui
Communiqué relatif aux arrêts n° 536 (11-28.845) et 537 (12-11.690) de la chambre sociale
Arrêt n° 536 du 19 mars 2013 (11-28.845) de la chambre sociale
Arrêt n° 537 du 19 mars 2013 (12-11.690) de la chambre sociale
Par deux arrêts rendus le 19 mars 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé les contours du principe de laïcité, dans deux affaires de licenciement d’une salariée aux motifs qu’elle portait un voile islamique laissant voir le visage mais couvrant les cheveux et contrevenait ainsi à une disposition du règlement intérieur de l’employeur.
Dans l’affaire concernant la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine Saint-Denis, s’agissant d’une salariée travaillant comme “technicienne de prestations maladie”, la Cour de cassation juge pour la première fois que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Si les dispositions du code du travail ont vocation à s’appliquer aux agents des caisses primaires d’assurance maladie, ces derniers sont toutefois soumis à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires. Le licenciement de la salariée est dès lors déclaré fondé.
En revanche, dans l’affaire Baby Loup (F 11-28.845), s’agissant d’une crèche privée, qui ne peut dès lors, en dépit de sa mission d’intérêt général, être considérée comme une personne privée gérant un service public, la Cour de cassation rappelle que le principe de laïcité instauré par l’article 1er de la Constitution n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public. Le principe de laïcité ne peut dès lors être invoqué pour priver ces salariés de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail.
Selon les articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail intégrant les dispositions de la directive de l’Union européenne du 27 novembre 2000 prohibant les discriminations fondées notamment sur les convictions religieuses, les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Tel n’est pas le cas de la clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur de l’association Baby Loup applicable à tous les emplois de l’entreprise. Une telle clause étant invalide, le licenciement de la salariée pour faute grave aux motifs qu’elle contrevenait aux dispositions de cette clause du règlement intérieur constitue une discrimination en raison des convictions religieuses et doit être déclaré nul. L’arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait déclaré le licenciement fondé est dès lors cassé.
Code du travail, Article L1321-3
Le règlement intérieur ne peut contenir :
1° Des dispositions contraires aux lois et règlements ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l'entreprise ou l'établissement ;
2° Des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
3° Des dispositions discriminant les salariés dans leur emploi ou leur travail, à capacité professionnelle égale, en raison de leur origine, de leur sexe, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leur situation de famille ou de leur grossesse, de leurs caractéristiques génétiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales ou mutualistes, de leurs convictions religieuses, de leur apparence physique, de leur nom de famille ou en raison de leur état de santé ou de leur handicap.