Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

La gestion de patrimoine et les investissements immobiliers peuvent valoir activité professionnelle ! (Civ. 1, 20 janvier 2020)



La gestion de patrimoine est une belle activité quand elle est bien faite et à propos. La mode emporte des débordements de personnes qui imaginent avec 3 faire 10... et d'autres qui pensent qu'une bonne opération peut être refaite dix fois sans conséquence négative. C'est le cas d'espèce ou dix "investissements immobiliers" (comme il se dit) conduit le juge à constater une véritable activité professionnelle des ces consommateurs de crédits immobiliers - pourrait-on dire dans la langue naïve du Code de la consommation (consommer du crédit sera à jamais un non-sens).

On passe, non sans le souligner, ce qui est l'objet du troisième moyen et sa réponse, sur le fait que les crédits ne résultaient pas d'un dol de la banque. Les clients utilisent des moyens illusoires persuadés que les banques, ayant une mauvaise image, ont toute chance d'être condamnées. La "juste cause" - on apprécie cette expression - compte dans un litige. Le juge peut être sensible à la veuve et à l'orphelin, mais il ne tranche pas à la tête du justiciable ou au vu de la réputation de la confrérie...

On passe aussi sur la question du second moyen concernant une question de procédure.

On s'arrête donc sur les faits principaux, car ce sont les faits qui font les arrêts, ou le départ des faits, ce qui est souvent oublié à l'Ecole - ou du moins très diminué, pour ne regarder que la solution de droit comme une étoile au firmament...

Ici, la solution de droit est que les emprunteurs ont opéré comme des professionnels en contractant 17 prêts pour 17 biens immobiliers destinés à la location. Il ne sont donc pas des consommateurs au sens de la loi (entendue lato sensu, interne et européenne) 3 emprunts étaient en cause dans cette espèce ou, au bout de presque 4 ans (2006 - 2010), les trois prêts avaient été résiliés (on se doute pour non paiement des échéances...). Dans ces opérations, les emprunteurs n'avaient pas souscrits d'assurance. Autrement dit, les emprunteurs avaient développé une stratégie patrimoniale, financière et locative pour obtenir des revenus de l'ordre de 100 000 euros par an, soit trois fois plus que les revenus du couple.

Il est reproché à l'arrêt d'appel, en quatre branches d'un moyen du pourvoi, de violer la notion de consommateur ou d'avoir jugé sans la base légale utile pour le faire.

Les considérations sur le crédit (dit) immobilier et la protection du consommateur consistent ici, selon nous, à appeler les dieux d'un autre monde. Le fait d'emprunter 4 millions d'euros, pour quadrupler des revenus annuels, sans se couvrir par une assurance "incapacité temporaire totale" de leurs propres risques, et ce en des termes choisis (renonciation à la garantie "en mentionnant sa qualité d'investisseur locatif "), est donc considéré par le juge du fond, comme par le juge du droit, comme un exercice professionnel, soit une activité professionnelle.

On note la motivation très factuelle du juge du droit... bah, l'arrêt n'est pas publié (au Bulletin de la Cour) et la notion de consommateur est un sujet devenu trop ordinaire pour ciseler du droit. Une autre fois. Sur des faits plus subtils. Avec un pourvoi d'un autre calibre. Rien n'est perdu pour l'investisseur immobilier audacieux si ses vues juridiques sont plus puissantes et renversantes. Il y aurait également à approfondir quelques points au vu des termes du litige que l'arrêt d'appel donnerait mieux (comprenez : ce commentaire demeure un aperçu).

Et au milieu coule la notion d'investisseur... ici l'investisseur chasse le statut de consommateur pour le laisser sans la protection du Code de la consommation.




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Cour de cassation
chambre civile 1

Audience publique du mercredi 8 janvier 2020
N° de pourvoi: 17-31288
Non publié au bulletin Rejet
...

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 29 juin 2017), que, par actes notariés des 28 avril, 20 juillet et 8 août 2006, la société Crédit immobilier de France financière Rhône-Ain, aux droits de laquelle vient la société Crédit immobilier de France développement (la banque), a consenti à M. et Mme E... (les emprunteurs) trois prêts s'élevant respectivement à 148 169 euros, 163 364 euros et 193 752 euros, ayant pour objet de financer l'acquisition d'appartements destinés à la location ; qu'après avoir prononcé la déchéance du terme, la banque a, le 1er juillet 2010, assigné les emprunteurs en paiement des sommes restant dues au titre des prêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen :

1°/ qu'est un consommateur au sens de la directive n° 2011/83/UE du 25 octobre 2011 et de la directive 2014/17/UE du 4 février 2014, reprenant les termes des directives antérieures, notamment de la directive 93/13/CE du 5 avril 1993, une personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que, transposant cette directive, l'article 3 de la loi n° 2014.344 du 17 mars 2014 relative à la consommation a inséré un article préliminaire dans le code de la consommation, d'application immédiate, aux termes duquel est considérée comme consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ; que, dans une décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018, le Conseil constitutionnel a précisé que l'activité de location de biens immeubles ne constituait pas une activité commerciale au sens de l'article L. 110-1 du code de commerce, que les personnes physiques exerçant cette activité ne pouvaient donc avoir la qualité de commerçant conférée exclusivement à « ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur profession habituelle » aux termes de l'article L. 121-1 du code de commerce, ni être inscrites au registre du commerce et des sociétés en application de l'article L. 123-1 du même code ; que dès lors n'agit pas dans le cadre d'une activité commerciale pas davantage qu'industrielle, artisanale ou libérale, la personne physique qui acquiert des immeubles à des fins d'investissements locatifs accompagnés d'avantages fiscaux ; qu'en se fondant exclusivement sur le nombre des acquisitions immobilières réalisées par les emprunteurs et l'importance des revenus escomptés de leur location pour leur refuser la qualité de consommateur et retenir que les prêts accordés par la banque auraient été destinés à financer une activité professionnelle fût-elle « accessoire ou parallèle » à l'activité salariée des emprunteurs, la cour d'appel a violé des dispositions précitées de l'article liminaire du code de la consommation et des directives 2011/83/UE, 2014/17/UE et 93/13/CE ainsi que des règlements de Bruxelles n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 portant refonte du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, entrée en vigueur le 10 janvier 2015, et de Rome n° 598/2008 du 17 juin 2008 ;

2°/ que la définition du consommateur selon les directives européennes, à la lumière desquelles doit être interprété le droit interne, repose sur deux critères, un critère finaliste correspondant à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de l'activité professionnelle de la personne concernée mais aussi une finalité personnelle du contrat permettant de savoir si on est en présence d'un consommateur nécessitant d'être protégé ou d'un professionnel avisé ; qu'en s'abstenant de rechercher si, dans les faits, les emprunteurs pouvaient sérieusement être considérés comme des professionnels avisés de l'immobilier et non comme de simples consommateurs, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions précitées de l'article liminaire du code de la consommation et des directives 2011/83/UE, 2014/17/UE et 93/13/CE ainsi que des règlements de Bruxelles n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 portant refonte du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000, entrée en vigueur le 10 janvier 2015, et de Rome n° 598/2008 du 17 juin 2008 ;

3°/ que, si dans ses conclusions d'appel, la banque a contesté la prescription biennale soulevée par les emprunteurs en soutenant que l'importance et le nombre des emprunts contractés leur avait fait perdre la qualité de consommateur, l'établissement bancaire n'a jamais contesté que les prêts souscrits par eux étaient soumis aux dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier et a au contraire clairement soutenu et uniquement plaidé avoir respecté les obligations prévues aux articles L. 312-7 et L. 312-10 du code de la consommation pour conclure au rejet des demandes fondées sur la violation de ces dispositions ; qu'en relevant que les irrégularités alléguées des offres de crédit fondées sur le non-respect des dispositions énoncées aux articles L. 312-2, L. 312-7 et L. 312-10 du code de la consommation ne pouvaient être invoquées par les emprunteurs au seul et unique motif qu'ils ne pouvaient pas se prévaloir de la qualité de consommateur, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

4°/ qu'en relevant d'office, sans inviter les parties à présenter leurs observations, le moyen tiré de ce que les emprunteurs ne pouvaient invoquer la violation des dispositions énoncées par les articles L. 312-2, L. 312-7 et L. 312-10 du code de la consommation faute pour eux de pouvoir se prévaloir de la qualité de consommateur, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir relevé qu'en sus des concours financiers litigieux, les emprunteurs avaient souscrit quatorze prêts auprès d'autres établissements de crédit, portant ainsi à 3 358 470 euros le montant total de leurs emprunts destinés à l'acquisition de dix-sept biens immobiliers en vue de leur location, que Mme E... avait renoncé, dans les contrats d'assurance collectifs afférents à ces prêts, à la garantie incapacité temporaire totale en mentionnant sa qualité d'investisseur locatif, la cour d'appel a constaté que la mise en location de ces biens générait un gain annuel de 101 256 euros correspondant à près du triple des revenus du foyer fiscal des emprunteurs, ce dont elle a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche inopérante, que les prêts litigieux étaient destinés à financer une activité professionnelle, fût-elle accessoire ou parallèle à l'activité salariée exercée par les emprunteurs ; que le moyen, inopérant en ses deux dernières branches qui s'attaquent à des motifs surabondants, ne peut être accueilli en ses deux premières ;

Et attendu qu'en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne, en particulier des directives n° 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 et n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt de se dessaisir de leurs demandes de dommages-intérêts en raison d'une litispendance, alors, selon le moyen :

1°/ qu'il y a litispendance lorsqu'un litige identique est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître ; deux litiges sont identiques lorsque les parties, l'objet, le fait générateur et le fondement sont rigoureusement les mêmes ; qu'en l'espèce, les emprunteurs ont assigné devant le tribunal de grande instance de Marseille, outre la banque, six établissements bancaires et plusieurs notaires afin d'obtenir leur condamnation solidaire à réparer leur entier préjudice, consécutif à l'escroquerie en bande organisée orchestrée par la société Apollonia, qu'ils ont évalué à la somme globale de 2 921 868,90 euros (correspondant à 87 % de la somme globale de 3 358 470 euros empruntée par eux) ; qu'en revanche, le litige porté devant le tribunal de grande instance de Carpentras a été introduit par la banque pour obtenir le remboursement des trois prêts souscrits par les emprunteurs lesquels ont sollicité à titre principal, le rejet de cette demande ; ce n'est qu'à titre subsidiaire que dans la présente instance, les emprunteurs ont engagé la responsabilité de la banque en invoquant les manquements à ses obligations de mise en garde, d'information, de vigilance et de loyauté et ont sollicité la réparation de leur préjudice résultant de l'octroi de ces trois prêts en violation de ces obligations, à savoir le préjudice économique correspondant aux sommes réclamées par la banque au titre du remboursement, la perte de chance évaluée à la somme de 25 000 euros par an à compter de 2009 et le préjudice moral évalué à la somme de 15 000 euros par an à compter de 2009 ; qu'il résulte ainsi des pièces de la procédure que ces deux litiges ne concernent pas les mêmes parties et n'ont absolument pas le même objet ; qu'en jugeant néanmoins que les conditions de la litispendance étaient réunies, la cour d'appel a violé l'article 100 du code de procédure civile ;

2°/ que, dans le dispositif de l'assignation délivrée le 8 décembre 2009 devant le tribunal de grande instance de Marseille, les emprunteurs ont uniquement sollicité la réparation de leur préjudice financier et la condamnation solidaire des établissements bancaires et des notaires à leur payer à ce titre la « somme correspondant à 87 % de la somme globale de 3 358 470 euros, soit 2 921 868,90 euros de l'investissement HT global réalisé pour le compte de ces derniers par l'entremise de la société Apollonia auprès des banques requises » ; qu'à supposer les motifs du jugement adoptés, en relevant que les emprunteurs avaient saisi le tribunal de grande instance de Marseille pour obtenir la condamnation de la banque à les indemniser des préjudices économiques, financiers et moraux, la cour d'appel a dénaturé l'assignation susvisée en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

3°/ que, dans le dispositif de l'assignation délivrée le 8 décembre 2009 devant le tribunal de grande instance de Marseille, les emprunteurs ont sollicité, à titre principal, la condamnation solidaire des banques et des notaires à réparer leur préjudice évalué à la somme de 2 921 868,90 euros ; qu'en relevant que les emprunteurs avaient exercé à l'encontre de la banque et de six autres établissements bancaires ainsi que de deux notaires, une action tendant à leur condamnation solidaire au paiement de la somme de 3 358 370 euros à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel a dénaturé l'assignation susvisée en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

Mais attendu qu'ayant relevé, d'une part, que les emprunteurs et la banque étaient parties dans deux autres instances en cours contre la banque, dont l'une avait été engagée avant la présente procédure, peu important que, dans l'une d'entre elles, la responsabilité de celle-ci fût solidairement recherchée avec celle d'autres parties, d'autre part, que ces instances procédaient des mêmes faits litigieux et tendaient à obtenir l'indemnisation des mêmes préjudices en réparation des mêmes manquements au titre des trois prêts en cause, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé l'assignation délivrée le 8 décembre 2009, en a exactement déduit que les conditions de la litispendance étaient réunies ; que le moyen, inopérant en sa troisième branche qui invoque une erreur de montant sans incidence sur l'identité d'objet des demandes, ne peut être accueilli en ses deux premières ;

Sur le troisième moyen, ci-après annexé :

Attendu que les emprunteurs font grief à l'arrêt d'accueillir la demande en paiement de la banque ;

Attendu qu'ayant retenu que les emprunteurs ne caractérisaient aucune manoeuvre constitutive d'un vice du consentement susceptible de conduire à l'annulation des prêts, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a répondu aux conclusions prétendument délaissées ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

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