Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

La déclaration d'affectation pour créer une EIRL doit s'accompagner d'un avertissement personnel de tous les créanciers pour la leur rendre opposable (Dec. Cons. const. 2010-607, 10 juin 2010). Un leurre ?



La déclaration d'affectation pour créer une EIRL doit s'accompagner d'un avertissement personnel de tous les créanciers pour la leur rendre opposable (Dec. Cons. const. 2010-607, 10 juin 2010). Un leurre ?
La personne qui crée un patrimoine d'affectation ne pourra pas le faire en le cachant, de fait, à ses créanciers. Elle ne pourra pas, par cet acte, qui créera une Entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL), soustraire tel ou tel bien à ses créanciers actuels, soit les créanciers antérieurs à la déclaration. On l'a dit ici même, dans un précédent article, la théorie classique du patrimoine ne tient plus et la théorie du patrimoine d'affectation est consacrée :

première analyse de la loi

La loi a prévu ce mécanisme de déclaration au nouvel article L. 526-12 du Code de commerce (désormais promulgué et applicable !) sans davantage de précision. Le Conseil constitutionnel ne l'a pas entendu de cette oreille.

Il a jugé que cet article était constitutionnel sous la réserve d'interprétation suivante. Les Sages estiment que, pour leur être opposable et leur permettre de faire opposition à la constitution de la l'EIRL, tous les créanciers doivent être avertis personnellement. Il est très généreux au Conseil constitutionnel de sauvegarder les droits des créanciers, mais il y a là comme une naïveté politicienne (le Conseil constitutionnel est une instance éminemment politique) sur les mécanismes juridiques les plus fins.

En effet, quand un déclarant crée un patrimoine d'affectation pour frauder tel créancier, ce dernier dispose de la théorie de la fraude pour lui permettre de faire juger que la déclaration lui est inopposable. Certes il lui faut saisir un juge ; mais, même avec la réserve d'interprétation, le créancier devra saisir un juge (au moins le juge de l'exécution) pour faire reconnaître que la déclaration d'EIRL ne lui est effectivement pas opposable (aucun huissier n'osera sinon agir).

En second lieu, cette décision fait se demander ce que seront les avis généraux informant les créanciers de toutes sortes d'actes qui transfèrent la propriété et diminue le patrimoine du débiteur. Les dispositions légales qui prévoient ces avis dans les journaux ou bulletins sont-ils contraires à la Constitution ?

Voilà un progrès du droit probablement illusoire mais qui va occuper de nombreux fonctionnaires du ministère de l'Economie et de la Justice pendant plusieurs semaines pour savoir comment officialiser et mettre en oeuvre cette réserve d'interprétation. A sa suite, il y aura systématiquement du contentieux lorsqu'un créancier n'aura pas été informé ou, encore, que le constituant ne pourra pas prouver l'exécution de l'information. Et puis il y aura les contentieux contre les professionnels du droit.

Voilà donc une réserve d'interprétation, un "progrès du droit", qui sera probablement sans effet, sinon celui d'occuper de nombreux fonctionnaires, juges et autres professions... avec un coût social et une perte d'argent public assez inévitables.

Mais enfin, tout cela (la théorie de la fraude, l'exigence de toute façon de recourir à un juge...), voyez vous, ne sont que petites choses dont les Sages peuvent n'avoir guère conscience pour souvent avoir eu de grandes responsabilités étatiques qui, on le sait, n'impliquent en vérité aucune responsabilité concrète. Or il s'agissait de juger d'un mécanisme concret, ce que les juristes appellent un mécanisme juridique.


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