Il est surprenant de voir l'éthique envahir la pensée des juristes. Ne pensez pas que je pense mal, un fond d'éthique a toujours occupé les juristes, comme un fond de morale, un fond de morale religieuse ou un fond de bonne conduite civique tiré des usages civils... mais tout ça se fusionne dans une mayonnaise à jamais indicible. Alors que le droit est clarté, alors que la règle de droit est clarté (pour assurer l'égalité, sa prévisibilité, sa transparence et la justice).
Il n'est pas illégitime de réfléchir à ces influences (éthiques ou autres, morales) dès lors qu'un point et un seul, dès lors qu'un mot et un seul (éthique), un mouvement de pensée et un seul, formulé en évidence, bien peu expliquée, ne renverse pas le droit en son entier.
Mettre dans les discours, colloques et raisonnements l'éthique au même niveau que le droit, au même niveau que la règle de droit, pose un sérieux problème juridique, de fond et de méthode (et malgré des faits objectifs qui sont à étudier, chartes ou codes qui, pour ne pas tomber du ciel, supportent une qualification juridique).
La loi fusionne toutes les bonnes réflexions et intentions qui circulent dans la société et le législateur en tire ce qu'il peut en tirer, non sans avoir entendu une kyrielle de personnes aux discours parfois les plus étranges. L'éthique est un ressenti exprimé, le législateur l'entend et la loi l'incorpore. Parlons alors de droit si l'on est juriste.
Ainsi, la loi ou le décret s'approprie tout cela, et la loi devient alors inévitablement la référence du juriste incorporant la dose d'éthique utile, sans certes en dire la dose, sans préciser le grain de morale, sans encore moins laisser la trace d'une confidence théologique muée en bonne pratique et que la loi transforme en un alinéa. Le législateur ne sait pas exactement ce qu'il fait mais il le fait de façon assez transparente (par des travaux préparatoires) et, dans la région (l'Europe), après avoir été choisi par les gens de la rue (les électeurs).
C'est pour cela que la loi est la loi, éternelle, impériale, écrasante, magistrale, mondiale et même interstellaire puisque, désormais, la recherche en droit porte sur la science-fiction - on espère que les étudiants en tireront profit - et que même dans les étoiles, la loi est la loi - celle de l'Empire notamment ; bref, aucune originalité, autant rester sur terre et réserver les étoiles à la poésie. Mais toujours est-il que même si l'on sort de la galaxie, on rêve de loi, de droit, de droit écrit, d'un droit clair et non d'une éthique au quatre vents de discussions interminables.
La déontologie est une mauvaise expression du mouvement éthique. Les règles déontologiques sont parfois prises en illustration du poids de la réalité éthique du droit. Or, les règles déontologiques subissent la transformation du droit : ce sont des règles juridiques, du fait de la loi ou du décret ! Et ces règles déontologiques sont appliquées et interprétées et sanctionnées selon les principes et méthode du droit - et non de l'éthique. Ne confondons pas éthique et déontologie, malgré l'influence de la première sur la seconde, car la déontologie est du droit (voyez pour ce genre de glissement : S. Druffin-Bricca et L. C. Henry, Introduction générale au droit, Gualino, 2021, p. 37, n° 49). La déontologie qui est justiciable des tribunaux civils, pénaux, administratifs voire professionnels... est purement et simplement du droit. La juridicité de l'éthique est parfois utilisée pour encore un peu plus embrouiller la situation, mais l'idée est fumeuse puisque l'idée éthique qui anime une règle de droit s'épanouit dans le seul droit, dans tel ou tel article de loi ou de décret, et se soumet aux système juridique et judiciaire...
Les juristes ont cet instrument merveilleux, la loi, et ils s'en détournent (sans s’en détourner tout en s'en détournant car ils ne précisent pas leur méthode).
Ils le font avec d'autres et après d'autres mais, curieusement, sans trop demander aux spécialistes a priori désignés : les philosophes. Je parle des philosophes totalement investis dans la philosophie au point de lui livrer leur vie en se consacrant essentiellement à l'écriture en philosophie (précision utile, les touristes sont nombreux dans le domaine), travail d'écriture destiné à retailler les concepts et mécanismes (essentiels, la philosophie marquante travaille l'essence de ceci ou cela...).
On peut comprendre la réticence des juristes, à chaque grande philosophie sa langue, à chaque grand philosophe son langage... voilà qui peut décourager. Embrasser une science sérieusement n'est pas une petite affaire. Il est donc plus facile de parler éthique sans philosophe qu'avec, l'interdisciplinarité est une humilité. Oui la méthode interroge.
Voilà donc le juriste en terre éthique, il n'y a ni source, ni code, ni alinéas, ni institutions, ni arbitre, ni régulateur... la terre éthique est juste l'exact inverse du droit. L'immensité insondable de la conscience diront les neuroscientifiques. Un trop-plein psychologique de droit peut expliquer l'abandon d'une matière, le droit, autant que le goût de contrées inconnues.
On attend, ici ou là, que l'éthique s'applique, par exemple, en droit privé. On doit avouer attendre cela avec intérêt, et il ne faut pas hésiter à demander au juge, qui souvent participe à ces débats, où sont ses décisions en la matière. Car, si le mouvement qui invoque sans cesse l'éthique et avant même le droit est ancien, ses fruits mal saisis. Où sont ses décisions sur la place de l'éthique dans l'ordre juridique ? Où sont ses décisions spécialisées de droit commercial, de droit du travail...? J'attends de voir la réaction des justiciables qui perdront avec un arrêt de principe qui, peu ou prou, évince ou tord la règle de droit pour un arrêt de cassation éthique !
Ne trouveront-ils pas, ces justiciables qui perdront par une décision de justice qui invoque l'éthique, que l'éthique de la République n'est pas respectée ?
Ah, les décisions de principe, voilà une chose rare, surtout sous la plume du juge qui ne se sert pas même du mot (éthique) de façon accessoire. Pas plus que la loi, on en a dit la raison plus haut : la loi incorpore ce qu'elle a à incorporer sans avoir à disserter sur ce qu'elle fait.
A peine est-il besoin de préciser que la loi générale ne fait pas une place à l'éthique, on ose à peine le dire tant il est inconvenant de faire quelque réserve que ce soit sur l'éthique. Et naturellement les bonnes moeurs du Code civil ne sont qu'une référence aux pratiques sociales actuelles ce qui a tout de sociologique mais rien d'éthique...
Ce mouvement croise un fait dramatique, autre, tenant à la difficulté d'appliquer les cent mille lois qui existent, difficultés de divers ordres et niveaux. Au moment où la règle qui existe, la loi, semble bafouée à grande échelle, on se préoccupe de lui donner encore plus de finesse et de complexité : je dois avouer ne pas comprendre. La plus belle éthique du juriste est celle qui, à mon humble sens, et de mon modeste point de vue, montre à qui de droit* les centaines de directives européennes que l'ordre européen commande d'appliquer à travers les lois qui en résultent, pour plus d'égalité et de progrès (j'ose le mot). Ce me semble éthique (et aucune promotion de l'UE n'est ici faite).
Aucune porte ne doit être fermée, aucune réflexion ne doit être interdite, mais pour l'heure le juriste doit ranger l'éthique au rang d'hypothèse ou de fait social (intellectuel, donc très limité) ; en effet, la règle éthique (sans la confondre avec la déontologie que lois et règlements posent) au rang des choses hypothétiques. On verra ce qui reste de ce mouvement dans 25 ans (enfin sans doute pas moi) et si l'éthique est entrée en force dans les manuels d'introduction au droit au point de modifier nettement les sources du droit, son interprétation, son application ou ses sanctions.
Peut-être que l'éthique est, au fond du fond, une forme de fin du droit. Un facteur de fin du droit. En présence de juristes qui ne tiennent pas le cap juridique.
Ce qui est néanmoins et actuellement amusant, dans tout ce mouvement, très à la mode, dans divers milieux, qui sans doute cherche à "donner du sens" à quelque action ou présence (autre mode, et nous en sourions), c'est que l'on peut finalement douter de la propre éthique dudit mouvement !
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* Le citoyen, le justiciable, le contractant, l'étudiant, l'administré, le client potentiel...
Il n'est pas illégitime de réfléchir à ces influences (éthiques ou autres, morales) dès lors qu'un point et un seul, dès lors qu'un mot et un seul (éthique), un mouvement de pensée et un seul, formulé en évidence, bien peu expliquée, ne renverse pas le droit en son entier.
Mettre dans les discours, colloques et raisonnements l'éthique au même niveau que le droit, au même niveau que la règle de droit, pose un sérieux problème juridique, de fond et de méthode (et malgré des faits objectifs qui sont à étudier, chartes ou codes qui, pour ne pas tomber du ciel, supportent une qualification juridique).
La loi fusionne toutes les bonnes réflexions et intentions qui circulent dans la société et le législateur en tire ce qu'il peut en tirer, non sans avoir entendu une kyrielle de personnes aux discours parfois les plus étranges. L'éthique est un ressenti exprimé, le législateur l'entend et la loi l'incorpore. Parlons alors de droit si l'on est juriste.
Ainsi, la loi ou le décret s'approprie tout cela, et la loi devient alors inévitablement la référence du juriste incorporant la dose d'éthique utile, sans certes en dire la dose, sans préciser le grain de morale, sans encore moins laisser la trace d'une confidence théologique muée en bonne pratique et que la loi transforme en un alinéa. Le législateur ne sait pas exactement ce qu'il fait mais il le fait de façon assez transparente (par des travaux préparatoires) et, dans la région (l'Europe), après avoir été choisi par les gens de la rue (les électeurs).
C'est pour cela que la loi est la loi, éternelle, impériale, écrasante, magistrale, mondiale et même interstellaire puisque, désormais, la recherche en droit porte sur la science-fiction - on espère que les étudiants en tireront profit - et que même dans les étoiles, la loi est la loi - celle de l'Empire notamment ; bref, aucune originalité, autant rester sur terre et réserver les étoiles à la poésie. Mais toujours est-il que même si l'on sort de la galaxie, on rêve de loi, de droit, de droit écrit, d'un droit clair et non d'une éthique au quatre vents de discussions interminables.
La déontologie est une mauvaise expression du mouvement éthique. Les règles déontologiques sont parfois prises en illustration du poids de la réalité éthique du droit. Or, les règles déontologiques subissent la transformation du droit : ce sont des règles juridiques, du fait de la loi ou du décret ! Et ces règles déontologiques sont appliquées et interprétées et sanctionnées selon les principes et méthode du droit - et non de l'éthique. Ne confondons pas éthique et déontologie, malgré l'influence de la première sur la seconde, car la déontologie est du droit (voyez pour ce genre de glissement : S. Druffin-Bricca et L. C. Henry, Introduction générale au droit, Gualino, 2021, p. 37, n° 49). La déontologie qui est justiciable des tribunaux civils, pénaux, administratifs voire professionnels... est purement et simplement du droit. La juridicité de l'éthique est parfois utilisée pour encore un peu plus embrouiller la situation, mais l'idée est fumeuse puisque l'idée éthique qui anime une règle de droit s'épanouit dans le seul droit, dans tel ou tel article de loi ou de décret, et se soumet aux système juridique et judiciaire...
Les juristes ont cet instrument merveilleux, la loi, et ils s'en détournent (sans s’en détourner tout en s'en détournant car ils ne précisent pas leur méthode).
Ils le font avec d'autres et après d'autres mais, curieusement, sans trop demander aux spécialistes a priori désignés : les philosophes. Je parle des philosophes totalement investis dans la philosophie au point de lui livrer leur vie en se consacrant essentiellement à l'écriture en philosophie (précision utile, les touristes sont nombreux dans le domaine), travail d'écriture destiné à retailler les concepts et mécanismes (essentiels, la philosophie marquante travaille l'essence de ceci ou cela...).
On peut comprendre la réticence des juristes, à chaque grande philosophie sa langue, à chaque grand philosophe son langage... voilà qui peut décourager. Embrasser une science sérieusement n'est pas une petite affaire. Il est donc plus facile de parler éthique sans philosophe qu'avec, l'interdisciplinarité est une humilité. Oui la méthode interroge.
Voilà donc le juriste en terre éthique, il n'y a ni source, ni code, ni alinéas, ni institutions, ni arbitre, ni régulateur... la terre éthique est juste l'exact inverse du droit. L'immensité insondable de la conscience diront les neuroscientifiques. Un trop-plein psychologique de droit peut expliquer l'abandon d'une matière, le droit, autant que le goût de contrées inconnues.
On attend, ici ou là, que l'éthique s'applique, par exemple, en droit privé. On doit avouer attendre cela avec intérêt, et il ne faut pas hésiter à demander au juge, qui souvent participe à ces débats, où sont ses décisions en la matière. Car, si le mouvement qui invoque sans cesse l'éthique et avant même le droit est ancien, ses fruits mal saisis. Où sont ses décisions sur la place de l'éthique dans l'ordre juridique ? Où sont ses décisions spécialisées de droit commercial, de droit du travail...? J'attends de voir la réaction des justiciables qui perdront avec un arrêt de principe qui, peu ou prou, évince ou tord la règle de droit pour un arrêt de cassation éthique !
Ne trouveront-ils pas, ces justiciables qui perdront par une décision de justice qui invoque l'éthique, que l'éthique de la République n'est pas respectée ?
Ah, les décisions de principe, voilà une chose rare, surtout sous la plume du juge qui ne se sert pas même du mot (éthique) de façon accessoire. Pas plus que la loi, on en a dit la raison plus haut : la loi incorpore ce qu'elle a à incorporer sans avoir à disserter sur ce qu'elle fait.
A peine est-il besoin de préciser que la loi générale ne fait pas une place à l'éthique, on ose à peine le dire tant il est inconvenant de faire quelque réserve que ce soit sur l'éthique. Et naturellement les bonnes moeurs du Code civil ne sont qu'une référence aux pratiques sociales actuelles ce qui a tout de sociologique mais rien d'éthique...
Ce mouvement croise un fait dramatique, autre, tenant à la difficulté d'appliquer les cent mille lois qui existent, difficultés de divers ordres et niveaux. Au moment où la règle qui existe, la loi, semble bafouée à grande échelle, on se préoccupe de lui donner encore plus de finesse et de complexité : je dois avouer ne pas comprendre. La plus belle éthique du juriste est celle qui, à mon humble sens, et de mon modeste point de vue, montre à qui de droit* les centaines de directives européennes que l'ordre européen commande d'appliquer à travers les lois qui en résultent, pour plus d'égalité et de progrès (j'ose le mot). Ce me semble éthique (et aucune promotion de l'UE n'est ici faite).
Aucune porte ne doit être fermée, aucune réflexion ne doit être interdite, mais pour l'heure le juriste doit ranger l'éthique au rang d'hypothèse ou de fait social (intellectuel, donc très limité) ; en effet, la règle éthique (sans la confondre avec la déontologie que lois et règlements posent) au rang des choses hypothétiques. On verra ce qui reste de ce mouvement dans 25 ans (enfin sans doute pas moi) et si l'éthique est entrée en force dans les manuels d'introduction au droit au point de modifier nettement les sources du droit, son interprétation, son application ou ses sanctions.
Peut-être que l'éthique est, au fond du fond, une forme de fin du droit. Un facteur de fin du droit. En présence de juristes qui ne tiennent pas le cap juridique.
Ce qui est néanmoins et actuellement amusant, dans tout ce mouvement, très à la mode, dans divers milieux, qui sans doute cherche à "donner du sens" à quelque action ou présence (autre mode, et nous en sourions), c'est que l'on peut finalement douter de la propre éthique dudit mouvement !
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* Le citoyen, le justiciable, le contractant, l'étudiant, l'administré, le client potentiel...