Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

La Cour de cassation adopte notre position en matière de responsabilité boursière sur le Nouveau Marché (Cass. com. 26 mars 2008). Marché spéculatif. Marché d'actions. Ordre de bourse.



Ce débat a été engagé à plusieurs reprises ici. Je constatais que mon appel à un élargissement de l'obligation d'information et/ou de mise en garde n'était pas entendu. Un arrêt du 26 mars 2008 porte une nouvelle d'une autre teneur (cité ci-dessous in extenso).

Nous avons publié une chronique sur le sujet dans le journal économique Les Echos :


http://www.lesechos.fr

Ce faisant, cet arrêt de la Cour de cassation applique exactement la vision des choses que je défendais dès 2003 (voy. notamment : H. CAUSSE, Impertinences sur l'obligation d'information et la responsabilité de l'intermédiaire financier, Mélanges D. SCHMIDT, janv. 2004, éd. Joly, Paris, avril 2005). On saluera donc l'évolution qui est consacrée. Elle va permettre à certains plaideurs de percevoir quelques indemnistés mais, surtout, en terme de politique juridique, elle va appeler les intermédiaires à plus de sérieux et de retenue dans la commercialisation de "produits financiers".

Je défendais précisément dans ce long article, pour le Nouveau Marché, une obligation de conseil (ibid. n° 26, p. 162). Dans la matière on a parlé avant sa large consécration d'obligation d emise en garde, ce qui est désormais, avec cet arrêt, le droit positif (droit applicable), en droit bancaire et en droit des services d'investissements pour feu le Nouveau Marché (NM).

Ce faisant, la Cour applique implicitement l'article L. 533-4 du Code monétaire et financier. Nous avons été le seul à tirer argument de ce texte pour appeler - notamment - à "casser" la jurisprudence Buon en l'élargissant. Il est parfois utilisé... Il y aurait trop à dire sur ce texte (qui complète pourtant utilement le visa de 1147) et sur l'actualité tenant à la mise en oeuvre de la directive marché d'instruments financiers (dite MIF).

On évoque ce seul problème de principe, l'arrêt mériterait d'autres commentaires.

Une avocate avait investi sur le marché dit des nouvelles technologies. Au moment où il allait chuter de façon exceptionnelle, démontrant par là-même le caractère exceptionnel de ce marché et de "ses" titres. Malgré son DEA de droit des affaires elle gagne son procès en appel, au fond, et en cassation.

La cour juge que le NM était (il n'existe plus... il était tellement génial...) un marché spéculatif. Donc elle lui applique le régime de la jurisprudence Buon de 1991 : le prestataire (banque, société de services d'investissement) doit le mettre en garde son client qui "entre" sur ce marché par de nouveaux ordres de bourse.

Le devenir de cette jurisprudence en responsabilité boursière... parfois citée de façon peu logique dans des ouvrages avec lesquels tous les magistrats travaillent... voit ici une évolution importante. Ce n'est probablement pas la dernière, bien qu'il ne faille pas songer à inverser les rôles. L'inverstisseur doit de principe supporter les risques, quand le contrat par lequel il les prend est clair !



Source : Legifrance
Base publique du droit

Cour de cassation chambre commerciale
Audience publique du mercredi 26 mars 2008
N° de pourvoi : 07-11554
Publié au bulletin Cassation partielle

Mme Favre (président), président
SCP Gaschignard, SCP Tiffreau, avocat(s)


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Statuant tant sur le pourvoi principal formé par Mme X... que sur le pourvoi incident relevé par la société BNP Paribas ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le 29 février 2000, Mme X..., titulaire de deux comptes ouverts auprès de la société BNP Paribas (la banque) a donné l'ordre à celle-ci, sans en préciser la durée, d'acheter sur le nouveau marché des titres V Con télécom, qui ont été acquis le jour même, et des titres Cryo interactive qui ont été acquis le lendemain 1er mars ; que le 7 mars 2000, Mme X... a donné l'ordre de vendre l'ensemble de ces titres à un cours minimum en précisant que cet ordre n'était valable que si l'opération était réalisée le jour même ; que le cours minimum n'ayant pas été atteint, les titres n'ont pas été vendus ; que Mme X..., soutenant que la banque avait manqué à son obligation d'information et que l'ordre d'achat des actions Cryo interactive était caduc lors de son exécution, a demandé que la banque soit condamnée à lui restituer le prix payé à ce titre et à lui payer des dommages-intérêts ;

Sur le moyen unique du pourvoi incident :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer des dommages-intérêts à Mme X..., alors, selon le moyen, qu'il résultait des propres constatations de l'arrêt que Mme X..., d'une part, exerçant la profession d'avocat et titulaire d'un DEA en droit des affaires, avait réalisé depuis 1993 des opérations sur le marché au comptant et disposait d'avoirs sur ses comptes d'un montant de 263 914,85 euros, d'autre part, avait sous sa seule initiative, par ordre d'achat du 29 février 2000, décidé de souscrire notamment quatre mille titres V Con télécom et cinq cents titres Cryo interactive, décision suivie d'autres ordres de vente et d'achat en bourse sur ces mêmes titres en date des 7 mars et 27 mars 2000, ensemble d'éléments qui étaient bien de nature à caractériser la situation d'opérateur averti de Mme X... et sa connaissance de la nature spéculative des opérations réalisées par elle lors de la souscription desdits titres sur le nouveau marché ; qu'en décidant néanmoins que la banque aurait dû informer Mme X... des risques inhérents au nouveau marché, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et partant violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant relevé qu'il résultait du document produit par la banque que le nouveau marché présente un caractère spéculatif en raison de la nature même des sociétés cotées et s'adresse en priorité et principalement à une clientèle très avertie, et retenu qu'il n'était pas contesté que Mme X... n'était jamais intervenue sur le nouveau marché avant les ordres litigieux du 29 février 2000 et que ni l'expérience qu'elle avait pu acquérir d'opérations sur le marché au comptant depuis 1993, ni sa qualification d'avocat titulaire d'un DEA de droit des affaires ne démontrent qu'elle était instruite des risques particuliers présentés par les opérations sur le nouveau marché, la cour d'appel a pu en déduire que la banque était tenue de l'informer de ces risques ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi principal :

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt d'avoir limité son indemnisation à la somme de 20 000 euros, alors, selon le moyen :

1°/ que le prestataire de services d'investissement est tenu de rendre compte avec diligence à son mandant des conditions dans lesquelles il a pu ou n'a pas pu exécuter l'ordre de ce dernier ; qu'en postulant que la banque n'avait aucune obligation d'informer Mme X... de ce que les ordres qu'elle avait passés le 7 mars 2000 n'avaient pu être exécutés, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles 1147 et 1993 du code civil et l'article 6-3-4 du règlement général du Conseil des marchés financiers ;

2°/ qu'il était soutenu que les ordres du 7 mars 2000 avaient été rédigés suivant les instructions de la conseillère financière de la BNP et que la banque avait manqué à son devoir d'information et de conseil en n'appelant pas l'attention de sa cliente, profane en la matière, sur le risque d'inexécution d'un ordre assorti d'un cours minimum ; qu'en en répondant pas à ces conclusions, la cour d'appel, qui a pourtant constaté que Mme X... était profane en matière d'opérations de bourse, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel n'a pas postulé que la banque n'avait aucune obligation d'informer Mme X... du fait que ses ordres n'avaient pu être exécutés mais a relevé que cette dernière avait mentionné dans son ordre écrit qu'elle appellerait la banque qui n'avait pas l'obligation de lui rendre compte téléphoniquement de l'opération ;

Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel a répondu aux conclusions visées par la seconde branche en retenant que Mme X... n'était pas fondée à reprocher à la banque d'avoir manqué à son obligation de l'informer du risque d'inexécution de ses ordres dès lors qu'elle avait elle-même insisté sur l'exigence d'un cours minimum précisé des titres dont la vente ne pouvait intervenir que le jour même ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 1998 du code civil ;

Attendu que le mandant n'est pas tenu d'exécuter les actes faits par son mandataire au delà du pouvoir qui lui a été donné ;

Attendu que pour rejeter la demande de Mme X... tendant à la restitution du prix des actions acquises le 1er mars 2000, l'arrêt retient que l'article 4-2-2 du règlement du nouveau marché, alors applicable, prévoyait qu'un ordre donné sans indication de durée était valable jusqu'au dernier jour du mois civil au cours duquel il avait été émis et que c'est à juste titre que Mme X... soutient que les ordres passés le 29 février 2000 sans indication de durée étaient valables jusqu'à la clôture de la dernière séance du mois civil, soit le 29 février 2000, mais qu'elle ne peut en déduire la caducité de l'ordre exécuté le 1er mars 2000, la réglementation précitée n'étant pas édictée à peine de nullité des ordres exécutés et ne pouvant donner lieu qu'à dommages-intérêts ;

Attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'exécution de l'ordre d'achat était intervenue après que celui-ci fut devenu caduc et ne pouvait dès lors engager le donneur d'ordre, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de Mme X... tendant à la restitution du prix des titres acquis pour son compte le 1er mars 2000, l'arrêt rendu le 19 octobre 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six mars deux mille huit.

Publication :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris du 19 octobre 2006


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