En vertu de cet arrêt de cassation la mesure phare de la garde à vue - soit l'assistance d'un avocat dès le premier interrogatoire - s'impose tout de suite. En vérité, ce sont quatre arrêts qui ont été rendus (voyez aussi et par exemple l'arrêt n° 592 du 15 avril 2011, pourvoi n° 10-30.316 qui, cette fois, ne casse pas mais rejette le pourvoi car le juge avait déclaré la procédure irrégulière, adde dans le même sens : pourvois n° 10-30.313 et 10-30.242 ; voyez infra le communiqué de la présidence de la Cour de cassation, ci-dessous).
Les procureurs et policiers ne peuvent diligenter des auditions qu'avec une "personne entendue" assistée d'un avocat ; les avocats doivent donc répondre aux appels de leurs clients retenus dans des locaux de police ou de gendarmerie ; les juridictions devront tenir compte du respect de ce droit pour apprécier la régularité des diverses étapes de la procédure pénale. La Cour de cassation ne mentionne pas la loi nouvelle du 14 avril 2011 comme fondement de sa décision, pas plus que les trois décisions d'appel, antérieures à la loi, qui sont validées... (le quatrième arrêt casse l'ordonnance d'appel).
La Haute Juridiction invoque la Convention européenne et les arrêts de la Cour européenne. La solution est particulièrement limpide mais manifestement n'était pas attendue de tous. Cela surprend certains, mais cela est salutaire, et cela montre un juge qui participe à la gestion de la vie sociale.
I. Surprise chez quelques avocats et dépit des OPJ
Et cela égare quelques avocats ! Le Bâtonnier des Deux-Sèvres aurait donné aux avocats dudit Barreau comme "instruction" (bigre !) de ne pas appliquer la jurisprudence ! Voilà une belle déclaration faite au nom de la Séparation des pouvoirs et non au nom de la défense des citoyens ; les avocats des Deux-Sèvres invoqueront en vain cet argument quand des clients engageront leur responsabilité devant le juge judiciaire et, finalement, devant la Cour de cassation. En effet, l'Assemblée plénière a tenu compte du fait que les règles actuelles ont été jugées inconstitutionnelles ce dont a pris acte la loi du 14 avril 2011 qui se donnait un délai.
Les OPJ savent eux ce dont il est question. Leurs méthodes de travail sont rénovées d'un coup d'un seul. Fini les aveux faciles : il faudra trouver des preuves pour les mettre sous le nez des personnes entendues. La technique de la pression, larvée ou outrancière, ne marchera plus. Ce coup d'état permanent qui permettait à quelques OPJ obnubilés par leurs convictions de faire plonger X ou Y a sans doute connu ces dernières heures. L'aveu s'effritant, policiers et gendarmes vont devoir s'attacher aux preuves matérielles (les indices) et plus généralement au faits avérés et non aux déductions approximatives. Mais à l'inverse, celui qui sera mal conseillé et avouera quand il ne l'aurait pas dû sera mal parti pour modifier ses versions de l'affaire devant le juge des libertés ou devant le juge pénal (tribunal correctionnel par exemple).
II. Une décision salutaire en droit et en opportunité
La garde à vue est morte de son abus. Avec la volonté de punir tout sévèrement, de chasser la moindre infraction, la qualité de travail des OPJ a décliné. Ils ont transformé la garde à vue en moyen ordinaire quand il ne s'agissait que d'un moyen extraordinaire. La situation était d'autant plus intenable que les conditions matérielles de la mesure sont souvent mauvaises, que l'interrogatoire aura tourné à la pure pression physico-psychologique et que le régime juridique était contestable au vu de la Convention européenne (de SDH). Sur ce dernier point, la décision du Conseil constitutionnel avait noté la véritable dérive de la mesure.
La Cour juge aujourd'hui :
"Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale ;
Attendu que les Etats adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;
Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par le premier président d’une cour d’appel et les pièces de la procédure ...
...
Attendu que pour prolonger la rétention, l’ordonnance retient que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne lient que les Etats directement concernés par les recours sur lesquels elle statue, que ceux invoqués par l’appelante ne concernent pas l’Etat français, que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence de son avocat et que la garde à vue, menée conformément aux dispositions actuelles du code de procédure pénale, ne saurait être déclarée irrégulière ;
Qu’en statuant ainsi alors que Mme X.... n’avait eu accès à un avocat qu’après son interrogatoire, le premier président a violé les textes susvisés ;
Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ;
CASSE ET ANNULE... "
Face à des pouvoirs publics qui s'agitent - souvent au nom de la réforme - mais qui ne changent pas toujours "réellement" les choses, la Cour de cassation montre un pouvoir judiciaire efficace et cohérent. L'application immédiate de la loi devient l'application urgente d'une convention internationale inappliquée sans raison... de quoi réaménager certains intitulés de TD !
Quand tout le monde dit qu'une procédure n'est plus légale, il convient de ne plus l'appliquer et non de savoir qui va acheter les tables et les chaises pour accueillir les avocats en commissariat. Cessons avec la bureaucratie pour qui le moindre changement prend 10 papiers à rempli - si ce n'est plus, 10 études, 10 consultations, 10 réunions, 10 notes explicatives... et bien entendu 10 décrets au préalable ! Si le ministère de l'intérieur n'est pas prêt c'est bien regrettable mais il devrait l'être... en toute simplicité a-t-on envie de dire. La Cour de cassation indique, sans bureaucratie aucune mais avec lucidité : il suffit qu'un avocat soit là ! Quant au Barreau qui font de la défense pénale le coeur de leur métier (au point de souvent avoir perdu le droit des affaires au profit d'officines diverses ou des comptables...), ils ne peuvent aucunement prétendre ne pas être prêts. La solution est ainsi salutaire car elle finit de bousculer les craintes, inquiétudes, hésitations, spéculations, interrogations...
III. Le juge impose une organisation, une gestion
Outre des questions classiques (... l'application immédiate de la loi), cette décision est intéressante car elle souligne que le juge judiciaire contribue à l'organisation de la vie. Il impose des modes de gestions, valide des pratiques rénovées ou nouvelles. Il est vrai que le juge est un citoyen, un citoyen qui, vigilant, est au fait de l'évolution de la vie sociale. Pour parler moderne, le juge aide à déterminer des bons processus de gestion ! On ne le dit pas assez, sans doute parce que le juge ne le fait pas assez. Il n'est pas assez souvent rappelé que le juge est un artiste du droit, lequel est une technique d'organisation (millénaire). Il le fait souvent en droit des affaires en reconnaissant la validité d'un nouveau contrat et, donc, d'un nouveau secteur professionnel. Il le faut tout aussi souvent en reconnaissant un cas des responsabilité qui implique de changer les processus professionnels pour éviter d'engager sa responsabilité. Ici, mais nous sommes il est vrai en présence d'une décision et d'un sujet exceptionnels, l'arrêt ne va pas changer seulement la façon de juger, mais aussi la façon de travailler des parquets, des policiers et gendarmes et des avocats.
La pointe d'audace de la Cour de cassation sera donc vue avec intérêt. Le juge devrait peut-être plus souvent montrer qu'il est, doit être et devra être, quelque soient les modernités successives (...) un acteur décisif de la vie sociale - et non pas seulement un acteur de l'agitation médiatique sur les marches des Palais de justice quand il n'est question que d'horreur ordinaire, d'affaires politiques ou de "people". La "vraie Justice" est celle qui tranche des questions à trancher (nouvelles) dans un sens qui réalise une "plus-value sociale". Le juge, qui est un citoyen particulièrement bien informé, doit oser des décisions. Le point importe au moment où l'on voudrait faire rentrer les citoyens (le peuple ?) dans les tribunaux correctionnels : les magistrats - et plus largement tous les acteurs de la vie judiciaires - ne sont pourtant pas des extra-terrestres !
Mais voilà un autre débat !
Et les étudiants ne manqueront pas de lire les (bons) commentaires de mes collègues pénalistes dans les revues autorisées !
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Repris du site de la Cour de cassation.
PREMIERE PRESIDENCE
Communiqué (version pdf du document)
Décisions de l’assemblée plénière du 15 avril 2011
Par quatre arrêts rendus le 15 avril 2011 (n° P 10- 17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242), l'assemblée plénière de la Cour de cassation a statué sur la régularité de mesures de garde à vue au regard de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à l’assistance effective d’un avocat.
La première chambre civile, saisie de ces affaires, les avait renvoyées devant l’assemblée plénière à la demande du procureur général, ce renvoi étant de droit.
Quatre personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière ont été interpellées puis placées en garde à vue, l’une pour vol, les trois autres pour infraction à la législation sur les étrangers. A l’issue de ces gardes à vue, un arrêté de reconduite à la frontière puis une décision de placement en rétention ont été pris à leur encontre. Le préfet ayant saisi le juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention, les personnes retenues ont contesté la régularité de la procédure en soutenant qu’elles n’avaient pas bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue et durant leur interrogatoire. Statuant sur l’appel interjeté contre les décisions du juge qui avaient soit ordonné, soit refusé d’ordonner la prolongation de ces mesures de rétention, le premier président de la cour d’appel de Lyon a considéré la procédure régulière (dossier n° P 10-17.049), tandis que le premier président de la cour d’appel de Rennes l’a jugée irrégulière (dossiers n° F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242).
Les pourvois qui ont été formés dans le premier dossier par la personne retenue et dans les trois autres par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, ont conduit l’assemblée plénière à statuer sur deux questions.
La première porte sur le point de savoir si les dispositions de l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale relatives à la garde à vue sont conformes ou non à l’article 6 de la Convention européenne. L’assemblée plénière, reprenant la solution retenue par la chambre criminelle dans ses arrêts du 19 octobre 2010, a constaté que les règles posées par l’article 63-4 du code de procédure pénale ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 6 § 1. Elle a énoncé que “pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires”.
La deuxième question a trait à l’effet immédiat ou différé de la décision constatant la non-conformité de la législation française aux exigences issues de la Convention européenne. Après avoir rappelé que “les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation”, la plus haute formation de la Cour de cassation, en censurant la décision ayant admis la régularité de la procédure et en rejetant le pourvoi formé contre les trois autres qui avaient retenu son irrégularité, a décidé une application immédiate. Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et concrets, le principe de sécurité juridique et les nécessités d’une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un justiciable de son droit à un procès équitable.
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Les procureurs et policiers ne peuvent diligenter des auditions qu'avec une "personne entendue" assistée d'un avocat ; les avocats doivent donc répondre aux appels de leurs clients retenus dans des locaux de police ou de gendarmerie ; les juridictions devront tenir compte du respect de ce droit pour apprécier la régularité des diverses étapes de la procédure pénale. La Cour de cassation ne mentionne pas la loi nouvelle du 14 avril 2011 comme fondement de sa décision, pas plus que les trois décisions d'appel, antérieures à la loi, qui sont validées... (le quatrième arrêt casse l'ordonnance d'appel).
La Haute Juridiction invoque la Convention européenne et les arrêts de la Cour européenne. La solution est particulièrement limpide mais manifestement n'était pas attendue de tous. Cela surprend certains, mais cela est salutaire, et cela montre un juge qui participe à la gestion de la vie sociale.
I. Surprise chez quelques avocats et dépit des OPJ
Et cela égare quelques avocats ! Le Bâtonnier des Deux-Sèvres aurait donné aux avocats dudit Barreau comme "instruction" (bigre !) de ne pas appliquer la jurisprudence ! Voilà une belle déclaration faite au nom de la Séparation des pouvoirs et non au nom de la défense des citoyens ; les avocats des Deux-Sèvres invoqueront en vain cet argument quand des clients engageront leur responsabilité devant le juge judiciaire et, finalement, devant la Cour de cassation. En effet, l'Assemblée plénière a tenu compte du fait que les règles actuelles ont été jugées inconstitutionnelles ce dont a pris acte la loi du 14 avril 2011 qui se donnait un délai.
Les OPJ savent eux ce dont il est question. Leurs méthodes de travail sont rénovées d'un coup d'un seul. Fini les aveux faciles : il faudra trouver des preuves pour les mettre sous le nez des personnes entendues. La technique de la pression, larvée ou outrancière, ne marchera plus. Ce coup d'état permanent qui permettait à quelques OPJ obnubilés par leurs convictions de faire plonger X ou Y a sans doute connu ces dernières heures. L'aveu s'effritant, policiers et gendarmes vont devoir s'attacher aux preuves matérielles (les indices) et plus généralement au faits avérés et non aux déductions approximatives. Mais à l'inverse, celui qui sera mal conseillé et avouera quand il ne l'aurait pas dû sera mal parti pour modifier ses versions de l'affaire devant le juge des libertés ou devant le juge pénal (tribunal correctionnel par exemple).
II. Une décision salutaire en droit et en opportunité
La garde à vue est morte de son abus. Avec la volonté de punir tout sévèrement, de chasser la moindre infraction, la qualité de travail des OPJ a décliné. Ils ont transformé la garde à vue en moyen ordinaire quand il ne s'agissait que d'un moyen extraordinaire. La situation était d'autant plus intenable que les conditions matérielles de la mesure sont souvent mauvaises, que l'interrogatoire aura tourné à la pure pression physico-psychologique et que le régime juridique était contestable au vu de la Convention européenne (de SDH). Sur ce dernier point, la décision du Conseil constitutionnel avait noté la véritable dérive de la mesure.
La Cour juge aujourd'hui :
"Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ensemble l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale ;
Attendu que les Etats adhérents à cette Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ; que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ;
Attendu, selon l’ordonnance attaquée rendue par le premier président d’une cour d’appel et les pièces de la procédure ...
...
Attendu que pour prolonger la rétention, l’ordonnance retient que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme ne lient que les Etats directement concernés par les recours sur lesquels elle statue, que ceux invoqués par l’appelante ne concernent pas l’Etat français, que la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’impose pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue qu’en présence de son avocat et que la garde à vue, menée conformément aux dispositions actuelles du code de procédure pénale, ne saurait être déclarée irrégulière ;
Qu’en statuant ainsi alors que Mme X.... n’avait eu accès à un avocat qu’après son interrogatoire, le premier président a violé les textes susvisés ;
Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs ;
CASSE ET ANNULE... "
Face à des pouvoirs publics qui s'agitent - souvent au nom de la réforme - mais qui ne changent pas toujours "réellement" les choses, la Cour de cassation montre un pouvoir judiciaire efficace et cohérent. L'application immédiate de la loi devient l'application urgente d'une convention internationale inappliquée sans raison... de quoi réaménager certains intitulés de TD !
Quand tout le monde dit qu'une procédure n'est plus légale, il convient de ne plus l'appliquer et non de savoir qui va acheter les tables et les chaises pour accueillir les avocats en commissariat. Cessons avec la bureaucratie pour qui le moindre changement prend 10 papiers à rempli - si ce n'est plus, 10 études, 10 consultations, 10 réunions, 10 notes explicatives... et bien entendu 10 décrets au préalable ! Si le ministère de l'intérieur n'est pas prêt c'est bien regrettable mais il devrait l'être... en toute simplicité a-t-on envie de dire. La Cour de cassation indique, sans bureaucratie aucune mais avec lucidité : il suffit qu'un avocat soit là ! Quant au Barreau qui font de la défense pénale le coeur de leur métier (au point de souvent avoir perdu le droit des affaires au profit d'officines diverses ou des comptables...), ils ne peuvent aucunement prétendre ne pas être prêts. La solution est ainsi salutaire car elle finit de bousculer les craintes, inquiétudes, hésitations, spéculations, interrogations...
III. Le juge impose une organisation, une gestion
Outre des questions classiques (... l'application immédiate de la loi), cette décision est intéressante car elle souligne que le juge judiciaire contribue à l'organisation de la vie. Il impose des modes de gestions, valide des pratiques rénovées ou nouvelles. Il est vrai que le juge est un citoyen, un citoyen qui, vigilant, est au fait de l'évolution de la vie sociale. Pour parler moderne, le juge aide à déterminer des bons processus de gestion ! On ne le dit pas assez, sans doute parce que le juge ne le fait pas assez. Il n'est pas assez souvent rappelé que le juge est un artiste du droit, lequel est une technique d'organisation (millénaire). Il le fait souvent en droit des affaires en reconnaissant la validité d'un nouveau contrat et, donc, d'un nouveau secteur professionnel. Il le faut tout aussi souvent en reconnaissant un cas des responsabilité qui implique de changer les processus professionnels pour éviter d'engager sa responsabilité. Ici, mais nous sommes il est vrai en présence d'une décision et d'un sujet exceptionnels, l'arrêt ne va pas changer seulement la façon de juger, mais aussi la façon de travailler des parquets, des policiers et gendarmes et des avocats.
La pointe d'audace de la Cour de cassation sera donc vue avec intérêt. Le juge devrait peut-être plus souvent montrer qu'il est, doit être et devra être, quelque soient les modernités successives (...) un acteur décisif de la vie sociale - et non pas seulement un acteur de l'agitation médiatique sur les marches des Palais de justice quand il n'est question que d'horreur ordinaire, d'affaires politiques ou de "people". La "vraie Justice" est celle qui tranche des questions à trancher (nouvelles) dans un sens qui réalise une "plus-value sociale". Le juge, qui est un citoyen particulièrement bien informé, doit oser des décisions. Le point importe au moment où l'on voudrait faire rentrer les citoyens (le peuple ?) dans les tribunaux correctionnels : les magistrats - et plus largement tous les acteurs de la vie judiciaires - ne sont pourtant pas des extra-terrestres !
Mais voilà un autre débat !
Et les étudiants ne manqueront pas de lire les (bons) commentaires de mes collègues pénalistes dans les revues autorisées !
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Repris du site de la Cour de cassation.
PREMIERE PRESIDENCE
Communiqué (version pdf du document)
Décisions de l’assemblée plénière du 15 avril 2011
Par quatre arrêts rendus le 15 avril 2011 (n° P 10- 17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242), l'assemblée plénière de la Cour de cassation a statué sur la régularité de mesures de garde à vue au regard de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à l’assistance effective d’un avocat.
La première chambre civile, saisie de ces affaires, les avait renvoyées devant l’assemblée plénière à la demande du procureur général, ce renvoi étant de droit.
Quatre personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière ont été interpellées puis placées en garde à vue, l’une pour vol, les trois autres pour infraction à la législation sur les étrangers. A l’issue de ces gardes à vue, un arrêté de reconduite à la frontière puis une décision de placement en rétention ont été pris à leur encontre. Le préfet ayant saisi le juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention, les personnes retenues ont contesté la régularité de la procédure en soutenant qu’elles n’avaient pas bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue et durant leur interrogatoire. Statuant sur l’appel interjeté contre les décisions du juge qui avaient soit ordonné, soit refusé d’ordonner la prolongation de ces mesures de rétention, le premier président de la cour d’appel de Lyon a considéré la procédure régulière (dossier n° P 10-17.049), tandis que le premier président de la cour d’appel de Rennes l’a jugée irrégulière (dossiers n° F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242).
Les pourvois qui ont été formés dans le premier dossier par la personne retenue et dans les trois autres par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, ont conduit l’assemblée plénière à statuer sur deux questions.
La première porte sur le point de savoir si les dispositions de l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale relatives à la garde à vue sont conformes ou non à l’article 6 de la Convention européenne. L’assemblée plénière, reprenant la solution retenue par la chambre criminelle dans ses arrêts du 19 octobre 2010, a constaté que les règles posées par l’article 63-4 du code de procédure pénale ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 6 § 1. Elle a énoncé que “pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires”.
La deuxième question a trait à l’effet immédiat ou différé de la décision constatant la non-conformité de la législation française aux exigences issues de la Convention européenne. Après avoir rappelé que “les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation”, la plus haute formation de la Cour de cassation, en censurant la décision ayant admis la régularité de la procédure et en rejetant le pourvoi formé contre les trois autres qui avaient retenu son irrégularité, a décidé une application immédiate. Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et concrets, le principe de sécurité juridique et les nécessités d’une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un justiciable de son droit à un procès équitable.
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