Le déclin du droit commercial était programmé mais que la communauté des professeurs l'aide à se dissoudre l'était moins. Les commercialistes, pour s'intéresser autant à la légalité des normes générales ou décisions administratives, aux échanges internationaux qu'à la virgule du Code civil, sont une richesse dont les Facultés de droit ne peuvent pas se passer (pour toucher à la généralité de la matière voyez l'exemple du droit bancaire avec, par exemple, l'ouvrage de Jean STOUFFLET : Droit bancaire, éd. Lexisnexis, 2010). Pourtant, un peu partout, y compris là où il est incompréhensible que ce soit le cas, tout un chacun semble pouvoir soit écarter le droit commercial, soit en tâter, tout professeur semble pouvoir faire fonction de commercialiste ; le tout est allègrement porté par les fameux "concours de recrutements" où on apprécie à n'en plus finir les commercialistes... qui font du droit civil...
Quand René ROBLOT - peut-être le dernier grand maître du droit commercial - m'a dit, il y a près d'un quart de siècle, qu'il fallait que je m'engage dans l'Université, je ne pouvais pas deviner cette sorte d'impasse à voies multiples. Je ne pouvais pas deviner que la matière noble, par exemple aux Etats-Unis, devrait être défendue pour sa survie. Or telle est la situation. Quand "le droit privé et les sciences criminelles" se font dévorer la criminologie, c'est aujourd'hui, ici et maintenant ; quelques collègues oublient leur responsabilité - un peu trop de positivisme pénaliste... Mais voilà, si demain est créée une section de criminologie au CNU, c'est tout le Droit (public, privé et même international !) qui perdra : la mention "sciences criminelles" devrait en logique disparaître de l'appellation de la section 01 du CNU. Mais doit-on encore compter ce qui est perdu ou ce qui le sera... après la disparition de la fiscalité... ?
On peut se demander si, pour le droit commercial, le mal ne pourrait pas être plus violent (et quelques masters de droit des affaires, hors l'Université, devraient inquiéter quelques élus universitaires). La disparitions de divers "centres de droit des affaires" inquiète. On se demande en effet si, demain, quelques uns ne feront pas une OPA sur feu le droit commercial, bref sur le droit des affaires. Je ne dirai pas comment cela se passera probablement, car cela pourrait accélérer le mouvement en donnant des idées à quelques docteurs (non qualifiés en 01, non HDR), voire à quelques uns qui sont sans doctorat, et qui pourraient néanmoins mettre en oeuvre ce plan en s'appuyant sur des organisations plus lucides que nos Universités - bref des lieux où l'efficacité prime sur les mondanités. Si l'on se trouve dans cette situation, c'est entre autres raisons, il faut en convenir, parce que le droit commercial est à certains égards victime de son succès (I). C'est aussi parce que la communauté universitaire, voire la communauté des juristes, accepte l'idée que le droit commun puisse dominer au point de l'anéantir le droit commercial (II).
L'analyse est-elle une autopsie ou un examen médical ? Mérite-t-elle d'être conduite ? Il y a à tout le moins de quoi être amer de voir - quand le business law est partout ! - que la matière unifiée qui le préfigurait de deux siècles, inventée et codifiée ici, en France, est en voie de ne plus être plus nulle part.
I. Le droit commercial victime de son succès
Le droit commercial a pris du volume et de l'intérêt : les commercialistes forment ainsi des chapelles dans la matière, volontairement ou pas. Ce n'est pas pour les renforcer... Si tout le monde consent à y voir désormais du "droit des affaires", ou du "droit économique", il n'en reste pas moins que la dilatation du droit commercial ne s'est pas réalisée sans affecter l'unité de la matière. La liste des spécialités est trop longue à faire et inutile à faire.
Société, effets de commerce, faillite, transport, bancaire, boursier... PI...?, la poussée des branches dissimulé le tronc et, surtout, le droit commercial y a perdu son âme quand il n'avait que cela.
On le sait en effet, répétons-le : le code de commerce a été mal rédigé, n'avait pas grande autorité... enfin il aura duré jusqu'à le recodification de l'an 2000 ! Alors même qu'on l'a poussé à l'agonie assez vite, incapable de voter des lois dans un code !
L'idée de dissoudre cette matrice ne l'a pas emporté - a-t-telle même jamais eu cours ? Voilà donc le code de commerce toujours là et cette fois tout neuf - et les discours de naguère sur ses imperfections ont repris de plus belle. Mais les détracteurs n'ont pas dit mot du code monétaire et financier... c'est que là il faut peut-être être commercialiste pour le critiquer - c'est sinon un peu difficile... En deux codes, comme un signe tous deux placés là juste au tournant du siècle, des administrateurs codificateurs ont envoyé un signe fort.
Sans bader ces modernisations, on peut dire que le droit commercial a été rénové en devenant plus économique dans le code de commerce et plus financier dans le code monétaire et financier.... Les deux ayant la vertu d'accueillir nombre de professions car c'est encore cela le droit commercial, le droit des professions (ou de nombreuses professions !). Au passage, les règles sur la monnaie, du pur droit commun dans l'optique traditionnelle, penche du côté de la spécialisation.
L'idée d'un droit commercial, économique et financier marque un point ; elle n'est peut-être donc pas que le fruit d'un imagination trop fertile et exagérée, mais le constat lucide d'un observation attentive des faits sinon mondaine. Ce petit raisonnement mérite donc d'être continué. Le droit commercial a perdu sa noblesse mais en a reconquis une autre, la spécialisation des commercialistes n'a pas été qu'un mal, mais elle l'a en partie été.
Les commercialistes (et je dois un peu porter de cette responsabilité) portent un peu la responsabilité de la dilapidation d'une matière qui fut une mais non point indivisible.
Peuvent-ils corriger les inconvénients liés à la déstructuration de leur matière ?
Il ne s'agit point de sauver une chapelle universitaire, chaque universitaire peut en trouver une qui lui convienne. Il s'agit de savoir sur quelle matière et quelle conception du droit on doit - ou on peut - concevoir des formations de droit commercial, économique et financier... pour les étudiants. L'objectif étant de donner aux étudiants cette ligne : pouvoir discuter avec un homme d'affaires, avec un dirigeant social, avec un chef d'entreprise en suivant parfaitement la discussion et quel que soit le sujet.
Ce début de note étant assez lue après quelques jours d'édition, je poursuis ma réflexion. Ce doit être mon "I - B"
A supposer que les commercialistes existent encore, une stratégie pour souligner et (un peu) défendre la matière peut-elle être trouvée et ensuite mise en oeuvre ? Rien n'est moins sûr. La spécialisation a été telle que les commercialistes sont peut-être éloigné les un des autres.
Si nous sommes des chercheurs, des concepteurs, alors l'image à la mode de stratégies ou celles d'actions ne doit pas primer. Doit prévaloir une réflexion de fond sur la matière. Quelques collègues sont-ils d'accord pour participer à un colloque sur le sujet ? Disons à titre provisoire :
Quel avenir pour le droit commercial ?
Vous savez que je pourrais proposer d'emblée quelques thèmes, mais il me semble que quelques autorités me lisent et il serait intéressant de m'envoyer vos suggestions d'interventions. On peut les imaginer en termes de recherches, de pédagogie ou de rapports avec les professionnels (adaptation des programmes et formations professionnelles). Mais on peut aussi voir la chose au fond et sous l'angle unité du code de commerce et unité des codifications pour glisser sur des interventions en prise directe avec quelques sujets pointus vérifiant l'unité du droit commercial.
Il faudra aussi quelques interventions qui donnent a priori de l'espoir : Le pragmatisme du droit commercial. Le réalisme de la jurisprudence commerciale ; la chambre commerciale, financière et conomique (le nom officiel qui a été remis au devant de la scène par le Président Daniel TRICOT) devrait nous aider dans une telle intervention.
Je dis déjà "nous" : je laisse les collègues répondre à ce curieux "call for papers". Et puis, parce que nous ne sommes pas assez éclairés : le droit commercial en droit comparé et le droit commercial en droit international. Les publicistes se mettant au droit des affaires (ils n'osent pas le droit commercial !), l'oeil de l'un de ceux qui tente une OPA sur le domaine pourrait être un apport.
Bon, le colloque serait, sauf exception, réunion avec document écrit (vous savez : paper !) et échangé à J - 7 pour qu'un dialogue réel puisse exister.
La question de fond n'est donc pas traitée ici, et c'est sur ce goût d'inachevé qu'il faut tout de même s'interroger sur les "actions".
Il est à la mode de décrier le cours magistral... tout le monde voudrait faire comme les américains. Cette faible confiance sur nos méthodes semble générale mais je crains qu'une fois que les cours interactifs auront épuisé leurs vertus... on voit revenir à la charge le cours magistral - son problème est qu'il faut qu'il le soit - magistral ! Je ne suis donc pas certain que la pédagogie puisse sauver une matière, alors surtout que les autres sont finalement sur le même registre. Il est en revanche assez vident que le versant pratique arrive assez vite au galop dans un enseignement de droit commercial un peu vivant : comment ne pas mettre en scène le commerçant qui vendant fort bien ses pizzas souhaite créer une société... !?
Entré pédagogie et fond, les enseignements transversaux sont peut-être plus à explorer, et leur aspect pratique affleure inévitablement
Il y a enfin la recherche, je me demande depuis des années s'il ne faut pas créer un grand centre national de recherche "Droit commercial, économique et financier"... Il faut une grande force pour pouvoir emprunter aux économistes, s'inspirer des gestionnaires, perser sur les médias tout en restant juriste, soit servir les entreprises qui ont besoin de juristes et les autres secteurs (barreau, magistrature), servir les étudiants.
Voilà quelques pistes que d'aucuns jugeront ridicules (et j'assume), d'autres dérisoires (et alors ?), le tout sur l'observation que le droit commercial a toujours été pénétré par d'autres matières et qu'il est chimérique d'en concevoir une version autre, alors que l'histoire ne l'identifie pas...
II - Le respect du droit commercial
Si le droit commercial se porte mal, l'histoire du droit commercial se porte bien, quelques ouvrages édités ces dernières années le montrent. Je n'appartiens à ceux qui pensent que l'on a besoin, dans l'absolu, de jauger son passé pour construire son avenir - même si cela fait bien de la dire. L'avenir se construit en faisant de bonnes analyses contemporaines à partir des faits observés ! Cela étant dit, l'histoire donne des repères, des idées, enseigne les retournements retournés... elle est ainsi un moyen d'analyse de la construction d'une pensée. Elle est un tout petit peu plus en l'espèce, comme le soupçon de l'âme d'une matière... Ainsi, l'histoire respecte le droit commercial, dont acte.
Le présent est un peu différent, ce qui pose la question de cette indifférence à l'égard de la méthode de la matière.
B. - Les marques paradoxales du non-respect de la matière
Le terme de respect est un peu étonnant mais il souligne peut-être un angle des choses. Ainsi, le respect d'une matière s'observe déjà dans les listes que dressent les collègues pour assumer certaines responsabilités (au sein des Facultés et universités et dans les instance nationales) ; il sera intéressant de voir la conception qu'ont du "commercial" les candidats au CNU et la place faite aux "affairistes" (terme qui ne désigne ici que les commercialistes !).
Comment respecter le droit commercial revient à s'interroger sur son identité, ou son unité... et en partie sa légitimité. Cette dernière ne semble pas atteinte parce qu'une mutation a été opérée. Le droit commercial a touché de proche en proche quelques questions, sinon domaines, qui sont davantage des questions de droit économique que de droit commercial. L'expression droit économique aura pu être connoté de droit public il y a (en ce sens Rodière et Houi, Droit commercial, 1971), ce n'est plus exactement le cas - bien que les publicistes l'exploitent également. L'expression la meilleure, semble-t-il, est celle de droit des affaires. Elle n'est pas sans interroger ou poser problème.
En devenant droit des affaires, le droit commercial a toutefois perdu de sa force tout en étendant son domaine. Les dernières leçons d'agrégation de spécialité sont à ce titre intéressantes. Pour la spécialité droit commercial le sujet était présenté "... en droit commercial et des affaires"... les candidats auront-il pris le risque de s'attarder sur ce point - de détail. Où, plus prudents, auront-ils souligné le point pour en faire une réserve méthodologique - laquelle aura naturellement plu au jury sans le déranger (car il est bien impossible de soutenir : votre sujet est impossible à traiter pour disposer d'un champ indéfini... ).
Malgré cette poutre dans l'oeil du droit commercial, on doit dire que cela permet à la matière de suivre l'évolution de la société, plus exactement l'évolution des opérations que les hommes d'affaires souhaitent accomplir. Pour se dire que le droit commercial n'est pas mort, il suffit de rappeler que, dans divers montages (...), nombre d'opérations seront commerciales, nombre de sociétés le seront et nombre de partenaires le seront. Les conflits déboucheront du reste devant le tribunal de commerce. L'identité de la matière est sauvée, sa raison d'être sans doute préservée, du moins sur le plan des principes et des
Le même souci de coller à tout le "business law" a justement amené la Chambre commerciale à rappeler qu'elle est "chambre commerciale, financière et économique". Les intitulés ne sont pas tout, mais il ne sont pas rien.
Sur le plan pédagogique, l'unité n'existe plus. En pratique, le droit de l'entreprise a curieusement été un concurrent farouche du "droit des commercial et des affaires". Or le droit de l'entreprise n'a probablement pas de colonne vertébrale : il est une auberge espagnole où l'on y boit de la fiscalité, y déguste du droit du travail et y goûte du droit international. C'est juste l'effet d'un micro-climat qui a empêché à la procédure ou au pénal d'y entrer (en vérité, il y a quelques décennies, d'aucuns auront voulu se détacher de certains conservatismes attachés à ces matières désormais remises à neuf).
Le droit de l'entreprise procède toutefois de l'esprit du droit commercial : il se préoccupe davantage de savoir comment faire que de savoir pourquoi fondamentalement cela fonctionne. La concurrence et l'affaiblissement de l'image du droit commercial n'en aura pas été moindre.
Les professeurs ne font pas seulement des diplômes ils écrivent également des "livres" : ce sont des auteurs. C'est là peut-être que la marque d'affaiblissement du droit commercial est la plus nette. Désormais, on écrit dans son domaine. Et la communauté universitaire s'en trouve marquée. Comme on me le dit parfois "à, vous, c'est plutôt le droit financier ?!". Oui cher collègue, comme je peux analyser les opérations d'un personne morale commerçante sur les marchés financiers... je ne peux plus faire un cours sur le commerçant... ? Sur une clause abusive ? Sur son bail commercial ? Sur son entrée dans un réseau de distribution ? La matière donne l'impression d'être découpée, et on y croit. Découpée, elle est finalement moins impressionnante et peut-être pour certains moins gênante.
Les commercialistes n'ont pas le choix il est vrai : tenir un traité de droit commercial est des plus difficile. Et sans doute que la matière meurt un peu de cela, d'ouvrages spécialisés bien plus nombreux que les ouvrages qui montrent l'unité. Pourtant, pour trouver un emploi, le recruteur ne s'y trompera pas : un spécialiste de droit des affaires s'identifie tout de suite par la malléabilité de son esprit à passer du droit des sociétés à la faillite, de cette dernière à une technique de financement... Il n'est donc pas impossible que "trop de droit commercial ait tué le droit commercial" : à trop aimer la matière l'aura-t-on parfaitement respectée ?
Il y à la peut-être un bouton à actionner sur tous les plans : diplômes, ouvrages, écrits, centres de recherche(s) et formations professionnelles, bien que sur ce plan le phénomène de l'hyper-spécialisation existe et souvent avec un beau succès (le spécialiste du bail commercial a souvent une belle clientèle...) ; mais nous ne sommes plus dans la problématique purement universitaire qui est celle de fabriquer des juristes d'affaires. Mais mon propos sera considéré comme utopique car la décomposition du droit commercial est peut-être trop avancée - jugeront certains, l'éclatement des commercialistes trop grand - jugeront d'autres, pour que la moindre action unifiée puisse être entreprise.
Peut-être que la matière n'a pas été assez respectée. cela aura dressé un boulevard qui tienne à faire du droit en loge, sans réellement se soucier de son aspect pratique et encore moins de son identité. Refaire le monde juridique avec un seul arrêt de la Cour de cassation est une grande commodité... cela évoque la méthode de la matière et se sliens avec l'économie et les ciences économiques et de gestion....
mais je crois que le président - agacé, en vérité ulcéré - va me couper et que je ne peux pas exposer mon "II - B"... il me coupe, tant pis, je l'annonce tout de même forçant son invite à cesser de jacasser de façon insolente, insolent jusqu'au bout, décidément
B. - La méthode du droit commercial et des affaires
à suivre ?
Hervé CAUSSE
Professeur de droit commercial, économique et financier
Quand René ROBLOT - peut-être le dernier grand maître du droit commercial - m'a dit, il y a près d'un quart de siècle, qu'il fallait que je m'engage dans l'Université, je ne pouvais pas deviner cette sorte d'impasse à voies multiples. Je ne pouvais pas deviner que la matière noble, par exemple aux Etats-Unis, devrait être défendue pour sa survie. Or telle est la situation. Quand "le droit privé et les sciences criminelles" se font dévorer la criminologie, c'est aujourd'hui, ici et maintenant ; quelques collègues oublient leur responsabilité - un peu trop de positivisme pénaliste... Mais voilà, si demain est créée une section de criminologie au CNU, c'est tout le Droit (public, privé et même international !) qui perdra : la mention "sciences criminelles" devrait en logique disparaître de l'appellation de la section 01 du CNU. Mais doit-on encore compter ce qui est perdu ou ce qui le sera... après la disparition de la fiscalité... ?
On peut se demander si, pour le droit commercial, le mal ne pourrait pas être plus violent (et quelques masters de droit des affaires, hors l'Université, devraient inquiéter quelques élus universitaires). La disparitions de divers "centres de droit des affaires" inquiète. On se demande en effet si, demain, quelques uns ne feront pas une OPA sur feu le droit commercial, bref sur le droit des affaires. Je ne dirai pas comment cela se passera probablement, car cela pourrait accélérer le mouvement en donnant des idées à quelques docteurs (non qualifiés en 01, non HDR), voire à quelques uns qui sont sans doctorat, et qui pourraient néanmoins mettre en oeuvre ce plan en s'appuyant sur des organisations plus lucides que nos Universités - bref des lieux où l'efficacité prime sur les mondanités. Si l'on se trouve dans cette situation, c'est entre autres raisons, il faut en convenir, parce que le droit commercial est à certains égards victime de son succès (I). C'est aussi parce que la communauté universitaire, voire la communauté des juristes, accepte l'idée que le droit commun puisse dominer au point de l'anéantir le droit commercial (II).
L'analyse est-elle une autopsie ou un examen médical ? Mérite-t-elle d'être conduite ? Il y a à tout le moins de quoi être amer de voir - quand le business law est partout ! - que la matière unifiée qui le préfigurait de deux siècles, inventée et codifiée ici, en France, est en voie de ne plus être plus nulle part.
I. Le droit commercial victime de son succès
Le droit commercial a pris du volume et de l'intérêt : les commercialistes forment ainsi des chapelles dans la matière, volontairement ou pas. Ce n'est pas pour les renforcer... Si tout le monde consent à y voir désormais du "droit des affaires", ou du "droit économique", il n'en reste pas moins que la dilatation du droit commercial ne s'est pas réalisée sans affecter l'unité de la matière. La liste des spécialités est trop longue à faire et inutile à faire.
Société, effets de commerce, faillite, transport, bancaire, boursier... PI...?, la poussée des branches dissimulé le tronc et, surtout, le droit commercial y a perdu son âme quand il n'avait que cela.
On le sait en effet, répétons-le : le code de commerce a été mal rédigé, n'avait pas grande autorité... enfin il aura duré jusqu'à le recodification de l'an 2000 ! Alors même qu'on l'a poussé à l'agonie assez vite, incapable de voter des lois dans un code !
L'idée de dissoudre cette matrice ne l'a pas emporté - a-t-telle même jamais eu cours ? Voilà donc le code de commerce toujours là et cette fois tout neuf - et les discours de naguère sur ses imperfections ont repris de plus belle. Mais les détracteurs n'ont pas dit mot du code monétaire et financier... c'est que là il faut peut-être être commercialiste pour le critiquer - c'est sinon un peu difficile... En deux codes, comme un signe tous deux placés là juste au tournant du siècle, des administrateurs codificateurs ont envoyé un signe fort.
Sans bader ces modernisations, on peut dire que le droit commercial a été rénové en devenant plus économique dans le code de commerce et plus financier dans le code monétaire et financier.... Les deux ayant la vertu d'accueillir nombre de professions car c'est encore cela le droit commercial, le droit des professions (ou de nombreuses professions !). Au passage, les règles sur la monnaie, du pur droit commun dans l'optique traditionnelle, penche du côté de la spécialisation.
L'idée d'un droit commercial, économique et financier marque un point ; elle n'est peut-être donc pas que le fruit d'un imagination trop fertile et exagérée, mais le constat lucide d'un observation attentive des faits sinon mondaine. Ce petit raisonnement mérite donc d'être continué. Le droit commercial a perdu sa noblesse mais en a reconquis une autre, la spécialisation des commercialistes n'a pas été qu'un mal, mais elle l'a en partie été.
Les commercialistes (et je dois un peu porter de cette responsabilité) portent un peu la responsabilité de la dilapidation d'une matière qui fut une mais non point indivisible.
Peuvent-ils corriger les inconvénients liés à la déstructuration de leur matière ?
Il ne s'agit point de sauver une chapelle universitaire, chaque universitaire peut en trouver une qui lui convienne. Il s'agit de savoir sur quelle matière et quelle conception du droit on doit - ou on peut - concevoir des formations de droit commercial, économique et financier... pour les étudiants. L'objectif étant de donner aux étudiants cette ligne : pouvoir discuter avec un homme d'affaires, avec un dirigeant social, avec un chef d'entreprise en suivant parfaitement la discussion et quel que soit le sujet.
Ce début de note étant assez lue après quelques jours d'édition, je poursuis ma réflexion. Ce doit être mon "I - B"
A supposer que les commercialistes existent encore, une stratégie pour souligner et (un peu) défendre la matière peut-elle être trouvée et ensuite mise en oeuvre ? Rien n'est moins sûr. La spécialisation a été telle que les commercialistes sont peut-être éloigné les un des autres.
Si nous sommes des chercheurs, des concepteurs, alors l'image à la mode de stratégies ou celles d'actions ne doit pas primer. Doit prévaloir une réflexion de fond sur la matière. Quelques collègues sont-ils d'accord pour participer à un colloque sur le sujet ? Disons à titre provisoire :
Quel avenir pour le droit commercial ?
Vous savez que je pourrais proposer d'emblée quelques thèmes, mais il me semble que quelques autorités me lisent et il serait intéressant de m'envoyer vos suggestions d'interventions. On peut les imaginer en termes de recherches, de pédagogie ou de rapports avec les professionnels (adaptation des programmes et formations professionnelles). Mais on peut aussi voir la chose au fond et sous l'angle unité du code de commerce et unité des codifications pour glisser sur des interventions en prise directe avec quelques sujets pointus vérifiant l'unité du droit commercial.
Il faudra aussi quelques interventions qui donnent a priori de l'espoir : Le pragmatisme du droit commercial. Le réalisme de la jurisprudence commerciale ; la chambre commerciale, financière et conomique (le nom officiel qui a été remis au devant de la scène par le Président Daniel TRICOT) devrait nous aider dans une telle intervention.
Je dis déjà "nous" : je laisse les collègues répondre à ce curieux "call for papers". Et puis, parce que nous ne sommes pas assez éclairés : le droit commercial en droit comparé et le droit commercial en droit international. Les publicistes se mettant au droit des affaires (ils n'osent pas le droit commercial !), l'oeil de l'un de ceux qui tente une OPA sur le domaine pourrait être un apport.
Bon, le colloque serait, sauf exception, réunion avec document écrit (vous savez : paper !) et échangé à J - 7 pour qu'un dialogue réel puisse exister.
La question de fond n'est donc pas traitée ici, et c'est sur ce goût d'inachevé qu'il faut tout de même s'interroger sur les "actions".
Il est à la mode de décrier le cours magistral... tout le monde voudrait faire comme les américains. Cette faible confiance sur nos méthodes semble générale mais je crains qu'une fois que les cours interactifs auront épuisé leurs vertus... on voit revenir à la charge le cours magistral - son problème est qu'il faut qu'il le soit - magistral ! Je ne suis donc pas certain que la pédagogie puisse sauver une matière, alors surtout que les autres sont finalement sur le même registre. Il est en revanche assez vident que le versant pratique arrive assez vite au galop dans un enseignement de droit commercial un peu vivant : comment ne pas mettre en scène le commerçant qui vendant fort bien ses pizzas souhaite créer une société... !?
Entré pédagogie et fond, les enseignements transversaux sont peut-être plus à explorer, et leur aspect pratique affleure inévitablement
Il y a enfin la recherche, je me demande depuis des années s'il ne faut pas créer un grand centre national de recherche "Droit commercial, économique et financier"... Il faut une grande force pour pouvoir emprunter aux économistes, s'inspirer des gestionnaires, perser sur les médias tout en restant juriste, soit servir les entreprises qui ont besoin de juristes et les autres secteurs (barreau, magistrature), servir les étudiants.
Voilà quelques pistes que d'aucuns jugeront ridicules (et j'assume), d'autres dérisoires (et alors ?), le tout sur l'observation que le droit commercial a toujours été pénétré par d'autres matières et qu'il est chimérique d'en concevoir une version autre, alors que l'histoire ne l'identifie pas...
II - Le respect du droit commercial
Si le droit commercial se porte mal, l'histoire du droit commercial se porte bien, quelques ouvrages édités ces dernières années le montrent. Je n'appartiens à ceux qui pensent que l'on a besoin, dans l'absolu, de jauger son passé pour construire son avenir - même si cela fait bien de la dire. L'avenir se construit en faisant de bonnes analyses contemporaines à partir des faits observés ! Cela étant dit, l'histoire donne des repères, des idées, enseigne les retournements retournés... elle est ainsi un moyen d'analyse de la construction d'une pensée. Elle est un tout petit peu plus en l'espèce, comme le soupçon de l'âme d'une matière... Ainsi, l'histoire respecte le droit commercial, dont acte.
Le présent est un peu différent, ce qui pose la question de cette indifférence à l'égard de la méthode de la matière.
B. - Les marques paradoxales du non-respect de la matière
Le terme de respect est un peu étonnant mais il souligne peut-être un angle des choses. Ainsi, le respect d'une matière s'observe déjà dans les listes que dressent les collègues pour assumer certaines responsabilités (au sein des Facultés et universités et dans les instance nationales) ; il sera intéressant de voir la conception qu'ont du "commercial" les candidats au CNU et la place faite aux "affairistes" (terme qui ne désigne ici que les commercialistes !).
Comment respecter le droit commercial revient à s'interroger sur son identité, ou son unité... et en partie sa légitimité. Cette dernière ne semble pas atteinte parce qu'une mutation a été opérée. Le droit commercial a touché de proche en proche quelques questions, sinon domaines, qui sont davantage des questions de droit économique que de droit commercial. L'expression droit économique aura pu être connoté de droit public il y a (en ce sens Rodière et Houi, Droit commercial, 1971), ce n'est plus exactement le cas - bien que les publicistes l'exploitent également. L'expression la meilleure, semble-t-il, est celle de droit des affaires. Elle n'est pas sans interroger ou poser problème.
En devenant droit des affaires, le droit commercial a toutefois perdu de sa force tout en étendant son domaine. Les dernières leçons d'agrégation de spécialité sont à ce titre intéressantes. Pour la spécialité droit commercial le sujet était présenté "... en droit commercial et des affaires"... les candidats auront-il pris le risque de s'attarder sur ce point - de détail. Où, plus prudents, auront-ils souligné le point pour en faire une réserve méthodologique - laquelle aura naturellement plu au jury sans le déranger (car il est bien impossible de soutenir : votre sujet est impossible à traiter pour disposer d'un champ indéfini... ).
Malgré cette poutre dans l'oeil du droit commercial, on doit dire que cela permet à la matière de suivre l'évolution de la société, plus exactement l'évolution des opérations que les hommes d'affaires souhaitent accomplir. Pour se dire que le droit commercial n'est pas mort, il suffit de rappeler que, dans divers montages (...), nombre d'opérations seront commerciales, nombre de sociétés le seront et nombre de partenaires le seront. Les conflits déboucheront du reste devant le tribunal de commerce. L'identité de la matière est sauvée, sa raison d'être sans doute préservée, du moins sur le plan des principes et des
Le même souci de coller à tout le "business law" a justement amené la Chambre commerciale à rappeler qu'elle est "chambre commerciale, financière et économique". Les intitulés ne sont pas tout, mais il ne sont pas rien.
Sur le plan pédagogique, l'unité n'existe plus. En pratique, le droit de l'entreprise a curieusement été un concurrent farouche du "droit des commercial et des affaires". Or le droit de l'entreprise n'a probablement pas de colonne vertébrale : il est une auberge espagnole où l'on y boit de la fiscalité, y déguste du droit du travail et y goûte du droit international. C'est juste l'effet d'un micro-climat qui a empêché à la procédure ou au pénal d'y entrer (en vérité, il y a quelques décennies, d'aucuns auront voulu se détacher de certains conservatismes attachés à ces matières désormais remises à neuf).
Le droit de l'entreprise procède toutefois de l'esprit du droit commercial : il se préoccupe davantage de savoir comment faire que de savoir pourquoi fondamentalement cela fonctionne. La concurrence et l'affaiblissement de l'image du droit commercial n'en aura pas été moindre.
Les professeurs ne font pas seulement des diplômes ils écrivent également des "livres" : ce sont des auteurs. C'est là peut-être que la marque d'affaiblissement du droit commercial est la plus nette. Désormais, on écrit dans son domaine. Et la communauté universitaire s'en trouve marquée. Comme on me le dit parfois "à, vous, c'est plutôt le droit financier ?!". Oui cher collègue, comme je peux analyser les opérations d'un personne morale commerçante sur les marchés financiers... je ne peux plus faire un cours sur le commerçant... ? Sur une clause abusive ? Sur son bail commercial ? Sur son entrée dans un réseau de distribution ? La matière donne l'impression d'être découpée, et on y croit. Découpée, elle est finalement moins impressionnante et peut-être pour certains moins gênante.
Les commercialistes n'ont pas le choix il est vrai : tenir un traité de droit commercial est des plus difficile. Et sans doute que la matière meurt un peu de cela, d'ouvrages spécialisés bien plus nombreux que les ouvrages qui montrent l'unité. Pourtant, pour trouver un emploi, le recruteur ne s'y trompera pas : un spécialiste de droit des affaires s'identifie tout de suite par la malléabilité de son esprit à passer du droit des sociétés à la faillite, de cette dernière à une technique de financement... Il n'est donc pas impossible que "trop de droit commercial ait tué le droit commercial" : à trop aimer la matière l'aura-t-on parfaitement respectée ?
Il y à la peut-être un bouton à actionner sur tous les plans : diplômes, ouvrages, écrits, centres de recherche(s) et formations professionnelles, bien que sur ce plan le phénomène de l'hyper-spécialisation existe et souvent avec un beau succès (le spécialiste du bail commercial a souvent une belle clientèle...) ; mais nous ne sommes plus dans la problématique purement universitaire qui est celle de fabriquer des juristes d'affaires. Mais mon propos sera considéré comme utopique car la décomposition du droit commercial est peut-être trop avancée - jugeront certains, l'éclatement des commercialistes trop grand - jugeront d'autres, pour que la moindre action unifiée puisse être entreprise.
Peut-être que la matière n'a pas été assez respectée. cela aura dressé un boulevard qui tienne à faire du droit en loge, sans réellement se soucier de son aspect pratique et encore moins de son identité. Refaire le monde juridique avec un seul arrêt de la Cour de cassation est une grande commodité... cela évoque la méthode de la matière et se sliens avec l'économie et les ciences économiques et de gestion....
mais je crois que le président - agacé, en vérité ulcéré - va me couper et que je ne peux pas exposer mon "II - B"... il me coupe, tant pis, je l'annonce tout de même forçant son invite à cesser de jacasser de façon insolente, insolent jusqu'au bout, décidément
B. - La méthode du droit commercial et des affaires
à suivre ?
Hervé CAUSSE
Professeur de droit commercial, économique et financier