Une émission d'obligations convertibles en actions se remarque. Ou comment un obligataire peut devenir associé pour renforcer les fonds propre de la société - Crédit Suisse émet des "CoCos"



Une émission d'obligations convertibles en actions se remarque. Ou comment un obligataire peut devenir associé pour renforcer les fonds propre de la société - Crédit Suisse émet des "CoCos"
Le Crédit suisse a fait une opération remarquée qui montre que la finance, et spécialement le bilan des banques (...), stimule le droit des sociétés. Selon L'Agefi (18 fév. 2011) "la banque a réussi jeudi à placer sur le marché 2 milliards de dollars d’obligations obligatoirement convertibles en actions (CoCos, en anglais)si son ratio de solvabilité passe sous les 7%.". Voilà une technique de nature a renforcer les fonds propres des banques et qui réside dans une technique en vérité fort ancienne (H. Causse, Les titres négociables, Essai sur le contrat négociable, Litec, p. 96 à 102, n° 160 et s., où nous indiquons le caractère propre de ce type de titre, le constat habituel indiquant qu'il est entre l'obligation et l'action étant trop évasif - n°162). La conversion permet à l'obligataire de changer sa position contractuelle à l'égard de la société pour en devenir associé (H. Causse, ibidem, spéc. n° 120 et s. : "la souscription d'actions, mode de formation du contrat de société", ibidem).

En droit français, cette catégorie de titres a été implantée par une première loi du 5 février 1953 et une du 6 janvier 1969 permettant la conversion à tout moment (H. Causse, ibidem). Les diverses réformes sur les valeurs mobilières en ont fait des titres financiers, que ce soient les actions ou les obligations (C. com., art. L. 228-38 et s. ; anc. art. L. 225-161 abrogé ord. 2004 ; C. com. art. L 228-91, lequel fonde l'émission : Th. Bonneau et F. Drummond, n° 104) (1). Dès le début des années 1990, les techniques assimilables à la conversion furent de façon générale admises, rendant presque inutiles les catégories légales de titres (telles celles de la loi de 1969, un aspect ou un autre gênant les émissions utiles à la pratique). Ainsi, les OCEANES, qui eurent un certain succès, sont des obligations qui donnent lieu à des actions nouvelles (conversion) ou à des actions déjà émises (technique de l'échange) (Droit financier, n° 542) (2) : l'obligation est à la fois convertible et échangeable, hors les prévisions du législateur des années 1960. L'article L 228-91 fonde donc de façon générale toutes les émissions visant à une opération qui permet à son souscripteur, à terme et, ou, sous condition, d'accéder au capital social de l'émetteur.

La conversion, une des plus belles techniques juridiques qui soit, permet de transformer le créancier en associé, sachant que l'opération inverse est naturellement interdite : elle aboutirait à faire disparaître le capital social et donc les associés. Ainsi un associé doit le rester, c'est de l'essence du contrat de société, le pacte social ne désigne pas que le contrat de société ou les statuts, cet instrumentum, mais aussi l'accord de fond (le negotium) en vertu du quel les associés s'unissent pour le meilleur et pour le pire (la contribution aux pertes) - sauf la vertu de la négociabilité des titres , ce qui est autre chose. Comme d'usage, à peine émis et déjà baptisés : CoCos est le diminutif du nom anglais des titres contingent convertible bonds. En droit français ont doit parler génériquement de "titres financiers" (CMF, art. L. 211-1).

Une émission d'obligations convertibles en actions se remarque. Ou comment un obligataire peut devenir associé pour renforcer les fonds propre de la société - Crédit Suisse émet des "CoCos"
L'émission de Crédit Suisse a eu un grand succès puisque, selon La Tribune (21 fév., p. 16, par S. ROLLAND), 22 milliards d'ordre auraient été émis. La crise financière, à travers ce titre financier, donne ainsi un coup de fouet à l'ingénierie sociétaire et peut conforter les autorités monétaires dans leur exigences renforcées de fonds propres... Elle va par ailleurs affiner le droit des groupes financiers (cela est déjà intense du côté américain où, à peine quelques textes votés, et on s'emploie à les retourner, détourner, contourner). Ici, il s'agit surtout d'une émission qui accompagne l'exigence renforcée (ou renouvelée) de fonds propres pour les établissements de crédit. C'est le "marché" qui est invité à porter les risques des banques avec des titres plus risqués que les obligations et pas réellement moins que... les actions. En effet, fondamentalement, devenir actionnaire juste le jour où l'émetteur est en difficulté, cela peut apparaître comme empruntant davantage au masochisme qu'à la gestion de patrimoine ou d'actifs... Techniquement, l'action est libérée par compensation (dette de l'apport contre dette de remboursement de l'obligation) : il s'agit donc d'un apport en numéraire donnant lieu à la création d'une action ; cela s'appelle dans la pratique "injecter de l'argent frais" (alors que l'argent est déjà en caisse).

Les Cocos tiennent principalement leur originalité par la simple clause de conversion du contrat d'émission. La clause de conversion, introduite dans le contrat d'émission des obligations (pour mes étudiants), est donc calée sur le bilan de la banque. Lorsque la banque "enfonce" le seuil des 7% des normes de "Bâle III" (ratio Tier One), les obligataires seront invités à renforcer sinon secourir la banque. Ils seront purement et simplement informés qu'ils ne sont plus bligataires mais actionnaires. La nature de ce mécanisme est ici purement contractuel, sachant que divers textes on prévu un tel mécanisme, dans le passé, pour faciliter ce type d'émission. Mais fondamentalement, l'obligation étant la part au contrat d'emprunt, et la société étant un contrat, si tout le monde est d'accord la société et les émetteurs peuvent conclure une telle émission.

Pour le bon ordre des choses, une décision sociale s'impose quand la conversion doit intervenir (droit des sociétés !). Elle porte subtilement sur la décision de conversion : la décision constate que le plancher de fonds propre est crevé à la baisse et, en conséquence, que les obligataires sont appelés au capital. Les dirigeants ne peuvent pas se priver de le faire, ce serait une faute lourde : ne pas donner des fonds propres à la société ?! Voilà, en définitive, le droit de conversion renversé : il n'est plus un droit offert à l'obligataire, mais un droit de l'émetteur. On peut le voir aussi comme un mécanisme obligatoire, automatique, qui n'est un droit pour personne, mais une sorte de fatalité déjà inscrite dans le contrat d'émission. Ce serait un peu naïf car si la banque est en mauvaise posture, les obligataires peuvent n'avoir qu'une envie modérée d'en devenir actionnaires. D'un autre côté, il est vrai, l'obligataire en devenant actionnaire peut faire échapper l'émetteur à la faillite : devenir actionnaire peut le sauver lui aussi. En effet, si la banque est en faillite, l'obligataire sera bien resté obligataire mais egalement impayé ! Son statut de créancier (comparé à celui d'actionnaire) ne l'aura en rien protégé. De quoi avoir envie de parler de "capital obligataire" comme on le faisait naguère (H. Causse, Les titres négociables, n° 150). Il y a donc un certain intérêt commun de l'émetteur et du souscripteur. Il n'en faut pas plus émoustiller toutes les places financières avec un flux de quelques centaines de milliards, ainsi créer un marché de titres qui demain sera... la bulle des CoCos !!!

La décision sociale sera à certains égards purement administrative, mais elle est absolument nécessaire pour respecter le fonctionnement de la personne morale et rendre sa décision visible et opposable aux obligataires. Cela appelle quelques observations par-delà les règles précises applicables en France ou en Suisse. Le conseil d'administration (ou la direction générale) doit constater, au vu de l'information (objective) des comptables que la condition à la quelle la conversion est attachée est remplie. A partir de là, sauf si cette délibération est attaquée en justice et suspendue, la société va en quelque sorte "toute seule" transformer les obligations en actions, les obligataires en actionnaires. Voilà donc un mécanisme qui permet de faire du droit des sociétés à bon niveau en maniant tous les concepts fondamentaux de la belle société anonyme... de l'économie et de la finance moderne. Voilà donc une émission d'obligations qui constitue aussi une augmentation de capital conditionnelle, rivée sur un événement objectif (une donnée du bilan).

Cette émission met en cause des titres assez dangereux puisque, si vous souscrivez des obligations, vous pouvez vous retrouver avec des actions. Pour cette raison, la rémunération est appréciable. Les titres offrent un rendement de 7,875%, dans le bas de la fourchette proposée, et auraient gagné 2% sur le marché gris (marché officieux), selon Barclays Capital, rapporte encore L'Agefi. Ils sont notés BBB+, quatre crans sous la note de Credit Suisse. Ce rating des agences de notation confirme qu'il s'agit d'une émission de titres qui comportent "certains" risques. Ces titres sont faits pour ceux qui voudraient bien être actionnaires sans oser le devenir tout de suite mais qui, à la différence des obligataire, sont assez "solidaire" de l'émetteur en cas de "risques bilantiels" pour, dans ce cas, devenir associé ce qui signifie renoncer à leur droit d'assigner "en faillite" le banquier qui ne pourrait ne pas rembourser le capital ou payer les intérêts des obligations... qui a dit que seuls les sentiments personnels étaient subtils ?

Voilà une brève présentation qui unit, à la mode du droit des affaires, le droit des obligations, le droit des sociétés, le droit bancaire et le droit financier. Elle nous ramène à des travaux lointains qui, quand on s'y remet, permettent avec quelques auto-citations d'un peu se rajeunir ! Et nonobstant les textes et les textes on voit des lignes maîtresses. Naguère on disait "c'est reparti comme en 40" pour évoque la débâcle de la guerre perdue, on peut ici dire "c'est reparti comme dans les années 80", pour évoquer les dangers de l'ingénierie financière retrouvée.

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(1) TH. BONNEAU et F. DRUMMOND, Droit des marchés financiers, 2010, p. 140, n° 104.

(2) A. Couret et H. Le Nabasque, avec M.-L. Coquelet, T. Granier, D. Poracchia, A. Raynouard, A. Reygrobellet et D. Robine, Droit financier, Dalloz, 2008, n° 542, . 309.


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