Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE
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Le dirigeant social ne peut engager la responsabilité de la société pour des faits antérieurs à l’acquisition de la personnalité morale (Cass. com., 17 mai 2023, 22-16.031, Publié)



Un salarié détourne des informations confidentielles et, une fois licencié, crée une société dont il devient dirigeant social. Il est assigné en concurrence déloyale par l'employeur volé en qualité de dirigeant social avec "sa" société nouvellement créée. Condamné en appel, l'arrêt d'appel qui le condamne est cassé sur deux fondements, dont un relève de l'enfance de l'art du droit des personnes morales, l'autre du droit civil.

La Haute juridiction juge le 17 mais 2023 (arrêt précité, lien ci-dessous), en toute logique, que le dirigeant social d’une société ne peut pas par ses faits et gestes fautifs impliquer la responsabilité (civile) de "sa" société pour des faits antérieurs à l’acquisition de la personnalité morale. Laquelle dépend de la fameuse immatriculation au RCS. Cela a échappé aux juges d’appel sur fond de confusion, semble-t-il, à propos de la règle sur la reprise des actes faits en période de constitution. Seule une personne qui existe, immatriculée, peut être civilement responsable en commettant une faute par son organe social, point qui implique le régime juridique du dirigeant social ; or lui aussi, dirigeant, n'existe qu'avec l’immatriculation.

La formalité de l'immatriculation donne la vie juridique à la société et donc aux organes sociaux. Il ne peut donc y avoir de responsabilité sans personne morale et sans dirigeant social quand les fait sont antérieurs à l'immatriculation. Voilà ce qu'impose de dire la combinaison du droit de la responsabilité et du droit des sociétés. La réponse au moyen qui critique la responsabilité retenue en appel, via la personne morale, est donc fondée sur l’article 1382 devenu l'article 1240 du Code civil et sur l’article L. 210-6 du code de commerce (comparez le mécanisme de droit commun voisin d'acquisition de la personnalité morale : art. 1843, C civ.).

C’est la seconde branche du moyen de cassation.

La leçon est rude : il n’y a pas de dirigeant social tant que l’immatriculation n’est pas réalisée, le dirigeant social est un organe de la personne morale et, tant que cette personnalité n’est pas acquise, il n’existe à proprement parler aucun dirigeant social. Faire du droit c'est aussi savoir tenir la pratique à distance avec la version du dirigeant qui fonde une entreprise mais qui n'est pas dirigeant au plan juridique. Il existe, avant l'immatriculation, le seul statut (le mot est trop fort), nébuleux sinon fumeux, de fondateur(s) : un personnage impressionniste avec lequel il faut faire.

La première branche du moyen est plus banale encore.

La société n’existait pas au moment des détournements d’informations confidentielles et il n’est pas prouvé qu’elle les aient approprié. L'associé devenu dirigeant les avait, mais on ne sait pas si la société a eu ces informations confidentielles. En conséquence, la société ne peut pas être tenue responsable. La réponse à cette première branche du moyen est cette fois fondée sur le seul article 1382 devenu 1240 du Code civil. La preuve de l’appropriation des informations par la société, la preuve de la faute, n’est pas faite. La bataille d’appel se jouera sur ce terrain si le demandeur peut prouver que la société a en vérité utilisé les informations confidentielles détournées.

Leçon générale : au fond du fond, au tréfonds, il y a un brin d’existence de la personne morale avant son immatriculation puisque la loi en parle, mais passons sur cette trace juridique spirituelle que l'arrêt n'avait pas à mentionner.

Leçon spéciale : la vie des affaires est dure, et elle n’est pas une école de la vertu, contrairement à tous les séminaires sur l’éthique des affaires qui permettent de faire de l’éthique mais pas des affaires.

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Lien vers l'arrêt

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