Un "marronnier" des TD des Facs vient d'être abattu (Cass. com., 23 novembre 2023, n° 22-12.865 et n° 22-18.865 et n° 22-21.623). Il était l'occasion de faire du droit des sociétés sans faire du droit des sociétés... en étudiant un problème formel. Problème cependant à examiner puisqu'il se posait régulièrement et pouvait entraver les débuts de la personne morale. Pour que la société reprenne à son nom un acte juridique de la période de formation, il fallait que le fondateur (de la société) signe en se signalant de façon rigoureuse.
Le paragraphe 6 de l'arrêt (ci-dessous) rappelle la distinguée distinction en cause (ici la Cour "rappelle" avant de juger !).
Il fallait que le fondateur ait signé l'acte au nom de la société par un fondateur et non que l'acte ait été signé par la société, soit par son représentant (chose impossible puisque la société n'existait pas avant son immatriculation ; l'acte était donc nul pour avoir été conclu (...) par une personne qui n'existait pas, un acte nul ne pouvait être repris par la société).
Le paragraphe 6 de l'arrêt (ci-dessous) rappelle la distinguée distinction en cause (ici la Cour "rappelle" avant de juger !).
Il fallait que le fondateur ait signé l'acte au nom de la société par un fondateur et non que l'acte ait été signé par la société, soit par son représentant (chose impossible puisque la société n'existait pas avant son immatriculation ; l'acte était donc nul pour avoir été conclu (...) par une personne qui n'existait pas, un acte nul ne pouvait être repris par la société).
La Cour de cassation rend les armes, elle ne sera plus tatillonne sur les mentions portées dans l'acte juridique à reprendre. Du moins la Chambre commerciale... les chambres civiles devraient suivre pour ne pas créer une division jurisprudentielle. La décision est cependant commercialiste qui vise les articles L. 21066 et R. 210-6 du Code de commerce et non pas, "ensemble" (selon la formule des visas), la moindre disposition de droit commun des sociétés.
La position traditionnelle sous la plume de la 3e chambre civile dans un arrêt de 2023, appliquant le droit commun des sociétés, cliquez ici
La Haute Juridiction s'en remettra désormais à l'appréciation souveraine des juges du fond lorsque sera contestée une reprise, par une société immatriculée, d'un acte juridique conclu dans la période de formation. Dans l'espèce rapportée, l'acte à reprendre était le bail commercial - on ne peut que difficilement plus important ! Si l'acte litigieux a été conclu par la société ou son représentant alors qui ni l'un ni l'autre n'ont, respectivement, ces qualités, eh bien il ne faudra pas en déduire la nullité absolue de cette opération juridique mais aller plus loin ! Les juges du fond apprécieront l'ensemble des circonstances pour se décider ; le juge du fond sera la clé de la sécurité juridique, laquelle intéresse les tiers, tous les tiers, le contractant et la société elle-même.
Pour juger la possibilité de la reprise, à partir de tel acte litigieux, le juge du fond devra désormais prendre soin de relever deux ou trois réalités lui permettant de déduire que, par exemple, l'acte juridique a bien été conclu pour être repris par la société, et que les signataires l'ont assez révélé et compris ; en somme, ces points attesteront que l'opération a été conclue de façon transparente (mot magique). A l'inverse, si la société qui n'existait pas... a conclu le contrat sans circonstances prouvant cette transparente intention de faire reprendre, le juge du fond pourra, souverainement, décider que l'acte est nul.
Une infinie casuistique s'en suivra. La séance de TD pourra être maintenue pour, désormais, présenter non une ligne de pur droit mais un mélange factuel bigarré qui apprendra un peu tout et son contraire. La Cour de cassation ne fera qu'un contrôle limité voire très limité, notamment lorsqu'elle aura à dire que le juge du fond a dénaturé l'acte juridique à interpréter ou les circonstances (des emails non contestés prouveront l'intention de reprise et le juge du fond les aura écartés en jugeant, de façon radicalement erronée, qu'ils disent exactement l'inverse de ce qu'ils affirment ou sans s'expliquer, mais là on rejoindra le défaut de réponses à conclusions).
Avec cette politique jurisprudentielle, après les cas des prochains mois liés aux procédures en cours et jugées sous l'empire de l'ancienne jurisprudence, la Cour de cassation sera probablement saisie de nombreux pourvois pour lesquels elle se contentera de répondre que la cour d'appel (souvent elle) a constaté que..., a relevé que... et a vérifié que... en sorte qu'elle a légalement justifié sa position. Le juge du fond aura assez motivé !
La question se posera quand la mention traditionnelle n'a pas été respectée. Sont en cause les cas ou les mentions dans l'acte à reprendre ne sont pas totalement claires. Le changement porte seulement sur les actes que l'ont peut reprendre ("reprenables"), ce que ne sont pas les actes nuls, et il faut toujours et encore développer un processus de reprise. Un acte "reprenable" qui n'aura pas été repris par la société ne sera toujours pas... repris.
On se demande si la Chambre commerciale n'aurait pas pu annoncer la façon dont elle procédera, non pour établir un arrêt de règlement (C. civ., art 5), mais pour indiquer ce qui, dans sa jurisprudence ancienne, sera conservé en méthode d'observation des faits. On se demande...
Pour l'heure, panique dans les amphis. L'arrêt va-t-il tomber à l'examen ? Et si un vieil arrêt est proposé : comment le commenter ?
De nombreuses affaires pendantes vont devoir être reprises au sens où le dépôt de nouvelles conclusions seront utiles...
La position traditionnelle sous la plume de la 3e chambre civile dans un arrêt de 2023, appliquant le droit commun des sociétés, cliquez ici
La Haute Juridiction s'en remettra désormais à l'appréciation souveraine des juges du fond lorsque sera contestée une reprise, par une société immatriculée, d'un acte juridique conclu dans la période de formation. Dans l'espèce rapportée, l'acte à reprendre était le bail commercial - on ne peut que difficilement plus important ! Si l'acte litigieux a été conclu par la société ou son représentant alors qui ni l'un ni l'autre n'ont, respectivement, ces qualités, eh bien il ne faudra pas en déduire la nullité absolue de cette opération juridique mais aller plus loin ! Les juges du fond apprécieront l'ensemble des circonstances pour se décider ; le juge du fond sera la clé de la sécurité juridique, laquelle intéresse les tiers, tous les tiers, le contractant et la société elle-même.
Pour juger la possibilité de la reprise, à partir de tel acte litigieux, le juge du fond devra désormais prendre soin de relever deux ou trois réalités lui permettant de déduire que, par exemple, l'acte juridique a bien été conclu pour être repris par la société, et que les signataires l'ont assez révélé et compris ; en somme, ces points attesteront que l'opération a été conclue de façon transparente (mot magique). A l'inverse, si la société qui n'existait pas... a conclu le contrat sans circonstances prouvant cette transparente intention de faire reprendre, le juge du fond pourra, souverainement, décider que l'acte est nul.
Une infinie casuistique s'en suivra. La séance de TD pourra être maintenue pour, désormais, présenter non une ligne de pur droit mais un mélange factuel bigarré qui apprendra un peu tout et son contraire. La Cour de cassation ne fera qu'un contrôle limité voire très limité, notamment lorsqu'elle aura à dire que le juge du fond a dénaturé l'acte juridique à interpréter ou les circonstances (des emails non contestés prouveront l'intention de reprise et le juge du fond les aura écartés en jugeant, de façon radicalement erronée, qu'ils disent exactement l'inverse de ce qu'ils affirment ou sans s'expliquer, mais là on rejoindra le défaut de réponses à conclusions).
Avec cette politique jurisprudentielle, après les cas des prochains mois liés aux procédures en cours et jugées sous l'empire de l'ancienne jurisprudence, la Cour de cassation sera probablement saisie de nombreux pourvois pour lesquels elle se contentera de répondre que la cour d'appel (souvent elle) a constaté que..., a relevé que... et a vérifié que... en sorte qu'elle a légalement justifié sa position. Le juge du fond aura assez motivé !
La question se posera quand la mention traditionnelle n'a pas été respectée. Sont en cause les cas ou les mentions dans l'acte à reprendre ne sont pas totalement claires. Le changement porte seulement sur les actes que l'ont peut reprendre ("reprenables"), ce que ne sont pas les actes nuls, et il faut toujours et encore développer un processus de reprise. Un acte "reprenable" qui n'aura pas été repris par la société ne sera toujours pas... repris.
On se demande si la Chambre commerciale n'aurait pas pu annoncer la façon dont elle procédera, non pour établir un arrêt de règlement (C. civ., art 5), mais pour indiquer ce qui, dans sa jurisprudence ancienne, sera conservé en méthode d'observation des faits. On se demande...
Pour l'heure, panique dans les amphis. L'arrêt va-t-il tomber à l'examen ? Et si un vieil arrêt est proposé : comment le commenter ?
De nombreuses affaires pendantes vont devoir être reprises au sens où le dépôt de nouvelles conclusions seront utiles...
___________________________________
___________________________________
Le professeur Yves Chaput rappelle sur le réseau Linkedin qu'il est arrivé que la 3e chambre civile applique le droit commun, et donc cette fois l'article 1843 du Code civil, de façon souple ; il cite : Cass. 3e civ., 4 juillet 2001, n° 99-20.667 inédit.
Les étudiants qui me suivent connaissent parfaitement Yves Chaput puisque j'entretiens une flamme (que je laisse ici sans caractérisation), et cela bien que l'institution qui devrait s'en réjouir s'en moque de façon étonnante.
"Mes" cours et mes TD, autant en droit des sociétés qu'en droit des instruments, portent la marque de cet auteur formé à la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand.
____________________________________
____________________________________
Texte extrait du site de la Cour.
Cour de cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 756 FS-B+R
Pourvoi n° P 22-12.865
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 NOVEMBRE 2023
1°/ M. [F] [I], domicilié [Adresse 1],
2°/ la société Bypa, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
3°/ la société AVL développement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° P 22-12.865 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2022 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [G] [M], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société Fayett Valley, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à M. [N] [J],
4°/ à Mme [U] [Y], épouse [J],
tous deux domiciliés [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [I] et des sociétés Bypa et AVL développement, de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. et Mme [J], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 octobre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, Mmes Schmidt, Sabotier, conseillers, MM. Blanc, Le Masne de Chermont, Mmes Vigneras, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 6 janvier 2022) et les productions, M. et Mme [J] ont, par un acte authentique reçu le 21 janvier 2019, consenti un bail commercial à la société en formation Bypa. L'acte précise que la société est « en cours d'identification au SIREN » et que « la présente opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions des articles L. 210-1 à L. 210-9 du code de commerce et de celles du décret 67-236 du 23 mars 1967 ». Il précise en outre que « la société dénommée BYPA est représentée à l'acte par ses seuls futurs associés ».
2. Le 18 juillet 2019, la société Bypa a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés, avec pour associés la société AVL développement, représentée par M. [I], et la société Fayett-Valley, représentée par M. [M].
3. Les relations entre MM. [I] et [M] s'étant dégradées, ce dernier et la société Fayett-Valley ont, le 11 mars 2020, assigné la société Bypa, la société AVL développement et M. [I] en annulation du bail commercial. M. et Mme [J] sont intervenus volontairement à l'instance et se sont joints à cette demande.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [I], la société Bypa et la société AVL développement font grief à l'arrêt de déclarer nul le bail commercial, de dire que la société Bypa, M. [I] et M. [M] sont occupants sans droit ni titre, de les condamner à libérer les lieux et, à défaut d'exécution spontanée, d'ordonner leur expulsion, et de les condamner in solidum à payer aux époux [J] une indemnité d'occupation, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le bail commercial du 21 janvier 2019 stipule expressément que "les personnes dénommées aux présentes sont les seuls fondateurs de la société" et que "la présente opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions des articles L. 210-1 à L. 210-9 du code de commerce", rappelant même que "l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emportera de plein droit reprise par elle des présentées (présentes) qui seront alors réputées avoir été conclus (conclues) dès l'origine par la société elle-même", l'acte étant signé en dernière page par "M. [M] [G] représentant de la société dénommée Bypa" et par "M. [I] [F] représentant de la société dénommée Bypa" ; qu'en retenant néanmoins, pour prononcer la nullité du bail commercial que "les futurs associés n'ont pas agi 'pour le compte de la société en formation' en leur qualité d'associé, comme le veut l'usage, afin de pouvoir engager la société elle-même une fois immatriculée", la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du bail commercial du 21 janvier 2019 et, partant, a violé l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce :
5. Il résulte de ces textes que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.
6. La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d'être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » (Com., 22 mai 2001, n° 98-19.742 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630, Bull. n° 4 ; Com., 13 novembre 2013, n° 12-26.158) ou « pour le compte » (Com., 11 juin 2013, n° 11-27.356 ; Com., 10 mars 2021, n° 19-15.618) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s'il ressort des mentions de l'acte ou des circonstances que l'intention des parties était que l'acte soit accompli en son nom ou pour son compte (3e Civ., 5 octobre 2011, n° 09-72.855 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630, Bull. n° 4 ; Com., 19 janvier 2022, n° 20-13.719).
7. Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d'une mention expresse selon laquelle l'acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation protège, d'un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l'avenir, d'une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l'autre, la personne qui accomplit l'acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu'elle s'engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.
8. Cette solution a pour conséquence que l'acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n'auront à répondre de son exécution, à la différence d'un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi « au nom » ou « pour son compte ». Elle s'avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.
9. L'exigence selon laquelle l'acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu'il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.
10. Pour annuler le bail commercial, l'arrêt retient que le contrat a été signé par M. [M] et la société CDV en leur qualité de représentants de la société Bypa, et non pas au nom de cette société en formation, alors que celle-ci n'était pas encore constituée.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher s'il ne résultait pas, non seulement des mentions de l'acte, mais aussi de l'ensemble des circonstances que, nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention de M. [M] et de la société CDV, d'un côté, et de M. et Mme [J], de l'autre, était que l'acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en formation Bypa, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. M. [I], la société Bypa et la société AVL développement font le même grief à l'arrêt, alors « que les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits ; que la société, personne morale, peut reprendre les engagements qui avaient été souscrits en son nom et pour son compte, quand bien même l'identité des associés ou sa forme sociale aurait changé entre le moment où les actes ont été originellement accomplis et le moment où ils ont été repris ; qu'en considérant néanmoins, pour prononcer la nullité du bail commercial, que "quand bien même l'acte aurait été passé par les futurs associés fondateurs de la société Bypa pour le compte de celle-ci, soit par M. [M] et la société Caveau des vignerons – CDV, l'acte n'en aurait été pas moins irrégulier dès lors que ces derniers n'ont jamais eu cette qualité puisque la société Bypa a été constituée entre la société AVL développement et la société Fayett-Valley, au demeurant sous une autre forme sociale que celle prévue au bail", quand ces circonstances n'empêchaient pas la société Bypa, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, de reprendre les engagements souscrits en son nom et pour son compte, la cour d'appel a violé l'article 1843 du code civil et l'article L. 210-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 210-6 et R. 210-6 du code commerce :
13. Il résulte de ces textes que la validité de l'acte passé pour le compte d'une société en formation n'implique pas, sauf les cas de dol ou de fraude, que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les associés mentionnés, le cas échéant, dans l'acte litigieux.
14. Pour annuler le bail, l'arrêt retient encore, par motifs adoptés, que, quand bien même l'acte aurait été passé par les futurs associés fondateurs de la société Bypa pour le compte de celle-ci, soit par M. [M] et la société CDV, il n'en serait pas moins irrégulier dès lors que ces derniers n'ont jamais eu cette qualité, puisque la société Bypa a été constituée entre la société AVL développement et la société Fayett-Valley, au demeurant sous une autre forme sociale que celle prévue au bail.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
___________________________________
Le professeur Yves Chaput rappelle sur le réseau Linkedin qu'il est arrivé que la 3e chambre civile applique le droit commun, et donc cette fois l'article 1843 du Code civil, de façon souple ; il cite : Cass. 3e civ., 4 juillet 2001, n° 99-20.667 inédit.
Les étudiants qui me suivent connaissent parfaitement Yves Chaput puisque j'entretiens une flamme (que je laisse ici sans caractérisation), et cela bien que l'institution qui devrait s'en réjouir s'en moque de façon étonnante.
"Mes" cours et mes TD, autant en droit des sociétés qu'en droit des instruments, portent la marque de cet auteur formé à la Faculté de Droit de Clermont-Ferrand.
____________________________________
____________________________________
Texte extrait du site de la Cour.
Cour de cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 756 FS-B+R
Pourvoi n° P 22-12.865
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 29 NOVEMBRE 2023
1°/ M. [F] [I], domicilié [Adresse 1],
2°/ la société Bypa, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],
3°/ la société AVL développement, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° P 22-12.865 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2022 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [G] [M], domicilié [Adresse 4],
2°/ à la société Fayett Valley, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à M. [N] [J],
4°/ à Mme [U] [Y], épouse [J],
tous deux domiciliés [Adresse 5],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [I] et des sociétés Bypa et AVL développement, de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. et Mme [J], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 octobre 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, Fèvre, Ducloz, MM. Alt, Calloch, Mmes Schmidt, Sabotier, conseillers, MM. Blanc, Le Masne de Chermont, Mmes Vigneras, Lefeuvre, Tostain, M. Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 6 janvier 2022) et les productions, M. et Mme [J] ont, par un acte authentique reçu le 21 janvier 2019, consenti un bail commercial à la société en formation Bypa. L'acte précise que la société est « en cours d'identification au SIREN » et que « la présente opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions des articles L. 210-1 à L. 210-9 du code de commerce et de celles du décret 67-236 du 23 mars 1967 ». Il précise en outre que « la société dénommée BYPA est représentée à l'acte par ses seuls futurs associés ».
2. Le 18 juillet 2019, la société Bypa a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés, avec pour associés la société AVL développement, représentée par M. [I], et la société Fayett-Valley, représentée par M. [M].
3. Les relations entre MM. [I] et [M] s'étant dégradées, ce dernier et la société Fayett-Valley ont, le 11 mars 2020, assigné la société Bypa, la société AVL développement et M. [I] en annulation du bail commercial. M. et Mme [J] sont intervenus volontairement à l'instance et se sont joints à cette demande.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. M. [I], la société Bypa et la société AVL développement font grief à l'arrêt de déclarer nul le bail commercial, de dire que la société Bypa, M. [I] et M. [M] sont occupants sans droit ni titre, de les condamner à libérer les lieux et, à défaut d'exécution spontanée, d'ordonner leur expulsion, et de les condamner in solidum à payer aux époux [J] une indemnité d'occupation, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le bail commercial du 21 janvier 2019 stipule expressément que "les personnes dénommées aux présentes sont les seuls fondateurs de la société" et que "la présente opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions des articles L. 210-1 à L. 210-9 du code de commerce", rappelant même que "l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emportera de plein droit reprise par elle des présentées (présentes) qui seront alors réputées avoir été conclus (conclues) dès l'origine par la société elle-même", l'acte étant signé en dernière page par "M. [M] [G] représentant de la société dénommée Bypa" et par "M. [I] [F] représentant de la société dénommée Bypa" ; qu'en retenant néanmoins, pour prononcer la nullité du bail commercial que "les futurs associés n'ont pas agi 'pour le compte de la société en formation' en leur qualité d'associé, comme le veut l'usage, afin de pouvoir engager la société elle-même une fois immatriculée", la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du bail commercial du 21 janvier 2019 et, partant, a violé l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce :
5. Il résulte de ces textes que les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les personnes qui ont agi au nom ou pour le compte d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.
6. La Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que ne sont susceptibles d'être repris par la société après son immatriculation que les engagements expressément souscrits « au nom » (Com., 22 mai 2001, n° 98-19.742 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630, Bull. n° 4 ; Com., 13 novembre 2013, n° 12-26.158) ou « pour le compte » (Com., 11 juin 2013, n° 11-27.356 ; Com., 10 mars 2021, n° 19-15.618) de la société en formation, et que sont nuls les actes passés « par » la société, même s'il ressort des mentions de l'acte ou des circonstances que l'intention des parties était que l'acte soit accompli en son nom ou pour son compte (3e Civ., 5 octobre 2011, n° 09-72.855 ; Com., 21 février 2012, n° 10-27.630, Bull. n° 4 ; Com., 19 janvier 2022, n° 20-13.719).
7. Cette jurisprudence repose sur le caractère dérogatoire du système instauré par la loi, lequel permet de réputer conclus par une société des actes juridiques passés avant son immatriculation. Elle vise à assurer la sécurité juridique, dès lors que la présence d'une mention expresse selon laquelle l'acte est accompli « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation protège, d'un côté, le tiers cocontractant, en appelant son attention sur la possibilité, à l'avenir, d'une substitution de plein droit et rétroactive de débiteur, et, de l'autre, la personne qui accomplit l'acte « au nom » ou « pour le compte » de la société, en lui faisant prendre conscience qu'elle s'engage personnellement et restera tenue si la société ne reprend pas les engagements ainsi souscrits.
8. Cette solution a pour conséquence que l'acte non expressément souscrit « au nom » ou « pour le compte » d'une société en formation est nul et que ni la société ni la personne ayant entendu agir pour son compte n'auront à répondre de son exécution, à la différence d'un acte valable, mais non repris par la société, qui engage les personnes ayant agi « au nom » ou « pour son compte ». Elle s'avère ainsi produire des effets indésirables en étant parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et a paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur.
9. L'exigence selon laquelle l'acte doit, expressément et à peine de nullité, mentionner qu'il est passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne résultant pas explicitement des textes régissant le sort des actes passés au cours de la période de formation, il apparaît possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits.
10. Pour annuler le bail commercial, l'arrêt retient que le contrat a été signé par M. [M] et la société CDV en leur qualité de représentants de la société Bypa, et non pas au nom de cette société en formation, alors que celle-ci n'était pas encore constituée.
11. En se déterminant ainsi, sans rechercher s'il ne résultait pas, non seulement des mentions de l'acte, mais aussi de l'ensemble des circonstances que, nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention de M. [M] et de la société CDV, d'un côté, et de M. et Mme [J], de l'autre, était que l'acte fût passé au nom ou pour le compte de la société en formation Bypa, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le second moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. M. [I], la société Bypa et la société AVL développement font le même grief à l'arrêt, alors « que les personnes qui ont agi au nom d'une société en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits ; que la société, personne morale, peut reprendre les engagements qui avaient été souscrits en son nom et pour son compte, quand bien même l'identité des associés ou sa forme sociale aurait changé entre le moment où les actes ont été originellement accomplis et le moment où ils ont été repris ; qu'en considérant néanmoins, pour prononcer la nullité du bail commercial, que "quand bien même l'acte aurait été passé par les futurs associés fondateurs de la société Bypa pour le compte de celle-ci, soit par M. [M] et la société Caveau des vignerons – CDV, l'acte n'en aurait été pas moins irrégulier dès lors que ces derniers n'ont jamais eu cette qualité puisque la société Bypa a été constituée entre la société AVL développement et la société Fayett-Valley, au demeurant sous une autre forme sociale que celle prévue au bail", quand ces circonstances n'empêchaient pas la société Bypa, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, de reprendre les engagements souscrits en son nom et pour son compte, la cour d'appel a violé l'article 1843 du code civil et l'article L. 210-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 210-6 et R. 210-6 du code commerce :
13. Il résulte de ces textes que la validité de l'acte passé pour le compte d'une société en formation n'implique pas, sauf les cas de dol ou de fraude, que la société effectivement immatriculée revête la forme et comporte les associés mentionnés, le cas échéant, dans l'acte litigieux.
14. Pour annuler le bail, l'arrêt retient encore, par motifs adoptés, que, quand bien même l'acte aurait été passé par les futurs associés fondateurs de la société Bypa pour le compte de celle-ci, soit par M. [M] et la société CDV, il n'en serait pas moins irrégulier dès lors que ces derniers n'ont jamais eu cette qualité, puisque la société Bypa a été constituée entre la société AVL développement et la société Fayett-Valley, au demeurant sous une autre forme sociale que celle prévue au bail.
15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;