Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

Le gérant n'est pas nécessairement fautif d'un défaut de recapitalisation de la société (Cass. com., 8 septembre 2021, 19-23.187)



Le gérant doit permettre aux associés de s'exprimer sur le besoin de recapitaliser la société lorsque ses capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social. Les associés sont responsables de l'avenir social s'ils ne procèdent pas à une augmentation de capital social (les apports dits en compte(s) courant(s) d'associés sont de la dette ordinaire et non capitalistique).

La problématique est exposée ici sachant que même les sociétés qui n'y sont pas contraintes par la loi ont intérêt à disposer de capitaux propres suffisants (et de liquidités)

Le gérant n'est pas automatiquement responsable d'un manque de capitaux propres. La Cour de cassation le juge au visa de l'article L. 651-2 du code de commerce, sur les procédures collectives, mais la faute en cause s'attache à une réalité sociétaire, légale, du code de commerce.

En imposant à l'article L. 223-42 un minimum de capitaux propres à la SARL, le code du commerce donne l'occasion de commettre des fautes si la règle n'est pas respectée. Mais la société, entité abstraite, être moral sans substance tangible, est nécessairement incarnée par des personnes physiques, et cela suppose de viser ces personnes fautives.

Le gérant n'est pas nécessairement fautif d'un défaut de recapitalisation de la société (Cass. com., 8 septembre 2021, 19-23.187)
La logique de l'article L. 223-42 du code du commerce qui impose ce ratio comptable (CS/CP) invite donc à découper les responsabilités entre gérants et associés (lesquels sont de principe si peu responsables dans les formes sociales à responsabilité limitée...).

Ainsi, le seul fait de voir partir une société en procédure collective pour manque de capitaux propres ne peut pas être, en soi seul, caractéristique d'une faute du dirigeant social, d'une faute de gestion du dirigeant. La décision précitée (voir infra) est donc la position attendue du juge du droit, raison pour laquelle l'arrêt est un "inédit". En 2015, la chambre commerciale a jugé (Code de commerce Lexisnexis, 2021, dir. Pétel, sous L. 651-2, note 27 in fine) que le dirigeant n'est pas responsable d'un insuffisance d'apports non plus que d'une absence de recapitalisation, quoique ce dernier ait des obligations (ibidem).

Ainsi, le gérant n'est pas nécessairement fautif d'un défaut de recapitalisation de la société mais, mieux, il ne l'est généralement pas.

L'arrêt est rendu à la faveur d'un 3e moyen (subsidiaire). C'est une cassation pour défaut de base légale qui est prononcée, il appartient au juge de renvoi de juger selon l'ensemble des faits, à articuler avec la règle de droit bien comprise, alors que les faits ont été un peu négligés (on parle du calendrier des opérations, des dates : du "calendrier social"). Le gérant a-t-il pu d'une façon ou d'une autre participer à la faute ? Après cette cassation, il appartiendra au demandeur de le prouver et au juge de renvoi d'en tirer une motivation légale. En tout cas, l'absence de recapitalisation à la date pertinente ne pourra pas servir à condamner le gérant (ni à faire rentrer dans le fait de l'insuffisance l'absence de recapitalisation...).

Le moyen principal du pourvoi enseigne qu'il y a eu une divergence de vue sur les actifs, leur insuffisance et ceux réalisables ; cela a manifestement un peu trop vite inspiré le juge d'appel quant à l'existence d'une faute de gestion du gérant. Le contexte était complet, comme l'atteste le 4e moyen qui, lui, reprochait à l'arrêt d'avoir trouvé une rémunération excessive de la gérance...

Le "point 5" de l'arrêt (v. ci-dessous) explique que la Haute Juridiction ne statue que sur le point de faille manifeste de l'arrêt d'appel et cela la dispense de statuer sur les autres moyens, ce que l'on doit aussi approuver ; cette phrase parfaite, ce point 5, n'appelle aucun commentaire. La nouvelle rédaction des arrêts dispense plus clairement de commentaires qui n'en sont pas...


__________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
______________________

Audience publique du 8 septembre 2021
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 619 F-D
Pourvoi n° W 19-23.187

...

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 SEPTEMBRE 2021

Mme [W]
  • , domiciliée
[Adresse 2], a formé le pourvoi n° W 19-23.187 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2019 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [A] [B], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de liquidateur judiciaire de la société Cabinet [F], dont le siège est sis [Adresse 3],

2°/ à M. [I] [C], domicilié [Adresse 1], pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de Mme [W]
  • ,

    3°/ au procureur général près la cour d'appel de Versailles, domicilié cour d'appel de Versailles, pôle Ecofi, 5 rue Carnot, 78000 Versailles,

    défendeurs à la cassation.

    La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les cinq moyens de cassation annexés au présent arrêt.

    Le dossier a été communiqué au procureur général.

    Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat de Mme
  • , de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de M.
[B], ès qualités, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 juillet 2019), la société d'avocats Cabinet [F] et associés, dont Mme
  • était gérante, a été mise en redressement judiciaire le 19 février 2013 puis, après résolution du plan qu'elle avait obtenu, en liquidation judiciaire par un jugement du 16 février 2016, qui a désigné M.
[B] en qualité de liquidateur. Celui-ci a assigné Mme
  • en responsabilité pour insuffisance d'actif.

    Examen des moyens

    Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

    Enoncé du moyen
    2. Mme
  • fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au liquidateur la somme de 120 000 euros au titre de sa contribution à l'insuffisance d'actif, alors « qu'aucune faute de gestion ne peut être reprochée à un dirigeant pour avoir omis de faire constater la perte de la moitié du capital social de la société et de ne pas avoir favorisé la régularisation de la situation de la société avant l'expiration des délais prévus à l'article L. 223-42, alinéa 2, du code du commerce, soit à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue ; qu'en opposant à Mme
  • une faute de gestion tenant au fait "de ne pas avoir tiré les conséquences d'un défaut de reconstitution" des capitaux propres de la société, cependant qu'il résulte de ses propres constatations que c'est à la date du 10 août 2011 qu'il a été constaté que les capitaux propres du cabinet
[F] étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social d'où il résultait que le délai pour reconstituer ses capitaux propres expirait à la fin de l'exercice 2013, de sorte que ni au 30 novembre, date de la demande de sauvegarde, ni au 19 février 2013, date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société, ce délai n'était expiré, la cour d'appel a violé l'article L. 651-2 du code du commerce, ensemble le texte susvisé ;

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 651-2 du code de commerce :

3. Pour condamner Mme
  • à supporter l'insuffisance d'actif de la société Cabinet
[F] et associés, après avoir notamment relevé que l'assemblée générale de cette société, tenue le 10 août 2011, avait constaté que les capitaux propres étaient devenus inférieurs à la moitié du capital social et que celle du 10 août 2011 avait décidé de ne pas dissoudre la société, l'arrêt retient qu'en méconnaissance de l'article L. 223-42 du code de commerce, le capital social n'a pas été réduit ni les capitaux propres reconstitués. Après avoir énoncé que, si la reconstitution appartient aux actionnaires et non aux dirigeants, c'est en revanche à ces derniers de tirer les conséquences d'un défaut de reconstitution, il en déduit que Mme
  • a commis une faute de gestion pour s'en être abstenue.

    4. En se déterminant ainsi, sans dire en quoi consistait précisément la faute de gestion imputée à Mme
  • , quand, en application de l'article L. 223-42, alinéa 2, du code de commerce, elle disposait d'un délai n'expirant qu'à la clôture de l'exercice 2013, deux ans après la constatation des pertes, pour provoquer la régularisation de la situation des capitaux propres et que, dans l'intervalle, la société ayant été mise en redressement judiciaire, les dispositions du texte précité ne s'appliquaient pas, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

    Portée et conséquences de la cassation

    5. La condamnation à supporter l'insuffisance d'actif ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraîne, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef.

    PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

    CASSE ET ANNULE,

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