Coup de chaleur (ce 29 juin 2019), reprise de cette ancienne note...
L'auteur qui m'occupe a trop lu les revues habituelles et quelques propos "intellos".
Depuis 2010, il pouvait noter ici que le droit n'est pas une personne. La note n'est sans doute pas géniale, mais au moins dit-elle une chose essentielle...
On ne peut pas écrire, tel devrait être le cas "si le droit le juge nécessaire". Cela ne veut rien dire : le droit n'est pas une personne !
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La question se place au cœur des sources du droit et, ainsi, au cœur des questions de méthode qui intéressent tout étudiant en science juridique. La tendance à transformer le "droit" en personne agissante et active pose souvent problème.
Ainsi, il est abusif d'écrire "le droit interdit ..." ; il est nettement plus correct de considérer que "En droit, il est interdit de...".
La nuance importe.
Utiliser le terme "droit" ferme la voie à quasiment toute analyse.
Puisque le droit interdit, n'en parlons plus ! En vérité "ce" qui interdit c'est une disposition, un alinéa, un article, un attendu de principe d'un arrêt... Ce dispositif peut souvent être discuté, au plan constitutionnel, conventionnel, ou sur un plan de raisonnement plus basique.
Précisons l'idée, assez banale en vérité.
On constate l'abus aisément en prenant un exemple. Si, rigoureux et précis, on écrit "l'article 7, alinéa 3, de la loi du 1er avril 1900 interdit de...", la perspective d'analyses est préservée. On le démontre : on peut alors se demander si cette loi est conforme à la Constitution, au Traité sur l'Union, si elle est parfaitement respectée par un règlement... si la jurisprudence n'a pas aménagé l'interdiction... Une véritable analyse juridique est alors possible.
Transformer le Droit en une personne est ainsi un non-sens en soi et, ensuite, parce que l'auteur, vraisemblablement contrairement à son propos et à son ambition, s'empêche de faire toute remarque ou critique. Il y a ainsi une double erreur de méthode que l'on s'étonne de voir commettre régulièrement, parfois par des auteurs expérimentés. Cette erreur de méthode est encore plus souvent commise par les auteurs des autres sciences sociales qui éprouvent le besoin de synthétiser la situation juridique pour faire des analyses historiques, économiques, sociologiques... Il n'est pas certain que cette simplification soit toujours pardonnable, c'est-à-dire neutre sur le plan de la pertinence de l'analyse.
On remarque que cette personnalisation fautive et naïve se retrouve à propos des sciences exactes : on les assimile d'abord et abusivement à "la science" et on s'en donne ensuite à cœur joie : "la science a prouvé que..." Qui est la science ? Un laboratoire américain ? Une loi physique précisée par Newton ? Un professeur qui a publié les résultats de son expérience ? Une position de l'Organisation mondiale de la santé ? On voit bien que la science, pas davantage que le droit, n'est une personne qui dit, prouve ou fait quelque chose.
La "personnalisation" du droit est d'autant plus condamnable qu'elle s'opère dans une analyse juridique. On l'a dit, ce style et la méthode qui en résulte interdisent toute analyse juste et précise, toute nuance. Ainsi, lire dans une consultation, un jugement, un arrêt, un commentaire... le droit prévoit que...impose que l'auteur ouvre les parenthèses pour citer la source de la règle (loi, article, traité, date d'une décision...) à défaut de quoi le lecteur, même le lecteur amateur, pourra douter de l'exactitude du propos (autre étant la question des mauvaises références en articles ou jurisprudence lesquelles, étant posées, peuvent être dénoncées).
Par hypothèse donc, la discussion juridique même, le raisonnement juridique et la science juridique ne permettent guère l'emploi du terme "Droit" comme s'il s'agissait d'une personne. Une bonne part de l'art du droit est dans la production de sources précises. Indiquer comme source d'une règle, d'une disposition, le Droit n'a aucun sens. Ce n'est qu'une erreur conceptuelle basique aidée par une commodité de langage ou de style qu'il convient d'éviter.
Le Droit n'est pas source du Droit !
Quand on cite une règle, soit une source, on se doit de citer précisément la loi, l'arrêt, le décret... Très marginalement, pour évoquer des généralités, la chose ne sera pas à critiquer, soit que soit évoquée une période, soit un pays, bref une tendance générale... Mais que les étudiants comprennent bien : le droit n'est pas question générale, il est question spéciale. C'est seulement après des analyses minutieuses que le juriste s'autorise à penser au général. Cependant, taquiner la virgule ou le dernier arrêt, la source précise ne suffit pas à produire une analyse qui vaille, faut-il encore ne pas commettre d'erreur basique dans son raisonnement. A défaut, pour 5 pages, 50 ou 500 pages la sanction sera la même : au cours d'une discussion avec un jury l'auteur sera confondu en quelques minutes et acculé à reconnaître ses erreurs. Mais il y a pire : ne pas reconnaître ni comprendre ses erreurs !
L'auteur qui m'occupe a trop lu les revues habituelles et quelques propos "intellos".
Depuis 2010, il pouvait noter ici que le droit n'est pas une personne. La note n'est sans doute pas géniale, mais au moins dit-elle une chose essentielle...
On ne peut pas écrire, tel devrait être le cas "si le droit le juge nécessaire". Cela ne veut rien dire : le droit n'est pas une personne !
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La question se place au cœur des sources du droit et, ainsi, au cœur des questions de méthode qui intéressent tout étudiant en science juridique. La tendance à transformer le "droit" en personne agissante et active pose souvent problème.
Ainsi, il est abusif d'écrire "le droit interdit ..." ; il est nettement plus correct de considérer que "En droit, il est interdit de...".
La nuance importe.
Utiliser le terme "droit" ferme la voie à quasiment toute analyse.
Puisque le droit interdit, n'en parlons plus ! En vérité "ce" qui interdit c'est une disposition, un alinéa, un article, un attendu de principe d'un arrêt... Ce dispositif peut souvent être discuté, au plan constitutionnel, conventionnel, ou sur un plan de raisonnement plus basique.
Précisons l'idée, assez banale en vérité.
On constate l'abus aisément en prenant un exemple. Si, rigoureux et précis, on écrit "l'article 7, alinéa 3, de la loi du 1er avril 1900 interdit de...", la perspective d'analyses est préservée. On le démontre : on peut alors se demander si cette loi est conforme à la Constitution, au Traité sur l'Union, si elle est parfaitement respectée par un règlement... si la jurisprudence n'a pas aménagé l'interdiction... Une véritable analyse juridique est alors possible.
Transformer le Droit en une personne est ainsi un non-sens en soi et, ensuite, parce que l'auteur, vraisemblablement contrairement à son propos et à son ambition, s'empêche de faire toute remarque ou critique. Il y a ainsi une double erreur de méthode que l'on s'étonne de voir commettre régulièrement, parfois par des auteurs expérimentés. Cette erreur de méthode est encore plus souvent commise par les auteurs des autres sciences sociales qui éprouvent le besoin de synthétiser la situation juridique pour faire des analyses historiques, économiques, sociologiques... Il n'est pas certain que cette simplification soit toujours pardonnable, c'est-à-dire neutre sur le plan de la pertinence de l'analyse.
On remarque que cette personnalisation fautive et naïve se retrouve à propos des sciences exactes : on les assimile d'abord et abusivement à "la science" et on s'en donne ensuite à cœur joie : "la science a prouvé que..." Qui est la science ? Un laboratoire américain ? Une loi physique précisée par Newton ? Un professeur qui a publié les résultats de son expérience ? Une position de l'Organisation mondiale de la santé ? On voit bien que la science, pas davantage que le droit, n'est une personne qui dit, prouve ou fait quelque chose.
La "personnalisation" du droit est d'autant plus condamnable qu'elle s'opère dans une analyse juridique. On l'a dit, ce style et la méthode qui en résulte interdisent toute analyse juste et précise, toute nuance. Ainsi, lire dans une consultation, un jugement, un arrêt, un commentaire... le droit prévoit que...impose que l'auteur ouvre les parenthèses pour citer la source de la règle (loi, article, traité, date d'une décision...) à défaut de quoi le lecteur, même le lecteur amateur, pourra douter de l'exactitude du propos (autre étant la question des mauvaises références en articles ou jurisprudence lesquelles, étant posées, peuvent être dénoncées).
Par hypothèse donc, la discussion juridique même, le raisonnement juridique et la science juridique ne permettent guère l'emploi du terme "Droit" comme s'il s'agissait d'une personne. Une bonne part de l'art du droit est dans la production de sources précises. Indiquer comme source d'une règle, d'une disposition, le Droit n'a aucun sens. Ce n'est qu'une erreur conceptuelle basique aidée par une commodité de langage ou de style qu'il convient d'éviter.
Le Droit n'est pas source du Droit !
Quand on cite une règle, soit une source, on se doit de citer précisément la loi, l'arrêt, le décret... Très marginalement, pour évoquer des généralités, la chose ne sera pas à critiquer, soit que soit évoquée une période, soit un pays, bref une tendance générale... Mais que les étudiants comprennent bien : le droit n'est pas question générale, il est question spéciale. C'est seulement après des analyses minutieuses que le juriste s'autorise à penser au général. Cependant, taquiner la virgule ou le dernier arrêt, la source précise ne suffit pas à produire une analyse qui vaille, faut-il encore ne pas commettre d'erreur basique dans son raisonnement. A défaut, pour 5 pages, 50 ou 500 pages la sanction sera la même : au cours d'une discussion avec un jury l'auteur sera confondu en quelques minutes et acculé à reconnaître ses erreurs. Mais il y a pire : ne pas reconnaître ni comprendre ses erreurs !