Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

Le "Droit de la distribution et de la consommation" par Jean BEAUCHARD (in memoriam)



Le "Droit de la distribution et de la consommation" par Jean BEAUCHARD (in memoriam)
Jean BEAUCHARD, qui vient de disparaître brutalement, était une figure de la Faculté de Droit de Poitiers, il était une signature appréciée et, en vérité, assez géniale. On peut lui rendre hommage, affectueusement et tristement le regretter - non sans penser aux siens et à ses proches, en reprenant son ouvrage "Droit de la distribution et de la consommation", publié aux éditions PUF, en octobre 1996, dans la fameuse collection Thémis.

On ne dira qu'un mot - qui nous permet de saluer sa mémoire - de ce manuel qui a tantôt des aspects d'essai. On invitera, pour cela, à en relire l'introduction qui invite à parler de distribution puis, ensuite, de consommation. D'emblée, avec ces deux mots, dans cet ordre, l'ouvrage signe la vigueur et la simplicité de l'analyse : on distribue avant de consommer. L'économie et les faits -assez facilement observables - indiquent une chronologie que ne suit pas toujours la pédagogie. La page de couverture n'est pas tournée que, déjà, une leçon est donnée. Ce livre de droit de la consommation n'est à nul autre pareil.

Cette introduction conduit sur une magistrale première partie relative à "la liberté de la distribution" complétée par une non moins magistrale seconde partie sur "la protection du consommateur". Voilà l'entier "droit de la consommation", appellation administrative d'un code ou de cours, rangé dans le chapeau de la protection qui coiffe la tête de la liberté. Ce n'est pas par la puissance que Jean BEAUCHARD annonce son plan, mais par l'évidence. Le "4" de l'introduction, intitulé "plan", laisse ensuite place à la délicieuse rubrique de "l'état des questions" (une marque de Thémis) où le lecteur peut chipper à l'auteur une lecture que d'autres n'ont pas visée ou, mieux, une idée mise en bibliographie annotée. Jean BEAUCHARD sut avec talent jouer de cette commode à plusieurs tiroirs qu'est cette "rubrique".

L'introduction est simple. 1/ Définition. 2 / Evolution. 3/ Nature et sources. L'annonce du plan et "l'état des questions" donnent au total - outre la pure forme - une valse à cinq temps, loin de la dichotomie qui a de la vertu quand elle convient... Dès la première page, le lecteur passe de Jean-Baptiste SAY à Jean-Marc MOUSSERON dans une sorte de choc de siècles, de matières et de genres qui surprend. La flexible pensée de Jean BEAUCHARD lui permet, sans complexe a-t-on envie de dire, d'unir l'un des pères de l'économie à l'un des pères du droit de la distribution (J.-M. MOUSSERON et alii, Lib. tech., 1975).

Le texte est alors peu juridique. Il est plutôt de l'ordre pur du véridique (et non du seul "véridique juridique"... me fais-je comprendre ?). Il le devient un peu plus lorsque l'auteur expose les sources du droit de la consommation mais, déjà, les jalons utiles ont été posés ; la compréhension a pu se cristalliser sur des idées et concepts dressés à leur état pur. Le droit vient ensuite. Il explose dans la rubrique "l'état des questions" où une pluie d'arrêts fait suite à la présentation générale supérieure. On finit alors sur de la "théorie juridique" avec la question du consommateur et des contrats de consommateurs. Voilà la libérté de la distribution lapidairement annoncée (partie) avec son cadre (titre),

On tombe alors sur "la théorie du marché", chapitre dont la force de l'intitulé capte nettement l'attention d'autant plus que le professeur propose, après cinq courtes lignes, "la notion de marché" - il fallait oser ! On est alors transporté par la définition du marché, le marché convention, le marché lieu public, le marché ensemble d'échanges, le marché potentiel... Ce qu'il y avait à voir, et qui est bien peu écrit bien que tout un chacun l'observe, et qui donc devait être appréhendé, l'est. De ces observations de bon sens, loin de spéculations abstraites, Jean BEAUCHARD donne au lecteur des lumières. Eclairés, l'auteur et le lecteur peuvent continuer pour une véritable analyse du marché, encore qu'il appelle - lucide et finalement modeste - à l'entreprendre dans une approche pluri-disciplinaire (p. 81).

On se dit alors que l'on est encore dans l'introduction mais non, elle a été franchie, dépassée, avec aisance et avidité. On ne cherche plus à faire du droit mais à comprendre le monde dans lequel on vit, celui du marché que nous haïssons si souvent alors que nous en sommes les acteurs plus souvent encore. L'introduction devait être courte car Jean BEAUCHARD avait entendu rapidemment camper le décors pour s'attaquer à un thème majeur, celui du marché, pas si souvent mis en tête de gondole, bien que ce soit de plus en plus souvent le cas.

Où l'on retrouve l'artiste de la plume et de la pensée juridique.

Où l'on se convainc de la perte d'un auteur cher.

Car le marché n'est pas vendu en pure mode. Il est bien enfermé dans l'étude à faire, celle de l'organisation juridique de la distribution des biens et des services. Le marché n'est pas étudié pour le principe ou en tant qu'objet à célébrer intellectuellement. Il est étudié par nécessité car il est le pilier de la distribution. Il n'y a donc là, au-delà des préférences de l'auteur, aucun sacrifice à une mode quelconque ou à aucun suivisme de quelque nature que ce soit. Redisons-le, le marché, sujet difficile, est ici détaillé parce que la distribution constitue concrètement un marché dont l'étude, concrète, passe par un préalable point d'ordre théorique et pluri-disciplinaire.

Il faut alors dire que ce précieux ouvrage permet aux étudiants un bain de culture dont la fraîcheur n'est finalement qu'à peine altérée par le passage de quelques années au dessus de ces pages. Si nous n'avons plus, avec cet ouvrage, et son introduction, un manuel de droit positif, nous avons encore un bel ouvrage de droit, écrit par l'une des belles figures de la Faculté de Droit de Poitiers. Au moment où le consommateur semble consacré en droit bancaire, y compris par les autorités de contrôle, le dialogue avec Jean BEAUCHARD manquera à beaucoup. Ce pour quoi il convient de le perpétuer.


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