Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

La théorie classique du patrimoine selon C. Aubry et C. Rau, cette fois, c'est bien fini. A propos du projet qui institue pour tout entrepreneur la possibilité de créer un véritable patrimoine d'affectation .



La théorie classique du patrimoine selon C. Aubry et C. Rau, cette fois, c'est bien fini. A propos du projet qui institue pour tout entrepreneur la possibilité de créer un véritable patrimoine d'affectation .
Les professeurs strasbourgeois Charles AUBRY (1803-1883) et Charles RAU (1803-1877) avaient largement contribué à donner au droit positif une définition du patrimoine (J.-L. HALPERIN, Histoire du droit privé français depuis 1804, PUF, 1996, p. 66, n° 34). Ce travail doctrinal consistait à traduire le droit positif en formulant une théorie...
Sur Le Sens du Terme Théorie

Cette définition, produite par la doctrine, valait donc théorie légale : au-delà mais par la loi, les auteurs avaient expliqué, de façon convaincante et synthétique, les ressorts intellectuels et logiques de la loi. C'était donner du sens, de l'intelligence, au texte fondant vaguement cette notion (l'article 2092 du Code civil, devenu l'article 2284 après l'ordonnance du 23 mars 2006).

On sait que cette disposition légale contient le mécanisme de base fondant la théorie du patrimoine (tout individu est tenu de payer ses dettes avec ses biens présents ou à venir) (1). Dès avant le début du XXe siècle et encore après lui, tous les juristes auront appris le patrimoine selon ces explications. Tous les manuels parlent effectivement du patrimoine en le présentant sous cette idée de théorie. Elle reflète le mécanisme juridique en cause, notamment grâce aux deux professeurs strabourgeois qui soulignèrent le caractère personnel du patrimoine, son attachement indéfectible à la personne (physique ou morale).

Leur théorie, souvent attaquée, était encore selon nous valable. Elle permet également de mieux comprendre le fonctionnement des personnes morales, et notamment les opérations sociétaires complexes (fusions, apports partiel d'actif...). Tout ne va pas changer, mais la définition classique va nettement être modifiée avec la possibilité de créer un véritable "patrimoine professionnel" d'ici quelques semaines, du moins si le projet de loi qui vient d'être discuté mercredi en conseil des ministres devient loi.

Si cette théorie était attaquée c'est parce qu'elle constituait et symbolisait le droit applicable dont certains souhaitaient l'évolution. On voulait remplacer cette théorie dite classique par une autre mécanique juridique. Ainsi, on soutint parfois que le patrimoine n'avait guère de raison d'être unique (principe d'unicité du patrimoine, et non "d'unité", et bien que le patrimoine soit il vrai doté d'une certaine unité....) : pourquoi ne pas admettre qu'une personne puisse créer pour un motif légitime, légal et transparent un second, troisième... patrimoine ? Pourquoi ne pas admettre une théorie du patrimoine d'affectation ?

Le gouvernement promet de réaliser la chose après de multiples évolutions légales qui y préparaient.

Voilà le nouveau principe tel que le projet le propose et qui viserait à établir dans le Code de commerce un article L. 526-6 :

"Tout entrepreneur individuel peut affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale.

Ce patrimoine est composé de l'ensemble des biens, droits ou sûretés, dont l’entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle. Il peut comprendre également les biens, droits ou sûretés dont l’entrepreneur est titulaire, utilisés pour les besoins de son activité professionnelle et qu’il décide d’y affecter.

La constitution du patrimoine affecté résulte de l’enregistrement d’une déclaration..."

Le patrimoine ne sera donc plus unique ni indivisible, son rattachement à la personne en sera relâché. Quasiment toute personne pourra créer un second patrimoine, soit un ensemble de biens constituant une universalité (strictement juridique) dont l'actif (les biens et droits) répond du passif (les dettes) - notons la simplicité de ce que l'on appelle souvent le "droit de gage général du créancier", sans que cela évoque les sûretés (les garanties) (Voyez C. Civil Dalloz, note 1 sur Civ. 1re 6 juill. 1988, éd. 2010).

On finira sur une remarque que nous nous piquerons de qualifier de "philosophie juridique". Une nouvelle fois le droit commercial donne au droit civil bien plus que les ferments de son évolution : il lui donne les raisons et la force de se transformer et, encore, les modalités de la nouvelle institution.

La théorie dite classique du patrimoine du patrimoine va mourir, que vive la nouvelle théorie du patrimoine... dont les textes nouveaux auront besoin (à vos plumes...). Comme toute théorie, elle permettra de comprendre le droit, de conseiller et faire opérer juridiquement les citoyens et de rendre la justice.



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(1) Code civil, art. 2284 :
" Quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir."





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