Du déclin au regain du Droit (note sans rigueur sur la métamorphose du Droit).
Bien des signes paraissent indiquer la fin du Droit. On se résoudrait à la concevoir à vouloir, à bon marché, et tout de suite, instiller dans les médias une thèse à succès.
Imaginez !
Les rédactions seraient friandes de ce slogan (la fin du droit) propre à attiser les craintes des peureux, les mécontentements des mécontents du système politique, les avidités des opportunistes toujours à l'affut des failles de l'organisation sociale...
Pourtant, sauf des cas exceptionnels et temporaires, toute société dispose de son système de normes, de lois et de Justice. Mais poser la question ne coûte guère dans une note sans rigueur, d'autant qu'elle souligne moins un état qu'une tendance. On pense à la fin du droit parce que le système juridique qui édifiait le Droit change.
La déclin du Droit
Les signes et faits sont innombrables.
Nous en ferions des pages et des pages si nous n'étions raisonnable et méthodique. Ce déclin se marque par la défiance portée à l'idée même de système juridique ; ensuite, le déclin s'observe à la dérive de la norme que nous connaissions au moins depuis le Code civil : il était clair, stable, compréhensible, disponible... la norme actuelle n'a plus aucune de ces qualités, c'est la pagaille ! Enfin, la fonction de juger, elle-même, se délite, le juge se dissémine dans diverses institutions.
1. La méconnaissance du Droit, en tant que système, au détriment d'une revendication plus simpliste et subjective, celle de justice, n'est pas le moindre signe d'un certain "déclin du Droit". Comment voir un système juridique conforté et amélioré quand on l'ignore en réclamant seulement, telle la victime qui hurle sa douleur, "justice" ? Réclamation qui se fixe en des exigences matérielles (juge accessible, disponible, rapide, voire médiatique...) ; réclamation qui se prolonge par des besoins psychologiques (un bon juge, une bonne décision). Toutes contredisent la rationalité, objective et abstraite, indispensable à tout système de Droit.
La voie populaire, portée par les médias, qui toujours la rendent plus populaire, ne satisfait à aucune des conditions de maintien d'un bon système juridique ; sans lui, aucun système de Justice ne peut malheureusement tenir : à réclamer la première avant le second, on est certain de ne pas avoir la première, une bonne justice.
2. Le Code civil était clair, stable, général, compréhensible, disponible... il était tout cela parce que les règles étaient ainsi. La règle, aujourd'hui, n'est plus ainsi. D'ailleurs il vaut mieux, pour démontrer que l'on est dans l'air du temps, parler de "normes". Donc... la norme actuelle n'a plus aucune de ces qualités.
Comprendre les règles exige au moins trois choses ; être un citoyen juriste, être un citoyen expert de la matière (transports, finance, médecine...) et être un citoyen disponible pour suivre la permanente évolution de la matière.
L'Etat ne suit lui-même pas les évolutions qu'il suggère : il crée des autorités de régulation qui, pour la Nation, réuniront toutes ces qualités portées à une sorte de maxima (autorité de régulation). Les ministères ne suivent pas, vive les commissions, Autorités et... faisons américains, les Agences !
Voilà par où meurt le Droit : il n'est plus un système qui prédit, c'est la pagaille !
3. Tout auteur qui passe la barrière de la maturité encourt le reproche de la subjectivité. De quoi s'agit-il ? Au-delà de l'âge médian de la population, on fait "appartient" à la catégorie des gens expérimentés, c'est un fait sociologique. La subjectivité est un facteur d'alimentation de la thèse.
Toute personne qui vieillit a tendance à regarder avec tendresse et regret "les époques" de sa jeunesse et, à l'inverse", avec dureté l'époque du moment. Il s'agit du fameux "tout fout le camp !", exclamation qui résume la situation. Le signataire subit cette réalité : on ne peut qu'avoir quelque sympathie pour un système juridique que l'on présentait comme étant clair, stable, compréhensible....
Il convient cependant de dépasser cette subjectivité pour observer - objectivement - le cours des choses qui, lui, n'est pas subjectif. Il relève du réel, de l'objectif ; il permet de relever que, outre des signes de déclin, d'autres, peuvent être vus comme ceux d'un regain du droit.
Le regain du Droit.
Ce qui "déstructure" le Droit d'hier le recompose aussi, certes de façon inégale.
1. Des innovations contribuent autant au déclin du Droit qu'à son regain. Ces innovations sont légions, et des termes nouveaux les désignent. Ils sont étudiés. Ils démontrent cette jubilation de l'élaboration d'un nouveau Droit par tous les acteurs sociaux. Certains, anciens, sont plongés dans un bain de jouvence.
Sans entrer dans le détail, jetons ces mots ou expressions à la face du lecteur qui s'en débrouillera :
chartes, code de déontologie, code de bonne conduite, modes alternatifs de règlement des litiges, suspect, médiation, régulation, conciliation, avis, consultation, swaps, partenariat, certification, transposition, effet direct, "compte-temps", étiquette (internet), marchés...
Comprenne qui pourra !
2. Ne doutons pas que tant et tant comprendront que ce flot de "modernités" ne se réduit pas à des concepts nouveaux s'insérant facilement dans l'ordre juridique. Oh que non ! Tous, un peu, beaucoup, violemment, remettent en cause l'ordre juridique que, grosso modo, les XIXe et XXe siècles auront porté.
Anciens et retrouvés, nouveaux et inventés, qu'importe ; ces mots portent le germe de la fin du système juridique, relativement simple, que le juriste français (voire continental), connait ou connaissait. Tout devient compliqué, riche de mécanismes subtils voire un tantinet flous - flou voulu, dans des cadres internationaux puissamment rénovés.
Les sources du droit sont rénovées, et celles nouvellement identifiées se révèlent moins formelles mais toute aussi puissantes sur l'esprit des administrés ou justiciables (certains, surtout dans la vie pratique, attachent déjà plus de crainte à l'endroit de la norme de certification qu'à l'article de loi...).
3. Soyons pratique puisque, à défaut, d'aucuns n'entendraient que peu au propos.
Voyez la récente charte que les coureurs du Tour de France devaient signer pour s'engager à ne pas se doper (...) ; rappelons que cette obligation à ne pas consommer des produits se confond avec de multiples interdictions pénales (code de la santé publique ou code pénal) posant des interdits de fabrication, d'importation, de détention, de consommation... de divers produits ; l'interdiction résulte encore de règles légales et règlementaires sportives ! Eh bien on ajoute au tout une charte. Et que se passe-t-il ? Un ministre vient dire que la charte est peut-être discutable mais qu'il convient de la signer ??? Mais la charte est l'objet des médias quand, en revanche, ces derniers n'ont jamais su trouver, lire et comprendre un décret et le distinguer de la loi...
La force juridique - l'obligatoriété de la norme - se déplace : d'une règle valable à une règle fragile sur le plan formel mais que tout le monde croit obligatoire (et l'on pense sans dénouer le noeud de cette ressemblance à la coutume qui défait en principe les règles anciennes pour de nouvelle au fil du temps...). En l'espèce, le point d'événement semble susceptible de créer le droit... qui ne se souvient de ce ministre de l'économie qui prétendit régler le conflit - l'événement - entre producteurs et grands distributeurs en les réunissant à Bercy pour signer un document nébuleux... Mais tout le monde, un temps au moins, a joué le jeu.
D'originalité en inepties juridiques, de créations utiles en inventions futiles, les sources du droit sont attaquées pour donner lieu à de nouvelles sources qui livrent de nouvelles normes. Au nom du pragmatisme, on fait tout et n'importe quoi ; par optimisme, on pensera que que "tout" n'est cependant pas systématiquement "n'importe quoi", en sorte qu'il restera quelques techniques intelligentes à se mettre, dans quelques décennies, sous la dent. Elles seront peut-être les grandes Lois ou Principes d'un nouveau système juridique... clair, stable, cohérent...