La bailleur n'a pas une obligation de gardiennage, la chose s'entend au général. Elle se complique quand on la croise avec les missions des entreprises ayant une activité de sécurité privée. La loi de juillet 1983 n'a jamais été étudiée sérieusement. En s'y attaquant (H. CAUSSE, Les entreprises de sécurité, oubliées de la sécurité (libres propos), Petites affiches, 4 février 2003 ; La loi sécurité quotidienne (aspects entreprises de sécurité privé), JCP éd. G., janvier 2002, Aperçu rapide, act. 112 - 2001 ; Le principe de sûreté et le droit à la sécurité, Regards sur la loi sécurité quotidienne, Gaz. Pal. 19 et 20 décembre 2001 ; La commission nationale de déontologie de la sécurité, APS n°113, mai-juin 2000, p. 47 à 49 ; Actualité juridique : vers un droit de la sécurité, APS n°115, sept.-oct. 2000, p. 84 à 87 ), nous nous somme trouvés devant des situations juridiques anormalement complexes.
Par exemple, nous avions plaidé, dans ces travaux, pour l'insertion d'une obligation de collaboration entre les deux "secteurs" (voy. not., H. CAUSSE, Le principe de sécurité..., préc.), sans que jamais le moindre esprit ne reprennent la chose. Un récent colloque a, du reste, porté sur le sujet et nous attendons la publications des actes tout en doutant assez fortement de nettes avancées. Mais il en est ainsi dans toutes les matières, les choses les plus simples prennent 10 sinon 20 ans pour être vues et... le cas échéant, adoptées.
Pour constater l'étendue du flou dans lequel les entreprises de sécurité travaillent, il faut aussi souligner que les missions des services de l'ordre sont elles-mêmes peu claires. Ainsi, quand on se tourne vers la forme de la collaboration entre entreprises et services publics, c'est le néant. Certains syndicalistes répètent benoitement qu'ils ont une déontologie et qu'ils co-produisent de la sécurité (annexe de la loi de 1995)... alors que leurs missions légales sont floues. On met de la peinture neuve sur un édifice législatif en ruine, ce que naturellement la loi SARKOZY de 2004 n'a en rien amélioré, se contentant de donner de grands coups sur la tête des dirigeants d'entreprises qui ont paru en être heureux...
Ces difficultés sont encore aujourd'hui attestées puisque certaines entreprises considèrent que la surveillance incendie relève de la loi de 1983 alors que, le ministère, qui patauge dans le marécage qu'il entretient depuis près de 30 ans. C'est, durant ces semaines de la fin 2009, une question apparemment très débattue. On constate où on en est : on ne sait même pas si la sécurité incendie relève de la loi de 1983 ! La sécurité incendie... un détail ?!
La base de cette inertie est simple et double :
- les entreprises de sécurité, ne leur en déplaise, ne voient guère les problèmes juridiques "fondamentaux" qui sont au coeur de leurs métiers...
- et le ministère caresse dans le sens du poil les syndicats de policiers en leur disant qu'ils sont naturellement la seule organisation qui soit en charge de la sécurité.
Dans le même temps, dans une hypocrisie parfaite, on pousse la sécurité privée qui s'engouffre dans des marchés sans aucune garantie juridique sérieuse, ni pour elle, ni pour les clients.
Si on se tourne du côté des rapports privés, les choses sont également compliquées. Les missions légales (définies abstraitement) étant floues, on ne peut en tirer des missions conventionnelles précises ou, au moins et sous toute certitude, légales ou licites. Comprenez, tout titulaire d'un contrat de surveillance (humaine ou électronique) peut à mon sens critiquer la mission telle que l'entreprise la lui a proposée...
L'arrêt rapporté illustre seulement en partie ces difficultés. Il est davantage la manifestation d'un pur problème de droit des contrats que de droit de la sécurité privée. On peut toujours, entre personnes privées, stipuler qu'un gardiennage sera instauré et maintenu. Faudrait-il encore qu'il ne se fasse pas à partir de la voie publique, comme c'est souvent le cas en pratique...
Dans l'espèce ci-dessous, un bailleur avait supprimé l'agent de sécurité sans en informer le locataire. Passons sur le fait que c'était peut-être fort visible. Ce dernier, victime d'un cambriolage, tenta d'engager la responsabilité du bailleur pour cette suppression. Il y parvint car la Cour d'appel jugea qu'il y avait dans cette suppression une "faute (qui) présente une gravité suffisante". Cependant, il y avait dans le bail une clause aussi usuelle qu'efficace. Elle prévoyait que "le locataire ferait son affaire personnelle de la garde des lieux loués, le bailleur déclinant toute responsabilité en cas de vol nonobstant l'existence d'un service de surveillance dans l'immeuble". On ne peut pas dire que la clause ait inspiré le juge d'appel de Paris ! D'un point de vue sécurité privée, on notera que rien dans la loi n'impose (jusqu'à présent...) aux entreprises de sécurité d'avertir les locataires ou autres usagers s'ils cessent leur mission.
Cette clause s'analyse en une clause exclusive de responsabilité. Ces clauses sont licites sauf si son bénéficiaire a commis une faute lourde. Or les termes de l'arrêt de la Cour de Paris ne démontrent pas une faute d'une gravité exceptionnelle. La cassation s'imposait donc sur le fondement d'un défaut de base légale parce que la Cour d'appel se dispense de parfaitement caractériser la faute. L'arrêt d'appel n'a donc pas utilement qualifié l'existence d'une faute lourde qui seule permettrait d'engager la responsabilité du bailleur. Cela rappelle, dans le tréfonds du problème, que la sécurité privée n'est finalement jamais (...) qu'une option, jamais (...) une obligation. Cette vérité pousse à considérer la suppression d'un gardien comme anodine et comme ne pouvant donc pas constituer une faute lourde. Cette suppression anodine - pense la Cour - ne peut donc pas valoir faute lourde.
La voie paraît donc fermée pour engager la responsabilité du bailleur, le preneur pensera-t-il à engager celle de l'entreprise de sécurité pour initier une jurisprudence ?
Arrêt copié sur la base publique Légifrance
Cour de cassation chambre civile 3
Audience publique du 21 janvier 2009
N° de pourvoi: 08-10439
Publié au bulletin
Cassation
M. Weber , président
Mme Maunand, conseiller apporteur
M. Cuinat, avocat général
Me Foussard, SCP Baraduc et Duhamel, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Donne acte à la société Groupama immobilier du désistement de son pourvoi ;
Sur le moyen unique :
Vu l’article 1150 du code civil ;
Attendu selon l’arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 2007) que la société Elysées Boétie aux droits de laquelle vient la société Compagnie foncière parisienne a loué, selon un bail du 26 janvier 1977, une boutique à la société Le Ming aux droits de laquelle vient la société Cad’oro ; que ce contrat stipulait que “ le preneur fera son affaire personnelle de la garde des lieux loués, la société bailleresse déclinant toute responsabilité en cas de vol nonobstant l’existence d’un service de surveillance dans l’immeuble” ; qu’à la suite d’un cambriolage survenu le 4 décembre 2001, la société Cad’oro a assigné sa bailleresse en réparation des préjudices subis ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt retient que le fait pour la compagnie foncière parisienne d’avoir supprimé l’agent en poste fixe sans en informer ses locataires pour leur permettre de prendre les précautions que cette modification dans les conditions de gardiennage impliquaient, constitue une faute qui a fait perdre à la société Cad’oro une chance d’éviter ce cambriolage ou d’en réduire les conséquences et que cette faute présente une gravité suffisante pour empêcher la compagnie foncière parisienne de se prévaloir de la clause exclusive de responsabilité ;
Qu’en statuant ainsi par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une faute lourde permettant d’écarter la clause exclusive de responsabilité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 octobre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ....
Publication : Bulletin 2009, III, n° 13
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 25 octobre 2007
Titrages et résumés : BAIL (règles générales) - Bailleur - Obligations - Garantie - Clause d’exonération - Déchéance - Faute lourde du bailleur - Caractérisation nécessaire
La cour d’appel qui se borne à relever l’existence d’une faute d’une gravité suffisante pour écarter la clause exclusive de responsabilité du bailleur prive sa décision de base légale dès lors que seule une faute lourde le permet.
RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Clause d’irresponsabilité - Déchéance - Dol ou faute lourde - Caractérisation nécessaire - Textes appliqués : • article 1150 du code civil
Par exemple, nous avions plaidé, dans ces travaux, pour l'insertion d'une obligation de collaboration entre les deux "secteurs" (voy. not., H. CAUSSE, Le principe de sécurité..., préc.), sans que jamais le moindre esprit ne reprennent la chose. Un récent colloque a, du reste, porté sur le sujet et nous attendons la publications des actes tout en doutant assez fortement de nettes avancées. Mais il en est ainsi dans toutes les matières, les choses les plus simples prennent 10 sinon 20 ans pour être vues et... le cas échéant, adoptées.
Pour constater l'étendue du flou dans lequel les entreprises de sécurité travaillent, il faut aussi souligner que les missions des services de l'ordre sont elles-mêmes peu claires. Ainsi, quand on se tourne vers la forme de la collaboration entre entreprises et services publics, c'est le néant. Certains syndicalistes répètent benoitement qu'ils ont une déontologie et qu'ils co-produisent de la sécurité (annexe de la loi de 1995)... alors que leurs missions légales sont floues. On met de la peinture neuve sur un édifice législatif en ruine, ce que naturellement la loi SARKOZY de 2004 n'a en rien amélioré, se contentant de donner de grands coups sur la tête des dirigeants d'entreprises qui ont paru en être heureux...
Ces difficultés sont encore aujourd'hui attestées puisque certaines entreprises considèrent que la surveillance incendie relève de la loi de 1983 alors que, le ministère, qui patauge dans le marécage qu'il entretient depuis près de 30 ans. C'est, durant ces semaines de la fin 2009, une question apparemment très débattue. On constate où on en est : on ne sait même pas si la sécurité incendie relève de la loi de 1983 ! La sécurité incendie... un détail ?!
La base de cette inertie est simple et double :
- les entreprises de sécurité, ne leur en déplaise, ne voient guère les problèmes juridiques "fondamentaux" qui sont au coeur de leurs métiers...
- et le ministère caresse dans le sens du poil les syndicats de policiers en leur disant qu'ils sont naturellement la seule organisation qui soit en charge de la sécurité.
Dans le même temps, dans une hypocrisie parfaite, on pousse la sécurité privée qui s'engouffre dans des marchés sans aucune garantie juridique sérieuse, ni pour elle, ni pour les clients.
Si on se tourne du côté des rapports privés, les choses sont également compliquées. Les missions légales (définies abstraitement) étant floues, on ne peut en tirer des missions conventionnelles précises ou, au moins et sous toute certitude, légales ou licites. Comprenez, tout titulaire d'un contrat de surveillance (humaine ou électronique) peut à mon sens critiquer la mission telle que l'entreprise la lui a proposée...
L'arrêt rapporté illustre seulement en partie ces difficultés. Il est davantage la manifestation d'un pur problème de droit des contrats que de droit de la sécurité privée. On peut toujours, entre personnes privées, stipuler qu'un gardiennage sera instauré et maintenu. Faudrait-il encore qu'il ne se fasse pas à partir de la voie publique, comme c'est souvent le cas en pratique...
Dans l'espèce ci-dessous, un bailleur avait supprimé l'agent de sécurité sans en informer le locataire. Passons sur le fait que c'était peut-être fort visible. Ce dernier, victime d'un cambriolage, tenta d'engager la responsabilité du bailleur pour cette suppression. Il y parvint car la Cour d'appel jugea qu'il y avait dans cette suppression une "faute (qui) présente une gravité suffisante". Cependant, il y avait dans le bail une clause aussi usuelle qu'efficace. Elle prévoyait que "le locataire ferait son affaire personnelle de la garde des lieux loués, le bailleur déclinant toute responsabilité en cas de vol nonobstant l'existence d'un service de surveillance dans l'immeuble". On ne peut pas dire que la clause ait inspiré le juge d'appel de Paris ! D'un point de vue sécurité privée, on notera que rien dans la loi n'impose (jusqu'à présent...) aux entreprises de sécurité d'avertir les locataires ou autres usagers s'ils cessent leur mission.
Cette clause s'analyse en une clause exclusive de responsabilité. Ces clauses sont licites sauf si son bénéficiaire a commis une faute lourde. Or les termes de l'arrêt de la Cour de Paris ne démontrent pas une faute d'une gravité exceptionnelle. La cassation s'imposait donc sur le fondement d'un défaut de base légale parce que la Cour d'appel se dispense de parfaitement caractériser la faute. L'arrêt d'appel n'a donc pas utilement qualifié l'existence d'une faute lourde qui seule permettrait d'engager la responsabilité du bailleur. Cela rappelle, dans le tréfonds du problème, que la sécurité privée n'est finalement jamais (...) qu'une option, jamais (...) une obligation. Cette vérité pousse à considérer la suppression d'un gardien comme anodine et comme ne pouvant donc pas constituer une faute lourde. Cette suppression anodine - pense la Cour - ne peut donc pas valoir faute lourde.
La voie paraît donc fermée pour engager la responsabilité du bailleur, le preneur pensera-t-il à engager celle de l'entreprise de sécurité pour initier une jurisprudence ?
Arrêt copié sur la base publique Légifrance
Cour de cassation chambre civile 3
Audience publique du 21 janvier 2009
N° de pourvoi: 08-10439
Publié au bulletin
Cassation
M. Weber , président
Mme Maunand, conseiller apporteur
M. Cuinat, avocat général
Me Foussard, SCP Baraduc et Duhamel, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Donne acte à la société Groupama immobilier du désistement de son pourvoi ;
Sur le moyen unique :
Vu l’article 1150 du code civil ;
Attendu selon l’arrêt attaqué (Paris, 25 octobre 2007) que la société Elysées Boétie aux droits de laquelle vient la société Compagnie foncière parisienne a loué, selon un bail du 26 janvier 1977, une boutique à la société Le Ming aux droits de laquelle vient la société Cad’oro ; que ce contrat stipulait que “ le preneur fera son affaire personnelle de la garde des lieux loués, la société bailleresse déclinant toute responsabilité en cas de vol nonobstant l’existence d’un service de surveillance dans l’immeuble” ; qu’à la suite d’un cambriolage survenu le 4 décembre 2001, la société Cad’oro a assigné sa bailleresse en réparation des préjudices subis ;
Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt retient que le fait pour la compagnie foncière parisienne d’avoir supprimé l’agent en poste fixe sans en informer ses locataires pour leur permettre de prendre les précautions que cette modification dans les conditions de gardiennage impliquaient, constitue une faute qui a fait perdre à la société Cad’oro une chance d’éviter ce cambriolage ou d’en réduire les conséquences et que cette faute présente une gravité suffisante pour empêcher la compagnie foncière parisienne de se prévaloir de la clause exclusive de responsabilité ;
Qu’en statuant ainsi par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une faute lourde permettant d’écarter la clause exclusive de responsabilité, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 octobre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ....
Publication : Bulletin 2009, III, n° 13
Décision attaquée : Cour d’appel de Paris du 25 octobre 2007
Titrages et résumés : BAIL (règles générales) - Bailleur - Obligations - Garantie - Clause d’exonération - Déchéance - Faute lourde du bailleur - Caractérisation nécessaire
La cour d’appel qui se borne à relever l’existence d’une faute d’une gravité suffisante pour écarter la clause exclusive de responsabilité du bailleur prive sa décision de base légale dès lors que seule une faute lourde le permet.
RESPONSABILITE CONTRACTUELLE - Clause d’irresponsabilité - Déchéance - Dol ou faute lourde - Caractérisation nécessaire - Textes appliqués : • article 1150 du code civil