Directeur de l'Institut de criminologie de Paris, professeur des universités, docteur en droit, agrégé des Facultés, Philippe CONTE fait les comptes de la "LOPPSI 2" (non sans s'arrêter sur cette appellation de la loi qui est déceptive et répétitive). On pourrait même dire qu'il lui règle son compte ! "Loppsi 2 ou la sécurité à la petite la semaine", voilà un titre bref qui en dit long (JCP G, Semaine Juridique, 23 mai 2011, 1047). L'auteur, qui a voué sa vie à la recherche et à la formation des étudiants, glacera des centaines de personnes qui croyaient bien suivre les questions de sécurité. Questions qu'il connaît - en illustration son ouvrage de Droit pénal spécial. Il jette dans le débat de politique criminelle la pierre pure du Droit, plus précisément celle de la légistique (p. 1048, n° 2). Voilà une pierre dans le jardin de criminologues que d'aucuns considèrent comme d'opérette. En effet, sans Droit solide et cohérent, sans légistique, aucune politique criminelle ne peut avoir d'assises et être efficace. Son étude est donc une étude de criminologie.
Dans ce texte, la plume valse comme un scalpel dans les chairs molles (voire dans les "chaires molles"). Ces chairs faites de thèses de "sécuritologie" (note 47, mot repris de R. GASSIN). Notre collègue taille ainsi en pièces le dernier monument qu'est la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Des mots de l'intitulé de la loi à son organisation, à ses dispositions (alinéas qui s'empilent), jusqu'à l'annexe de la loi, la critique souligne le creux de l'édifice, sa naïveté, ses ressorts fumeux et il n'est pas besoin d'imaginer que, comme tant d'autres textes sur la sécurité (cités, et souvent précisément) sa performance sera aussi médiocre qu'est grande l'espérance affichée.
Pour ce faire, l'auteur dénonce la méthode désordonnée du législateur, et les expressions journalistiques (c'est notre mot et interprétation) vides de tout réel sens censées fonder la politique criminelle. "Performance", "menaces", "culture de la preuve"... C'est un festival qui n'est pas dans le ton des analyses traditionnelles. Mais puisque certains canevas ne convainquent pas les pouvoirs publics, les professeurs de droit doivent sans doute savoir broder dans d'autres, faits de points moins serrés pour que les médias, la population et les "responsables" comprennent. En un mot, vulgariser. En raillant les divers auteurs de la loi, notre collègue invite un large public à comprendre que l'art du droit est une sorte de chirurgie du cerveau qui ne peut se faire que dans certaines salles et selon certaines méthodes. Cette étude doit donc intéresser tous les juristes - réalités symbolisé par les naïves lois de simplification du droit.
On a le sentiment qu'il n'est plus temps de faire quartier, sans doute une question de survie pour les pénalistes et, de façon plus générale, les juristes. On atteint un sommet, nous semble-t-il, quand l'auteur renvoie Alain BAUER et Xavier RAUFER à la lecture du Code pénal... (note 55). Mais on ose penser à sa lecture et à sa compréhénsion.
Naturellement, nous ne pouvons de façon légitime (être pénaliste-criminologue c'est un métier) appuyer le professeur CONTE, sauf sur deux points :
- on trouve dans la pensée administrativo-économique les mêmes idées creuses et naïves qui font que, notamment depuis la crise financière, des thèmes tournent dans la presse et les ouvrages journalistiques sans déboucher sur rien : personne ne sait faire les lois utiles et mettre le doigt sur l'alinéa qui pose problème ; le problème se multiplie en échos assourdissants au plan européen et au plan international, de quoi ne jamais réformer sérieusement la finance, pas plus au ministère de l'économie qu'au FMI on ne sait par quel bout prendre les choses. En bref, le déclin de l'art de la loi est général, et sans doute pouvons-nous au pays du Code civil le considérer comme universel et à un sommet.
- pour avoir un peu travaillé sur la loi de 1995 et les activités de sécurité privées, comme sur la réforme dite "Sarkozy", on peut cependant dire que jamais la moindre analyse de la situation n'a été faite ; il est vrai qu'elle supposait un investissement juridique lourd et varié (droit commercial, droit du travail, droit pénal, droit administratif, droit constitutionnel) pour arriver à conceptualiser la place de entreprises de sécurité privées dans le complexe des forces de l'ordre et, enfin, déterminer les droits et obligations des uns vis-à-vis des autres : j'ai pu constater que malgré des propos généraux aucune strate de pouvoir n'était capable d'avancer des idées susceptibles d'organiser les choses dans telle direction (question de la sécurité privée que Ph. CONTE évoque, not. n°10) ; pour anecdote, mais il y a des arrêts de la Cour de cassation sur le sujet, je me souviens ainsi de ce décret léger qui interdisait d'appeler les forces de l'ordre : à force de le faire écarter des débats par la voie de l'exception d'illégalité devant le juge de police, le gouvernement l'a en urgence modifié pour supprimer le problème sans régler la question de fond (pas plus que le juge de cassation du reste).
Autrement dit, par un angle aigu de la sécurité (celle privée), ou par l'angle ouvert de la loi en matière économique (sujets de première ou seconde priorité des gouvernements ?), on conclut au grand crédit de cette étude. Tous les signes de la décadence de l'art juridique sont là, et ce sont des signes de décadence de l'art de gouverner. C'est donc justement - mais avec la réserve du chercheur impartial (note 37) - que Philippe CONTE évoque une présentation du rapporteur du projet qui est "indigne d'un Etat de droit républicain". On aurait donc dépassé les frontières de l'acceptable dans le débat et le travail républicains ?
En stratégie, toutefois, ce laminage implicite des élites des ministères, des administrateurs des chambres constitutionnelles, des experts-consultants et des "politiques" interroge. Il est toujours coûteux de prendre de front ceux qui détiennent le pouvoir, tandis que les thèses obséquieuses ont toujours grand avenir et soutien. Tel ne serait être le cas si les élites de la Nation en étaient réellement mais la promotion des hommes s'accroche à celle des idées. Or les idées qui triomphent tiennent aujourd'hui, comme tout le reste, au "relationnel" (c'est bien comme cela que l'on dit ?) et au promotionnel (c'est bien comme cela que l'on fait ?). Ce "réel", du relationnel et du promotionnel, par nature de second plan dans l'analyse scientifique, occupe désormais le premier plan. L'image a remplacé le message. Certains juristes peuvent donc penser qu'il ne leur reste que la voie de la guerre ouverte contre des pouvoirs publics qui, au nom de politiques diverses, tuent la loi et donc... la République ?
Il n'est pas impossible que ce soient donc les "pénalistes" (comme l'on dit), qui ont la responsabilité des "sciences criminelles", qui suscitent le grand mouvement de réhabilitation du Droit, des juristes et des facultés de droit. Il s'agit de faire face aux "experts" toutes catégories qui ont parfois pénétré l'Université ; experts qui ont simplement oublié de nous prouver dans l'obtention brillante d'un master, puis d'un doctorat, leur capacité d'analyse et d'innovation. Ils ont encore oublié de confirmer ces talents dans une habilitation à diriger les recherches (HDR)...
A ce seuil, l'affaire est compliquée et mélange la question de la politique législative et celle de la politique de la recherche. Et, de fait, la question de la criminologie n'est-elle pas sur le bureau du ministre de la recherche qui va pouvoir démontrer, nul n'en doute, son attachement à certaines valeurs (notamment le doctorat). Et comme ce sujet place la question également sur le bureau du ministre de la justice, garde des Sceaux, cela pourrait inspirer ce dernier pour imposer que toute loi ne tourne pas au charabia.
Voilà donc une affaire Juridique, Universitaire et inévitablement Politique. A suivre !
Dans ce texte, la plume valse comme un scalpel dans les chairs molles (voire dans les "chaires molles"). Ces chairs faites de thèses de "sécuritologie" (note 47, mot repris de R. GASSIN). Notre collègue taille ainsi en pièces le dernier monument qu'est la loi du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Des mots de l'intitulé de la loi à son organisation, à ses dispositions (alinéas qui s'empilent), jusqu'à l'annexe de la loi, la critique souligne le creux de l'édifice, sa naïveté, ses ressorts fumeux et il n'est pas besoin d'imaginer que, comme tant d'autres textes sur la sécurité (cités, et souvent précisément) sa performance sera aussi médiocre qu'est grande l'espérance affichée.
Pour ce faire, l'auteur dénonce la méthode désordonnée du législateur, et les expressions journalistiques (c'est notre mot et interprétation) vides de tout réel sens censées fonder la politique criminelle. "Performance", "menaces", "culture de la preuve"... C'est un festival qui n'est pas dans le ton des analyses traditionnelles. Mais puisque certains canevas ne convainquent pas les pouvoirs publics, les professeurs de droit doivent sans doute savoir broder dans d'autres, faits de points moins serrés pour que les médias, la population et les "responsables" comprennent. En un mot, vulgariser. En raillant les divers auteurs de la loi, notre collègue invite un large public à comprendre que l'art du droit est une sorte de chirurgie du cerveau qui ne peut se faire que dans certaines salles et selon certaines méthodes. Cette étude doit donc intéresser tous les juristes - réalités symbolisé par les naïves lois de simplification du droit.
On a le sentiment qu'il n'est plus temps de faire quartier, sans doute une question de survie pour les pénalistes et, de façon plus générale, les juristes. On atteint un sommet, nous semble-t-il, quand l'auteur renvoie Alain BAUER et Xavier RAUFER à la lecture du Code pénal... (note 55). Mais on ose penser à sa lecture et à sa compréhénsion.
Naturellement, nous ne pouvons de façon légitime (être pénaliste-criminologue c'est un métier) appuyer le professeur CONTE, sauf sur deux points :
- on trouve dans la pensée administrativo-économique les mêmes idées creuses et naïves qui font que, notamment depuis la crise financière, des thèmes tournent dans la presse et les ouvrages journalistiques sans déboucher sur rien : personne ne sait faire les lois utiles et mettre le doigt sur l'alinéa qui pose problème ; le problème se multiplie en échos assourdissants au plan européen et au plan international, de quoi ne jamais réformer sérieusement la finance, pas plus au ministère de l'économie qu'au FMI on ne sait par quel bout prendre les choses. En bref, le déclin de l'art de la loi est général, et sans doute pouvons-nous au pays du Code civil le considérer comme universel et à un sommet.
- pour avoir un peu travaillé sur la loi de 1995 et les activités de sécurité privées, comme sur la réforme dite "Sarkozy", on peut cependant dire que jamais la moindre analyse de la situation n'a été faite ; il est vrai qu'elle supposait un investissement juridique lourd et varié (droit commercial, droit du travail, droit pénal, droit administratif, droit constitutionnel) pour arriver à conceptualiser la place de entreprises de sécurité privées dans le complexe des forces de l'ordre et, enfin, déterminer les droits et obligations des uns vis-à-vis des autres : j'ai pu constater que malgré des propos généraux aucune strate de pouvoir n'était capable d'avancer des idées susceptibles d'organiser les choses dans telle direction (question de la sécurité privée que Ph. CONTE évoque, not. n°10) ; pour anecdote, mais il y a des arrêts de la Cour de cassation sur le sujet, je me souviens ainsi de ce décret léger qui interdisait d'appeler les forces de l'ordre : à force de le faire écarter des débats par la voie de l'exception d'illégalité devant le juge de police, le gouvernement l'a en urgence modifié pour supprimer le problème sans régler la question de fond (pas plus que le juge de cassation du reste).
Autrement dit, par un angle aigu de la sécurité (celle privée), ou par l'angle ouvert de la loi en matière économique (sujets de première ou seconde priorité des gouvernements ?), on conclut au grand crédit de cette étude. Tous les signes de la décadence de l'art juridique sont là, et ce sont des signes de décadence de l'art de gouverner. C'est donc justement - mais avec la réserve du chercheur impartial (note 37) - que Philippe CONTE évoque une présentation du rapporteur du projet qui est "indigne d'un Etat de droit républicain". On aurait donc dépassé les frontières de l'acceptable dans le débat et le travail républicains ?
En stratégie, toutefois, ce laminage implicite des élites des ministères, des administrateurs des chambres constitutionnelles, des experts-consultants et des "politiques" interroge. Il est toujours coûteux de prendre de front ceux qui détiennent le pouvoir, tandis que les thèses obséquieuses ont toujours grand avenir et soutien. Tel ne serait être le cas si les élites de la Nation en étaient réellement mais la promotion des hommes s'accroche à celle des idées. Or les idées qui triomphent tiennent aujourd'hui, comme tout le reste, au "relationnel" (c'est bien comme cela que l'on dit ?) et au promotionnel (c'est bien comme cela que l'on fait ?). Ce "réel", du relationnel et du promotionnel, par nature de second plan dans l'analyse scientifique, occupe désormais le premier plan. L'image a remplacé le message. Certains juristes peuvent donc penser qu'il ne leur reste que la voie de la guerre ouverte contre des pouvoirs publics qui, au nom de politiques diverses, tuent la loi et donc... la République ?
Il n'est pas impossible que ce soient donc les "pénalistes" (comme l'on dit), qui ont la responsabilité des "sciences criminelles", qui suscitent le grand mouvement de réhabilitation du Droit, des juristes et des facultés de droit. Il s'agit de faire face aux "experts" toutes catégories qui ont parfois pénétré l'Université ; experts qui ont simplement oublié de nous prouver dans l'obtention brillante d'un master, puis d'un doctorat, leur capacité d'analyse et d'innovation. Ils ont encore oublié de confirmer ces talents dans une habilitation à diriger les recherches (HDR)...
A ce seuil, l'affaire est compliquée et mélange la question de la politique législative et celle de la politique de la recherche. Et, de fait, la question de la criminologie n'est-elle pas sur le bureau du ministre de la recherche qui va pouvoir démontrer, nul n'en doute, son attachement à certaines valeurs (notamment le doctorat). Et comme ce sujet place la question également sur le bureau du ministre de la justice, garde des Sceaux, cela pourrait inspirer ce dernier pour imposer que toute loi ne tourne pas au charabia.
Voilà donc une affaire Juridique, Universitaire et inévitablement Politique. A suivre !