Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

L'ascenseur n'était pas à la hauteur, ni sa maintenance. Le prestataire d'entretien est tenu d'une obligation de sécurité de résultat (Cass. civ. 3e, 1er avril 2009, n° 08-10070). Indemnisation du préjudice corporel de l'utilisateur blessé.



L'ascenseur n'était pas à la hauteur, ni sa maintenance. Le prestataire d'entretien est tenu d'une obligation de sécurité de résultat (Cass. civ. 3e, 1er avril 2009, n° 08-10070). Indemnisation du préjudice corporel de l'utilisateur blessé.
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Se blesser dans un immeuble est aussi banal qu’est intéressant l’arrêt ci-dessous rapporté qui casse une décision d’appel. C'est en effet avec une certaine légèreté que la Cour de Reims avait estimé que la chute d'un locataire, qui bronche à raison du décalage de niveau entre l'ascenseur et le palier, n'engage pas la responsabilité de l'entreprise qui assure l'entretien et la maintenance.de l'ascenseur. Cela revenait à juger que la cabine d’ascenseur n’a pas à arriver au niveau du palier…

A en croire les juges d’appel, on pourrait croire que les ascenseurs ne font pas assez parler d'eux ! Or c’est tout l’inverse. Ces dernières années, des accidents effroyables ont émaillé les pages des faits divers. Le temps des indulgences n'est pas venu. Divers textes légaux et réglementaires ont imposé à tous des obligations afin de renforcer la sécurité des ascenseurs.

Le juge doit s'inspirer de cette voie pour en faire une politique judiciaire.

Nous croyons que c'est le cas avec cet arrêt du 1er avril 2009 de la 3e chambre civile.

Divers textes réglementaires ont imposé à tous des obligations afin de renforcer la sécurité des ascenseurs (Loi du 2 juillet 2003, C. cons. hab. art. L. 125-1 et s. ; décret 2004-964 du 9 septembre 2004, CCH, art. R. 125-1).

La cour d'appel avait retenu la seule responsabilité du bailleur-propriétaire. L'arrêt d'appel était curieux et critiquable. Le bailleur, comme la copropriété, est en pratique contraint de recourir au vendeur de la cabine pour en assurer l'entretien et la maintenance. On parle de contrat de maintenance.

Ce contrat (contrat d’entreprise : louage de services) est, en droit commun, une suite logique de la vente (et de l’installation), mais non-obligatoire. Des textes spéciaux existent en revanche - on vient de les citer - pour les ascenseurs. En tout cas les vendeurs d’ascenseurs se concurrencent pour avoir ces contrats qui, naturellement, peuvent être conclus avec des concurrents du vendeur de cabine.

En tout cas, cette activité est un métier !

Ni le propriétaire ni la copropriété ne peuvent, en pratique, par leurs petites mains, assurer le fonctionnement correct et sûr de l'engin. Pour cette raison, ils contractent le fameux contrat de d’entretien et de maintenance. L’une des raisons d’être de ce contrat est d’éviter les accidents ou pannes (qui obligent à l’escalier). En cas de dysfonctionnement et de blessures, en effet, propriétaire et, ou, copropriété peuvent être recherchés en responsabilité, le contrat de maintenance vise donc directement à les éviter.

Le locataire agira en responsabilité contractuelle, puisqu'il loue ; le tiers de passage qui se blesse, lui, agira en responsabilité délictuelle. L’arrêt rapporté montre le premier cas, le second cas aboutirait probablement au même résultat pratique par la voie très différente de la responsabilité délictuelle (sur le jeu de la responsabilité dans une copropriété, voyez l’excellent JurisCode Lexisnexis de J. LAFOND et B. STEMMER, Code de la copropriété, 2006, n° 0425 et s. et les articles, cités en bibliographie, du Pr. Ch. ATIAS, sur la spécificité de la responsabilité du syndicat de copropriété, laquelle n'est pas ici évoquée, la copropriété n'était en cause - l'immeuble n'avait peut-être qu'un seul propriétaire ; pour un cas de responsabilité du fait des choses que l’on a sous sa garde de la personne morale qu’est le syndicat de copropriété, pour une chute mortelle d’enfant sorti d’une cabine arrêtée entre deux étages : Cass. civ. 2, 18 mars 2004, 02-19454 : Bulletin 2004, II, n°139, p. 117 et les citations de décisions antérieures).

De récents accidents à répétition, alors que les solutions à consacrer tombent sous le sens, ont amené le législateur à clarifier les choses dans le code de la construction et de l’habitation (ce que l’arrêt reproduit ne mentionne pas, lequel est rendu au seul visa de l’article 1147 du code civil). Ainsi, l'article L. 125-2-2 consacre ainsi une obligation de sécurité : "Les ascenseurs font l'objet d'un entretien propre à les maintenir en état de bon fonctionnement et à assurer la sécurité des personnes". La loi pose ainsi une obligation de sécurité légale.

Le second alinéa impose à cette fin que la copropriété (qui n’apparaît pas dans cet arrêt) qu’elle conclut un contrat où elle « confie ou délègue » l’entretien. Comment dans ces circonstances décharger l’entreprise alors que le propriétaire (où la copropriété, assimilée à un propriétaire) a suivi les prescriptions de la loi ?

Le propriétaire ou la copropriété ont alors, eux-mêmes, si la personne blessée agit seulement contre eux, une action (récursoire) en responsabilité contre l'entreprise qui a « vraiment » la responsabilité de l'entretien (pour la responsabilité de la copropriété, l’alinéa 4 de l’article 14 de la loi de 1966 pose à la fois le principe de la responsabilité et celui de l’action récursoire). Cela est vrai pour toute inexécution d'entretien ou de maintenance ; cela est donc vrai lorsque le fonctionnement met en cause la sécurité des usagers de l'engin.

Il reste alors à expliquer d’un mot, sinon à comprendre, l'arrêt d'appel de l’espèce qui fut cassé. A notre sens, il a pu, en pratique, "charger" le propriétaire car celui-ci était une société, personne morale sans doute propriétaire et exploitante de nombreux appartements (ou lots). Les 12 000 euros de réparation de préjudice corporel, payés à la locataire (et aux organismes sociaux), pouvaient apparaître comme des frais divers de gestion du propriétaire de l’immeuble (aucun assureur de l’immeuble n’est mentionné). Sur la masse...

En pratique, la solution aurait été fort difficile à adopter si le propriétaire, au lieu d’être une société louant de nombreux appartements, avait été une aussi sympathique retraitée que celle qui, peut-être, a été victime de l'ascenseur mal ajusté (retraitée dont les revenus fonciers auraient été nécessaires pour vivre). Ces raisons pratiques n'écartent pas le pur juridique.

Pour faire casser l’arrêt, le pourvoi adopta en demi-teinte la logique de l’arrêt d’appel pour mieux la défier dans un second moyen. Le pourvoi formé opérait ainsi en deux temps, un moyen principal, un moyen subsidiaire. La société bailleresse soutenait au principal n'être tenue que d'une obligation de moyen : cela consistait à dire qu’en tant que propriétaire ayant conclu un contrat la société louant avait tout mis en œuvre pour éviter tout accident (il existait un contrat d’entretien complet). La cassation était alors recherche pour défaut de base légale.

Le moyen subsidiaire soutenait - dès lors que la propriétaire bailleresse était tenu d'une obligation de résultat - que la société chargée de l'entretien était elle aussi tenue d'une telle obligation. Le premier moyen a été rejeté et, en quelque sorte fatalement, le second moyen a prospéré impliquant la cassation. Le pourvoi rédigé par Maître BLANC, avocat au conseil, était ainsi très intéressant et bien construit.

En opportunité, la décision s'explique bien, sur fond de thème de sécurité. On ne citera pas toute la littérature juridique sur ce thème qui irrigue nombre de secteurs et de contrats. Partons de l’idée qui a probablement servi à la position de la Cour de cassation : il n’est pas tolérable que les ascenseurs ne soient pas au "bon niveau". Broncher est déjà grave, mais le défaut de correspondance entre les deux sols peut aboutir, dans l'absolu, à des accidents beaucoup plus graves. Ainsi en est-il de l’ascenseur qui se « trompe de niveau » ou qui s’arrête à mi-niveau. Cela peu conduire à des chutes de plusieurs mètres, et donc mortelles (…c'est bien de sécurité dont il s'agit !).
En technique contractuelle, les contrats d’entretien et de maintenance peuvent désormais être modifiés ou lus de façon différente.

Certes les entreprises chargées de l’entretien et de la maintenance continueront à présenter leur obligation comme une obligation de moyens (... les professionnels sont incorrigibles et y croient !) : nous mettons tout en œuvre pour que l’ascenseur fonctionne bien… Le propos se retrouve dans d’innombrables documents contractuels, comme si, du reste, l’obligation du prestataire était « une », alors que les missions sont diverses (certaines obligations sont probablement de moyens, d’autres de résultat !).

Voilà un des grands maux des contrats industriels, les entreprises se plaisent à stipuler des «irréalités juridiques». Cette clause n’aura pourtant plus aucune valeur. Dans les relations avec les bailleurs-propriétaires, et donc les copropriétaires, l’entreprise assurant la maintenance est débitrice d’une obligation de sécurité et cette obligation est de résultat.

Le maintien de cette clause pourrait encore être critiqué, outre le cadre d’un contentieux de responsabilité, par le syndicat de copropriétaires (« la copropriété »). Il pourrait soutenir qu’il y a clause abusive et à poursuivre en tant que telle le cas échéant… avant tout accident. Le syndicat de copropriétaires a parfois été protégé par les dispositions du code de la consommation : Paris 13 nov. 1997, D. 1998, IR 11 ; J. CALAIS-AULOY et F. STEINMETZ, Droit de la consommation, 2003, n° 8).
Logique voire inévitable, cette jurisprudence peut toutefois avoir des effets pervers.

Les fournisseurs d’ascenseurs peuvent augmenter leurs tarifs. Certains peuvent même, à raison du peu de performance de leur machine, délaisser la maintenance à des entreprises (de second rang ?) qui ne parviendront pas à remplir leur mission… mais qui feront beaucoup de maintenance en gérant bien leur contentieux… Ce pendant, à un certain seuil d’atteinte à la sécurité, on passe à des risques pénaux pour l’entreprise ou les dirigeants défaillants. Ils sont de nature à faire plier les entreprises pour qu’elles travaillent avec diligence, compétence et efficacité. Dans ce schéma complexe, la victime devra batailler pour obtenir sa réparation ; si le droit à réparation sera peu contextable en lui-même, savoir à qui le demander posera des questions...

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