Réparation de la perte de la possibilité de jouissance sexuelle d'une femme de plus de 50 ans... (CEDH, 25 juillet 2017, n°17484/15)



Le sexe est tabou, ici, ici et là, là-bas, partout. Sauf dans quelques endroits où il est totalement libre, et pour cause, soit il relève de la vie privée, soit il relève de la liberté d'expression et de communication. La société est, ici comme ailleurs, des plus contradictoires. Les libertés, de façon générale, sont louées et vantées, on dit que l'on mourrait pour elles.

Mais, dès qu'il s'agit d'en dépasser un usage très conventionnel, de les faire fonctionner à plein, les libertés sont rarement utilisées. Le sexe est une liberté soumise aux mêmes contradictions. C'est particulièrement vrai en France qui est un pays conservateur. Par exemple, la liberté d'expression y est ainsi limitée par tous les acteurs qui s'accordent sur un ton et un contenu convenus - ils font perdre des rangs économiques au plan mondial car la créativité s'en trouve bridée.

La décision portugaise à l'origine de cet arrêt de la CEDH aurait pu être rendue en France. Elle y produira probablement des effets juridiques et psychologiques. Voyez du reste la difficulté de faire admettre le préjudice sexuel :

- une cour d'appel qui inclut le préjudice sexuel dans les "64 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent de 25 %" et qui se fait casser pour cela :

Civ. 18 juin 2017

- une cour d'appel qui rejette la demande et la Cour de cassation qui ne répond pas au moyen qui invoquait la discrétion de la patiente à ce sujet devant l'expert - le tabou... ? - et l'automaticité de ce préjudice que le juge du droit méconnaît :

Civ. 14 janvier 2016


La réparation du préjudice sexuel est donc difficile à exprimer, à formuler et à plaider. La rencontre des juges, une élite, en général conservatrice, et du sexe est difficile. Une demande pour préjudice sexuel ne dit donc rien qui vaille pour le demandeur qui l'invoque. En vérité, c'est déjà difficile à exploiter devant le médecin expert, qui n'est pas un expert de l'intensité de la jouissance sexuelle ; il ne saura d'ailleurs jamais rien des jouissances de la patiente ni avant ni après l'accident. La mascarade plaquée sur un tabou sociétal... comment éviter le cirque judiciaire ?

Voilà au moins qui explique la nécessité d'une expertise médicale, souvent la grande affaire du préjudice corporel : elle débarrasse le juge d'un problème insurmontable.

Dans ce contexte non maîtrisé, ni par le législateur, ni par le juge, ni par les médecins, la victime, patiente (ou patient), doit être bien courageuse pour faire valoir quelques droits. Au plan fondamental, ou au moins d'un point de vue approfondi, cela revient à invoquer un droit au sexe ! On imagine le niveau des phrases censées être drôles des divers professionnels qui . La seule évocation d'un droit au sexe suscite - sous cape - un rire contrit ou éclatant. La victime le sait et son avocat doit la soutenir.




Réparation de la perte de la possibilité de jouissance sexuelle d'une femme de plus de 50 ans... (CEDH, 25 juillet 2017, n°17484/15)

L'affaire citée est donc importante qui balaye nombre de préjugés ou de comportements médiocres. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu'une juridiction nationale n'était pas fondée à réduire l’indemnité due à une patiente allouée au titre du préjudice sexuel compte tenu de son âge. Elle considère que l’article 14 de la CEDH s'oppose à ce jugement qui est discriminatoire et que l’égalité des sexes constitue un objectif majeur pour les Etats membres du Conseil de l’Europe.

Si le résultat est là, la méthode laisse perplexe car l'égalité des sexes n'a - fondamentalement - rien à voir avec un tel préjudice. Le même raisonnement aurait pu être tenu pour un homme. Où l'on voit que la difficulté de la réparation du préjudice sexuel s'ajoute à celle de la réparation des préjudices du corps et de l'âme. Mais là aussi on touche à un autre tabou, celui de l'argent...

L'arrêt de la CEDH se comprend mieux si l'on sait que la même Cour d'appel administrative suprême avait pu juger que l'impuissance masculine (site de Emeric Guillermou) avait causé un grand choc à des hommes d'un certain âge et ayant déjà eu des enfants. En clair, le juge portugais reconnaît le préjudicie sexuel d'un homme de plus de 50 ans mais pas celui de la femme.

C'est moins une décision qui fait que le Portugal est condamné qu'une jurisprudence portugaise, sinon une magistrature, qui a des problèmes avec le sexe et les sexes... lesquels sont revenus sous la forme du boomerang de la discrimination et de l'égalité. Derrière la décision la croyance naïve des juges que les femmes n'ont plus de vie sexuelle à partir de 50 ans. or les chiffres sont impressionnant. Ce qui était vrai en 1970 est aujourd'hui faux. Les femmes de plus de 50 ans ont la même vie sexuelle que les hommes (v. M. Bozon, Sociologie de la sexualité, Armand Colin, 2009, p. 56). En 2006, plus de 90 % des hommes et des femmes en couple déclarent avoir une activité sexuelle.

Ainsi, un accident qui prive en tout ou partie une personne de la possibilité de jouir... des plaisirs sexuels constitue par nature un préjudicie indemnisable. Cette décision, au-delà du point technique qu'elle règle, pour les femmes, est une avancée notable pour la réparation des préjudicies corporels.




CEDH, 25 juillet 2017, n°17484/15, CARVALHO PINTO DE SOUSA MORAIS v. PORTUGAL

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