Formalisme du mandat donné à l'agent immobilier : consécration d'un simple ordre public de protection de la "loi Hoguet" (C. cass., Ch. mixte, 24 fév. 2017, n° 15-20.411)



L'arrêt de chambre mixte du 24 février 2017, rendu sous la haute autorité du Premier Président de la Cour de cassation, est un arrêt de principe qui infléchit sa jurisprudence en matière de mandat donné à l'agent immobilier.

Le domaine en cause est à tous égards sensibles : il désigne la profession très en vue des agents immobiliers, un rapport symbolique entre un professionnel réglementé (et non d'une profession réglementée) et un consommateur (ici un bailleur), un acte majeur de la vie à savoir la location ou l'achat d'un bien immobilier.

Un agent immobilier disposait d'un mandat pour gérer les biens d'un propriétaire (SCI), mandat insuffisant pour donner congé et formuler la proposition de vente au locataire. Mais l'agent immobilier avait écrit à son client à ce sujet qui l'avait autorisé à opérer. L'agent immobilier avait donc donné congé au locataire en lui faisant l'offre de vente que prévoit la loi de 1989.

Ce mandat était dans un forme légère et n'avait pas été enregistré avec un numéro de mandat comme la loi le prescrit.

Il est jugé que la locataire (preneur), qui reçoit un tel congé, ne peut pas invoquer la nullité du mandat donné par le propriétaire (la SCI bailleresse) à l'agent immobilier. Il s'agit d'une nullité relative et non d'une nullité absolue.

Ce changement se fait pour diverses raisons, bien expliquées dans l'arrêt, dont celle de la modification du droit des contrats et celle du contexte européen puisque la Cour de cassation est invitée à opérer un contrôle de proportionnalité dans ses décisions.

On note aussi la considération des lois postérieures au dispositif applicable, lois qui auraient modifié son fondement (de l'organisation de la profession et de la protection du client, seul ce dernier fondement demeurerait) (voyez le rapport et l'avis de l'avocat général, ils sont en ligne).

Les professionnels s'astreindront néanmoins à enregistrer tout mandat (même s'il n'est pas établi sur leur modèle habituel), tout en faisant régulariser ledit modèle. La décision n'est pas une licence pour ne plus enregistrer les mandats.

En effet, si cet enregistrement était jusqu'alors jugé comme étant un condition de validité de l'acte (une formalité ad validitatem comme l'on dit), les professionnels n'ont pas intérêt à jouer sur les irrégularités. La décision est susceptible de renouveler le contentieux, lequel est naturellement.... à éviter.

Le conseiller rapporteur l'a indiqué au terme de son rapport ; toute modification changera un équilibre général et, surtout, ce changement impliquera de ne pas renoncer à protéger à l'avenir le tiers de bonne foi (tiers contractant qui conclut avec l'agent immobilier). La réserve est utile, mais sera-t-elle suffisante ? Car la question est bien celle de savoir quand le tiers qui constate l'irrégularité formelle du mandat devient de bonne foi.

On laissera les spécialistes se prononcer.




Arrêt en ligne sur le site de la Cour de cassation

Source : site de la Cour de cassation


Arrêt n° 283 du 24 février 2017 de la Chambre mixte (15-20.411)

Note explicative au format

Par le présent arrêt, la chambre mixte de la Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence, décide que les dispositions des articles 7, alinéa 1er, de la loi n°70-9 du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, et 72, alinéa 5, du décret n°72-678 du 20 juillet 1972, visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire et que leur méconnaissance doit être sanctionnée par une nullité relative.


Le litige était le suivant : un locataire s’était vu délivrer un congé pour vendre par l’intermédiaire d’un agent immobilier, mandaté par le bailleur. Cet agent était titulaire d’un mandat d’administration et de gestion du bien donné à bail, à usage d’habitation, comportant le pouvoir de “donner tous congés”. A l’approche du terme du bail, et sur interpellation de l’agent immobilier, le propriétaire lui avait indiqué, dans une lettre, qu’il le mandatait pour vendre l’appartement moyennant un certain prix et délivrer congé au locataire. Celui-ci a alors assigné le bailleur en nullité du congé, en invoquant la violation des prescriptions formelles de la loi Hoguet et de son décret d’application. Il faisait, plus précisément, valoir que l’agent immobilier ne justifiait pas d’un mandat spécial pour délivrer congé pour vendre et qu’en toute hypothèse, la lettre le mandatant ne mentionnait pas la durée du mandat et ne comportait pas le numéro d’inscription du mandat sur le registre des mandats, en violation, respectivement, des articles 6 et 7, alinéa 1er, de la loi du 2 janvier 1972 et 72, alinéa 5, du décret du 20 juillet 1972. L’arrêt de la cour d’appel attaqué par le pourvoi a rejeté l’ensemble des demandes du locataire.


La chambre mixte considère, tout d’abord que le mandat spécial requis, sur le fondement de la loi Hoguet, pour qu’un agent immobilier puisse délivrer congé pour vendre a bien été caractérisé par la cour d’appel.


La question principale, ayant motivé la saisine de la formation solennelle de la Cour de cassation, résidait dans le grief portant sur la conformité du mandat aux prescriptions formelles de la loi Hoguet, et le point de savoir si le locataire, tiers au contrat de mandat, pouvait se prévaloir de la violation des dispositions de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et de son décret d’application.


Jusque ici, une jurisprudence bien établie et concordante de la première et de la troisième chambres civiles énonçait qu’il résulte des articles 1er et 6 de la loi du 2 janvier 1970 que les conventions conclues avec des personnes physiques ou morales se livrant ou prêtant d’une manière habituelle leur concours aux opérations portant sur les biens d’autrui doivent respecter les conditions de forme prescrites par l’article 72 du décret du 20 juillet 1972 à peine de nullité absolue qui peut être invoquée par toute partie y ayant intérêt (1è Civ. 25 février 2003 pourvoi n°01-00.461 ; 3è Civ. 8 avril 2009 pourvoi n°07-21.610 B n°80).


La solution était guidée par l’idée que la loi Hoguet avait, ainsi qu’il résulte clairement de ses travaux préparatoires, pour vocation tant de réglementer et assainir la profession d’agent immobilier que de protéger les clients de celle-ci : un double objectif, donc, répondant à l’impératif d’un ordre public de direction et d’un ordre public de protection, le premier ayant la primauté sur le second et conduisant, classiquement, à la nullité absolue des conventions conclues en violation des dispositions assurant la protection de ces impératifs.


Il reste que le tiers au contrat de mandat qui réclamait ici la protection des dispositions légales d’ordre public, en l’occurrence le locataire, bénéficie d’une protection particulière, depuis la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 (indication du motif du congé, droit de préemption et préavis). Et celle-ci a été singulièrement renforcée par les lois récentes, loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové et loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, lesquelles ont, notamment, allongé, dans certains cas, le délai de préavis et prévu une notice d’information.


Or la nature de la nullité détermine les titulaires du droit de critique de l’acte irrégulier. La nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, tandis que la nullité relative ne peut être demandée que par la partie que la disposition transgressée entend protéger. L’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a consacré la distinction jurisprudentielle entre nullité absolue et nullité relative fondée sur la nature de l’intérêt protégé, en énonçant que la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général, elle est relative lorsque la règle violée a pour seul objet la sauvegarde d’un intérêt privé (article 1179 nouveau du code civil).


Cette évolution du droit des obligations conduit la chambre mixte à apprécier différemment l’objectif poursuivi par le législateur à travers les dispositions de la loi Hoguet, en cernant, précisément, celui de chaque disposition légale, ce qui l’amène à décider que les prescriptions formelles de cette loi, dont la violation était alléguée par la locataire, visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire.


En outre, les lois récentes de 2014 et 2015 précitées instituent de nouveaux mécanismes de régulation de la profession d’agent immobilier (obligation de formation continue, mise en place d’un code de déontologie, d’instances disciplinaires et de contrôles ciblés de la DGCCRF, édiction de nouvelles sanctions pénales et administratives). La chambre mixte en déduit que l’ordre public de direction n’a plus à être assuré par les parties au procès.


Dès lors, eu égard au principe de proportionnalité que la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne commandent au juge de respecter, la chambre mixte considère que les dispositions protectrices du locataire assurent un juste équilibre entre les intérêts de ce dernier et ceux du bailleur.


Elle retient en conséquence que la recherche demandée par la locataire, portant sur la mention de la durée du mandat et le report sur le mandat resté en la possession du mandant du numéro d’inscription du mandat sur le registre des mandats, était inopérante, le locataire n’ayant pas qualité pour se prévaloir des irrégularités de forme affectant le mandat.


Arrêt n° 283 du 24 février 2017 (15-20.411) - Cour de cassation - Chambre mixte -

Agent immobilier - Mandat
Rejet

Agent immobilier - Mandat

Demandeur : Mme Corinne X...
Défendeur : société Lepante, société civile immobilière

Note explicative relative à l’arrêt n° 283 du 24 février 2017 de la chambre mixte

Avis de M. Sturlése

Rapport de Mme Graff-Daudret



Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :


Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 avril 2015), que la SCI Lepante, représentée par la société Immobilière Parnasse, agent immobilier, a, le 29 octobre 2012, fait délivrer à Mme X..., locataire depuis le 15 mai 2007 d’un local à usage d’habitation lui appartenant, un congé avec offre de vente pour le 14 mai 2013 ; que Mme X... l’a assignée en nullité du congé ;


Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande en nullité du congé pour vente et d’ordonner son expulsion alors, selon le moyen :


1°/ que le congé pour vente s’analysant en une offre de vente, l’agent immobilier doit être en possession d’un mandat spécial pour procéder à sa délivrance ; qu’en se bornant à énoncer que la société Parnasse immobilier avait été mandatée pour procéder à la vente du bien au motif qu’elle avait reçu un mandat de gestion et d’administration l’autorisant à délivrer “tous congés”, sans relever l’existence d’un mandat spécial aux fins de délivrer un congé pour vendre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et de l’article 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 ;


2°/ qu’un mandat pour vendre confié à un agent immobilier n’est valable que s’il est écrit et s’il mentionne une durée et un numéro d’inscription ; que pour débouter Mme X... de son action en nullité du congé et juger que la société Parnasse immobilier avait qualité pour faire délivrer un congé pour vendre, la cour d’appel s’est fondée sur une correspondance de la SCI Lepante adressée à la société Parnasse immobilier ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette correspondance respectait les formalités obligatoires du mandat pour vendre confié à un agent immobilier, et notamment s’il mentionnait une durée et un numéro d’inscription sur le registre des mandats, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et de l’article 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 ;


Mais attendu, d’une part, qu’ayant retenu que la société Immobilière Parnasse, titulaire d’un mandat d’administration et de gestion, avec pouvoir de donner tous congés, et d’une lettre datée du 19 octobre 2012 la mandatant spécialement pour vendre le bien occupé par Mme X... au terme du bail moyennant un certain prix et pour lui délivrer congé, la cour d’appel a procédé à la recherche prétendument omise ;


Et attendu, d’autre part, qu’il résulte des articles 1er, 6 et 7 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et 72 du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972 que le mandat doit comprendre une limitation de ses effets dans le temps et que l’agent immobilier doit mentionner tous les mandats par ordre chronologique sur un registre des mandats à l’avance coté sans discontinuité et relié, et reporter le numéro d’inscription sur l’exemplaire du mandat qui reste en la possession du mandant ; que la Cour de cassation jugeait jusqu’à présent que ces dispositions, qui sont d’ordre public, sont prescrites à peine de nullité absolue, pouvant être invoquée par toute partie qui y a intérêt (1re Civ., 25 février 2003, pourvoi n° 01-00.461 ; 3e Civ., 8 avril 2009, pourvoi n° 07-21.610, Bull. 2009, III, n° 80) ;


Que la nullité est absolue lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général, tandis que la nullité est relative lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde d’un intérêt privé ;


Que par la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite loi Hoguet, le législateur a entendu, tout à la fois, réguler la profession d’agent immobilier et protéger sa clientèle ; que la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et à un urbanisme rénové, comme il ressort de son étude d’impact, et la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques répondent aux mêmes préoccupations ;


Que la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 encadre la délivrance d’un congé pour vendre au locataire d’un local à usage d’habitation qui constitue sa résidence principale, en posant notamment des conditions de délai, en ouvrant un droit de préemption et en imposant la délivrance d’une notice d’information avec le congé ;


Que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment l’objectif poursuivi par les dispositions relatives aux prescriptions formelles que doit respecter le mandat, lesquelles visent la seule protection du mandant dans ses rapports avec le mandataire ;


Que l’existence de dispositions protectrices du locataire, qui assurent un juste équilibre entre les intérêts de ce dernier et ceux du bailleur, et la finalité de protection du seul propriétaire des règles fixées par les articles 7, alinéa 1er, de la loi du 2 janvier 1970 et 72, alinéa 5, du décret du 20 juillet 1972 conduisent à modifier la jurisprudence et à décider que la méconnaissance des règles précitées doit être sanctionnée par une nullité relative ;


Que, dès lors, la cour d’appel n’était pas tenue d’effectuer une recherche inopérante relative à la mention de la durée du mandat et au report, sur le mandat resté en possession du mandant, d’un numéro d’inscription sur le registre des mandats ;


D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;


Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres branches du moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;


Par ces motifs :


REJETTE le pourvoi ;



Président : M. Louvel, premier président
Rapporteur : Mme Graff-Daudret
Avocat général : M. Sturlèse
Avocats : Me Le Prado - SCP Lyon-Caen et Thiriez

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