Entre l'oral et l'écrit, de la procédure à la littérature, de vrais-faux opposés, le concept de "littérature orale".



Il y a quelques années, en approfondissant l'oralité (H. C., L’oralité devant les tribunaux de commerce, Mélanges D. Tricot, Lexis et Dalloz, 2011, p. 343), je constatais, entre autres, que la frontière entre procédure orale et procédure écrite était poreuse. Cela met en difficulté le juge dans quelques cas subtils, et aussi le législateur. A vouloir faire danser le juriste sur un seul concept quand le procès est fait d’échanges d’idées par le langage, quel qu’il soit, on entrave le déroulement du procès. La procédure civile (et pénale aussi) atteste sur divers points de cette porosité.

Je prendrai un seul exemple : dans une procédure orale, les demandes formulées à l'oral au cours de l'audience de plaidoirie (plaider c'est demander...) deviennent un écrit, des écrits, grâce à la vigilance du greffier qui les note au dossier.

Les demandes orales sont ainsi écrites ! Par le greffe ! Et ce dernier s'y oblige si l'avocat a le bon biais de le demander par la courtoise intercession du président de la juridiction qui demandera au greffe de noter. Un refus donnerait lieu à un incident d'audience requérant la présence du Bâtonnier ou de son représentant. L’oralité ouvre ainsi sur un droit à l’écrit ! Lequel écrit est une pièce du dossier du tribunal.
Voilà un parfait mélange des deux genres (écrit/oral), peut-être moins « genrés » que l’on ne croit.

Ainsi, la division procédure écrite / procédure orale n'a pas la portée qu'on l’on peut en déduire des manuels. La pédagogie exige la simplification. La simplification, le goût des oppositions nettes, des grands I et II, ou a) et b), tout cela peut pousser à négliger les nuances : l'intelligence des choses.

Je retrouve cette interrogation avec ma réflexion sur l'IA. Toute parole (ou presque) y devient écriture (code). Tout écrit peut se transformer en parole puisque la plupart des systèmes d'IA (et non des robots...) ont une carte son : la magie de la technologie.
En littérature, l'écriture du théâtre a montré depuis toujours l'écrit expédié dans le monde de l'oralité, ce qui nie à nouveau le caractère dogmatique du distinguo entre écrit et orale. Le théâtre est écrit pour être dit. Des recommandations de l’auteur de telles réparties précisent le comportement de l’acteur. Il est indiqué qu’il écoute ou s’exprime avec tel mouvement de corps (en levant les bras au ciel… ou en faisant non de la tête). Ces consignes écrites à l’acteur ne sont pas à dire mais à faire en parlant ou en écoutant.

Au plan philosophique, et à nouveau mon essai sur l'IA me l'apprend, tout tient à l'identité du langage pratiqué (oral) et de la langue posée (écrit) : tout est code. Ce passage aisé de l’écrit à l’oral, et inversement, tient au fait que le langage est un code, un système de signes. Passons, mais la clé est donnée. A l'écrit, à l'oral, ou même par voie d'endophasie (quand on se parle à soi-même), les formes ne sont que l'expression du langage, c'est-à-dire de l'intelligence : de la pensée. Intelligence, Système, Langue… pensée !

Les sciences du langage permettent d'éclairer particulièrement ce phénomène et, pour le simple juriste, de le conforter avec le concept linguistique particulier de "littérature orale".

Personne ne se moquera plus de l'épreuve de l'écrit-oral parfois instituée : le candidat se produit et fournit ses explications orales mais il a le droit / l'obligation de produire le document qu'il a préparé pendant 15 minutes. Le professeur note la performance orale en regard de la page griffonnée en plein stress.

Revenons au concept dit de « littérature orale ». (O. Ducrot et J.-M. Schaeffer, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil Points ; 1995, p. 608, par J.-M. Schaeffer ; après une édition : O. Ducrot et T. Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Seuil Points, 1979).

L’expression est consacrée non sans quelques réticences, mais c’est la meilleure indique la source précitée. L’oxymoron « … a au moins l’avantage de mettre l’accent sur une parenté fonctionnelle des deux champs – l’oral et l’écrit – qui se partagent le domaine des usages (potentiellement) esthétiques du langage humain ». En littérature et linguistique, comme ce qui a été précisé en droit, ci-dessus, les deux champs sont deux facettes d’une même pièce, celle du langage.

Le juriste sera bien inspiré de relativiser l’opposition qu’il emprunte à l’évidence. La linguistique, la philologie, l’anthropologie… y invitent en relevant de multiples formes de littérature orales – évidement depuis l’aube des temps. Toutes invitent et réalisèrent le passage de l’oral à l’écrit, lequel permit l’inverse, et mieux que les seules traditions orales. L’invention du théâtre par les Grecs nous est connu par l’écrit…

Les défis technologiques – ô paradoxe – exigent de reconsidérer langages et langues puisque, désormais, la physique sait lire les signes. Les système d’intelligence artificielles sont des systèmes de langages informatiques, de signes.

Les signes.

La (grande) science et la (modeste) science juridique dépendent d’eux.


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