Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

Deux pièces d'identité pour tirer un chèque ? Pitié pour le consommateur ! Regard de Droit bancaire de la consommation inspiré par un Supermarché et la SNCF.



Deux pièces d'identité pour tirer un chèque ? Pitié pour le consommateur ! Regard de Droit bancaire de la consommation inspiré par un Supermarché et la SNCF.
Les pratiques s'éloignent souvent des prévisions du législateur qui vote parfois avec une naïveté désarmante des lois pour les livres. Tirer un chèque se réalise par la double formalité qui consiste à le remplir (et le signer) et le remettre. Le tirage a été conçu de façon à être simple. Telle est la raison de l'existence et de la consécration des formules de chèques, lesquelles sont appelées, par commodité, des chèques. En réalité, la formule de chèque n'est pas un chèque, elle n'est qu'un modèle.

Un carnet de chèque ne contient pas de chèque. Il renferme seulement des formules de chèque. Un titre de paiement ne vaut chèque que s'il est rempli, signé et remis à son bénéficiaire. L'absence de remise le prive de sa qualité de chèque. C'est seulement là qu'il y acte juridique, un chèque n'est rien que cela, bien ce ne soit jamais dit : une convention de paiement (le titre permettra à votre banque de se faire payer).

Formules de chèques et chèques sont lourdement réglementés. Le titre est, dit-on, soumis à de véritables mesures de police bancaire. Face à des chèques qu'il ne peut payer, à défaut de provision, le banquier, tiré, a l'obligation de traiter le problème que pose son client. C'est la fameuse procédure appelée interdiction de chéquier.

Comme tout acte juridique, le tirage, ou émission, suppose ainsi des formalités.

Cependant, les formules de chèque, qui sont des modèles pré-imprimés, sont destinés à faciliter l'usage de ce moyen de paiement. Le créancier qui prend le titre a le droit de vérifier l'identité du porteur du chéquier. La loi est très claire. Votre créancier (magasin, professionnel autre ou... ami) a le droit de vous demander de présenter un "document officiel comprenant une photographie". Une carte de militaire en activité paraît suffire, comme tant d'autres. Il en est de même, à plus forte raison, de toute pièce d'identité dites "officielles" (terme qui ne veut pas dire grand chose sauf peut-être à désigner un document signé du préfet, représentant habituel de l'Etat).

En pratique, nous (consommateurs) présentons ainsi une carte d'identité nationale, un passeport ou un permis de conduire. Mais voilà, les commerçants innovent. De plus en plus souvent ce sont deux pièces d'identité qui sont demandées. Par exemple, la SNCF accepte de se faire escroquer avec une seule pièce d'identité pour 149 euros. Si vous dépassez 150 euros, soit pour 151 euros de billets de train, vous devrez pour escroquer la SNCF disposer de deux pièces d'identité.

Voilà une curieuse politique juridique d'entreprise que nombre de commerce copient. Il suffit qu'un commence pour que les autres suivent... Le mimétisme dispense d'ouvrir un livre de droit (surtout de le lire, qui plus est de le comprendre....). Voilà une situation étonnante. Un contrôle de police sur une scène de crime se passe avec une carte d'identité, l'officier de police judiciaire vous laissera filer, mais pour tirer un chèque de 151 euros il faut deux pièces d'identité !

Les règles du paiement monétaire sont complexes. En principe, seule la présentation de la monnaie ayant cours impose au créancier de l'accepter. Bref, le commerçant est en principe en droit d'obtenir un paiement par remise d'espèces (sauf s'il est adhère à un centre de gestion agréé par l'administration fiscale, ce qu'il doit signaler clairement). Cette position du Code de la consommation (art. ) est encore largement tempérée. Le Code monétaire et financier impose le recours aux mode de paiement scripturaux (virement, chèque...) selon diverses situations et divers montants (salaires de 1 500 euros, paiements entre professionnels de plus de 1 100 euros, paiement d'un particulier à un commerçant de plus de 3 000 euros).

Dans ces derniers cas, le chèque s'impose souvent en pratique (le virement n'étant pas toujours utilisable). Il est donc des cas, nombreux, où le commerçant doit accepter un chèque à titre de paiement.

Pour les sommes ordinaires, éventuellement déjà rondelettes (plus de 1 100 ou 3 000 euros) le paiement en liquide est toujours de droit pour le commerçant. Il peut refuser un chèque, c'est son droit. Il peut du reste le décider pour tout client ou à partir du montant qu'il détermine ; attention de ne pas refuser à la tête du client, ce pourrait être une infraction pénale fondée sur la discrimination, de race, sexe, religion...

On est proche de cette situation lorsque, pour 151 euros, un créancier vous demande 2 pièces d'identité. Cela revient à refuser le chèque si vous n'avez pas 2 pièces d'identité. La question de la légitimité de cette condition, de sa licéité, se pose.

Elle se pose encore plus lorsque le paiement doit être fait par chèque parce que, au-dessus de 3 000 euros, un paiement scriptural est obligatoire. D'un côté le chèque s'impose, d'un autre le commerçant exige 2 pièces d'identité !

Or l'article L. 131-15 du Code monétaire et financier paraît clair. Toute personne qui remet un chèque en paiement doit justifier de son identité au moyen d'un document officiel portant sa photographie. Le tireur doit produire un document officiel, le bénéficiaire du chèque n'a pas par cette disposition le droit d'en exiger deux, alors surtout que seraient demander un passeport et une carte nationale d'identité.

Voilà la discussion ouverte. Cette exigence pourrait-elle constituer une clause abusive ? Rien n'est moins sûr, le déséquilibre significatif de la clause abusive est a priori vague. On est sur du terrain consumériste où le droit bancaire semble dominer. Contrôler le tirage d'un chèque - surtout s'il est le moyen de paiement obligé - plus rigoureusement qu'un contrôle de police judiciaire semble malvenu.

Aucune disposition légale n'impose à un citoyen de disposer de pièces d'identité, ni d'une ni de deux, sauf s'agisant de la sortie du territoire ou de situations particulières connues de tous (conduite d'un véhicule). Ne pas arrêter la pratique c'est ouvrir celle de l'exigence de trois pièces d'identité ! Pitié pour le consommateur !

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