L'assurance de groupe est dans l'actualité pour des questions de "reversements" non-effectués, ce qui est autant économique que juridique (on reviendra sur ce sujet). Elle l'est également pour l'obligation de renseigner le client.
« Le souscripteur d'une assurance de groupe est tenu envers les adhérents d'une obligation d'information et de conseil qui ne s'achève pas avec la remise de la notice prévue par le second de ces textes » (Cass., 2e Ch. Civ ., 5 juillet 2006, p. n° 05-12603, publié). La Cour de cassation donne régulièrement la leçon à des juges du fond trop sensibles aux paroles des banques et assurances. L’affaire, en vérité de droit civil, intéresse le droit bancaire et le droit des assurances.
Un emprunteur tombé en invalidité profita de son assurance pendant… un trimestre ! L’indemnisation cessa car il atteignit 65 ans, conformément à l’assurance. Le contrat de prêt la contredisait : il prévoyant une assurance pendant toute la durée du remboursement ! Pour la Cour de cassation, le banquier a ainsi créé « une apparence trompeuse de garantie totale jusqu’à la fin du prêt ». Elle casse l’arrêt de la Cour de Grenoble et fait ainsi jouer l’obligation d’information et de conseil du banquier en raison de cette discordance. Cela aboutira à la condamnation du banquier devant la cour de renvoi.
La décision se laisse découper. Le souscripteur d'une assurance de groupe est tenu envers les adhérents (I) d'une obligation d'information et de conseil (II) qui ne s'achève pas avec la remise de la notice prévue par le second de ces textes (III).
Cette dernière affirmation a été réaffirmée dans un arrêt d'Assemblée. De telle manière que ce rappel – sur la position de la jurisprudence précédente, sur l'obligation d'information, permet de une première comparaison avec l'obligation d'éclairer énoncée par l'Assemblée plénière du 2 mars 2007 qui, lui, pose une obligation d'éclairer (IV).
I. – « Le souscripteur d'une assurance de groupe est tenu envers les adhérents »
Cette partie de phrase rappelle le contexte. L’assurance de groupe voit un assuré (ici le banquier) qui détermine un contrat d’assurance négocié avec une assurance ; l’objectif est que ses clients, contre une prime, adhèrent à ce contrat d’assurance : on les appelle « adhérents » ; si le risque couvert se réalise (incapacité), l’assurance jouera au profit de l’assuré (ici le banquier).
L’adhésion pose deux ou trois problèmes pratiques que les banquiers gèrent parfois mal. Les préposés bancaires sont pressés de faire du chiffre d’affaires… Or l’assurance, n’est que du papier. Il faut notamment que l’adhérent, qui va payer la prime d’assurance, soit au courant du mécanisme (par exemple pour déclarer son sinistre) et des garanties (de ses limites et de ses exclusions).
Le banquier qui fait les papiers est parfois défaillant. Il fait mal signer, ou bien un seul des époux, ou il ne donne pas les conditions générales ou la notice à l’adhérent, ou il la donne mais ne l’annexe pas au contrat de prêt… Dès que l’on dépasse le rapport bilatéral, tout se complique ! En effet, le banquier peut considérer que l’adhérent et l’assurance peuvent s’expliquer ensemble ou que l’assurance a rédigé des notices irréprochables, un ange passe… (voyez sur les laborieux contrats d’assurance-vie : http://www.wmaker.net/hervecausse). Voilà pourquoi l’adhésion pose souvent difficulté, et pourquoi la Cour de cassation a posé très tôt une obligation d’information et de conseil dont « le souscripteur est tenu envers les adhérents ».
Cette obligation d’information et de conseil est utilisée de façon concordante par les Première et Deuxième Chambres civiles (Civ. 1e, 2 février 1994, Bulletin 1994 I N° 39 p. 31) et depuis les années quatre-vingt (Civ. 1e, 18 déc. 1985, Bull. I, n° 357, p. 322). Elle a été confortée en 1989 par la loi (art. L. 140-4, Code des ass., devenu en 2005, L. 141-4). On trouve au moins dix arrêts publiés, cent inédits, qui l’utilisent au profit des adhérents mal informés… ou conseillés ?
II. – « D'une obligation d'information et de conseil »
Voilà l’obligation que la Cour de cassation affectionne ! Elle va de l’information jusqu’au conseil. Elle ignore la doctrine qui propose souvent un triptyque, rangeant dans 3 concepts tous les faits et actes qui peuvent instruire le client : information, mise en garde et conseil. La Cour paraît éviter ce système cloisonné. L’obligation de la Cour s’étire en accordéon presque à volonté pour obliger jusqu’au conseil. Mais elle peut aussi se compresser, ce qui est par exemple le cas en droit boursier (sauf pour les opérations à terme dites aussi spéculatives). Entre les deux, on peut y insérer l’obligation de mise en garde : plus forte et contraignante que l’information, elle est moindre que le conseil. Ici, la Deuxième Chambre civile étire nettement l’accordéon : le contrat de prêt qui fait croire à une couverture, même si l’assurance stipule l’inverse, engage la responsabilité du banquier.
Au lecteur de savoir s’il s’agit de pure information ou d’un véritable devoir de conseil, voire d’une obligation intermédiaire. Pour en dire toute l’actualité, remarquons que la Cour utilise encore ce concept dans une autre décision du même jour (pourvoi n°05-13580), pour une affaire très différente mais l’expression est la même
La flexibilité de l’expression est ici démontrée. Elle aboutit à écarter les prétentions du client adhérent. Ce dernier bénéficie en revanche de la règle selon laquelle c’est au professionnel de prouver qu’il a bien informé et conseillé (Civ. 2, 16 juin 2005, p. n° 05-14630, Banque Populaire Lorraine Champagne, inédit). Cette charge de la preuve s’étend autant que l’obligation elle-même, dont on ne sait si l’adhérent averti profite (mais comment il y aurait-t-il ici un client averti au courant de ce contrat d’assurance aussi spécifique ? ; voir cependant pour un adhérent ressemblant à un adhérent averti : Civ. 2, 7 déc. 2006, p. n° 05-19462, Barclays, inédit).
III. – « Qui ne s'achève pas avec la remise de la notice prévue par la loi »
Lorsque la Cour ouvre l’accordéon, l’instrument jurisprudentiel joue une note qui ressemble à l'obligation de conseil. L’obligation est redoutable si on pense à celle des juristes professionnels (avocats et notaires) à l’égard de leurs clients. En vérité, cette obligation ne va pas aussi loin. Le banquier n’a pas à conseiller son client, au sens d’aider à la gestion, sur la question de cette assurance. Ce que la Cour ne veut pas c’est décharger le banquier au motif qu’il existe des documents d’information d’assurance, alors surtout que c’est lui qui a défini, avec l’assureur, cette garantie standard ! La mise en garde ne semble pas non plus consacrée, et peut-être parce qu’elle n’est pas utile parce que la banque se trouve dans deux postures : ou elle peut faire bénéficier un client de l’assurance de groupe qui existe, ou elle ne le peut pas. Paradoxalement, à défaut d’assurance de groupe, le banquier risquerait moins d’engager sa responsabilité : il n’a pas à gérer les affaires de ses clients, ou du moins pas encore, et à défaut d’assurance de groupe il n’a pas à persuader son client de s’assurer.
IV. L'obligation d'éclairer énoncée par l'Assemblée plénière du 2 mars 2007
La remise de la notice ne suffit pas, ce denier point est confirmé par la fin de l'attendu de l'arrêt d'Assemblée. "Le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation".
Cette position est la condition première pour que l'on puisse créer une obligation d'informer. Il est donc inévitable que, pour une obligation d'éclairer, ce point soit réaffirmé. L'obligation d'éclairer, c'est l'obligation de mise en garde que les chambres ont par ailleurs su développer. Il n'est pas certain que cette appellation demeure car, pour le peuple des juristes, elle peut signifier autre chose. Les chambres pourraient, pour être plus claires, utiliser à l'avenir l'expression, résultat d'un cumul, "d'obligation d'éclairer et de mettre en garde". L'élégance du style ne serait pas au rendez-vous...
La jurisprudence d'hier n'est donc pas, au fond, morte ; à peine - si l'on peut dire - l'obligation d'informer se trouve désormais renforcée. Les juges du fond ne doivent cependant plus utiliser comme mode d'analyse l'obligation d'informer et de conseil, ils risqueraient la cassation. En outre, cette nouvelle obligation d'éclairer devrait trouver à notre sens, comme auparavant, davantage de sortes d'applications que pour d'autres domaines (pour le crédit, le défaut de mise en garde a pratiquement toujours le même objet : le risque). Le jeu de l'assurance est lui plus compliqué. La jurisprudence sera donc à surveiller.
L'information sur l'adéquation du risque à couvrir sera le cœur du problème, bien qu'elle puisse avoir d'autres points d'applications. A ce jeu là, la nouvelle obligation d'éclairer aura, à notre sens, la même aptitude que l'accordéon précédent. Elle pourra, selon les cas, plus ou moins s'ouvrir ou se comprimer. On doutera que la technique nouvelle soit radicalement différente de celle de "l'obligation d'information et de conseil" que, curieusement, la doctrine n'appelait guère ainsi. Avait-elle eu le nez creux ?
H. C.
L'arrêt d'assemblée plénière du 2 mars 2007 (extrait du site de la Cour de cassation).
"
"M. et Mme X... se sont pourvus en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile) en date du 20 novembre 2001 ;
Cet arrêt a été cassé le 26 mai 2004 par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation ;
La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Limoges qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 8 février 2006 dans le même sens que la cour d'appel de Poitiers par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l'arrêt de cassation ;
Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, M. le premier président a, par ordonnance du 21 novembre 2006, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ;
Les demandeurs invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat des époux X... ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Gaschignard, avocat de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou ;
Une note de la Fédération bancaire française, une note de l'Union fédérale des consommateurs (UFC) Que Choisir et une note de l'association Consommation logement et cadre de vie (CLCV) adressées au procureur général ont été communiquées aux parties ;
Le rapport écrit de Mme Renard-Payen, conseiller, et l'avis écrit de M. Main, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
(...)
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Com. 26 mai 2004, pourvoi n° 02-11.504), qu'à l'occasion de prêts consentis par la caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou (la caisse), M. X..., exploitant agricole, a adhéré à des assurances de groupes souscrites par le prêteur auprès de la Caisse nationale de prévoyance (l'assureur) ; que par arrêt irrévocable du 25 mars 1997, la cour d'appel a rejeté sa demande, et celle de son épouse, tendant à voir dire que l'assureur devait sa garantie ; qu'estimant que la caisse avait manqué à son devoir d'information et de conseil en faisant adhérer le mari à une assurance de groupe inadaptée, les époux X... l'ont assignée en réparation du préjudice subi du fait de la situation de non-assurance ;
Attendu que pour rejeter la demande indemnitaire, l'arrêt retient qu'en présence d'une clause claire et précise des contrats d'assurance, les époux X... ne pouvaient ignorer que l'assurance de groupe ne couvrait que l'invalidité totale et définitive et ne s'appliquait pas à la seule inaptitude à la profession d'agriculteur et que la caisse, qui n'avait pas l'obligation de conseiller à M. X... de souscrire une assurance complémentaire, n'a pas manqué à son obligation de conseil et d'information ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 février 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
________________________________________
MOYEN ANNEXÉ
________________________________________
Moyen produit par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat aux Conseils pour les époux X...
________________________________________
Les époux X... reprochent à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes tendant à faire condamner le Crédit agricole à leur payer la somme de 608.997,52 euros de dommages et intérêts pour manquement à son devoir d'information et de conseil ;
AUX MOTIFS QUE l'article 22-1 des conditions générales du contrat d'assurance définit l'invalidité comme étant l'impossibilité définitive de se livrer à toute occupation et/ou à toute activité rémunérée ou donnant à l'assuré gain et profit ; qu'en présence de cette clause claire et précise, les époux X... ne pouvaient ignorer que l'assurance groupe ne couvrait que l'invalidité totale et définitive et ne s'étendait pas à la seule inaptitude à la profession d'agriculteur ; qu'il s'ensuit que la Caisse, qui n'avait pas l'obligation de conseiller à Monsieur X... de souscrire une assurance complémentaire, n'a pas manqué à son obligation de conseil et d'information.
ALORS QUE l'existence de clauses claires dans le contrat d'assurance souscrit par l'emprunteur en garantie des prêts contractés par lui ne dispense pas le banquier de son devoir d'informer et de conseiller ce dernier sur l'étendue des garanties contractuelles compte tenu de sa situation personnelle ; qu'en se fondant, pour juger que la CRCAM n'avait pas manqué à son obligation de conseil et d'information, sur la circonstance inopérante que les clauses du contrat étaient claires et précises, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.
Président : M. Canivet, premier président
Rapporteur : Mme Renard-Payen, conseiller, assistée de Mme Sainsily-Pineau, greffier en chef
Avocat général : M. Main
Avocat(s) : la SCP Bachellier et Potier de La Varde, la SCP Gaschignard"
"
« Le souscripteur d'une assurance de groupe est tenu envers les adhérents d'une obligation d'information et de conseil qui ne s'achève pas avec la remise de la notice prévue par le second de ces textes » (Cass., 2e Ch. Civ ., 5 juillet 2006, p. n° 05-12603, publié). La Cour de cassation donne régulièrement la leçon à des juges du fond trop sensibles aux paroles des banques et assurances. L’affaire, en vérité de droit civil, intéresse le droit bancaire et le droit des assurances.
Un emprunteur tombé en invalidité profita de son assurance pendant… un trimestre ! L’indemnisation cessa car il atteignit 65 ans, conformément à l’assurance. Le contrat de prêt la contredisait : il prévoyant une assurance pendant toute la durée du remboursement ! Pour la Cour de cassation, le banquier a ainsi créé « une apparence trompeuse de garantie totale jusqu’à la fin du prêt ». Elle casse l’arrêt de la Cour de Grenoble et fait ainsi jouer l’obligation d’information et de conseil du banquier en raison de cette discordance. Cela aboutira à la condamnation du banquier devant la cour de renvoi.
La décision se laisse découper. Le souscripteur d'une assurance de groupe est tenu envers les adhérents (I) d'une obligation d'information et de conseil (II) qui ne s'achève pas avec la remise de la notice prévue par le second de ces textes (III).
Cette dernière affirmation a été réaffirmée dans un arrêt d'Assemblée. De telle manière que ce rappel – sur la position de la jurisprudence précédente, sur l'obligation d'information, permet de une première comparaison avec l'obligation d'éclairer énoncée par l'Assemblée plénière du 2 mars 2007 qui, lui, pose une obligation d'éclairer (IV).
I. – « Le souscripteur d'une assurance de groupe est tenu envers les adhérents »
Cette partie de phrase rappelle le contexte. L’assurance de groupe voit un assuré (ici le banquier) qui détermine un contrat d’assurance négocié avec une assurance ; l’objectif est que ses clients, contre une prime, adhèrent à ce contrat d’assurance : on les appelle « adhérents » ; si le risque couvert se réalise (incapacité), l’assurance jouera au profit de l’assuré (ici le banquier).
L’adhésion pose deux ou trois problèmes pratiques que les banquiers gèrent parfois mal. Les préposés bancaires sont pressés de faire du chiffre d’affaires… Or l’assurance, n’est que du papier. Il faut notamment que l’adhérent, qui va payer la prime d’assurance, soit au courant du mécanisme (par exemple pour déclarer son sinistre) et des garanties (de ses limites et de ses exclusions).
Le banquier qui fait les papiers est parfois défaillant. Il fait mal signer, ou bien un seul des époux, ou il ne donne pas les conditions générales ou la notice à l’adhérent, ou il la donne mais ne l’annexe pas au contrat de prêt… Dès que l’on dépasse le rapport bilatéral, tout se complique ! En effet, le banquier peut considérer que l’adhérent et l’assurance peuvent s’expliquer ensemble ou que l’assurance a rédigé des notices irréprochables, un ange passe… (voyez sur les laborieux contrats d’assurance-vie : http://www.wmaker.net/hervecausse). Voilà pourquoi l’adhésion pose souvent difficulté, et pourquoi la Cour de cassation a posé très tôt une obligation d’information et de conseil dont « le souscripteur est tenu envers les adhérents ».
Cette obligation d’information et de conseil est utilisée de façon concordante par les Première et Deuxième Chambres civiles (Civ. 1e, 2 février 1994, Bulletin 1994 I N° 39 p. 31) et depuis les années quatre-vingt (Civ. 1e, 18 déc. 1985, Bull. I, n° 357, p. 322). Elle a été confortée en 1989 par la loi (art. L. 140-4, Code des ass., devenu en 2005, L. 141-4). On trouve au moins dix arrêts publiés, cent inédits, qui l’utilisent au profit des adhérents mal informés… ou conseillés ?
II. – « D'une obligation d'information et de conseil »
Voilà l’obligation que la Cour de cassation affectionne ! Elle va de l’information jusqu’au conseil. Elle ignore la doctrine qui propose souvent un triptyque, rangeant dans 3 concepts tous les faits et actes qui peuvent instruire le client : information, mise en garde et conseil. La Cour paraît éviter ce système cloisonné. L’obligation de la Cour s’étire en accordéon presque à volonté pour obliger jusqu’au conseil. Mais elle peut aussi se compresser, ce qui est par exemple le cas en droit boursier (sauf pour les opérations à terme dites aussi spéculatives). Entre les deux, on peut y insérer l’obligation de mise en garde : plus forte et contraignante que l’information, elle est moindre que le conseil. Ici, la Deuxième Chambre civile étire nettement l’accordéon : le contrat de prêt qui fait croire à une couverture, même si l’assurance stipule l’inverse, engage la responsabilité du banquier.
Au lecteur de savoir s’il s’agit de pure information ou d’un véritable devoir de conseil, voire d’une obligation intermédiaire. Pour en dire toute l’actualité, remarquons que la Cour utilise encore ce concept dans une autre décision du même jour (pourvoi n°05-13580), pour une affaire très différente mais l’expression est la même
La flexibilité de l’expression est ici démontrée. Elle aboutit à écarter les prétentions du client adhérent. Ce dernier bénéficie en revanche de la règle selon laquelle c’est au professionnel de prouver qu’il a bien informé et conseillé (Civ. 2, 16 juin 2005, p. n° 05-14630, Banque Populaire Lorraine Champagne, inédit). Cette charge de la preuve s’étend autant que l’obligation elle-même, dont on ne sait si l’adhérent averti profite (mais comment il y aurait-t-il ici un client averti au courant de ce contrat d’assurance aussi spécifique ? ; voir cependant pour un adhérent ressemblant à un adhérent averti : Civ. 2, 7 déc. 2006, p. n° 05-19462, Barclays, inédit).
III. – « Qui ne s'achève pas avec la remise de la notice prévue par la loi »
Lorsque la Cour ouvre l’accordéon, l’instrument jurisprudentiel joue une note qui ressemble à l'obligation de conseil. L’obligation est redoutable si on pense à celle des juristes professionnels (avocats et notaires) à l’égard de leurs clients. En vérité, cette obligation ne va pas aussi loin. Le banquier n’a pas à conseiller son client, au sens d’aider à la gestion, sur la question de cette assurance. Ce que la Cour ne veut pas c’est décharger le banquier au motif qu’il existe des documents d’information d’assurance, alors surtout que c’est lui qui a défini, avec l’assureur, cette garantie standard ! La mise en garde ne semble pas non plus consacrée, et peut-être parce qu’elle n’est pas utile parce que la banque se trouve dans deux postures : ou elle peut faire bénéficier un client de l’assurance de groupe qui existe, ou elle ne le peut pas. Paradoxalement, à défaut d’assurance de groupe, le banquier risquerait moins d’engager sa responsabilité : il n’a pas à gérer les affaires de ses clients, ou du moins pas encore, et à défaut d’assurance de groupe il n’a pas à persuader son client de s’assurer.
IV. L'obligation d'éclairer énoncée par l'Assemblée plénière du 2 mars 2007
La remise de la notice ne suffit pas, ce denier point est confirmé par la fin de l'attendu de l'arrêt d'Assemblée. "Le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation".
Cette position est la condition première pour que l'on puisse créer une obligation d'informer. Il est donc inévitable que, pour une obligation d'éclairer, ce point soit réaffirmé. L'obligation d'éclairer, c'est l'obligation de mise en garde que les chambres ont par ailleurs su développer. Il n'est pas certain que cette appellation demeure car, pour le peuple des juristes, elle peut signifier autre chose. Les chambres pourraient, pour être plus claires, utiliser à l'avenir l'expression, résultat d'un cumul, "d'obligation d'éclairer et de mettre en garde". L'élégance du style ne serait pas au rendez-vous...
La jurisprudence d'hier n'est donc pas, au fond, morte ; à peine - si l'on peut dire - l'obligation d'informer se trouve désormais renforcée. Les juges du fond ne doivent cependant plus utiliser comme mode d'analyse l'obligation d'informer et de conseil, ils risqueraient la cassation. En outre, cette nouvelle obligation d'éclairer devrait trouver à notre sens, comme auparavant, davantage de sortes d'applications que pour d'autres domaines (pour le crédit, le défaut de mise en garde a pratiquement toujours le même objet : le risque). Le jeu de l'assurance est lui plus compliqué. La jurisprudence sera donc à surveiller.
L'information sur l'adéquation du risque à couvrir sera le cœur du problème, bien qu'elle puisse avoir d'autres points d'applications. A ce jeu là, la nouvelle obligation d'éclairer aura, à notre sens, la même aptitude que l'accordéon précédent. Elle pourra, selon les cas, plus ou moins s'ouvrir ou se comprimer. On doutera que la technique nouvelle soit radicalement différente de celle de "l'obligation d'information et de conseil" que, curieusement, la doctrine n'appelait guère ainsi. Avait-elle eu le nez creux ?
H. C.
L'arrêt d'assemblée plénière du 2 mars 2007 (extrait du site de la Cour de cassation).
"
"M. et Mme X... se sont pourvus en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers (2e chambre civile) en date du 20 novembre 2001 ;
Cet arrêt a été cassé le 26 mai 2004 par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation ;
La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Limoges qui, saisie de la même affaire, a statué par arrêt du 8 février 2006 dans le même sens que la cour d'appel de Poitiers par des motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l'arrêt de cassation ;
Un pourvoi ayant été formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, M. le premier président a, par ordonnance du 21 novembre 2006, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ;
Les demandeurs invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat des époux X... ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Gaschignard, avocat de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou ;
Une note de la Fédération bancaire française, une note de l'Union fédérale des consommateurs (UFC) Que Choisir et une note de l'association Consommation logement et cadre de vie (CLCV) adressées au procureur général ont été communiquées aux parties ;
Le rapport écrit de Mme Renard-Payen, conseiller, et l'avis écrit de M. Main, avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
(...)
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Com. 26 mai 2004, pourvoi n° 02-11.504), qu'à l'occasion de prêts consentis par la caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou (la caisse), M. X..., exploitant agricole, a adhéré à des assurances de groupes souscrites par le prêteur auprès de la Caisse nationale de prévoyance (l'assureur) ; que par arrêt irrévocable du 25 mars 1997, la cour d'appel a rejeté sa demande, et celle de son épouse, tendant à voir dire que l'assureur devait sa garantie ; qu'estimant que la caisse avait manqué à son devoir d'information et de conseil en faisant adhérer le mari à une assurance de groupe inadaptée, les époux X... l'ont assignée en réparation du préjudice subi du fait de la situation de non-assurance ;
Attendu que pour rejeter la demande indemnitaire, l'arrêt retient qu'en présence d'une clause claire et précise des contrats d'assurance, les époux X... ne pouvaient ignorer que l'assurance de groupe ne couvrait que l'invalidité totale et définitive et ne s'appliquait pas à la seule inaptitude à la profession d'agriculteur et que la caisse, qui n'avait pas l'obligation de conseiller à M. X... de souscrire une assurance complémentaire, n'a pas manqué à son obligation de conseil et d'information ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 février 2006, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
________________________________________
MOYEN ANNEXÉ
________________________________________
Moyen produit par la SCP Bachellier et Potier de La Varde, avocat aux Conseils pour les époux X...
________________________________________
Les époux X... reprochent à l'arrêt attaqué de les avoir déboutés de leurs demandes tendant à faire condamner le Crédit agricole à leur payer la somme de 608.997,52 euros de dommages et intérêts pour manquement à son devoir d'information et de conseil ;
AUX MOTIFS QUE l'article 22-1 des conditions générales du contrat d'assurance définit l'invalidité comme étant l'impossibilité définitive de se livrer à toute occupation et/ou à toute activité rémunérée ou donnant à l'assuré gain et profit ; qu'en présence de cette clause claire et précise, les époux X... ne pouvaient ignorer que l'assurance groupe ne couvrait que l'invalidité totale et définitive et ne s'étendait pas à la seule inaptitude à la profession d'agriculteur ; qu'il s'ensuit que la Caisse, qui n'avait pas l'obligation de conseiller à Monsieur X... de souscrire une assurance complémentaire, n'a pas manqué à son obligation de conseil et d'information.
ALORS QUE l'existence de clauses claires dans le contrat d'assurance souscrit par l'emprunteur en garantie des prêts contractés par lui ne dispense pas le banquier de son devoir d'informer et de conseiller ce dernier sur l'étendue des garanties contractuelles compte tenu de sa situation personnelle ; qu'en se fondant, pour juger que la CRCAM n'avait pas manqué à son obligation de conseil et d'information, sur la circonstance inopérante que les clauses du contrat étaient claires et précises, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil.
Président : M. Canivet, premier président
Rapporteur : Mme Renard-Payen, conseiller, assistée de Mme Sainsily-Pineau, greffier en chef
Avocat général : M. Main
Avocat(s) : la SCP Bachellier et Potier de La Varde, la SCP Gaschignard"
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