1 - Introduction. « La lutte contre l’incitation à la « surconsommation » » est un sujet difficile. Les deux termes caractérisant l’intitulé du sujet sont en effet peu habituels pour le juriste. L’incitation et la « surconsommation » relèvent autant du Droit que d’autres domaines du savoir. Pour aller vite, on dira que l’incitation relève de la psychologie et la « surconsommation » de l’économie voire de la gestion ou de la sociologie. En cela le sujet est difficile. Toutefois, ces disciplines sont assimilées en étant ramenées à la vie quotidienne. L’on ramène ainsi l’incitation à la « surconsommation » à des expériences personnelles en se posant la question suivante : ai-je déjà été incité à la « surconsommation » ? Voilà une façon simple de faire à la fois un peu d’économie, de psychologie et de sociologie. L’angle d’attaque ouvre sur les situations que le sujet recouvre et dont les termes principaux méritent attention.
2 - L’incitation n’est pas inconnue du droit français. Le Vocabulaire Juridique la mentionne mais renvoie à un synonyme (l’instigation) et aux mots : apologie, débauche, excitation, provocation. L’excitation (anc. C. Pén., art. 334-2) est donc une incitation à la débauche renvoyant à une consommation étrangère au sujet. Le terme (excitation) a cédé la place aux termes provoquer ou favoriser (C. Pén., art. 227-19 et 227–21) . Ces deux termes confirment le sens juridique que l’on peut prêter au terme, proche de son sens commun. Il est en outre d’évidence que l’on provoque par un fait ou un acte juridiques.
Cela éclaire le droit de la consommation : l’incitation suppose un geste positif visant à faire conclure un achat. Inciter, c’est accomplir un acte ou un fait destiné à provoquer un achat du consommateur sous-entendant que, sans ledit acte, il n’aurait point consommé. C’est faire une proposition – une pollicitation – particulière. La particularité viendra soit du contexte de l’acte ou plus probablement d’une situation juridique spéciale (un fait juridique). Le sujet s’ouvre sur un champ immense, très comparable à ce que J. Calais-Auloy et F. Steinmetz appellent, décrivant partie des « pratiques commerciales », les « procédés incitatifs » .
3 - A ce seuil, le néologisme « surconsommation » appelle un important point d’ordre. Son « invention » relève sans doute d’un mimétisme. Si l’endettement conduit au « surendettement » (néologisme législatif de 1989), c’est que la consommation (du particulier ou du ménage) peut conduire à de la « surconsommation ». Expliquons le lien illustrés ici par les mots « peut conduire ».
Sans doute est-ce l’excès qui conduit à la « surconsommation »… au point que l’on pensera que le néologisme traduit simplement l’idée d’une consommation excessive. Il faut cependant nuancer car la « surconsommation » des personnes largement solvables est inintéressante. Que ces dernières achètent plus de paires de chaussures qu’elles n’en usent ne nous intéresse pas. Il y a là une sorte de redistribution de la richesse montrant de la bonne (ou neutre) « surconsommation ». Cette dernière pose problème quand elle conduit à une impossibilité de règlement de la dette, généralement un prix. Il y a alors un facteur de risque. L’acte de « surconsommation » est donc un facteur de surendettement, d’autant plus important que l’impayé implique des frais (intérêts, frais de poursuites). Notre sujet, spécial, rejoint là le thème général du surendettement. Mais la remarque est de moindre importance.
4 - Le législateur n’a pas consacré la notion de « surconsommation » (ni celle de consommation excessive). Que la surconsommation soit plutôt inconnue du droit est logique. En effet, savoir s’il y a « surconsommation » impose une analyse malcommode suscitant une définition complexe. Cette dernière, en effet, devrait établir le rapport, à un moment donné, entre un acte de consommation et le patrimoine du consommateur, tout en tenant compte de l’effet marginal (utilité) de consommation.
A la supposer définie, lutter contre l’incitation à la « surconsommation » ferait donc difficulté : comment lutter contre la « surconsommation » néfaste sans entraver la « surconsommation » neutre ? Les professionnels ignorent « le patrimoine » ou le revenu (disponible ou à venir) des consommateurs et l’inverse serait inopportun en supprimant toute possibilité de négociation du prix. De surcroît, en limitant la « surconsommation » neutre, cette lutte risquerait le discrédit en altérant inutilement la liberté conventionnelle, la liberté du commerce, - voire d’autres, telle la liberté d’expression.
La « surconsommation » peut être approchée sur un plan général, mais ne peut guère être précisée sur un plan juridique. Elle n’est pas une notion juridique car son utilité était contestable, sa définition risquée et ses implications inopportunes. On considérera donc la « surconsommation » comme une consommation excessive.
5 – Il s’en déduit que la lutte contre l’incitation à la « surconsommation » n’a pas été conçue en tant que telle. Les règles qui tendent à limiter la consommation ou à exiger une consommation utile et opportune n’ont pas pu se fonder sur une volonté de lutte contre l’incitation à la « surconsommation ». Le sujet passe alors par des règles qui ont d’autres fondements que la lutte dont nous parlons. Elles ont ainsi pu être élaborées pour renforcer la loyauté des relations commerciales, évitant au consommateur les pièges dans lesquels il tombait régulièrement. On retrouve alors l’idée de procédés incitatifs avec, au premier rang, les pratiques commerciales de « promotion des ventes ». L’ambition que l’on se fixe est alors modeste : simplement ouvrir le débat sur l’incitation à la « surconsommation ».
Mariant la « surconsommation » à l’incitation, on pensera que toutes les incitations à consommer ouvrent la voie à la « surconsommation ». Or le législateur réglemente ou interdit les moyens et procédés commerciaux incitant à consommer. Ces règles illustrent la lutte en question (I). La comprendre et l’apprécier exige d’en relever les techniques (II).
I – Illustration de la lutte
6 – Nombre de règles tendent à ce que notamment le contrat soit un acte utile . Diverses règles visent à éviter l’achat à la légère. Ce dernier a en effet toute chance de constituer une consommation sans raison d’être ; or l’achat inutile appauvrit le consommateur. Pire, que son auteur soit désargenté et il y aura « surconsommation ». En cela, quitte à se répéter, la lutte contre l’incitation à la consommation vaut purement et simplement lutte contre l’incitation à la « surconsommation » .
Or, l’incitation est pour nombre d’entreprises un objectif de premier rang. Marketing, publicité et stratégie commerciale sont des armes inclinant le particulier à consommer au moyen d’un budget parfois non négligeable. Dans ce processus, l’entreprise se fiche totalement de savoir si le consommateur consomme de façon adéquate ou s’il « surconsomme ».
Si l’entreprise s’en moque les pouvoirs publics, eux, ne s’en sont pas désintéressés. La lutte existe, mais de façon très nuancée. Les achats à la légère sont par trop favorisés par diverses « pratiques commerciales » qui, pour cette raison, sont réglementées (intitulé de l’un des « Titres » du code de la consommation). La lutte est alors directe (B) tandis que, parfois, se lisant seulement en filigrane de la loi, elle est indirecte (A).
A - La lutte indirecte de la loi
7 – De nombreuses règles participent à cette lutte indirecte, ainsi l’information du consommateur ou sur le crédit à la consommation. Le traitement des situations de « surendettement » constitue lui-même une sorte de lutte finale. On peut partir de lui quoique il puisse paraître assez éloigné de la lutte contre l’incitation ; crédit à la consommation et obligation d’information amènent ensuite au cœur du sujet. Ces thèmes ayant été traités par d’autres intervenants, quelques observations suffisent qui conduisent à une remarque plus générale.
8 - On peut soutenir, à l’extrême, que le traitement des situations de surendettement illustre la lutte législative contre la surconsommation. Comment, en effet, lutter plus radicalement contre la surconsommation qu’en protégeant, a posteriori, le surendetté qui, pense-t-on par hypothèse a « surconsommé ». Déjà, la suspension des mesures d’exécution ou de report et rééchelonnement des dettes y participent ; plus nettement encore l’effacement des créances (c. cons., art. 331-7-1), en anéantissant les créances constitutives du surendettement, annihile les situations résultant de « surconsommation » . L’idée, générale, n’emporte pas une conviction juridique précise. Elle confirme seulement que l’actuel droit de la consommation n’a pas directement pris en compte la « surconsommation », quoiqu’il puisse se trouver, comme ici, des moyens de lutte a posteriori et en définitive assez efficace .
Le crédit à la consommation, quant à lui, est un acte juridique supplémentaire au « contrat de consommation ». A défaut d’en être toujours indépendant, il conserve une certaine autonomie. En tant que telle, l’exigence d’un instrumentum spécifique attire l’attention du consommateur. Devant s’endetter pour consommer, le consommateur percevra généralement qu’il « surconsomme ». La dette qu’il contracte lui souligne le pronostic qu’il fait sur ses revenus et besoins futurs, ne serait-ce que parce qu’il est bien obligé d’évaluer sa capacité, généralement mensuelle, de remboursement. Sauf à être privé de toute intelligence, cette réflexion suggère au consommateur le risque qu’il encourt. Pour cette raison, on peut juger que la lutte objet de nos préoccupations est ici concomitante à l’acte de consommation.
Faut-il dans ce cas d’une incitation par une offre de crédit imaginer des règles supplémentaires ? On en doutera. Pratiques commerciales et crédit à la consommation sont réglementés dans un même souci : éviter au consommateur qu’il n’acquière un bien inutile ou ne correspondant pas à son exact besoin, la « surconsommation » le guetterait. De ce point de vue, une protection contre l’incitation est assurée, cela ne signifiant pas que l’actuel régime du crédit à la consommation ne puisse être amélioré. Le sujet est d’actualité ; une proposition de directive communautaire prétend renforcer la protection et améliorer la technique.
9 - On peut encore soutenir, par exemple, que l’obligation d’information relative au prix pesant sur le professionnel (L. 113-3) participe également à la lutte contre l’incitation à la surconsommation. Elle évite au consommateur de payer un prix élevé eu égard à ses moyens. Annonces, expositions et propositions sans prix favorisent la surconsommation : découvrant tardivement le prix, le consommateur hésite à renoncer à un produit ou service, en présence du vendeur, sur le seul et trop visible élément qu’est le prix. Reconnaître que l’on n'a pas les moyens est devenu une honte, soit une « contre-valeur » produite par la société de consommation, quand, en vérité, il n’y a que noblesse à savoir fixer et avouer ses limites financières. La lutte, le cas de l’information sur le prix le montre, peut être préalable à l’acte de consommation. Mais alors, pensera-t-on, toutes les obligations préalables d’information rentrent dans le sujet ? !
10 – Extrapolée, cette dernière question relative aux obligations d’information amène à une interrogation générale dont la réponse sera la remarque générale annoncée. L’interrogation est celle-ci : en définitive, toutes les règles du droit de la consommation ne participent-elles pas à la lutte objet de réflexion ? Toutes, certainement pas… mais, la plupart, peut-être. Et cela s’entend : par nature le droit de la consommation favorise la « bonne consommation » ; en ce sens, il est l’antithèse de la surconsommation liée à une incitation qui tend à empêcher le consommateur à discerner ses intérêts. Du coup, on peut penser qu’éviter ou limiter les incitations a été assez souvent fait sans que la lutte soit clairement identifiée puisqu’elle était au cœur de l’action des promoteurs des lois consumméristes ; aucune loi spécifique n’avait donc à répondre à cette préoccupation car, en vérité, elle est consubstantielle au droit de la consommation lui-même. Néanmoins, si la volonté de lutte est omniprésente elle n’est souvent qu’une justification, parmi d’autres, de la règle posée. Naturellement moins vrai dans le cas de la lutte directe, faisant de la lutte contre l’incitation à la surconsommation la sœur cachée du droit de la consommation.
B - La lutte directe de la loi
11 - Les pratiques commerciales diminuent la vigilance du consommateur en affaiblissant sa capacité à exprimer un consentement né d’un libre arbitre. Ce dernier, en principe, devrait s’exprimer relativement à la prestation caractéristique de la convention et à son prix . En pratique, les choses se passent assez différemment.
Les pratiques commerciales tendent à ce qu’il n’en soit pas exactement ainsi ; elles sont l’art et la manière de distraire le consommateur. Y figurent, pêle-mêle, les règles concernant la publicité commerciale, les loteries publicitaires, le démarchage, les ventes directes, les ventes avec primes, les ventes sans commande préalable, les ventes à la boule de neige, les soldes, les annonces de rabais, les crédits gratuits. On est là assez proche d’autres auteurs. Les « procédés incitatifs » sont parfois vus (J. Calais, préc.) comme étant la publicité, les réductions de prix, les avantages en nature et l’abus de faiblesse (ce dernier, délit pénal, échappe aux « pratiques commerciales » pour n’être qu’une pratique illicite, cf. infra n° 13).
On ne décrira pas ici toutes ces réglementations. Cela aurait peu d’intérêt car, admises et usuelles, la majorité des professionnels les respectent. La lutte contre l’incitation à la consommation est donc admise de tous. La réglementation est d’autant plus admise qu’elle évite aux professionnels de se livrer à une concurrence incessante et de toute forme. Aussi est-il compréhensible que le sujet soit sur le point de rebondir non sur le terrain du pur droit interne mais sur celui du droit communautaire de la concurrence, corde tendue de ce droit.
12 - Une proposition de règlement communautaire souhaite vivifier la concurrence fondée sur « la promotion des ventes » car elle souffrirait des règles nationales ce qui entraverait le commerce transfrontalier, donc intra-communautaire. Il faut ici dire clairement que les multiples intentions généreuses de la Communauté européenne finissent en contradiction. Une tel règlement illustre le monde dans lequel le choix communautaire nous plonge aujourd’hui. C’est un « droit du business » où tout est fait pour sans cesse favoriser les affaires. Cette actuelle et vive réalité prend sa source dans les principes juridiques (libertés fondamentales économiques) qui fondèrent le Traité de Rome dès son origine. Quand ces libertés se concevaient en termes d’échanges nationaux, voire de libertés reconnues aux grandes entreprises, on ne percevait pas nécessairement qu’elles aboutiraient à une réglementation (libérale) des… promotions des ventes ! C’est-à-dire dans une norme réglementant la moindre situation juridique de consommation. Comment concilier la protection du consommateur (T. CE, art. 153, anc. art 129 A) et l’affirmation de la plus grande liberté des sollicitations commerciales sous la forme de promotions des ventes ? La réponse est, pour notre sujet, très simple . La conciliation passe par l’oublie que l’incitation à la consommation mérite d’être réglementée pour éviter la surconsommation et, finalement souvent, le surendettement. Le constat fait au plan national (supra, n° 10) est fait à nouveau à l’examen du règlement communautaire à venir. Synthétisons : à force de ne pas penser à la lutte, en tant que telle, contre l’incitation à la surconsommation, on peut l’oublier. L’enseignement peut doublement aider le législateur à l’avenir. En premier lieu en lui rappelant que la lutte contre la mauvaise consommation qu’est la surconsommation est consubstantielle au droit de la consommation. En second lieu en lui soulignant le risque de contradiction dans la politique économique et juridique de la Communauté européenne. Ce dernier risque, autant juridique que politique, invite le juriste de droit privé à se replier sur les aspects techniques du sujet.
II – Techniques de lutte
13 - La volonté de décrire ces techniques pourrait amener à les classer selon leur nature civile, administrative ou pénale. L’exemple d’une infraction pénale caractéristique du droit de la consommation invite à ne pas le faire. Le célèbre, large et efficace délit de publicité trompeuse permet d’expliquer pourquoi . Il incrimine tout message public, destiné à augmenter les ventes d’une entreprise, qui comporterait une allégation, présentation ou indications fausses ou de nature à induire en erreur sur, pour résumer, le produit, service et entreprise . Les dispositions pénales reflètent seulement un interdit (ou une prescription) qui, dès lors, est le cœur du dispositif de lutte. La technique, c’est alors l’interdit. L’infraction pénale n’est donc pas une technique de lutte contre l’incitation à la surconsommation, quoiqu’elle en soit un moyen. Cela différerait si l’on réfléchissait à un délit « d’incitation à la surconsommation »… Les techniques en cause sont à extirper d’un plus vaste ensemble de règles. L’idée de technique dépasse évidemment le constat que ces règles créent des obligations sur les professionnels et des droits pour les consommateurs. En effet, une technique est surtout intéressante pour le mécanisme qu’elle consacre. Or la technique concerne parfois l’organisation du rapport conventionnel (A), parfois celle du commerce (B).
A - L’organisation des rapports conventionnels.
14 - Cette lutte est législative car le droit des obligations relève du législateur. Or, les dettes qui naissent à la suite d’incitation et qui constituent une « surconsommation » résultent généralement de conventions. Un aménagement des préalables, régime et suites des conventions a limité les ardeurs des entreprises et protégé le consommateur. Nous citerons quatre exemples de techniques luttant contre l’incitation.
15 - La prescription d’une information précontractuelle. Outre l’impératif d’une information publique intègre, qu’illustre le délit de publicité trompeuse, une information personnalisée complète contribue à éviter une surconsommation. Elle est souvent exigée. On pourrait l’imaginer plus spécifique et rigoureuse. « Consommez selon vos moyens ». ; « Consommer à crédit est dangereux » ; « Consommer n’est pas dépenser ». On imagine les réprobations que ce style d’information susciterait : les professionnels n’ont pas à éduquer les consommateurs ! … et la loi non plus…
16 - L’invention de droits. Il s’agit de créer une prérogative subjective. L’octroi d’un délai de réflexion illustre la chose, encore qu’elle puisse être précisée. Le délai de réflexion préalable à la conclusion du contrat n’est pas ici éloquent, ressemblant plutôt à la réglementation d’une situation conventionnelle (infra n° 18). Le droit de rétractation du contrat postérieur à sa conclusion, soit de repentir, est en revanche une arme redoutable. L’incitation qui a réussie peut, généralement pendant sept jours après la conclusion du contrat, être anéantie.
17 - L’invention de conventions spéciales. Avec cette technique on passe à une arme lourde de lutte contre l’incitation. Maintes conventions et régimes pourraient être citées. On pense au moins, d’emblée, à la convention de crédit à la consommation, d’actualité depuis 1978. On pense encore au récent contrat de jouissance d’immeuble à temps partagé. La technique en cause a pour inconvénient de déstructurer les droits internes ce qui, du point du vue de l’action communautaire, peut être vue comme une restructuration salutaire des vieux contrats spéciaux propres aux Etats membres. On est sur un terrains de la politique juridique les plus ouverts aux débats, scientifiques et sinon polémiques au moins dogmatiques.
18 - L’invention de situations conventionnelles. Plus originale, la technique, redoutablement efficace, relève de la politique juridique en ne concernant pas une convention mais la plupart des actes juridiques. L’exemple typique est la réglementation du démarchage – celle sur le surendettement procède un peu de la sorte. Ce qui est visé, c’est un contexte contractuel et non une convention spéciale. L’inconvénient c’est qu’il faut identifier ce contexte et qu’il repose sur une pratique générale. Telle était le cas du démarchage. L’hypothèse est peut-être en définitive rare, le démarchage par voie téléphonique ou électronique n’en étant qu’une application (commerciale et juridique) particulière. Qui plus est, une telle réglementation pourrait apparaître plus nettement comme se heurtant au futur règlement communautaire sur la promotion des ventes. Le démarchage est véritablement large puisque, depuis les belles heures du droit de la consommation, il concerne les instruments financiers ; de 1972, la législation changera prochainement.
19 - L’interdit civil. La technique n’appelle guère de commentaires. Un cas de toujours et un autre, récent, l’illustre. Les ventes sans commande préalable sont prohibées comme, aujourd’hui, l’utilisation d’automates d’appels ou télécopieurs en l’absence de consentement du destinataire (C. cons. L. 122-2 et L. 122-3 complété et le récent L. 121-20-5, une directive exigera du législateur qu’il complète ce dispositif). Mais l’interdit est une technique liberticide qui ne peut être utilisée qu’avec parcimonie. Il mettrait sinon en cause les principes du « droit du marché » .
B - L’organisation du commerce.
20 - Le législateur n’a ici et encore pas toute liberté : le Conseil constitutionnel, que les principes communautaires confortent, pourrait censurer des dispositions altérant la liberté du commerce. Au demeurant, la lutte contre l’incitation à la consommation s’alimente de deux techniques qui, chacune, se déclinent. Il s’agit du commerce réglementé et de l’autorisation préalable administrative.
21 - Le commerce réglementé. Les exemples sont nombreux. Ils montrent définitivement que notre sujet était difficile mais pertinent. Les loteries sans obligation d’achat montrent une règle intéressante. Il s’agit de distinguer l’acte de consommation de l’avantage promotionnel, de l’en isoler. C’est une forme d’information ! Les loteries payantes sont purement interdites pour des raisons qui échappent au droit de la consommation.
Les jeux ou concours illustrent encore que, dans l’esprit du législateur, la lutte manque de clarté. On ne sait à quel régime juridique soumettre ces opérations commerciales ; on tend vers le régime de la loterie si, en plus de la perspicacité du candidat, un tirage intervient. On tend vers la prime si les questions sont « bébêtes » et réservent à chaque gagnant un cadeau. Bref, le jeu de perspicacité (ou concours ludique), ses cadeaux et son règlement se mélangent allègrement à la proposition commerciale qui incite à la consommation.
Avec la réglementation sur les primes, la technique est celle de la limitation en valeur. L’incitation est endiguée par l’élaboration d’un plafond financier. Le juriste peut-il en dire plus ? Il constate au mieux que l’incitation légère est jugée acceptable. On s’échappe du droit pour entrer dans le domaine du marchandage.
Le cas des ventes directes éclaire, lui, la technique de la réservation de mots (art. 310-4 c. com. et 121-34 c. cons.). Les mots « magasin d’usine » et « dépôt d’usine » sont réservés. Il y a de l’interdit dans la réservation, mais comme la langue est flexible (un autre mot sera trouvé), la règle le devient, devenant en cela acceptable. Mais, sorte de comble, les mots « ventes directes » ne le sont pas !?
22 - Le commerce autorisé par l’administration. La technique est celle de l’autorisation préalable administrative, préférée au régime de la simple déclaration préalable administrative jugée, sans doute à raison, trop souple. C’est le cas pour les soldes, la vente au déballage et les liquidations. Les variations réglementaires d’octroi desdites autorisations étant ici secondaire , on notera simplement l’efficacité de la technique. Elle montre, malgré le cas des soldes, une autre époque où, du reste, la lutte contre l’incitation fut nettement comprise par les pouvoirs publics. Les petits commerçants représentaient du monde et le canal maître de la distribution. Un vendeur de nulle part qui déballait sa marchandise, ou installé dans un local commercial fugace et qui faisait des liquidations, ça ne passait pas ! Aujourd’hui, les pouvoirs publics écoutent davantage les associés de « grands cabinets de consulting » que le commerce local !
23 - On jugera pour conclure que les perspectives de lutte contre l’incitation à la consommation sont assez importantes. Premièrement parce que l’on doute que ladite lutte ait été développée en tant que telle ; une assez grande marge de manœuvre existerait donc si les pouvoirs publics la prenaient en considération. Cela supposerait d’atténuer l’antienne du discours économique de la relance, du soutien ou du maintien de la consommation (sans laquelle l’économie menace si souvent de s’écrouler !). Cependant, les acquis constatés ne sont pas négligeables. Mais justement et secondement, l’existence de divers cas et techniques de luttes (en droit interne et communautaire) rend possible une lutte réglementaire fine. Le progrès de la lutte passera par l’usage affiné et élargit des techniques de lutte, élargissement qui évoquant le politique éloigne du sage champ juridique…
Hervé CAUSSE,
Docteur en droit, Habité à diriger les recherches en droit privé et sciences criminelles,
Professeur des Universités, Professeur des Facultés de Droit
2 - L’incitation n’est pas inconnue du droit français. Le Vocabulaire Juridique la mentionne mais renvoie à un synonyme (l’instigation) et aux mots : apologie, débauche, excitation, provocation. L’excitation (anc. C. Pén., art. 334-2) est donc une incitation à la débauche renvoyant à une consommation étrangère au sujet. Le terme (excitation) a cédé la place aux termes provoquer ou favoriser (C. Pén., art. 227-19 et 227–21) . Ces deux termes confirment le sens juridique que l’on peut prêter au terme, proche de son sens commun. Il est en outre d’évidence que l’on provoque par un fait ou un acte juridiques.
Cela éclaire le droit de la consommation : l’incitation suppose un geste positif visant à faire conclure un achat. Inciter, c’est accomplir un acte ou un fait destiné à provoquer un achat du consommateur sous-entendant que, sans ledit acte, il n’aurait point consommé. C’est faire une proposition – une pollicitation – particulière. La particularité viendra soit du contexte de l’acte ou plus probablement d’une situation juridique spéciale (un fait juridique). Le sujet s’ouvre sur un champ immense, très comparable à ce que J. Calais-Auloy et F. Steinmetz appellent, décrivant partie des « pratiques commerciales », les « procédés incitatifs » .
3 - A ce seuil, le néologisme « surconsommation » appelle un important point d’ordre. Son « invention » relève sans doute d’un mimétisme. Si l’endettement conduit au « surendettement » (néologisme législatif de 1989), c’est que la consommation (du particulier ou du ménage) peut conduire à de la « surconsommation ». Expliquons le lien illustrés ici par les mots « peut conduire ».
Sans doute est-ce l’excès qui conduit à la « surconsommation »… au point que l’on pensera que le néologisme traduit simplement l’idée d’une consommation excessive. Il faut cependant nuancer car la « surconsommation » des personnes largement solvables est inintéressante. Que ces dernières achètent plus de paires de chaussures qu’elles n’en usent ne nous intéresse pas. Il y a là une sorte de redistribution de la richesse montrant de la bonne (ou neutre) « surconsommation ». Cette dernière pose problème quand elle conduit à une impossibilité de règlement de la dette, généralement un prix. Il y a alors un facteur de risque. L’acte de « surconsommation » est donc un facteur de surendettement, d’autant plus important que l’impayé implique des frais (intérêts, frais de poursuites). Notre sujet, spécial, rejoint là le thème général du surendettement. Mais la remarque est de moindre importance.
4 - Le législateur n’a pas consacré la notion de « surconsommation » (ni celle de consommation excessive). Que la surconsommation soit plutôt inconnue du droit est logique. En effet, savoir s’il y a « surconsommation » impose une analyse malcommode suscitant une définition complexe. Cette dernière, en effet, devrait établir le rapport, à un moment donné, entre un acte de consommation et le patrimoine du consommateur, tout en tenant compte de l’effet marginal (utilité) de consommation.
A la supposer définie, lutter contre l’incitation à la « surconsommation » ferait donc difficulté : comment lutter contre la « surconsommation » néfaste sans entraver la « surconsommation » neutre ? Les professionnels ignorent « le patrimoine » ou le revenu (disponible ou à venir) des consommateurs et l’inverse serait inopportun en supprimant toute possibilité de négociation du prix. De surcroît, en limitant la « surconsommation » neutre, cette lutte risquerait le discrédit en altérant inutilement la liberté conventionnelle, la liberté du commerce, - voire d’autres, telle la liberté d’expression.
La « surconsommation » peut être approchée sur un plan général, mais ne peut guère être précisée sur un plan juridique. Elle n’est pas une notion juridique car son utilité était contestable, sa définition risquée et ses implications inopportunes. On considérera donc la « surconsommation » comme une consommation excessive.
5 – Il s’en déduit que la lutte contre l’incitation à la « surconsommation » n’a pas été conçue en tant que telle. Les règles qui tendent à limiter la consommation ou à exiger une consommation utile et opportune n’ont pas pu se fonder sur une volonté de lutte contre l’incitation à la « surconsommation ». Le sujet passe alors par des règles qui ont d’autres fondements que la lutte dont nous parlons. Elles ont ainsi pu être élaborées pour renforcer la loyauté des relations commerciales, évitant au consommateur les pièges dans lesquels il tombait régulièrement. On retrouve alors l’idée de procédés incitatifs avec, au premier rang, les pratiques commerciales de « promotion des ventes ». L’ambition que l’on se fixe est alors modeste : simplement ouvrir le débat sur l’incitation à la « surconsommation ».
Mariant la « surconsommation » à l’incitation, on pensera que toutes les incitations à consommer ouvrent la voie à la « surconsommation ». Or le législateur réglemente ou interdit les moyens et procédés commerciaux incitant à consommer. Ces règles illustrent la lutte en question (I). La comprendre et l’apprécier exige d’en relever les techniques (II).
I – Illustration de la lutte
6 – Nombre de règles tendent à ce que notamment le contrat soit un acte utile . Diverses règles visent à éviter l’achat à la légère. Ce dernier a en effet toute chance de constituer une consommation sans raison d’être ; or l’achat inutile appauvrit le consommateur. Pire, que son auteur soit désargenté et il y aura « surconsommation ». En cela, quitte à se répéter, la lutte contre l’incitation à la consommation vaut purement et simplement lutte contre l’incitation à la « surconsommation » .
Or, l’incitation est pour nombre d’entreprises un objectif de premier rang. Marketing, publicité et stratégie commerciale sont des armes inclinant le particulier à consommer au moyen d’un budget parfois non négligeable. Dans ce processus, l’entreprise se fiche totalement de savoir si le consommateur consomme de façon adéquate ou s’il « surconsomme ».
Si l’entreprise s’en moque les pouvoirs publics, eux, ne s’en sont pas désintéressés. La lutte existe, mais de façon très nuancée. Les achats à la légère sont par trop favorisés par diverses « pratiques commerciales » qui, pour cette raison, sont réglementées (intitulé de l’un des « Titres » du code de la consommation). La lutte est alors directe (B) tandis que, parfois, se lisant seulement en filigrane de la loi, elle est indirecte (A).
A - La lutte indirecte de la loi
7 – De nombreuses règles participent à cette lutte indirecte, ainsi l’information du consommateur ou sur le crédit à la consommation. Le traitement des situations de « surendettement » constitue lui-même une sorte de lutte finale. On peut partir de lui quoique il puisse paraître assez éloigné de la lutte contre l’incitation ; crédit à la consommation et obligation d’information amènent ensuite au cœur du sujet. Ces thèmes ayant été traités par d’autres intervenants, quelques observations suffisent qui conduisent à une remarque plus générale.
8 - On peut soutenir, à l’extrême, que le traitement des situations de surendettement illustre la lutte législative contre la surconsommation. Comment, en effet, lutter plus radicalement contre la surconsommation qu’en protégeant, a posteriori, le surendetté qui, pense-t-on par hypothèse a « surconsommé ». Déjà, la suspension des mesures d’exécution ou de report et rééchelonnement des dettes y participent ; plus nettement encore l’effacement des créances (c. cons., art. 331-7-1), en anéantissant les créances constitutives du surendettement, annihile les situations résultant de « surconsommation » . L’idée, générale, n’emporte pas une conviction juridique précise. Elle confirme seulement que l’actuel droit de la consommation n’a pas directement pris en compte la « surconsommation », quoiqu’il puisse se trouver, comme ici, des moyens de lutte a posteriori et en définitive assez efficace .
Le crédit à la consommation, quant à lui, est un acte juridique supplémentaire au « contrat de consommation ». A défaut d’en être toujours indépendant, il conserve une certaine autonomie. En tant que telle, l’exigence d’un instrumentum spécifique attire l’attention du consommateur. Devant s’endetter pour consommer, le consommateur percevra généralement qu’il « surconsomme ». La dette qu’il contracte lui souligne le pronostic qu’il fait sur ses revenus et besoins futurs, ne serait-ce que parce qu’il est bien obligé d’évaluer sa capacité, généralement mensuelle, de remboursement. Sauf à être privé de toute intelligence, cette réflexion suggère au consommateur le risque qu’il encourt. Pour cette raison, on peut juger que la lutte objet de nos préoccupations est ici concomitante à l’acte de consommation.
Faut-il dans ce cas d’une incitation par une offre de crédit imaginer des règles supplémentaires ? On en doutera. Pratiques commerciales et crédit à la consommation sont réglementés dans un même souci : éviter au consommateur qu’il n’acquière un bien inutile ou ne correspondant pas à son exact besoin, la « surconsommation » le guetterait. De ce point de vue, une protection contre l’incitation est assurée, cela ne signifiant pas que l’actuel régime du crédit à la consommation ne puisse être amélioré. Le sujet est d’actualité ; une proposition de directive communautaire prétend renforcer la protection et améliorer la technique.
9 - On peut encore soutenir, par exemple, que l’obligation d’information relative au prix pesant sur le professionnel (L. 113-3) participe également à la lutte contre l’incitation à la surconsommation. Elle évite au consommateur de payer un prix élevé eu égard à ses moyens. Annonces, expositions et propositions sans prix favorisent la surconsommation : découvrant tardivement le prix, le consommateur hésite à renoncer à un produit ou service, en présence du vendeur, sur le seul et trop visible élément qu’est le prix. Reconnaître que l’on n'a pas les moyens est devenu une honte, soit une « contre-valeur » produite par la société de consommation, quand, en vérité, il n’y a que noblesse à savoir fixer et avouer ses limites financières. La lutte, le cas de l’information sur le prix le montre, peut être préalable à l’acte de consommation. Mais alors, pensera-t-on, toutes les obligations préalables d’information rentrent dans le sujet ? !
10 – Extrapolée, cette dernière question relative aux obligations d’information amène à une interrogation générale dont la réponse sera la remarque générale annoncée. L’interrogation est celle-ci : en définitive, toutes les règles du droit de la consommation ne participent-elles pas à la lutte objet de réflexion ? Toutes, certainement pas… mais, la plupart, peut-être. Et cela s’entend : par nature le droit de la consommation favorise la « bonne consommation » ; en ce sens, il est l’antithèse de la surconsommation liée à une incitation qui tend à empêcher le consommateur à discerner ses intérêts. Du coup, on peut penser qu’éviter ou limiter les incitations a été assez souvent fait sans que la lutte soit clairement identifiée puisqu’elle était au cœur de l’action des promoteurs des lois consumméristes ; aucune loi spécifique n’avait donc à répondre à cette préoccupation car, en vérité, elle est consubstantielle au droit de la consommation lui-même. Néanmoins, si la volonté de lutte est omniprésente elle n’est souvent qu’une justification, parmi d’autres, de la règle posée. Naturellement moins vrai dans le cas de la lutte directe, faisant de la lutte contre l’incitation à la surconsommation la sœur cachée du droit de la consommation.
B - La lutte directe de la loi
11 - Les pratiques commerciales diminuent la vigilance du consommateur en affaiblissant sa capacité à exprimer un consentement né d’un libre arbitre. Ce dernier, en principe, devrait s’exprimer relativement à la prestation caractéristique de la convention et à son prix . En pratique, les choses se passent assez différemment.
Les pratiques commerciales tendent à ce qu’il n’en soit pas exactement ainsi ; elles sont l’art et la manière de distraire le consommateur. Y figurent, pêle-mêle, les règles concernant la publicité commerciale, les loteries publicitaires, le démarchage, les ventes directes, les ventes avec primes, les ventes sans commande préalable, les ventes à la boule de neige, les soldes, les annonces de rabais, les crédits gratuits. On est là assez proche d’autres auteurs. Les « procédés incitatifs » sont parfois vus (J. Calais, préc.) comme étant la publicité, les réductions de prix, les avantages en nature et l’abus de faiblesse (ce dernier, délit pénal, échappe aux « pratiques commerciales » pour n’être qu’une pratique illicite, cf. infra n° 13).
On ne décrira pas ici toutes ces réglementations. Cela aurait peu d’intérêt car, admises et usuelles, la majorité des professionnels les respectent. La lutte contre l’incitation à la consommation est donc admise de tous. La réglementation est d’autant plus admise qu’elle évite aux professionnels de se livrer à une concurrence incessante et de toute forme. Aussi est-il compréhensible que le sujet soit sur le point de rebondir non sur le terrain du pur droit interne mais sur celui du droit communautaire de la concurrence, corde tendue de ce droit.
12 - Une proposition de règlement communautaire souhaite vivifier la concurrence fondée sur « la promotion des ventes » car elle souffrirait des règles nationales ce qui entraverait le commerce transfrontalier, donc intra-communautaire. Il faut ici dire clairement que les multiples intentions généreuses de la Communauté européenne finissent en contradiction. Une tel règlement illustre le monde dans lequel le choix communautaire nous plonge aujourd’hui. C’est un « droit du business » où tout est fait pour sans cesse favoriser les affaires. Cette actuelle et vive réalité prend sa source dans les principes juridiques (libertés fondamentales économiques) qui fondèrent le Traité de Rome dès son origine. Quand ces libertés se concevaient en termes d’échanges nationaux, voire de libertés reconnues aux grandes entreprises, on ne percevait pas nécessairement qu’elles aboutiraient à une réglementation (libérale) des… promotions des ventes ! C’est-à-dire dans une norme réglementant la moindre situation juridique de consommation. Comment concilier la protection du consommateur (T. CE, art. 153, anc. art 129 A) et l’affirmation de la plus grande liberté des sollicitations commerciales sous la forme de promotions des ventes ? La réponse est, pour notre sujet, très simple . La conciliation passe par l’oublie que l’incitation à la consommation mérite d’être réglementée pour éviter la surconsommation et, finalement souvent, le surendettement. Le constat fait au plan national (supra, n° 10) est fait à nouveau à l’examen du règlement communautaire à venir. Synthétisons : à force de ne pas penser à la lutte, en tant que telle, contre l’incitation à la surconsommation, on peut l’oublier. L’enseignement peut doublement aider le législateur à l’avenir. En premier lieu en lui rappelant que la lutte contre la mauvaise consommation qu’est la surconsommation est consubstantielle au droit de la consommation. En second lieu en lui soulignant le risque de contradiction dans la politique économique et juridique de la Communauté européenne. Ce dernier risque, autant juridique que politique, invite le juriste de droit privé à se replier sur les aspects techniques du sujet.
II – Techniques de lutte
13 - La volonté de décrire ces techniques pourrait amener à les classer selon leur nature civile, administrative ou pénale. L’exemple d’une infraction pénale caractéristique du droit de la consommation invite à ne pas le faire. Le célèbre, large et efficace délit de publicité trompeuse permet d’expliquer pourquoi . Il incrimine tout message public, destiné à augmenter les ventes d’une entreprise, qui comporterait une allégation, présentation ou indications fausses ou de nature à induire en erreur sur, pour résumer, le produit, service et entreprise . Les dispositions pénales reflètent seulement un interdit (ou une prescription) qui, dès lors, est le cœur du dispositif de lutte. La technique, c’est alors l’interdit. L’infraction pénale n’est donc pas une technique de lutte contre l’incitation à la surconsommation, quoiqu’elle en soit un moyen. Cela différerait si l’on réfléchissait à un délit « d’incitation à la surconsommation »… Les techniques en cause sont à extirper d’un plus vaste ensemble de règles. L’idée de technique dépasse évidemment le constat que ces règles créent des obligations sur les professionnels et des droits pour les consommateurs. En effet, une technique est surtout intéressante pour le mécanisme qu’elle consacre. Or la technique concerne parfois l’organisation du rapport conventionnel (A), parfois celle du commerce (B).
A - L’organisation des rapports conventionnels.
14 - Cette lutte est législative car le droit des obligations relève du législateur. Or, les dettes qui naissent à la suite d’incitation et qui constituent une « surconsommation » résultent généralement de conventions. Un aménagement des préalables, régime et suites des conventions a limité les ardeurs des entreprises et protégé le consommateur. Nous citerons quatre exemples de techniques luttant contre l’incitation.
15 - La prescription d’une information précontractuelle. Outre l’impératif d’une information publique intègre, qu’illustre le délit de publicité trompeuse, une information personnalisée complète contribue à éviter une surconsommation. Elle est souvent exigée. On pourrait l’imaginer plus spécifique et rigoureuse. « Consommez selon vos moyens ». ; « Consommer à crédit est dangereux » ; « Consommer n’est pas dépenser ». On imagine les réprobations que ce style d’information susciterait : les professionnels n’ont pas à éduquer les consommateurs ! … et la loi non plus…
16 - L’invention de droits. Il s’agit de créer une prérogative subjective. L’octroi d’un délai de réflexion illustre la chose, encore qu’elle puisse être précisée. Le délai de réflexion préalable à la conclusion du contrat n’est pas ici éloquent, ressemblant plutôt à la réglementation d’une situation conventionnelle (infra n° 18). Le droit de rétractation du contrat postérieur à sa conclusion, soit de repentir, est en revanche une arme redoutable. L’incitation qui a réussie peut, généralement pendant sept jours après la conclusion du contrat, être anéantie.
17 - L’invention de conventions spéciales. Avec cette technique on passe à une arme lourde de lutte contre l’incitation. Maintes conventions et régimes pourraient être citées. On pense au moins, d’emblée, à la convention de crédit à la consommation, d’actualité depuis 1978. On pense encore au récent contrat de jouissance d’immeuble à temps partagé. La technique en cause a pour inconvénient de déstructurer les droits internes ce qui, du point du vue de l’action communautaire, peut être vue comme une restructuration salutaire des vieux contrats spéciaux propres aux Etats membres. On est sur un terrains de la politique juridique les plus ouverts aux débats, scientifiques et sinon polémiques au moins dogmatiques.
18 - L’invention de situations conventionnelles. Plus originale, la technique, redoutablement efficace, relève de la politique juridique en ne concernant pas une convention mais la plupart des actes juridiques. L’exemple typique est la réglementation du démarchage – celle sur le surendettement procède un peu de la sorte. Ce qui est visé, c’est un contexte contractuel et non une convention spéciale. L’inconvénient c’est qu’il faut identifier ce contexte et qu’il repose sur une pratique générale. Telle était le cas du démarchage. L’hypothèse est peut-être en définitive rare, le démarchage par voie téléphonique ou électronique n’en étant qu’une application (commerciale et juridique) particulière. Qui plus est, une telle réglementation pourrait apparaître plus nettement comme se heurtant au futur règlement communautaire sur la promotion des ventes. Le démarchage est véritablement large puisque, depuis les belles heures du droit de la consommation, il concerne les instruments financiers ; de 1972, la législation changera prochainement.
19 - L’interdit civil. La technique n’appelle guère de commentaires. Un cas de toujours et un autre, récent, l’illustre. Les ventes sans commande préalable sont prohibées comme, aujourd’hui, l’utilisation d’automates d’appels ou télécopieurs en l’absence de consentement du destinataire (C. cons. L. 122-2 et L. 122-3 complété et le récent L. 121-20-5, une directive exigera du législateur qu’il complète ce dispositif). Mais l’interdit est une technique liberticide qui ne peut être utilisée qu’avec parcimonie. Il mettrait sinon en cause les principes du « droit du marché » .
B - L’organisation du commerce.
20 - Le législateur n’a ici et encore pas toute liberté : le Conseil constitutionnel, que les principes communautaires confortent, pourrait censurer des dispositions altérant la liberté du commerce. Au demeurant, la lutte contre l’incitation à la consommation s’alimente de deux techniques qui, chacune, se déclinent. Il s’agit du commerce réglementé et de l’autorisation préalable administrative.
21 - Le commerce réglementé. Les exemples sont nombreux. Ils montrent définitivement que notre sujet était difficile mais pertinent. Les loteries sans obligation d’achat montrent une règle intéressante. Il s’agit de distinguer l’acte de consommation de l’avantage promotionnel, de l’en isoler. C’est une forme d’information ! Les loteries payantes sont purement interdites pour des raisons qui échappent au droit de la consommation.
Les jeux ou concours illustrent encore que, dans l’esprit du législateur, la lutte manque de clarté. On ne sait à quel régime juridique soumettre ces opérations commerciales ; on tend vers le régime de la loterie si, en plus de la perspicacité du candidat, un tirage intervient. On tend vers la prime si les questions sont « bébêtes » et réservent à chaque gagnant un cadeau. Bref, le jeu de perspicacité (ou concours ludique), ses cadeaux et son règlement se mélangent allègrement à la proposition commerciale qui incite à la consommation.
Avec la réglementation sur les primes, la technique est celle de la limitation en valeur. L’incitation est endiguée par l’élaboration d’un plafond financier. Le juriste peut-il en dire plus ? Il constate au mieux que l’incitation légère est jugée acceptable. On s’échappe du droit pour entrer dans le domaine du marchandage.
Le cas des ventes directes éclaire, lui, la technique de la réservation de mots (art. 310-4 c. com. et 121-34 c. cons.). Les mots « magasin d’usine » et « dépôt d’usine » sont réservés. Il y a de l’interdit dans la réservation, mais comme la langue est flexible (un autre mot sera trouvé), la règle le devient, devenant en cela acceptable. Mais, sorte de comble, les mots « ventes directes » ne le sont pas !?
22 - Le commerce autorisé par l’administration. La technique est celle de l’autorisation préalable administrative, préférée au régime de la simple déclaration préalable administrative jugée, sans doute à raison, trop souple. C’est le cas pour les soldes, la vente au déballage et les liquidations. Les variations réglementaires d’octroi desdites autorisations étant ici secondaire , on notera simplement l’efficacité de la technique. Elle montre, malgré le cas des soldes, une autre époque où, du reste, la lutte contre l’incitation fut nettement comprise par les pouvoirs publics. Les petits commerçants représentaient du monde et le canal maître de la distribution. Un vendeur de nulle part qui déballait sa marchandise, ou installé dans un local commercial fugace et qui faisait des liquidations, ça ne passait pas ! Aujourd’hui, les pouvoirs publics écoutent davantage les associés de « grands cabinets de consulting » que le commerce local !
23 - On jugera pour conclure que les perspectives de lutte contre l’incitation à la consommation sont assez importantes. Premièrement parce que l’on doute que ladite lutte ait été développée en tant que telle ; une assez grande marge de manœuvre existerait donc si les pouvoirs publics la prenaient en considération. Cela supposerait d’atténuer l’antienne du discours économique de la relance, du soutien ou du maintien de la consommation (sans laquelle l’économie menace si souvent de s’écrouler !). Cependant, les acquis constatés ne sont pas négligeables. Mais justement et secondement, l’existence de divers cas et techniques de luttes (en droit interne et communautaire) rend possible une lutte réglementaire fine. Le progrès de la lutte passera par l’usage affiné et élargit des techniques de lutte, élargissement qui évoquant le politique éloigne du sage champ juridique…
Hervé CAUSSE,
Docteur en droit, Habité à diriger les recherches en droit privé et sciences criminelles,
Professeur des Universités, Professeur des Facultés de Droit