Les cessions de titres, caverne d'Ali Baba pour le juriste
1. La cession de droits sociaux (actions, parts de SARL) est l'acte extra-statutaire le plus important de la pratique. Il permet de "faire entrer ou sortir" une personne de la société. Un laisse sa position contractuelle - au contrat de société, l'autre la prend ; ce faisant, l'ancien associé perd ses droits contre la personne morale, le nouveau les acquiert.
La cession est en principe un acte civil bien que les actions ou parts sociales soient émises par une une personne morale commerciale : une société commerciale. L'entrée et la sortie de la société a souvent une saveur particulière : l'entrée correspond à une prise de contrôle, la sortie à une "vente de société" ou d'entreprise.
La cession massive de droits sociaux d'une société commerciale (cession du bloc majoritaire) est toujours de nature commerciale. Il faut le redire puisque des cours d'appel l'ignorent (Cass. Com. 28 nov. 2006, Bonin et Fénard, pourvoi n° 05-14827 ; erreur, il est vrai, sur le subtil jeu d'une question de prescription interrompue à l'égard d'un débiteur solidaire). La Cour d'appel de Reims avait ainsi refusé de constater l'interruption d'une prescription qui, acquise à l'encontre d'un co-débiteur, devait être reconnue à l'encontre des autres. Cette nature donne évidemment compétence au juge commercial.
2. Tel est également le cas autrement (Cass. com. 10 juillet 2007, 06-16.548), quand la cession ne concerne que quelques titres, les litiges relatifs aux cessions de droit sociaux de sociétés commerciales devant être soumis au juge commercial. Cette fois, c'est en vertu d'un texte spécial ancien, depuis repris.
Ce dernier arrêt, de rejet, le rappelle clairement et simplement :
"qu’aux termes de l’article L. 411-4 2° du code de l’organisation judiciaire, devenu l’article L. 721-3 2° du code de commerce, les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales ; (... ) selon les constatations de l’arrêt, le litige qui oppose les cédants des actions d’une société anonyme aux dirigeants de la société cédée, porte sur la clause de non-concurrence contenue dans la convention de cession, ce dont il résulte qu’en application du texte précité, ce litige, né à l’occasion d’une cession de titres d’une société commerciale" relève du juge commercial.
3. Dans cette dernière espèce, l'intérêt de la qualification - acte civil ou commercial - tenait à la question de la compétence. Tribunal commercial ou civil ? Le tribunal de commerce qui était compétent a valablement connu de la clause de non-concurrence stipulée dans la cession de droit sociaux : ces conventions de cessions sont pour le juriste de véritables cavernes d'Ali Baba, on y trouve toutes sortes de clauses complexes (certes les garanties conventionnelles et les clauses de prix, mais aussi des engagements plus complexes).
4. On sait que cet intérêt lié à la compétence n'est qu'un parmi d'autres quand on est en présence d'une cession de blocs de titres, expression désignant une cession visant à transférer la majorité dans l'assemblée générale ; c'est la figure idéale pour réaliser une cession d'entreprise, schéma qui n'existe pas en tant que tel (la cession de fonds de commerce n'est qu'une très imparfaite cession d'entreprise...).
La qualification de l'opération en acte de commerce emporte d'autres effets, en pratique anecdotiques, mais la jurisprudence est une mosaïque d'anecdotes juridiques.
Le régime commercial de ce contrat, cession d'entreprise dit la pratique et à raison, est étonnant : liberté de la preuve (pas besoin d'acte écrit !!!), solidarité des débiteurs (quand plusieurs contractants s'engagent) et régime de la prescription.
Il y a encore probablement quelques originalités à découvrir que l'ingéniosité des plaideurs n'a pas su faire reconnaître, on pense notamment à la qualité des titres (parole qui restera volontairement, ici, mystérieuse).
5. Tout cela relèverait du folklore si la cession de bloc de contrôle n'était pas très fréquente, singulièrement pour les sociétés commerciales. Ainsi, ces originalités valent assez souvent leur pesant d'or.
Pour ce qui est de la compétence commerciale, le fait de devoir plaider devant le juge du commerce peut souvent être un avantage (pour les deux parties ?). Les juges se mettront volontiers dans la peau de l'acheteur qui, c'est le schéma habituel, vient se plaindre de quelque misère.
Pensons au cas où la demande s'enlace dans des faits de concurrence déloyale : le juge du commerce est particulièrement bien placé pur apprécier ces faits. Il en a l'habitude ; il en apprécie avec art l'influence sur l'exploitation actuelle au regard des espoirs que la cession avait fait probablement naître ; il importe donc de devoir ou de pouvoir plaider devant le juge commercial.
6. On sait, dans cette ligne, que cette cession massive d'actions ou parts sociales prend une tournure particulière quand l'entreprise tourne court. Quand le contrat de société n'a plus d'objet social praticable (un contrat sans objet ?), juste après une cession, la cour de cassation accepte d'annuler la cession (dol et erreur étant alors les plus aisés à invoquer).
Elle entend aussi les acquéreurs déçus - pour ne pas dire trompés - qui invoquent d'autres fondements juridiques (voyez en dernier lieu et sur le fondement de la garantie légale d'éviction et conduisant à une indemnisation : Cass. com., 20 févr. 2007, n° 04-19.932, F-D, Sté Van Drunen et Ecco France c/ SARL Ecco France diffusion et Ecco Sko A/S (cassation) : la constitution par une société danoise, cédante des parts de sa filiale française, d'une société portant quasiment la même dénomination que cette dernière et chargée de la distribution en France des produits pour lesquels elle avait signifié à la société cédée la rupture des approvisionnements, implique de vérifier qi elle est de nature à empêcher le cessionnaire de poursuivre l'activité économique de celle-ci et de réaliser l'objet social).
Parvenir à ce résultat par le truchement de l'objet social, avorté dans des brefs délais, est une construction fort audacieuse dont les fondements manquent de clarté. La critique se prolonge.
7. Garantie du fait personnel ou du fait des tiers indiquent l'application du droit de la vente à cette cession de droits incorporels que sont les droits sociaux. La garantie des vices cachés s'applique aussi, mais dans un domaine étroit, voire étriqué, que les plaideurs n'ont jamais su faire élargir. Pourtant, l'élargissement des recours sur les fondement ou de l'erreur commanderait que l'on remette à niveau les actions engagées sur le terrain des vices cachés. Ceux-ci correspondent parfaitement à quelques escroqueries que tout inviterait à clairement sanctionné en tant que telles ; mais la jurisprudence est timide, les plaideurs mal inspirés.
8. Voilà donc un contrat commercial, la cession de titres, parfois appelée naïvement "protocole d'accord", au régime spécial et aux enjeux qui s'enfilent sur la thématique de la transmission des entreprises. On dit qu'elle est l'une des questions économiques et politiques les plus importantes des 15 prochaines années. Bigre ! De quoi mettre les juristes au coeur de l'économie et des affaires ? Il le faudrait, le chemin de la cohérence est à peine entamé...
La cession est en principe un acte civil bien que les actions ou parts sociales soient émises par une une personne morale commerciale : une société commerciale. L'entrée et la sortie de la société a souvent une saveur particulière : l'entrée correspond à une prise de contrôle, la sortie à une "vente de société" ou d'entreprise.
La cession massive de droits sociaux d'une société commerciale (cession du bloc majoritaire) est toujours de nature commerciale. Il faut le redire puisque des cours d'appel l'ignorent (Cass. Com. 28 nov. 2006, Bonin et Fénard, pourvoi n° 05-14827 ; erreur, il est vrai, sur le subtil jeu d'une question de prescription interrompue à l'égard d'un débiteur solidaire). La Cour d'appel de Reims avait ainsi refusé de constater l'interruption d'une prescription qui, acquise à l'encontre d'un co-débiteur, devait être reconnue à l'encontre des autres. Cette nature donne évidemment compétence au juge commercial.
2. Tel est également le cas autrement (Cass. com. 10 juillet 2007, 06-16.548), quand la cession ne concerne que quelques titres, les litiges relatifs aux cessions de droit sociaux de sociétés commerciales devant être soumis au juge commercial. Cette fois, c'est en vertu d'un texte spécial ancien, depuis repris.
Ce dernier arrêt, de rejet, le rappelle clairement et simplement :
"qu’aux termes de l’article L. 411-4 2° du code de l’organisation judiciaire, devenu l’article L. 721-3 2° du code de commerce, les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux sociétés commerciales ; (... ) selon les constatations de l’arrêt, le litige qui oppose les cédants des actions d’une société anonyme aux dirigeants de la société cédée, porte sur la clause de non-concurrence contenue dans la convention de cession, ce dont il résulte qu’en application du texte précité, ce litige, né à l’occasion d’une cession de titres d’une société commerciale" relève du juge commercial.
3. Dans cette dernière espèce, l'intérêt de la qualification - acte civil ou commercial - tenait à la question de la compétence. Tribunal commercial ou civil ? Le tribunal de commerce qui était compétent a valablement connu de la clause de non-concurrence stipulée dans la cession de droit sociaux : ces conventions de cessions sont pour le juriste de véritables cavernes d'Ali Baba, on y trouve toutes sortes de clauses complexes (certes les garanties conventionnelles et les clauses de prix, mais aussi des engagements plus complexes).
4. On sait que cet intérêt lié à la compétence n'est qu'un parmi d'autres quand on est en présence d'une cession de blocs de titres, expression désignant une cession visant à transférer la majorité dans l'assemblée générale ; c'est la figure idéale pour réaliser une cession d'entreprise, schéma qui n'existe pas en tant que tel (la cession de fonds de commerce n'est qu'une très imparfaite cession d'entreprise...).
La qualification de l'opération en acte de commerce emporte d'autres effets, en pratique anecdotiques, mais la jurisprudence est une mosaïque d'anecdotes juridiques.
Le régime commercial de ce contrat, cession d'entreprise dit la pratique et à raison, est étonnant : liberté de la preuve (pas besoin d'acte écrit !!!), solidarité des débiteurs (quand plusieurs contractants s'engagent) et régime de la prescription.
Il y a encore probablement quelques originalités à découvrir que l'ingéniosité des plaideurs n'a pas su faire reconnaître, on pense notamment à la qualité des titres (parole qui restera volontairement, ici, mystérieuse).
5. Tout cela relèverait du folklore si la cession de bloc de contrôle n'était pas très fréquente, singulièrement pour les sociétés commerciales. Ainsi, ces originalités valent assez souvent leur pesant d'or.
Pour ce qui est de la compétence commerciale, le fait de devoir plaider devant le juge du commerce peut souvent être un avantage (pour les deux parties ?). Les juges se mettront volontiers dans la peau de l'acheteur qui, c'est le schéma habituel, vient se plaindre de quelque misère.
Pensons au cas où la demande s'enlace dans des faits de concurrence déloyale : le juge du commerce est particulièrement bien placé pur apprécier ces faits. Il en a l'habitude ; il en apprécie avec art l'influence sur l'exploitation actuelle au regard des espoirs que la cession avait fait probablement naître ; il importe donc de devoir ou de pouvoir plaider devant le juge commercial.
6. On sait, dans cette ligne, que cette cession massive d'actions ou parts sociales prend une tournure particulière quand l'entreprise tourne court. Quand le contrat de société n'a plus d'objet social praticable (un contrat sans objet ?), juste après une cession, la cour de cassation accepte d'annuler la cession (dol et erreur étant alors les plus aisés à invoquer).
Elle entend aussi les acquéreurs déçus - pour ne pas dire trompés - qui invoquent d'autres fondements juridiques (voyez en dernier lieu et sur le fondement de la garantie légale d'éviction et conduisant à une indemnisation : Cass. com., 20 févr. 2007, n° 04-19.932, F-D, Sté Van Drunen et Ecco France c/ SARL Ecco France diffusion et Ecco Sko A/S (cassation) : la constitution par une société danoise, cédante des parts de sa filiale française, d'une société portant quasiment la même dénomination que cette dernière et chargée de la distribution en France des produits pour lesquels elle avait signifié à la société cédée la rupture des approvisionnements, implique de vérifier qi elle est de nature à empêcher le cessionnaire de poursuivre l'activité économique de celle-ci et de réaliser l'objet social).
Parvenir à ce résultat par le truchement de l'objet social, avorté dans des brefs délais, est une construction fort audacieuse dont les fondements manquent de clarté. La critique se prolonge.
7. Garantie du fait personnel ou du fait des tiers indiquent l'application du droit de la vente à cette cession de droits incorporels que sont les droits sociaux. La garantie des vices cachés s'applique aussi, mais dans un domaine étroit, voire étriqué, que les plaideurs n'ont jamais su faire élargir. Pourtant, l'élargissement des recours sur les fondement ou de l'erreur commanderait que l'on remette à niveau les actions engagées sur le terrain des vices cachés. Ceux-ci correspondent parfaitement à quelques escroqueries que tout inviterait à clairement sanctionné en tant que telles ; mais la jurisprudence est timide, les plaideurs mal inspirés.
8. Voilà donc un contrat commercial, la cession de titres, parfois appelée naïvement "protocole d'accord", au régime spécial et aux enjeux qui s'enfilent sur la thématique de la transmission des entreprises. On dit qu'elle est l'une des questions économiques et politiques les plus importantes des 15 prochaines années. Bigre ! De quoi mettre les juristes au coeur de l'économie et des affaires ? Il le faudrait, le chemin de la cohérence est à peine entamé...