Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

Affaire du « Mediator » et Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) : qui est responsable ? De la mise à l’écart de subordonnés… et de silences sur les conseils d'administration des établissmeents publics.



Affaire du « Mediator » et Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) : qui est responsable ? De la mise à l’écart de subordonnés… et de silences sur les conseils d'administration des établissmeents publics.
Un article de l'excellent Figaro.fr (voyez le lien ci-dessous) annonce que deux responsables de service de l’AFSSAPS seraient écartés, le ménage serait fait, notamment après l’affaire dite du « Mediator ». Cette affaire pose au principal la question de la réalité de la gestion des établissements publics.

Elle pose également indirectement la question du journalisme juridique qui n’est souvent que du reporting judiciaire sur les marches du Palais de justice. Il est regrettable que les rédactions en chef ne s’intéressent guère aux points strictement juridiques, surtout pour des éléments de base incontestables, qui sont néanmoins souvent des éléments nécessaires à une bonne information du public. Or, plus l'actualité est tourmentée, plus il est nécessaire de revenir à des points solides pour ne pas analyser au gré des impressions du moment. Essayons une très brève analyse en ce sens en reprenant vite la question.

Il semblerait que l’Agence soit gravement responsable de la situation qui aurait causé la mort de nombreuses personnes, un ou plusieurs médicaments étant dangereux. A toute fin utile, on soulignera que l’Agence est dirigée par des organes sociaux, des organes institutionnels car il se pourrait que le public finisse par croire que les responsabilités incombent essentiellement à des chefs de service ou directeurs de services lesquels, pourtant, sont en lien de subordination à l’égard de l’Agence (CSP, art. L5323-1 et s., sur ces divers subordonnés). Il faut alors souligner ce qu’est l’Agence.

Il convient donc de préciser les organes sociaux de l’Agence, ceux à qui la loi - le législateur ! - a confié le fonctionnement de cet établissement public avec pour mission la sécurité du public en matière de médicaments et autres produits assimilés. Mais le ministre de la santé est finalement au coeur du système.

I. Le ministre.

La loi n’a en effet pas oublié le ministre et le gouvernement et, au préalable, il faut aussi souligner que l’Agence travaille sous la « tutelle » (terme de la loi : CSP, article L5311-1, al. 1er) du ministre ; cela signifie que le ministre a par définition un droit de regard sur l’Agence : la tutelle c’est la surveillance et toute anomalie doit être portée à la connaissance du ministre comme toute anomalie doit être détectée par le ministre (en pratique ses services). L’Agence n’est pas une autorité administrative indépendante qui échappe au contrôle de l’Etat. Le ministre doit mettre en oeuvre des moyens concrets de contrôle ; il ne peut se fier à des rapports réconfortants et lénifiants qui l'établissement aura par nature tendance à produire. Tout établissement est fier de lui, lors même que son action est déplorable.

Les organes sociaux de l’AFSSAPS, prévus par la loi, sont de deux ordres, un organe d’administration classique, un organe scientifique et deux organes exécutifs, le président du conseil d'administration de l'agence et le directeur de l'Agence.

II. Le conseil d'administration, son président et le directeur

L’agence, en premier lieu, est dirigée par un Conseil d’administration et dispose, en complément, d’un dirigeant « exécutif », le directeur. Ce dernier a changé et c’est justement le nouveau directeur qui fait le ménage, indique la presse, et par le bas (ce qui est normal il ne peut pas changer le conseil d’administration !). Ce directeur est par nature sous la hiérarchie du conseil d'administration et du président du conseil d'administration. Ces deux hauts responsables sont désignés par le ministre ! Par définition, le CA administre l'Agence et les membres du CA sont des administrateurs qui ne doivent pas agréer toutes les impulsions du directeur ou du président. La conseil d'administration doit administrer, doit diriger. Il est par nature le premier responsable, son président en tête, tant vis-à-vis du ministre que des administrés ou des personnels ou du public. Le CA ne peut pas se défausser sur des commissions ou autres structures internes pour se décharger de ses responsabilités : il doit les écouter, il est libre de ne pas les entendre : il administre ! Il est donc responsable de ses délibérations ou de l'absence de délibération sur u problème qui mérite d'être tranché.

III. Le conseil scientifique de l'Agence

En second lieu, l’Agence comprend ensuite un conseil scientifique que l’on trouvera un peu léger, peu de personnes le composant et leur statut n’étant pas précisé pour leur donner l’indépendance et la force utile. Il suffit pour s’en convaincre de reproduire le dispositif :
« Un conseil scientifique, dont le président est désigné par le ministre chargé de la santé après avis dudit conseil, veille à la cohérence de la politique scientifique de l'agence. Le conseil comprend au moins un médecin, un biologiste et un pharmacien des hôpitaux, praticiens hospitaliers et désignés par leur ordre professionnel. ». On constate à nouveau la réalité du poids du ministre qui désigne le président de ce conseil scientifique. On passe ici, dans cette brève analyse, sur le recrutements des experts quand l'Agence fait procéder à des expertises : la lecture sincère de leur CV, de leur niveau et de leur indépendance n'est pas un détail.

IV. Le silence sur les organes sociaux et leur gestion réelle

Sans demander de lourdes investigations, les médias pourraient donner des explications sur le fonctionnement réel de ces organes ; en effet, à côté des missions formelles que l’on trouve dans la loi, il y a une réalité fonctionnelle qui résulte de pratiques qui, de fil en aiguille, deviennent parfois des dérives. Si la gestion réelle doit se distinguer de la gestion légale, elle ne doit le faire que pour mieux assumer les missions confiées par la loi.

C’est souvent elle que les établissements publics privilégient les modes en prenant avec légèreté leurs missions d’administration, de surveillance ou de contrôle. Par exemple, on veut aller vite - on doit bouger ! - et on invoque quelque modernisme, le besoin de l’urgence ou de nouveaux modes de gestion. On voit ainsi des conseils d'établissement délibérer sans que soient communiqués en préalable les textes des délibérations (s'il y en a jamais eu !), les documents utiles pour les délibérations ; au dernier moment, un président de conseil passera à ses conseillers un tableau récapitulatif qu'il a élaboré lui même à partir de CV, d'expertises, de rapports dont il a fait seul la synthèse et qui ne sont en pratiques à la disposition de personne... La pratique administrative n'est pas régulière, ni sérieuse. Pour le spécialiste de droit des affaires qui doit rédiger des rapports de CA et les projets de délibérations de sociétés anonymes, la gestion des établissement publics évoque davantage la préhistoire que l'art de la gestion - qui il est vrai se dispense du droit des affaires...

Dans le même temps, celui sans doute de la légèreté, on écarte, avec légèreté donc, les missions fondamentales avec des slogans qui sont dans le vent. On en vient même, y compris dans les établissements publics, à ne pas respecter la loi ou les règlements, qu’il s’agisse des droits des usagers ou des personnels. Il en résulte parfois que la ou les missions essentielles d'un établissement sont perdues de vue sur fond de modernismes parfois teintés de politique ou d'amitiés. On "manage", on "pilote", on "drive", on en fait beaucoup sur la gouvernance au point d'oublier le respect des textes qui prescrivent des obligations souvent assez précises.

Regardons sérieusement les textes, l'état des lieux et les cv des gens, objectivement, et la gestion publique s'en trouvera nettement améliorée... sans qu'il y ait à démissionner de hauts professionnels ou à faire des réformes sans fin. Mais cela supposerait que les dirigeants sociaux et organes sociaux dirigent véritablement dans l'intérêt général alors que, parfois, le pouvoir est détourné pour constituer une cour, ce qui du reste peut également déterminer certaines décisions ministérielles. Le mal n'est pas dans les structures mais dans les acteurs qui se compromettent et détournent au quotidien leur mandat, parfois sur fond de médiocrité.

Conclusion.

La mode, les amitiés et les relations politiques jouant, les slogans remplaçant la loi et les décrets, il n'y a alors plus qu'un pas pour faire oublier les missions d'intérêt public. Quand un scandale apparaît, les médias aidant et le ministre laissant faire et pour cause, on pourrait faire croire que les subordonnés sont plus coupables et responsables que le conseil d'administration et son président qui administrent l'établissement sous la tutelle du ministre. La mauvaise gestion est à ce point ancrée dans les esprits que même les médias peuvent n'y voir rien à redire. Pourtant il y a beaucoup de choses à dire, hors le droit. Ce qui mérite d'être condamné c'est tout un état d'esprit que même un "bon droit" ne pourra changer, encore qu'il puisse souligner le mal et être un médicament à prescrire.

bArticle cite :

[Article du Figaro.fr


Code de la santé publique
Extraits empruntés à la base publique Legifrance
]b

Chapitre II : Conseil d'administration et directeur.

Article L5322-1 - L'agence est administrée par un conseil d'administration et dirigée par un directeur général.

Le conseil d'administration comprend, outre son président, pour moitié des représentants de l'Etat et pour moitié des personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence dans les domaines entrant dans les missions de l'agence et des représentants du personnel.
Le président du conseil d'administration et le directeur général sont nommés par décret.
Un conseil scientifique, dont le président est désigné par le ministre chargé de la santé après avis dudit conseil, veille à la cohérence de la politique scientifique de l'agence. Le conseil comprend au moins un médecin, un biologiste et un pharmacien des hôpitaux, praticiens hospitaliers et désignés par leur ordre professionnel.

Article L5322-2 - Le directeur général de l'agence prend, au nom de l'Etat, les décisions qui relèvent, en ce qui concerne les produits mentionnés à l'article L. 5311-1, de la compétence de celle-ci en vertu des dispositions du présent code, de la loi n° 92-654 du 13 juillet 1992 relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés et modifiant la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, ainsi que des mesures réglementaires prises pour l'application de ces dispositions.
Les décisions prises par le directeur général en application du présent article ne sont susceptibles d'aucun recours hiérarchique. Toutefois, en cas de menace grave pour la santé publique, le ministre chargé de la santé peut s'opposer, par arrêté motivé, à la décision du directeur général et lui demander de procéder, dans le délai de trente jours, à un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à ladite décision. Cette opposition est suspensive de l'application de cette décision.
Article L5322-3 - Les modalités d'application des dispositions du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d'Etat.

Chapitre Ier : Missions.

Article L5311-1
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé est un établissement public de l'Etat, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé.
L'agence participe à l'application des lois et règlements et prend, dans les cas prévus par des dispositions particulières, des décisions relatives à l'évaluation, aux essais, à la fabrication, à la préparation, à l'importation, à l'exportation, à la distribution en gros, au conditionnement, à la conservation, à l'exploitation, à la mise sur le marché, à la publicité, à la mise en service ou à l'utilisation des produits à finalité sanitaire destinés à l'homme et des produits à finalité cosmétique, et notamment :
1° Les médicaments, y compris les insecticides, acaricides et antiparasitaires à usage humain, les préparations magistrales, hospitalières et officinales, les substances stupéfiantes, psychotropes ou autres substances vénéneuses utilisées en médecine, les huiles essentielles et plantes médicinales, les matières premières à usage pharmaceutique ;
2° Les produits contraceptifs et contragestifs ; …

19° Les dispositifs à finalité non strictement médicale utilisés dans les laboratoires de biologie médicale pour la réalisation des examens de biologie médicale.
L'agence participe à l'application des lois et règlements relatifs aux recherches biomédicales et prend, dans les cas prévus par des dispositions particulières, des décisions relatives aux recherches biomédicales.
L'agence procède à l'évaluation des bénéfices et des risques liés à l'utilisation de ces produits et objets à tout moment opportun et notamment lorsqu'un élément nouveau est susceptible de remettre en cause l'évaluation initiale. Elle assure la mise en oeuvre des systèmes de vigilance et prépare la pharmacopée.
Elle rend publics un rapport de synthèse de l'évaluation effectuée pour tout nouveau médicament dans des conditions déterminées par voie réglementaire, ainsi que les décisions d'octroi, de suspension et de retrait de l'autorisation de mise sur le marché mentionnées aux articles L. 5121-8 et

L. 5121-9. Elle organise des réunions régulières d'information avec des associations agréées de personnes malades et d'usagers du système de santé mentionnées à l'article L. 1114-1 sur les problèmes de sécurité sanitaire des produits de santé.
Elle contrôle la publicité en faveur de tous les produits, objets, appareils et méthodes revendiquant une finalité sanitaire.
Elle prend ou demande aux autorités compétentes de prendre les mesures de police sanitaire nécessaires lorsque la santé de la population est menacée, dans les conditions prévues au présent code ou par toute autre disposition législative ou réglementaire visant à préserver la santé humaine.
Elle établit un rapport annuel d'activité adressé au Gouvernement et au Parlement. Ce rapport est rendu public.
Elle organise des auditions publiques sur des thèmes de santé publique.
Elle rend également publics l'ordre du jour et les comptes rendus, assortis des détails et explications des votes, y compris les opinions minoritaires, à l'exclusion de toute information présentant un caractère de confidentialité commerciale, des réunions des commissions siégeant auprès d'elle et consultées en matière de mise sur le marché, de pharmacovigilance et de publicité des spécialités pharmaceutiques, son règlement intérieur et celui des commissions précitées.
L'agence est également chargée du contrôle du respect des dispositions des autorisations délivrées en application de l'article L. 1161-5.

Article L5311-2
En vue de l'accomplissement de ses missions, l'agence :
Procède ou fait procéder à toute expertise et à tout contrôle technique relatifs aux produits et objets mentionnés à l'article L. 5311-1, aux substances entrant dans leur composition ainsi qu'aux méthodes et moyens de fabrication, de conditionnement, de conservation de transport et de contrôle qui leur sont appliqués ; elle exécute le contrôle de qualité des examens de biologie médicale et des analyses permettant l'identification d'une personne par ses empreintes génétiques, et procède, à la demande des services concernés, à toute expertise technique nécessaire ; elle peut être chargée du contrôle de qualité d'activités utilisant des produits entrant dans son champ de compétence ;
2° Recueille les données scientifiques et techniques nécessaires à l'exercice de ses missions ; elle est destinataire des rapports de contrôle et de réflexion et des expertises réalisés dans son domaine de compétence par les services de l'Etat ou par les établissements publics qui lui sont rattachés ; elle recueille et évalue les informations sur les effets inattendus, indésirables ou néfastes des produits mentionnés à l'article L. 5311-1, ainsi que sur l'abus et sur la pharmacodépendance susceptibles d'être entraînés par des substances psychoactives, et prend, en la matière, dans son champ de compétence, toute mesure utile pour préserver la santé publique ;
3° Fournit au ministre chargé de la santé l'expertise qui lui est nécessaire en ce qui concerne les produits susvisés, notamment pour en permettre le bon usage ; elle participe à la préparation des textes législatifs et réglementaires ; elle propose aux ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale toute mesure de leur compétence ;
4° Participe à l'action européenne et internationale de la France ;
5° Pour la mise en oeuvre des 1° à 4°, demande, à des fins d'analyse et pour des raisons justifiées, la transmission à titre gratuit d'échantillons de produits et objets mentionnés à l'article L. 5311-1.

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