Affaire « Colas Rail » : annulation et atténuations des sanctions des acteurs de l’entente anticoncurrentielle (Paris, Pôle 5, ch. 5-7, 29 juin 2010, « Colas Rail », RG n° 2009/19724 ; BOCCRF n° 7, 5 août 2010)



Affaire « Colas Rail » : annulation et atténuations des sanctions des acteurs de l’entente anticoncurrentielle (Paris, Pôle 5, ch. 5-7, 29 juin 2010, « Colas Rail », RG n° 2009/19724 ; BOCCRF n° 7, 5 août 2010)
Depuis 1998, la quasi-totalité du réseau public de chemins de fer français est de la propriété de Réseau Ferré de France ("RFF", V. loi n° 97-135 du 13 févr. 1997, portant création de l’établissement public Réseau Ferré de France en vue du renouveau du transport ferroviaire, JORF n° 39, 15 févr. 1997, p. 2592). Il revient à la SNCF d’entretenir les installations. Le budget consacré à la régénération des voies ferrées est considérable puisqu’avoisinant les 750 millions d’euros par an (ADLC, déc. n° 09-D-25, 29 juill. 2009, relative à des pratiques d’entreprises spécialisées dans les travaux de voies ferrées, pt. 5). Un marché pleinement concurrentiel permet donc in fine de réduire les coûts d’entretien d’une « facilité essentielle », à l’heure où les prochains concurrents de la SNCF préparent leur entrée sur le futur marché ouvert du transport ferroviaire de personnes.

« Les ententes entre entreprises concurrentes sur un même marché commises à l’occasion d’appels d’offres sont parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles en ce qu’elles aboutissent à tromper le maître de l’ouvrage sur les effets de sa mise en concurrence » indique la Cour parisienne. Le marché de la régénération des voies ferrées nécessite donc une surveillance accrue de la part du ministère de l’Economie et des Finances et de l’Autorité de la concurrence (ci-après ADLC), attentifs à tout comportement déviant de la part des soumissionnaires aux appels d’offres de Réseau Ferré de France (ci-après RFF).

Onze mois jour pour jour séparent la décision de l’Autorité de la concurrence (ADLC, déc. n° 09-D-25, 29 juill. 2009) sanctionnant sur le fondement de règles concurrentielles cinq des dix-huit sociétés visées du marché, la Cour d’appel de Paris confirme certes la décision de l’Autorité de la concurrence en rejetant les moyens de procédure des requérants, mais :

- elle annule la sanction pécuniaire imposée à la société Offroy,

- et elle atténue le montant de celles attribuées aux sociétés Vecchietti et E.T.F., au regard d’erreurs commises par l’ADLC. Au final, quatre des dix-huit acteurs voient confirmée leur condamnation pour entente illicite dans le cadre d’appels d’offres de RFF sur l’année 2004.

Revenons sur le déroulement des faits. Eté 2004, des visites et saisies - notamment chez Colas Rail - sont effectuées dans le cadre d’une enquête confiée à la DNECCRF, via une ordonnance d’autorisation du juge des libertés et de la détention (ci-après JLD). Une saisine du Conseil de la concurrence par Bercy au titre de pratiques anticoncurrentielles s’en suit en mai 2005 et aboutit, en avril 2008, à une notification des griefs fondée sur les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 TUE (devenu 101 TFUE). Le gendarme de la concurrence retient alors la mise en œuvre d’une entente anticoncurrentielle entre les soumissionnaires aux appels d’offres de RFF sous forme d’échanges d’informations antérieurs au dépôt des offres (V. ADLC, déc. n° 09-D-25, 29 juill. 2009) et condamne cinq sociétés actrices du marché à des sanctions pécuniaires dans des proportions conformes à l’article L. 464-2 du Code de commerce.

Devant la Cour d’appel de Paris, les moyens des requérantes s’orientent principalement sur deux griefs (l’applicabilité du droit communautaire ne sera pas traité ici) : l’irrégularité de l’ordonnance judiciaire prescrivant les visites-saisies et l’insuffisance des éléments de preuve.

Sur l’irrégularité de l’ordonnance judiciaire, Colas Rail avance tout d’abord l’ineffectivité du contrôle juridictionnel puis argue de l’irrégularité des conditions de l’autorisation rendue par le JLD.

Bien que saisie dans le cadre de l’article L. 464-8 du Code de commerce et que les pourvois formés contre les ordonnances aient déjà été rejetés (V. Cass. crim., 3 nov. 2005, n° 04-84940 et 04-85430, non publiés), la Cour d’appel de Paris retient la recevabilité de la seule société Colas Rail à contester les ordonnances conformément à l’article 5 §4, al. 2 de l’ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008. La requérante avance l’ineffectivité d’un contrôle juridictionnel de l’ordonnance au sens de l’article 6 §1 de la CESDH dans la mesure où le pourvoi en cassation constituait sur le moment la seule voie de recours possible contre la décision d’autorisation des opérations effectuées en 2004. Pour elle, les dispositions de l’ordonnance du 13 novembre 2008 ne peuvent « purger rétroactivement cette grave irrégularité » (arrêt, p. 6), d’abord parce que leur rétroactivité est contraire au protocole additionnel n° l de la CESDH (car non justifié par un « impérieux motif d’intérêt général ») ensuite parce qu’elles ne satisfont pas aux principes de la CESDH au regard de l’exigence d’un recours effectif, du droit à un procès équitable et du principe de l'égalité des armes.

En réponse, la Cour d’appel de Paris frappe fort et juste, insistant sur le fait que critiquer une prétendue rétroactivité injustifiée des nouvelles dispositions n’est pas pertinent lorsque l’on obtient une nouvelle possibilité de contester une décision de justice, faisant grief et auparavant définitive. Le principe de non rétroactivité des lois nouvelles est respecté et il n’y a ici « aucune ingérence critiquable du pouvoir législatif dans l’administration de la justice, mais au contraire une nouvelle garantie juridictionnelle accordée au justiciable, l’issue du nouveau recours pouvant être aussi bien l’annulation que la validation de la saisie administrative » (p. 7). Toute condamnation devant l’ADLC n’est pas définitive et est susceptible de recours devant la Cour d’appel de Paris. Le juge du fond rappelle qu’elle a notamment pour rôle d’apprécier la régularité de la décision du JLD, ce qui constitue bien un contrôle juridictionnel effectif. Rappelons qu’aucun principe ne s’oppose à ce qu’un même juge examine une affaire au fond et la régularité de la procédure ; il statue donc valablement sur les deux recours, sans que cela porte atteinte aux exigences du procès équitable.

En second lieu, la société Colas Rail critique les conditions dans lesquelles le JLD a accordé l’autorisation de visites-saisies avançant que les éléments communiqués au juge n’apportaient pas de présomptions suffisantes de pratiques anticoncurrentielles (cf. arrêt, p. 7). Mais la Cour d’appel de Paris affirme que les manquements aux règles concurrentielles n’ont pas à être démontrés devant le juge de l’autorisation, contrairement au juge du fond. Les visites-saisies autorisées par ordonnance présentaient un caractère proportionné par rapport au trouble à l’ordre public économique engendré par l’entente suspectée. L’administration a été autorisée à procéder aux visites-saisies et le JLD a satisfait à son obligation de contrôle de la requête conformément aux dispositions de l’article L.450-4 du Code de commerce.

Elle avance ensuite que les éléments fournis par l’administration ne pouvaient pas fonder des mesures exceptionnelles au caractère coercitif et attentatoire aux droits fondamentaux à la protection du domicile. La Cour d’appel de Paris va légitimement à l’encontre du raisonnement de la société Colas Rail en ce qu’elle affirme que le JLD a autorisé l’administration à procéder aux visites-saisies en effectuant un contrôle de la requête conformément à l’article L. 450-4 du Code de commerce. Il s’est ainsi bien assuré de sa recevabilité et de son bien fondé au regard du caractère suffisant des présomptions. Là encore donc, la demande d’annulation de l’ordonnance d’autorisation ne peut aboutir.

Sur l’insuffisance des éléments de preuve. Au fond, la demande des requérantes porte principalement sur la preuve de la pratique illicite. Après avoir rappelé que « la preuve d’une pratique anticoncurrentielle par échanges d’informations ne nécessite pas la démonstration d’un acte positif d’échange (…), d’autant plus qu’une prise de contact peut être orale et ne pas laisser de trace », la Cour d’appel de Paris précise que « la preuve d’une entente de cette nature peut donc être apportée par la présomption résultant d’indices graves, précis et concordants » (arrêt, p. 11). Il s’agit alors de vérifier si, concrètement, les indices recueillis constituent une preuve suffisante de la participation de chacune des sociétés sanctionnées par l’ADLC. Sur ce point la Cour n’hésite pas à revenir sur l’analyse effectuée par l’autorité concernant la société Offroy et relève l’insuffisance d’indices retenus pour prouver sa participation à un échange d’informations anticoncurrentiel (V. arrêt, p. 13). Conséquence directe : on passe de cinq à quatre sociétés parties à l’entente illicite.

La Cour d’appel de Paris retoque l’ensemble de l’argumentation présentée par la société Colas Rail. Elle rappelle tout d’abord à la requérante qu’elle ne peut faire grief à l’ADLC de ne pas précise l’entreprise avec qui il y a eu échange d’informations. La caractérisation de ce grief requiert en effet la seule démonstration que l’entreprise a « volontairement émis à destination d’une entreprise concurrente, ou reçu d’elle, des informations sensibles de telle sorte que la concurrence pouvait en être faussée » (arrêt, p. 11). Aucune exigence donc à viser le destinataire.

D’autre part, la société Colas Rail ne peut se prévaloir des prétendues incohérences ou discordances de certaines mentions des documents saisis. Ce point n’est pas suffisant pour remettre en cause le raisonnement de l’ADLC (p. 14). Ainsi, un faisceau d’indices graves, précis et concordants est présenté par l’ADLC, apportant la preuve que les sociétés Colas Rail, Vecchietti, E.T.F. et Pichenot Bouillé ont échangé des informations avec leurs concurrents avant le dépôt des offres et que la première a pratiqué des offres de couverture au bénéfice de concurrents (p. 14).

Sur les sanctions. Contrairement à ce que souhaitaient faire reconnaître les requérantes, l’ADLC n’a commis aucune erreur déterminante dans son appréciation du dommage à l’économie (V. arrêt, p. 16). S’agissant des sanctions individuelles, la Cour d’appel de Paris confirme le caractère proportionné du montant de la sanction pécuniaire infligée à la société Colas Rail, conformément à l’article L. 464-2, al. 3 du Code de commerce. En revanche, considérant que l’ADLC a commis une erreur « en prenant en compte comme facteur aggravant l’existence d’une autre condamnation pour entente alors qu’elle est intervenue postérieurement aux faits de la présente affaire, et que l’ouverture antérieure de l’enquête de la DGCCRF ne peut pas être considérée comme un précédent rappel à la loi justifiant une sévérité accrue » (arrêt, p. 16), la Cour d’appel de Paris réduit les sanctions pécuniaires des sociétés Vecchietti et E.T.F.

Que retenir alors de cet arrêt ?

L’intensité de la pression concurrentielle à laquelle les entreprises auraient été soumises si elles s’étaient déterminées de manière autonome a été limitée par la communication illicite des informations. La Cour d’appel de Paris juge que l’entente des quatre sociétés est « nonobstant la durée limitée d’effet des pratiques, d’une gravité certaine (…) ; que de plus est concerné le secteur des transports touchant au service public » (arrêt, p. 15). Plus largement, la Cour montre une fois de plus qu’elle assure le respect des règles de procédures liées aux enquêtes diligentées par les pouvoirs publics. Elle montre ainsi aux entreprises qu’elle n’hésite pas à rectifier les quelques errements de l’Autorité de la concurrence quant au degré d’implication dans l’entente de certains soumissionnaires aux appels d’offres, ainsi qu’aux montants des sanctions pécuniaires.


HC en collaboration avec FN

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