Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

A défaut de reprise par la société des actes juridiques liés à sa formation, elle ne peut agir en justice à leur sujet (Cass. 3e civ., 16 sept. 2021, 20-17.372).



A défaut de reprise par la société des actes juridiques liés à sa formation, elle ne peut agir en justice à leur sujet (Cass. 3e civ., 16 sept. 2021, 20-17.372).
Observations pour un étudiant attentif qui a dû réfléchir à ce sujet.

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Le présent arrêt, qui intéresse les biens, et une société civile immobilière, donc un bien immobilier, illustre l'éclatement du contentieux relatif au droit des sociétés que trois chambres de la Cour de cassation se partagent au quotidien.

Accroche. Sans dire "3e chambre" dans l'accroche vous me dites beaucoup. C'est cela une accroche, dire beaucoup à mots couverts. Cent candidats étaient en mesure de le faire, pas plus, puisqu'une majorité ne vient pas en cours. Mais... Aucun probablement ne l'aura fait. On verra.

La décision à commenter a été rendue par la 3e chambre civile de la Cour de cassation (Cass., 3e civ., 16 sept. 2021, 20-17.372) ; cette décision, non publiée au Bulletin de la Cour, est un arrêt de rejet qui ne semble donc pas, a priori, constituer un apport jurisprudentiel. Il convient de s'attacher à le voir.

Les faits de l'espèce apprennent que...


A défaut de reprise par la société des actes juridiques liés à sa formation, elle ne peut agir en justice à leur sujet (Cass. 3e civ., 16 sept. 2021, 20-17.372).
La décision à commenter avait fait l’objet de brefs commentaires de ma part ici et aussi en cours. J’avais expliqué pourquoi la 3e chambre civile… Avec cette seule mention, cette seule précision, qui note le caractère éclaté du contentieux du droit des sociétés, au « Quai de l’horloge » (vous abusez de l'expression), dans trois chambres au moins, je peux reconnaître « mes vrais étudiants ».

Dès la première ligne vous m’avez dit « immobilier », « droit des biens », donc compétence de la 3e (et pas de la 2e comme deux sont arrivés à me le dire).

Le thème a été vu deux fois en TD (séance principale et sur les statuts avec annexe).

Sur le cours lui-même j’ai pu dire ce qui est dit dans tout ouvrage et, aussi, pour souligner la situation, "effet substitutif et rétroactif"… Il y avait donc de quoi avoir des notes dans une cible moyenne de 11 / 12 / 13, et donc de très bonnes notes, mais on sera plutôt sur 9 / 10 / 11.

L’essentiel des commentaires semblent (je suis loin d’avoir tout corrigé) être de la paraphrase. Dès lors que vous comprenez l’arrêt – et comment ne comprendriez-vous pas après 2 TD et un cours ?! –, on est autour de 10/20.

Problème : il y a-t-il des commentaires ou pas ? L’exercice est « commentaire d’arrêt ». Recopier, mettre en forme, délayer… ce n’est pas commenter. Certains évidemment ne sont pas à la moyenne car malgré mes conseils répétés on relève et jusqu’à l’abus :

- Pas de sujet en tête ;
- Incapacité à faire des titres pertinents, courts et clairs ;
- Cumul de fautes diverses (orth. et style) ;
- Incapacité de bien présenter la copie (titres de parties sont souvent en bas de page, marges qui ne sont pas respectées, ratures, écriture désinvolte à déchiffrer…), en bref les copies manque de netteté…
- Et d’emblée une phrase d’accroche qui n’en est pas une et une introduction qui n’introduit rien… et vient la paraphrase très légère peut parfois donner 7/20.

Cela étant dit, il y a tout de même, en général, une assez bonne tenue des copies.

Bien, sur le fond. Il y a parfois du hors sujet mais ce n’est pas l’essentiel ; certains croient toujours devoir réciter la définition du contrat de société et les conditions de formation de la société… elles n’étaient pas en cause, le problème était plus précis ; consacrer 1 ou 2 pages à des généralités inutiles cela fait perdre des points car du temps est perdu.

La question de droit va rarement, elle n’était pas facile à formuler.

On doit y répondre, par exemple,
- par l’idée (I) d’une JP stricte et constante et (II) une interrogation sur sa valeur et sa pertinence générale ;
- par l’idée : I. Le défaut de reprise par la société des actes juridiques liés à sa formation ; II. L'impossibilité d'agir en justice au sujet de contrats non repris. (titres un peu longs)
- Dans les deux cas, cette "partie II" peut alors être largement consacrée au commentaire ! Cela peut faire peur… mais c’est cela commenter : affronter la difficulté.

De nombreux autres plans avec les développements utiles recevront bien entendu de bonnes notes ; le plan n’est que le plan.

Au fond il ne fallait pas s’arrêter sur la formation de la société ou son immatriculation, mais bien expliquer / commenter :
- Le contexte de la formation et des fondateurs (et non de la future gérante) ;
- La solution légale en 3 procédures (le décret applique la loi, notez-le), procédures qui doivent viser des actes juridiques (nuance par rapport à la notion d'engagement utilisée couramment sur ce thème) ;
- La JP qui s’en tient à ces modalités de reprises (d’où un arrêt inédit) car c’est une procédure dérogatoire qui aboutit à un effet rétroactif et substitutif très fort et spécial ;
- Chaque mode de reprise, doit être prouvée de façons différentes (parfois un simple PV d’AG), ces « preuves » n’étant que celles de la reprise ; vous détachez les deux car la Cour a utilisé le mot preuve (…) ;
- Mais la reprise d’engagements, appellation convenue, n’est pas ici le problème ; là vous ne savez pas commenter : c’est de la reprise de contrat, soit aussi de la reprise de droits pour la société ; le problème n’est pas de protéger le fondateur qui reste tenu, mais la société qui n’a pas de droit de revendiquer le contrat (et non qui discute l'engagement) ; vous ratez ça.
- Ce dernier point pouvait être le paragraphe commençant une partie (II) sur la pertinence de cette JP ; en effet, le problème ici n’est pas d’obliger le fondateur à respecter ses « engagements » pour protéger les tiers contractants, mais de donner des droits à la société formée contre un tiers ; commenter c’est réfléchir à n cas et non réciter des tas de choses…
- Or problème, a priori, ce professionnel se protège par un moyen de procédure et comble des faits il ne l'a pas fait au cours d'une précédente procédure pour ne expertise judiciaire ; autrement dit, le mécanisme de reprise finit ici par protéger le mauvais professionnel ! Qui l’a noté ? Qui a commenté ? Il ne sert à rien de citer les auteurs qui ont commenté l’arrêt (genre « moi je lis… »), vous devez commenter la décision.
- Problème central et général de droit civil et de procédure : on ne peut pas transférer la qualité contractuelle comme cela, après des courriers ou un paiement… ce que le décret et la loi permettent est dérogatoire du droit commun ; si la JP dépasse les 3 cas de reprises, alors tout l’ordre juridique est alors en cause : tout le monde revendiquerait tout contrat et ferait tout procès…
- Donc, ici, l’absence de reprise ne se retourne pas contre un associé tenu (ce qui vous répétez alors que ce n’est pas le problème) mais contre la société qui n’a pas repris le CONTRAT (le mot engagement traduisant mal ici le problème).
- Là-dessus, quid de la responsabilité du professionnel du droit qui a rédigé les statuts ? J’en ai parlé en commentant cet arrêt dans un cours. Et de celui qui a assigné sans vérifier qui était titulaire du contrat ? Car pour éviter le problème il suffisait d’ajouter le nom de Mme dans l’assignation.
- Enfin, et là quelques-uns en parlent, mais cela pousse à mon sens loin du droit des sociétés, on peut imaginer des techniques civiles de transfert des droits contractuels du contrat en cause. Mais alors on rentre dans des mécanismes complexes, je ne les cite même pas, car je ne peux pas considérer que vous les connaissiez. Trois lignes sur cela c’est déjà bien, ce n'est plus du droit des sociétés.

Finalement.

Saisir la procédure est utile qui permet de commenter, par exemple, "appréciation souveraine" ; et de bien comprendre ce qu'est le défaut de qualité (qui n'est pas une "faute de qualité" ! Et pour certains malins qui ne le sont pas, faute de qualité ne veut pas dire qu'il y a une faute qui engage la RC de la société... ah quel désastre !). Faute de qualité à agir, un justiciable n'a pas qualité pour ester... Il est donc irrecevable (mot à expliquer en quatre mots).

Il est bien de citer les arrêts des codes, mais sans excès, juste ceux qui ont un rapport direct avec le problème de la reprise des actes.

Nombreuses sont les copies qui abusent de l'idée que la Cour de cassation rappelle, dix fois dans la copie la Cour de cassation rappelle, jamais elle ne juge, ne décide, ne tranche...



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Les bases du droit civil actualisées par le professeur Gilles Goubeaux.

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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Audience publique du 16 septembre 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 628 F-D
Pourvoi n° W 20-17.372

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 SEPTEMBRE 2021

La société Bastet, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° W 20-17.372 contre l'arrêt rendu le 15 mai 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Pav habitat, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à M. [J] [U], domicilié [Adresse 4], pris en qualité de liquidateur de la société Le Bois de Bout 22,

3°/ à M. [I] [K], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur de la société DSS maçonnerie,

4°/ à la compagnie d'assurances Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, dont le siège est [Adresse 1], pris en qualité d'assureur de la société DSS maçonnerie,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Nivôse, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de la société Bastet, de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de la compagnie d'assurances Les Souscripteurs du Lloyd's de Londres, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Pav habitat, après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Nivôse, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 15 mai 2020), le 19 mars 2012, M. et Mme [Y] ont accepté un devis pour l'achat d'une maison en kit bois, établi par la société PAV habitat.

2. Les travaux de maçonnerie ont été réalisés par la société DSS maçonnerie, assurée auprès des souscripteurs du Lloyd's de Londres, le montage de la structure bois par la société Le Bois de bout 22, la couverture par la société Sucher Olivier, assurée auprès de la société Gable insurance, et l'électricité par M. [V], assuré auprès de la société MAAF.

3. Le 9 mai 2012, a été créée la société civile immobilière Bastet (la SCI Bastet), dont Mme [Y] est devenue la gérante.

4. Se plaignant de désordres et d'un retard de chantier, la SCI Bastet a assigné les constructeurs en indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui est irrecevable.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La SCI Bastet fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes en paiement contre la société PAV habitat, faute de qualité à agir, alors « qu'une société peut reprendre à son compte les actes effectués avant son immatriculation ; qu'en déclarant la SCI Bastet irrecevable en ses demandes à l'encontre de la société Pav Habitat, aux motifs qu'elle n'aurait pas démontré avoir repris le contrat qui avait été conclu entre Mme [Y] et la société Pav Habitat, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la preuve de cette reprise résultait des courriers envoyés par la société Bastet à la société Pav Habitat, des factures et courriers adressées par Pav Habitat à la société Bastet, de la saisine du juge des référés aux fins d'ordonner une expertise pour constater les malfaçons affectant la construction et encore de l'inscription d'un nantissement sur le fonds de commerce de la société Pav Habitat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1843 du code civil, ensemble l'article 31 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Selon les dispositions de l'article 6 du décret du 3 juillet 1978, la reprise des engagements souscrits pour le compte d'une société civile en formation doit être expresse et résulte soit de la présentation aux associés, avant la signature des statuts, de l'état des actes accomplis pour le compte de la société en formation, annexé aux statuts, soit d'un mandat donné par les associés à l'un ou plusieurs d'entre eux, ou au gérant non associé, de prendre des engagements pour le compte de la société, soit encore, après l'immatriculation de la société, d'une décision prise à la majorité des associés.

8. La cour d'appel, devant qui n'était pas invoquée l'existence d'un mandat donné par les associés à l'un d'entre eux afin de prendre des engagements pour le compte de la société, a constaté que le contrat du 20 avril 2012 avait été conclu entre la société PAV habitat et Mme [Y], qui avait aussi signé les conditions générales de vente, sans aucune mention relative à une société en formation.

9. Elle a relevé que la SCI Bastet avait été immatriculée en mai 2012 mais que ses statuts ne mentionnaient pas la reprise d'engagements pris par Mme [Y] pour son compte et qu'aucune assemblée générale des actionnaires postérieure à son immatriculation ne faisait état d'engagements repris par la société.

10. Elle en a souverainement déduit, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, que la SCI Bastet ne rapportait pas la preuve de la reprise des engagements pris par Mme [Y] avant sa constitution.

11. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Les faits de l'affaire de cet arrêt non publié montrent la création d'une société civile, dite immobilière. Dans le même temps, les associés (des époux) achètent une maison en bois en kit : madame signe. Ils auront à se plaindre en justice de cet achat de maison qui fut construite. Ils lancent au nom de la SCI une procédure en référé pour obtenir une expertise, notamment contre le vendeur. Puis une seconde procédure, au fond, pour être indemnisé.

Dans ce procès, le ou les défendeurs opposent que la SCI n'est pas le contractant : celui qui a acheté la maison voire celui qui l'a fait monter (par divers autres contrats). Le contrat de vente a été conclu par l'épouse - "en son nom personnel", comme l'on dit. La société civile n'a donc corrélativement pas qualité pour agir au titre de ce contrat, à l'égard duquel elle reste un tiers. La contractant, l'épouse, est la seule à pouvoir ester en justice, et non la société civile. Or c'est elle qui a agi en justice !

Les associés et la SCI invoquent alors la reprise de cet acte par la société (C. civ., art. 1843 et art. 6 D. 1978). Cependant, les associés n'ont pas respecté l'une des trois façons de faire reprendre les actes juridiques accomplis au nom de la société, pendant sa période de formation, et nécessairement faits par un ou des associés (la personne morale n'existe qu'avec son immatriculation, ce qui la rend incapable de conclure un contrat auparavant).

Le pourvoi reprochait à la cour d'appel de ne pas avoir vérifié divers documents, notamment des courriers et factures qui donc, selon le moyen, auraient été de nature à prouver que ce contrat était "passé" de la tête des associés sur celle de la SCI, et donc dans son patrimoine.

La Cour de cassation répond qu'aucune procédure de reprise des actes de la formation n'a été respectée : elles découlent des seuls articles précités (1843 et 6) et des circonstances, notamment la reprise se fait différemment selon qu'on la décide avant la signatures du contrat de sociétés, des statuts, ou après. Cette reprise, nécessairement expresse, doit être minutieusement faite et consignée (un cours envisage le point pratique des documents en cause). Le juge du droit conclut que la SCI n'a pas qualité pour agir ce que le juge d'appel avait, à raison, lui aussi déduit. Les actes de la période de formation sont repris, selon les textes précités, soit dans une annexe des statuts, soit avec un mandat exprès des associés pour tel ou tels actes, soit après immatriculation à la majorité des associés.

La procédure, malicieusement bloquée en appel par le défendeur (la SCI ne pouvait agir en justice pour ce contrat !), le restera !

Dépassons d'un pas le droit des sociétés pour dire que l'avocat qui assigne au nom d'une société, pour un contrat conclu dans la période de formation de la société, doit donc vérifier si la reprise a eu lieu ; il doit vérifier si la société a bénéficié du mécanisme, exceptionnel, de reprise, rétroactif et substitutif, qui rend la société seule titulaire du contrat. Ici vérification n'a pas eu lieu.

Ce point montre l'intérêt à se former au droit des sociétés... Cette absence de vérification peut en effet poser un autre problème, cette fois à l'avocat, qui a agi en justice sans faire cette vérification, voire à l'avocat qui, chargé de la rédaction et donc de la formation de la SCI, a oublié de faire faire la reprise des actes - en l'espèce trois contrats importants devaient en être l'objet. Un double problème de responsabilité civile professionnelle pourrait se poser : c'est un autre sujet.

Le droit n'est pas toujours que de la poésie des mots...

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