C'est un véritable coup que la Deuxième chambre civile vient de porter aux victimes d'accidents corporels bénéficiaires d'une rente accident du travail (AT). Le sujet nous intéresse donc tous puisque, malheureusement, les accidents de la route sont encore très nombreux. Ce coup concernera en pratique les victimes de dommages moyens mais aussi, le cas échéant, ceux qui, après un accident, se retrouvent "grand handicapé". Les familles seront aussi et encore les victimes indirectes puisque la mauvaise réparation des victimes implique, en règle générale, les familles qui doivent aider, des années voire des décennies durant, leur proche handicapé.
Ces arrêts (voyez ci-dessous deux d'entre eux) interprètent tous, d'une part, les articles 29 et 31 de la loi dite Badinter et, d'autre part, les textes sur les pensions d'accident du travail (CSS, art. 434-1 et 434-2 et le décret du 6 oct. 1960 pour un fonctionnaire de police). L'article 31 a été réécrit par la loi du 21 déc. 2006 pour déterminer les modalités des recours des tiers payeurs, donc des organismes dits sociaux (caisse d'assurances sociales et organismes de couverture complémentaire, généralement les mutuelles). Ces tiers payent les factures médicales de l'accidenté et il est inévitable de leur accorder un recours contre le responsable de l'accident, recours qui prend généralement la forme d'un recours subrogatoire sur les indemnités allouées à la victime (sur l’ensemble de la question voyez l’intéressante synthèse de nos collègues les Professeurs J.-J. DUPEYROUX, M. BORGETTO et R. LAFORE : Droit de la sécurité sociale, DALLOZ, 2008, p. 1010 , n° 1421 et s.). Les 5 arrêts sont ainsi rendus au visa de ces textes.
Ce coup, la Cour de cassation le porte en visant également (et logiquement en technique) le "principe de la réparation intégrale" que pourtant, avec ces arrêts, elle ne porte guère... Les juges français ont bien des qualités dont celle d'être économes (...) : demander 4 sous d'indemnités c'est généralement la croix et la bannière... Il n'y a pas que sur ce sujet que je l'ai dit. S'agissant de l'indemnisation des victimes d'accident corporels, nous ne sommes donc pas aux Etats-Unis.
Les réparations les plus importantes ne se chiffrent pas en millions, loin s'en faut ! Si c'était le cas, les décisions de justice feraient parfois "La Une" des journaux, tel n'est pas le cas.
Tel n'est en vérité jamais le cas.
La solution et les 5 arrêts en cause claquent au fronton du site internet de la Cour de cassation qui leur a donné une publicité maximale. L'attendu qui pose la solution indique :
"... il résulte du dernier de ces textes que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent".
L'apport réside dans le dernier membre de phrase :
"... en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent".
L'adverbe "nécessairement" est là pour souligner le caractère logique de la solution ou, plus précisément, du raisonnement qui conduit à cette solution. Cependant, un seul mot ne vaut pas raisonnement, alors surtout que le raisonnement s'appuie sur un terme n'impliquant pas clairement un lien logique.
L'idée selon laquelle en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent (le pur handicap physique) se forge essentiellement dans l'affirmation. Le propos n'est pas péremptoire car un lien logique est esquissé. Comme dans nombre de décision de principe, le principe est une énonciation qui ne s'encombre pas d'explications, c'est cela le pouvoir jurisprudentiel ("la jurisprudence").
Le problème de la valeur de ce propos se pose d'emblée tant la solution est catégorique, politique (aider les organismes sociaux...?), alors que la question semblait imposer un travail de ventilation aux organismes (entre le patrimonial et l’extra-patrimonial…) (J.-J. DUPEYROUX, M. BORGETTO et R. LAFORE, Droit de la sécurité sociale, DALLOZ, 2008, p. 1022, n° 1440). La conséquence de cette décision de juin est doublement "explosive".
Il aboutit d'abord à faire réparer un poste patrimonial (payé par un organisme social) par un poste extra-patrimonial, division qui est la summa divisio en matière de réparation du préjudice corporel (réforme dite DINTILHAC) : le DFP est extra-patrimonial.
Il aboutit (nécessairement) à dire aussi qu'une rente, fondamentalement, indemnise de façon indéterminée des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux (le DFP, déficit fonctionnel permanent, le pur handicap physique). La sécu indemnise nos préjudices extra-patrimoniaux …!
C'est donc convenir que l'un des moyens principaux d'indemnisation, la rente, nie la summa divisio (que la Cour de cassation consacre elle-même !) ; plus loin et plus haut, c'est convenir que la réparation du préjudice corporel repose encore sur une distinction de base qui ne vaut rien au vu de l'existence des rentes AT ?!
Voilà qui nous semble une position difficilement tenable. En apparence logique, la solution remet en réalité implicitement en cause le principe de base de la réparation séparant les incidences du préjudice corporel (préjudices patrimoniaux et ceux extra-patrimoniaux). Mélanger allègrement les deux, c'est bien ce à quoi aboutissait le recours des organismes sociaux avant 2006.
On aura cette position après avoir souligné que, pour y arriver, la Cour de cassation juge que la rente AT répare pour partie de la pure invalidité physiologique ce qui, dans cette logique, en fait un financement extra-patrimonial, et ouvre donc un recours sur le poste DFP. On ne revient pas sur l’avis de 2007 rendu par la Cour de cassation (Dr. soc. 2008, p. 196, rapport Grignon-Dumoulin) qui semblait, lui, exiger une preuve préalable. Question de preuve et de présomption de réparation d’un poste patrimonial de la rente qui va peut-être, au cours des prochaines audiences, animer les débats et, au passage obliger les caisses à daigner venir en justice…) : la pratique a ici un important travail à effectuer.
Interpréter la loi de 2006 comme elle vient de le faire confirmera aux spécialistes de la responsabilité et de la réparation que la matière n'échappe pas à ses vieux démons.
On fera le cas échéant une analyse plus précise de ce problème qui va inonder les cours d'appels. Les Cours "cassés" vont s'interroger (Paris, Lyon, Aix-en-Provence) pour leur prochaines décisions à prendre. En outre, sur ces seuls arrêts, les cours de Paris, Grenoble et Nîmes sont saisies par le renvoi.
Vont-elles appliquer la solution de la Deuxième chambre civile ou entrer en résistance pour provoquer un arrêt d'assemblée plénière qui serait "politiquement" visible ? Il faudra bien cela pour que quelques parlementaires prennent - efficacement cette fois - la défense des victimes en faisant voter une loi qui n'aura pas deux sens.
ARRETS ( Source : base LEGIFRANCE, http://www.legifrance.gouv.fr/) :
1ere décision.
Cour de cassation chambre civile 2
Audience publique du jeudi 11 juin 2009
N° de pourvoi: 07-21768
Publié au bulletin Cassation partielle
M. Gillet (président), président
Me Blanc, Me Foussard, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à M. X... de ce qu'il se désiste de son pourvoi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
Attendu qu'il résulte du dernier de ces textes que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été victime d'un accident de la circulation, constituant également un accident du travail, dans lequel était impliqué le véhicule conduit par Mme X..., assurée auprès de la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (la GMF) ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon lui a alloué une rente au titre de la législation sur les accidents du travail ; que M. Y... a assigné Mme X... et la GMF en indemnisation ;
Attendu que l'arrêt, après avoir retenu qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le préjudice patrimonial de la victime, alloue à celle-ci une certaine somme en réparation de son déficit fonctionnel permanent, sans imputer sur ce montant les arrérages échus et le capital représentatif de la rente qui lui était versée en application de l'article L. 434-1 du code de la sécurité sociale ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a limité de moitié le droit à indemnisation de M. Y..., l'arrêt rendu le 6 novembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... et de la Garantie mutuelle des fonctionnaires d'une part, de M. Y..., d'autre part ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Blanc, avocat aux Conseils pour Mme X... et la Garantie mutuelle des fonctionnaires.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum Madame X... et la GMF à verser à Monsieur Y... la somme de 12 925 euros en réparation de son préjudice extra-patrimonial résultant de l'accident du 22 avril 1998 ;
Aux motifs que « les préjudices seront évalués comme suit, étant précisé que pour fixer le montant de l'indemnisation due, la loi du 21 décembre 2006 doit s'appliquer, particulièrement son article 25 qui prévoit que les recours subrogatoires des tiers payeurs " s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel " (...) ; les indemnités journalières versées doivent être imputées sur la perte de revenus (...), les arrérages et la rente accident du travail seront imputés sur le préjudice professionnel ; il n'y a pas lieu de statuer sur le préjudice patrimonial, aucune demande n''étant formulée à ce titre et seule la créance de la CPAM qui n'a pas constitué avoué pouvant en relever (...), déficit fonctionnel permanent : le chiffrage proposé par l'expert sera retenu, Thierry Y... ne justifiant d''aucun élément particulier à l'appui de sa demande de taux à 20 % (...) ; à l'âge de 42 ans, le taux de base retenu par le premier juge soit 1 200 euros le point est parfaitement adapté ; la somme lui revenant à ce titre s'élève donc à 6 000 euros » ;
Alors d'une part qu'après avoir constaté que la CPAM de Lyon avait versé une rente invalidité accident du travail et que Monsieur Y... n'avait pas subi de préjudice professionnel, la cour d'appel, qui a refusé d'imputer le montant de la rente servie par la CPAM sur la somme allouée au titre de l'IPP, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la rente accident du travail servie par la CPAM réparait nécessairement un préjudice personnel et a ainsi violé l'article 31, alinéa 1er nouveau, de la loi du 5 juillet 1985 ;
Alors d'autre part que si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice ; qu'en ayant retenu qu'il n'y avait pas lieu de déduire les débours de la CPAM des sommes allouées à Monsieur Y... au titre de l'IPP, sans avoir recherché si la rente accident du travail servie par la CPAM ne réparait pas au moins pour partie un préjudice personnel de la victime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31, alinéa 1er nouveau, de la loi du 5 juillet 1985.
2e décision.
Cour de cassation chambre civile 2
Audience publique du jeudi 11 juin 2009
N° de pourvoi: 07-21816
Publié au bulletin Cassation partielle
M. Gillet (président), président
Me Balat, Me Spinosi, SCP Ancel et Couturier-Heller, SCP Boutet, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, qui est recevable :
Vu les articles 29-2 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et le décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 modifié, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
Attendu qu'il résulte du troisième de ces textes que l'allocation temporaire d'invalidité versée à l'agent victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle, indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette allocation indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., commissaire de police, a été victime d'un accident de la circulation, constituant un accident de service, dans lequel était impliqué le véhicule de M. Y..., assuré auprès de la société Pacifica ; que, blessé et bénéficiaire d'une allocation temporaire d'invalidité versée par l'Etat, M. X... a assigné M. Y... et la société Pacifica en réparation de son préjudice, en présence de l'agent judiciaire du Trésor ;
Attendu que l'arrêt décide qu'en l'absence de préjudice professionnel ou d'incidence professionnelle, il n'y a pas lieu de déduire l'allocation versée à la victime ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit que M. X... avait droit à l'indemnisation de l'entier préjudice résultant de l'accident, l'arrêt rendu le 26 septembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives de l'agent judiciaire du Trésor et de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt ;
Moyen produit par la SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat aux Conseils, pour l'agent judiciaire du Trésor ;
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation in solidum de M. Y... et de la compagnie d'assurances Pacifica au profit de l'Agent judiciaire du Trésor à la somme de 49. 831, 62 euros en remboursement des prestations versées par l'Etat à son agent, M. X... ;
AUX MOTIFS QUE Sur le préjudice subi par Christophe X...
(…) qu'au vu de ces conclusions qui ont été déposées après un examen sérieux et attentif de la victime et qui ne sont pas contestées par les parties, et de la situation de Christophe X... âgé de 42 ans au moment de l'accident et de 44 ans lors de la consolidation, qui exerce la profession de commissaire de police, le préjudice peut être fixé comme suit poste par poste :
(…)
Préjudice fonctionnel permanent
Que ce poste de préjudice sera fixé à la somme de 8. 800 euros ;
Préjudice professionnel
Que l'expert médical conclut que Christophe X... a repris la totalité des activités administratives qu'il exerçait en qualité de commissaire de police avant son accident ; que seules les activités extérieures de terrain, d'enquête, de surveillance, de travail en équipe sont devenues quasi impossibles ; qu'il n'est pas démontré une incidence de cette situation sur l'évolution de carrière de Christophe X... et le préjudice professionnel n'est pas démontré ; qu'en l'absence de préjudice professionnel, il n'est pas possible d'imputer l'allocation temporaire d'invalidité versée par l'Etat français du 11 juillet 2003 au 10 juillet 2008 ;
ALORS QUE l'allocation temporaire d'invalidité (ATI), calculée sur une base forfaitaire et cumulable avec le traitement, est destinée à compenser un déficit fonctionnel existant du fait de la présence de séquelles de l'accident ;
D'où il résulte qu'en l'état de l'allocation temporaire d'invalidité concédée à compter du 11 juillet 2003 à M. X..., dont le montant des arrérages versés du 11 juillet 2003 au 30 janvier 2007 s'élevait à la somme de 7. 522, 28 euros et le capital représentatif à compter du 1er février 2007 était fixé à la somme de 46. 116, 95 euros, la Cour d'appel ne pouvait imputer cette prestation sur le poste de préjudice afférent à l'incidence professionnelle en l'excluant du poste déficit fonctionnel permanent dont elle a alloué le montant à la victime, conduisant ainsi à lui accorder une double indemnisation de son préjudice, sans violer les articles 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, 31 de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2006, 65 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée et 1382 du Code civil ;
Publication :
Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 26 septembre 2007
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Ces arrêts (voyez ci-dessous deux d'entre eux) interprètent tous, d'une part, les articles 29 et 31 de la loi dite Badinter et, d'autre part, les textes sur les pensions d'accident du travail (CSS, art. 434-1 et 434-2 et le décret du 6 oct. 1960 pour un fonctionnaire de police). L'article 31 a été réécrit par la loi du 21 déc. 2006 pour déterminer les modalités des recours des tiers payeurs, donc des organismes dits sociaux (caisse d'assurances sociales et organismes de couverture complémentaire, généralement les mutuelles). Ces tiers payent les factures médicales de l'accidenté et il est inévitable de leur accorder un recours contre le responsable de l'accident, recours qui prend généralement la forme d'un recours subrogatoire sur les indemnités allouées à la victime (sur l’ensemble de la question voyez l’intéressante synthèse de nos collègues les Professeurs J.-J. DUPEYROUX, M. BORGETTO et R. LAFORE : Droit de la sécurité sociale, DALLOZ, 2008, p. 1010 , n° 1421 et s.). Les 5 arrêts sont ainsi rendus au visa de ces textes.
Ce coup, la Cour de cassation le porte en visant également (et logiquement en technique) le "principe de la réparation intégrale" que pourtant, avec ces arrêts, elle ne porte guère... Les juges français ont bien des qualités dont celle d'être économes (...) : demander 4 sous d'indemnités c'est généralement la croix et la bannière... Il n'y a pas que sur ce sujet que je l'ai dit. S'agissant de l'indemnisation des victimes d'accident corporels, nous ne sommes donc pas aux Etats-Unis.
Les réparations les plus importantes ne se chiffrent pas en millions, loin s'en faut ! Si c'était le cas, les décisions de justice feraient parfois "La Une" des journaux, tel n'est pas le cas.
Tel n'est en vérité jamais le cas.
La solution et les 5 arrêts en cause claquent au fronton du site internet de la Cour de cassation qui leur a donné une publicité maximale. L'attendu qui pose la solution indique :
"... il résulte du dernier de ces textes que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent".
L'apport réside dans le dernier membre de phrase :
"... en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent".
L'adverbe "nécessairement" est là pour souligner le caractère logique de la solution ou, plus précisément, du raisonnement qui conduit à cette solution. Cependant, un seul mot ne vaut pas raisonnement, alors surtout que le raisonnement s'appuie sur un terme n'impliquant pas clairement un lien logique.
L'idée selon laquelle en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, la rente indemnise le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent (le pur handicap physique) se forge essentiellement dans l'affirmation. Le propos n'est pas péremptoire car un lien logique est esquissé. Comme dans nombre de décision de principe, le principe est une énonciation qui ne s'encombre pas d'explications, c'est cela le pouvoir jurisprudentiel ("la jurisprudence").
Le problème de la valeur de ce propos se pose d'emblée tant la solution est catégorique, politique (aider les organismes sociaux...?), alors que la question semblait imposer un travail de ventilation aux organismes (entre le patrimonial et l’extra-patrimonial…) (J.-J. DUPEYROUX, M. BORGETTO et R. LAFORE, Droit de la sécurité sociale, DALLOZ, 2008, p. 1022, n° 1440). La conséquence de cette décision de juin est doublement "explosive".
Il aboutit d'abord à faire réparer un poste patrimonial (payé par un organisme social) par un poste extra-patrimonial, division qui est la summa divisio en matière de réparation du préjudice corporel (réforme dite DINTILHAC) : le DFP est extra-patrimonial.
Il aboutit (nécessairement) à dire aussi qu'une rente, fondamentalement, indemnise de façon indéterminée des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux (le DFP, déficit fonctionnel permanent, le pur handicap physique). La sécu indemnise nos préjudices extra-patrimoniaux …!
C'est donc convenir que l'un des moyens principaux d'indemnisation, la rente, nie la summa divisio (que la Cour de cassation consacre elle-même !) ; plus loin et plus haut, c'est convenir que la réparation du préjudice corporel repose encore sur une distinction de base qui ne vaut rien au vu de l'existence des rentes AT ?!
Voilà qui nous semble une position difficilement tenable. En apparence logique, la solution remet en réalité implicitement en cause le principe de base de la réparation séparant les incidences du préjudice corporel (préjudices patrimoniaux et ceux extra-patrimoniaux). Mélanger allègrement les deux, c'est bien ce à quoi aboutissait le recours des organismes sociaux avant 2006.
On aura cette position après avoir souligné que, pour y arriver, la Cour de cassation juge que la rente AT répare pour partie de la pure invalidité physiologique ce qui, dans cette logique, en fait un financement extra-patrimonial, et ouvre donc un recours sur le poste DFP. On ne revient pas sur l’avis de 2007 rendu par la Cour de cassation (Dr. soc. 2008, p. 196, rapport Grignon-Dumoulin) qui semblait, lui, exiger une preuve préalable. Question de preuve et de présomption de réparation d’un poste patrimonial de la rente qui va peut-être, au cours des prochaines audiences, animer les débats et, au passage obliger les caisses à daigner venir en justice…) : la pratique a ici un important travail à effectuer.
Interpréter la loi de 2006 comme elle vient de le faire confirmera aux spécialistes de la responsabilité et de la réparation que la matière n'échappe pas à ses vieux démons.
On fera le cas échéant une analyse plus précise de ce problème qui va inonder les cours d'appels. Les Cours "cassés" vont s'interroger (Paris, Lyon, Aix-en-Provence) pour leur prochaines décisions à prendre. En outre, sur ces seuls arrêts, les cours de Paris, Grenoble et Nîmes sont saisies par le renvoi.
Vont-elles appliquer la solution de la Deuxième chambre civile ou entrer en résistance pour provoquer un arrêt d'assemblée plénière qui serait "politiquement" visible ? Il faudra bien cela pour que quelques parlementaires prennent - efficacement cette fois - la défense des victimes en faisant voter une loi qui n'aura pas deux sens.
ARRETS ( Source : base LEGIFRANCE, http://www.legifrance.gouv.fr/) :
1ere décision.
Cour de cassation chambre civile 2
Audience publique du jeudi 11 juin 2009
N° de pourvoi: 07-21768
Publié au bulletin Cassation partielle
M. Gillet (président), président
Me Blanc, Me Foussard, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à M. X... de ce qu'il se désiste de son pourvoi ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et les articles L. 434-1 et L. 434-2 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
Attendu qu'il résulte du dernier de ces textes que la rente versée à la victime d'un accident du travail indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été victime d'un accident de la circulation, constituant également un accident du travail, dans lequel était impliqué le véhicule conduit par Mme X..., assurée auprès de la société Garantie mutuelle des fonctionnaires (la GMF) ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Lyon lui a alloué une rente au titre de la législation sur les accidents du travail ; que M. Y... a assigné Mme X... et la GMF en indemnisation ;
Attendu que l'arrêt, après avoir retenu qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur le préjudice patrimonial de la victime, alloue à celle-ci une certaine somme en réparation de son déficit fonctionnel permanent, sans imputer sur ce montant les arrérages échus et le capital représentatif de la rente qui lui était versée en application de l'article L. 434-1 du code de la sécurité sociale ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a limité de moitié le droit à indemnisation de M. Y..., l'arrêt rendu le 6 novembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... et de la Garantie mutuelle des fonctionnaires d'une part, de M. Y..., d'autre part ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Blanc, avocat aux Conseils pour Mme X... et la Garantie mutuelle des fonctionnaires.
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum Madame X... et la GMF à verser à Monsieur Y... la somme de 12 925 euros en réparation de son préjudice extra-patrimonial résultant de l'accident du 22 avril 1998 ;
Aux motifs que « les préjudices seront évalués comme suit, étant précisé que pour fixer le montant de l'indemnisation due, la loi du 21 décembre 2006 doit s'appliquer, particulièrement son article 25 qui prévoit que les recours subrogatoires des tiers payeurs " s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel " (...) ; les indemnités journalières versées doivent être imputées sur la perte de revenus (...), les arrérages et la rente accident du travail seront imputés sur le préjudice professionnel ; il n'y a pas lieu de statuer sur le préjudice patrimonial, aucune demande n''étant formulée à ce titre et seule la créance de la CPAM qui n'a pas constitué avoué pouvant en relever (...), déficit fonctionnel permanent : le chiffrage proposé par l'expert sera retenu, Thierry Y... ne justifiant d''aucun élément particulier à l'appui de sa demande de taux à 20 % (...) ; à l'âge de 42 ans, le taux de base retenu par le premier juge soit 1 200 euros le point est parfaitement adapté ; la somme lui revenant à ce titre s'élève donc à 6 000 euros » ;
Alors d'une part qu'après avoir constaté que la CPAM de Lyon avait versé une rente invalidité accident du travail et que Monsieur Y... n'avait pas subi de préjudice professionnel, la cour d'appel, qui a refusé d'imputer le montant de la rente servie par la CPAM sur la somme allouée au titre de l'IPP, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la rente accident du travail servie par la CPAM réparait nécessairement un préjudice personnel et a ainsi violé l'article 31, alinéa 1er nouveau, de la loi du 5 juillet 1985 ;
Alors d'autre part que si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice ; qu'en ayant retenu qu'il n'y avait pas lieu de déduire les débours de la CPAM des sommes allouées à Monsieur Y... au titre de l'IPP, sans avoir recherché si la rente accident du travail servie par la CPAM ne réparait pas au moins pour partie un préjudice personnel de la victime, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 31, alinéa 1er nouveau, de la loi du 5 juillet 1985.
2e décision.
Cour de cassation chambre civile 2
Audience publique du jeudi 11 juin 2009
N° de pourvoi: 07-21816
Publié au bulletin Cassation partielle
M. Gillet (président), président
Me Balat, Me Spinosi, SCP Ancel et Couturier-Heller, SCP Boutet, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, qui est recevable :
Vu les articles 29-2 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et le décret n° 60-1089 du 6 octobre 1960 modifié, ensemble le principe de la réparation intégrale ;
Attendu qu'il résulte du troisième de ces textes que l'allocation temporaire d'invalidité versée à l'agent victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle, indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette allocation indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., commissaire de police, a été victime d'un accident de la circulation, constituant un accident de service, dans lequel était impliqué le véhicule de M. Y..., assuré auprès de la société Pacifica ; que, blessé et bénéficiaire d'une allocation temporaire d'invalidité versée par l'Etat, M. X... a assigné M. Y... et la société Pacifica en réparation de son préjudice, en présence de l'agent judiciaire du Trésor ;
Attendu que l'arrêt décide qu'en l'absence de préjudice professionnel ou d'incidence professionnelle, il n'y a pas lieu de déduire l'allocation versée à la victime ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a dit que M. X... avait droit à l'indemnisation de l'entier préjudice résultant de l'accident, l'arrêt rendu le 26 septembre 2007, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes respectives de l'agent judiciaire du Trésor et de M. X... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze juin deux mille neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt ;
Moyen produit par la SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat aux Conseils, pour l'agent judiciaire du Trésor ;
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir limité la condamnation in solidum de M. Y... et de la compagnie d'assurances Pacifica au profit de l'Agent judiciaire du Trésor à la somme de 49. 831, 62 euros en remboursement des prestations versées par l'Etat à son agent, M. X... ;
AUX MOTIFS QUE Sur le préjudice subi par Christophe X...
(…) qu'au vu de ces conclusions qui ont été déposées après un examen sérieux et attentif de la victime et qui ne sont pas contestées par les parties, et de la situation de Christophe X... âgé de 42 ans au moment de l'accident et de 44 ans lors de la consolidation, qui exerce la profession de commissaire de police, le préjudice peut être fixé comme suit poste par poste :
(…)
Préjudice fonctionnel permanent
Que ce poste de préjudice sera fixé à la somme de 8. 800 euros ;
Préjudice professionnel
Que l'expert médical conclut que Christophe X... a repris la totalité des activités administratives qu'il exerçait en qualité de commissaire de police avant son accident ; que seules les activités extérieures de terrain, d'enquête, de surveillance, de travail en équipe sont devenues quasi impossibles ; qu'il n'est pas démontré une incidence de cette situation sur l'évolution de carrière de Christophe X... et le préjudice professionnel n'est pas démontré ; qu'en l'absence de préjudice professionnel, il n'est pas possible d'imputer l'allocation temporaire d'invalidité versée par l'Etat français du 11 juillet 2003 au 10 juillet 2008 ;
ALORS QUE l'allocation temporaire d'invalidité (ATI), calculée sur une base forfaitaire et cumulable avec le traitement, est destinée à compenser un déficit fonctionnel existant du fait de la présence de séquelles de l'accident ;
D'où il résulte qu'en l'état de l'allocation temporaire d'invalidité concédée à compter du 11 juillet 2003 à M. X..., dont le montant des arrérages versés du 11 juillet 2003 au 30 janvier 2007 s'élevait à la somme de 7. 522, 28 euros et le capital représentatif à compter du 1er février 2007 était fixé à la somme de 46. 116, 95 euros, la Cour d'appel ne pouvait imputer cette prestation sur le poste de préjudice afférent à l'incidence professionnelle en l'excluant du poste déficit fonctionnel permanent dont elle a alloué le montant à la victime, conduisant ainsi à lui accorder une double indemnisation de son préjudice, sans violer les articles 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959, 31 de la loi du 5 juillet 1985, dans sa rédaction issue de la loi du 21 décembre 2006, 65 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée et 1382 du Code civil ;
Publication :
Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 26 septembre 2007
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