"Réguler les excès de la finance", brèves annotations complémentaires sur une intervention en colloque.



"Réguler les excès de la finance", brèves annotations complémentaires sur une intervention en colloque.
J'ai survolé deux ou trois problématiques juridiques, inspirées par ce sujet, au cours du Colloque du CEDIN qui se déroulait aujourd'hui à l'OCDE (17 mars), à Paris. La présente note dit en quelques lignes ce que j'ai tenté de souligner : l'instrument qu'est la règle, à insérer dans un ordre juridique, suppose un art juridique qui me semble négligé.

Il y a là un risque majeur de toute réforme de la finance, une sorte de risque juridique systémique au coeur de la réforme : réformer en plaçant au milieu du canevas quelques règles molles par lesquelles s'infiltreront de nouvelles pratiques dangereuses, donc de nouveaux clients, de nouveaux produits et souvent de nouveaux marchés.

Certes toute réforme est imparfaite, et toute réforme a ses effets pervers. J'appartiens aux juristes qui ont vu naître la diversification des valeurs mobilières, leur dématérialisation qui, sous le signe de l'électronique, permet de faire basculer en quelques clics des actifs financiers colossaux d'un continent à l'autre, la naissance des dérivés qui, acculturés presque sans limite, ont permis de transformer l'économie financière en vaste casino... (on ne parlera pas ici des dérivés qui ne semblent pas menacés...).

En soulignant la nécessité de faire un net effort sur les règles et concepts, sur une méthode qui a quelques millénaires, en rappelant l'exigence d'un minimum de juridique, j'ai pris la position d'un classique que je ne suis pas. Un comble pour celui qui, il y a près de vingt ans, a soutenu que tout n'était que contrat et négociabilité (voyez l'image), ce qui doublement soulignait une monde de liquidité et de célérité dans ce que d'aucuns rechignaient encore à appeler le "droit financier" ....

Je complète donc aujourd'hui la présente note de quelques observations pour parachever mon propos. Il me restera alors à "penser" finalement un article sur le sujet qui seul obéira aux canons de la publication et de la science juridique grâce à l'équipe du CEDIN de Paris X (Paris Ouest).

Suite

Avec un peu de retard, je fais donc part de quelques réflexions supplémentaires, et notamment pour les jeunes chercheurs qui assistaient à la conférence donnée à l'OCDE.

Toute réforme suppose de déterminer le type de règle retenu, son objet, sa nature voire sa substance... L'énoncé de la règle impose d'employer des concepts parfaitement définis (ou impose de bien de les définir), dans une phrase simple et claire. Cela conduit à l'observation suivante qui rompt avec le discours ultra-majoritaire. L'idée générale (il faut réformer les agences de notation...), n'est pas une règle juridique ! Pas plus que l'idée économique n'est une idée juridique et encore moins une règle.

L'idée est la mélodie, la règle est la partition.

Nombreux sont ceux qui fredonnent des airs mélodieux et célèbres, de façon juste, qu'ils ne savent pas mettre en partition.

Je ne reviens pas ici sur les termes du sujet, ce que je ferai dans la publication à venir ; à peine doit-on dire que l'idée de régulation étant partout et galvaudée, elle n'a pas montré une aptitude à fournir les ressorts d'une voie précise pour la réforme (voy. sur ce problème de langue : Th. BONNEAU, Pour être dans le vent, Rev. dr. banc. et fin, éd. Lexisnexis, 2010).

Le sujet rejoint la problématique des règles professionnelles. Il en faut. Mais la règle légale doit savoir combiner des prescriptions précises (à l'américaine) et des principes. Cette conjugaison renforce la puissance normative de la règle.

La règle nouvelle est parfois fragilisée tant elle prétend "tout" réformer et ignorer la tradition juridique. Les règles adoptées pour les rémunérations des traders sont plutôt en échec. Voilà que d'un coup d'un seul, sans réflexion juridique approfondie, on prétend limiter la rémunération du salarié. Au premier coup d'oeil, il semble qu'existe un ordre public social tout tendu vers la protection des salariés, soit des traders, lesquels ne peuvent alors que trouver des arguments juridiques contre de telles règles.

Les règles non-appliquées peuvent aussi résulter d'une atonie des autorités. Cela est peu dit, mais la directive service d'investissement comportait des règles précises sur les relations d'affaires, sur les services, sur les contrats ! On a peu vu les autorités se battre pour les faire appliquer. Alors le thème, pardon, le contrat, revient à travers l'appellation américano-technocratique de la conduite des affaires ! Quel détour et quelle perte de temps ! Et on n'est toujours pas sur le coeur du sujet : le contrat et la liberté contractuelle accordée au banquier (voy. pour plus de nuance mais relevant l'objection, Th. BONNEAU, art. préc.).

En vérité, le "bon ton" général, l'appel général à la réforme, souligne autant les problèmes qu'il ne veut parfois pas les évoquer. Faudra-t-il attendre 5 ou 10 ans pour que la mise en garde conventionnelle (notamment) soit évoquée sous cette appellation de la conduite des affaires ? Ou avons-nous le droit de demander aux Autorités diverses et variées de se saisir immédiatement du sujet ? Dans les termes du droit des contrats ! Ou bien ont-elles un problème avec le droit des contrats ?!

Ce dernier thème vaut pour les activités dites financières et celle de banque. Il est par exemple bien dommage que l'AMF n'ait jamais eu l'idée de classer les produits financiers sur une échelle de risque, par exemple, de 1 à 10 (pour commencer et éviter l'échelle grossière utilisée par ailleurs - gestion sereine, équilibrée et dynamique. J'ai naturellement fait la proposition et suspecté l'AMF de ne pas être une Autorité de combat pour les investisseurs. Pour en revenir à ce seul exemple on se demandera si la finance se réduit pas à trois angles d'attaque du marché... L'ACP sera-t-elle plus combattive que l'AMF s'agissant du marché des crédits ? Pardon, de la monnaie.

Des règles écrites qui ne s'appliquent pas, voilà qui est un syndrome juridique, bien qu'il ne soit pas que juridique. La "proximité" des milieux du contrôle et des milieux politiques pose problème. Le contrôle des bulles dans le bilan des banques ne pose pas seulement des problèmes comptables. Comment un ministre qui pousse à des fusions bancaires et à la réalisation de la stratégie d'un groupe bancaire peut-il par ailleurs exiger des autorités bancaires de surveiller strictement ledit groupe ?

Certaines règles sont ensuite difficiles à accepter tant elle remettent en cause tout ce qui se conçoit - non en science juridique, mais en science sociale. Il est intéressant de viser des sortes de "faillites de papier". L'idée est finalement séduisante : l'esprit fuit toujours vers la facilité. Que ne ferait-on pour sauver les personnels et une organisation ? Mais la chose finit par contredire le tréfonds du capitalisme où le profit n'est que le fruit du risque surmonté. Or pour que le risque existe il faut la menace de la faillite, tout le droit des affaires en trempé dans le capitalisme. Si on change cela, o peut penser que l'on change tout. Or jamais on ne change tout ! Vouloir tout changer dans une "petite règle" c'est se mettre dans une impasse.

Les règles traditionnelles posent ainsi des questions sous divers aspects. Mais d'autres problèmes existent, notamment la montée en puissance de ce qu'on pourrait appeler les règles de gestion. Les règles prudentielles (puisque c'est d'elles qu'il s'agit au principal) ont une origine et des objectifs particuliers. Elles méritent identification pour être bien logées et ne pas sortir de leur fonction, notamment au détriment des règles traditionnelles (règle sur les contrats, sur la responsabilité, sur les sociétés...). Ainsi, au motif d'une confusion qui résulterait d'une grande revendication de réforme, il convient de na pas transformer le droit classique en simples règles de gestion. Un motif présiderait à ce mouvement : le droit classique vise toujours des mécanismes essentiels et touche la question, si on peut dire, là où cela fait mal. Or responsables politiques et technocrates peuvent ne pas vouloir souligner les difficultés tout en affirmant avoir établi le nouveau meilleur système juridique...

Voilà quelques entraves et écueils à la réforme.

Les projets de règles mal à-propos, les concepts creux d'une langue qui n'appartient à personne et qui ne peuvent avoir aucun effet juridique, le refus de prise en compte de certaines règles écrites, la complicité entre "politiques" et "contrôleurs"... tout cela entrave le sérieux de la réforme (ou, mieux, des réformes). Il y a encore d'autres réalités qui entravent la réforme.

Existent aussi
des principes qui ont été perdus, qui ne sont pas dans le débat alors qu'il en sont le coeur ; il y a aussi des réalités sous-jacentes dont l'identification juridique est nécessaire pour adopter des règles efficaces ; enfin, il existe des emplois peu lucides de mécanismes juridiques simples qui ne sont pas projetées dans la pratique (par exemple, la responsabilité).

L'ordre public financier est un repère qui a été perdu
, je l'ai dit, la chose est simple et puissante mais si les réformes sont écrites par des économistes, elles ne s'appliqueront jamais dans la vie juridique des affaires... Que la Pologne n'ait pas cet outil juridique, c'est normal ; que la France ne l'apporte pas dans le débat de l'Union européenne ou international, c'est surprenant. Dans la France des libertés (consignées par écrit), on sait qu'une bonne liberté dépend souvent des bornes par laquelle on la délimite.

Le juriste est encore nécessaire pour souligner les réalités qui pointent, à défaut de toujours être de nouvelles réalités juridiques. Le concept de liberté d'exploitation d'un établissement bancaire mérite aujourd'hui une mise en évidence, je n'en dis pas plus ici.

Avec le thème de la responsabilité, j' observais finalement que les idées qui l'invoquent paraissent parfois incantatoires. Les agences de notation doivent être responsables ! Il suffit pas de le dire ! Et du reste leur part réelle de responsabilité devrait être justement appréciée. Voilà un mécanisme parfaitement élémentaire du droit qui paraît ne plus avoir de sens si on envisage une crise systémique sévère : 15 faillites de banque, 15 nationalisation... Qui peut assumer les conséquences pécuniaires de quelques centaines milliards d'euros perdus ? Probablement personne.

Le client a le droit qu'on lui dise qu'il lui appartient aussi de se sauver lui-même !

La conclusion est simple. Si les divers barrages et mirages de la réforme se dissipent, alors oui les bulles létales pourront être évitées, oui les pouvoirs publics pourront réguler les excès de la finance. Cela prend des règles et de l'art juridique : la réforme est donc mal partie puisque le consensus "économico-politique" exclut la choses juridique, lisez la presse spécialisée ! .

On en est à demander aux psychologues - à qui nous ne voulons que du bien - leur avis sur la crise financière mais pas aux juristes ! Le débat public est ainsi largement biaisé et infructueux. Mais la chose juridique est bien choyée dans les banques et les cabinets d'avocats où l'on pense déjà à dominer les règles qui seront adoptées dans quelques mois...

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