Réédition de cette note avec, cette fois, le texte, lequel ne dit pas explicitement ce qu'est le point névralgique de la crise. "Pour suivre mes réflexions achetez aujourd'hui La Tribune. Cette analyse souligne la complexité administrative du SESF qui fait se demander comment en pratique l'Autorité européenne de surveillance pourra fonctionner. Les crises financières seront-elles jugulées par ce système ? Je tenais à publier cette analyse dans La Tribune, journal de qualité du monde économique, financier et politique. Merci de me suivre en achetant La Tribune."
Le texte publié le mois dernier (La Tribune, publié dans l’édition du 16 mars 2011 dans la chronique « La valeur ajoutée »)
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b
La folle ronde des autorités de surveillance
[Lien vers La Tribune pour lire cet article
Bonne lecture]b
L'Europe se rassure. L'Europe bouge. A la mode française, dès qu'il y a un problème, au lieu de le régler, on crée des institutions qui le régleront. A l'échelon européen, pour éviter une nouvelle crise financière systémique, pas moins de quatre institutions ont été mises en place : le Comité européen du risque systémique (CERS), l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité de surveillance des entreprises d'assurance et des pensions professionnelles (ASEA) et l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Elles constituent le Système Européen de Surveillance Financière (« SESF » dans les quatre règlements communautaires concernés), organe administratif complexe et presque inédit. Le mot « système » signifie principalement que les quatre institutions travaillent impérativement entre elles – c’est un impératif – mais aussi avec les autres autorités, communautaires ou nationales. Une obligation renforcée de collaboration aurait convenu : le « système » n’apporte aucun régime juridique propre et son abstraction égare.
L’Autorité européenne de surveillance est un autre fruit technocratique peu compréhensible. Née de trois règlements (et non de directives) qui se ressemblent, l’Autorité européenne de surveillance est abstraite mais comprend trois autorités concrètes (ABE, AEMF et AESAM). A n’en pas douter, rares seront ceux à critiquer ce Meccano à double étage (SESF et AES) qui cache des dispositions essentielles de régulation. Voilà la régulation de la finance, passons sur celle de la monnaie-banque : le CERS n'est pas, comme la BCE, une institution majeure du Traité de l'Union. Ce Petit Poucet va-t-il faire le travail que le titan qu’est la BCE n’a pas fait ou n’a pas su faire ?
Ces nouvelles institutions soulignent paradoxalement les défaillances des régulateurs nationaux tout en s'appuyant sur eux pour la nouvelle régulation. Il s'agit, en 200 pages denses de réglementation, de surveiller les autorités nationales de surveillance, tout en ayant ses propres mécanismes de surveillance de différents marchés (monétaire, bancaire, d'assurance et de finance). Il s'agit notamment de réguler le régulateur national ! Ne peut-on pas craindre dès lors une guerre des autorités ?
Le fonctionnement même de ces institutions nombreuses et complexes interroge. De leurs comités mixtes ou de leurs commissions de recours (qui en sont partie intégrante), jusqu’à leur conseil d'administration, leur président et leur directeur exécutif, il y a de quoi dire. Espérons que ces autorités ne se perdront pas dans leurs propres méandres administratifs pour donner des décisions illicites qui pourraient être sanctionnées par la Cour de Justice de l’UE ou une autre juridiction. A cet égard, les sanctions infligées à la France pour le fonctionnement de la Commission bancaire, désavouée par la Cour européenne des droits de l’homme, soulignent le danger. Plus la mécanique administrative est complexe, plus le risque de heurter un principe de droit est grand. Les règles se neutralisent entre elles : trop de droit tue le droit – et rendre ainsi inopérantes la mise en place de normes prudentielles, de contrôles et de poursuites au niveau européen, soulignant ainsi l’incapacité de l’Europe à réguler efficacement son secteur financier.
A ressasser la « stabilité financière » on comprend
que ces règlements ne fassent qu’effleurer le point juridique
névralgique que désigne la succession de crises financières.
Si tel était le cas, une grave crise politique devrait s’en suivre car toutes les populations verraient l’incapacité de "l'Europe". Lorsque la Banque centrale n’use pas des prérogatives réglementaires pour encadrer le système financier, personne ne le sait. En revanche, toutes les décisions de l’AES seront bien plus visibles. Une faillite de la régulation financière européenne imposerait de repenser l’entière machine bruxelloise.
Le SESF et l’Autorité européenne de surveillance, ensemble abstrait à trois têtes concrètes, risquent de se lancer dans une inquiétante folle ronde administrativo-politico-technocratique. "L'Europe" institue d’ailleurs diverses autorités, pierre dans le jardin des pouvoirs publics français qui, sur de hautes considérations, les ont réunies en un seul contrôleur, l'ACP. Ces quatre institutions doivent collaborer avec "toute l'Europe" : avec la Commission, le Conseil, le Parlement, la BCE (véritable autorité monétaire du Traité UE), inévitablement en pratique avec l'Eurogroupe, avec les banques centrales nationales des Etats membres et, enfin, avec les deux ou trois institutions nationales de régulation (soit probablement environ 90 institutions !). Est-ce bien raisonnable ? Le coût de fonctionnement de cet imbroglio, du moins si on y met les moyens, impressionnera le modeste citoyen. A défaut d'un solide staff, on doutera que ces institutions régulent significativement les quatre secteurs en cause. Cette collaboration renforcée prendra plus de temps qu’il n’en est donné en période de crise. Créer une série d’institutions et les obliger à collaborer ignore fondamentalement à quoi sert une institution administrative. Elle doit réunir ceux qui ont à opiner (leur représentant) afin de décider vite et bien ; si un comité de 5 est trop étroit, un comité de plusieurs dizaines de personnes qui doivent collaborer avec des dizaines d’autres c’est nettement trop large. L'interrogation ne détourne pas du réel et pur apport de technique juridique, au service de la régulation, des 200 pages de réglementation.
Au final, le pouvoir d’adoption de « normes techniques » (curiosité juridique à fort potentiel de régulation et de contestations) sera-t-il une véritable régulation ? Il faut souhaiter bien du courage aux « directeurs exécutifs » des autorités qui seront à l’œuvre (bénéficiaires d’une interdiction absolue de tout lobbying, c’est bien !). Ces décisions collectives (normes techniques), si elles ne prévenaient pas une crise, seraient suivies de décisions individuelles dans des cas graves et urgents. Dans ce dernier cas, une décision pourra s’appliquer à et à travers une autorité nationale inefficace – mécanisme juridique inédit. La double liberté conventionnelle et d’exploitation de l’établissement sera atteinte de plein fouet, suspendue. Certains professionnels tentent-ils déjà de déterminer jusqu'où ces Autorités peuvent aller dans la contrainte juridique ? Voient-ils mieux que les auteurs des règles leur sens et leur portée ?
A ressasser la « stabilité financière », sans savoir la mettre en forme juridique, on comprend que ces règlements ne fassent qu’effleurer le point juridique névralgique que désigne la succession de crises financières. Créer des institutions ne détermine pas toujours les problèmes et ne les règle que rarement.
Le texte publié le mois dernier (La Tribune, publié dans l’édition du 16 mars 2011 dans la chronique « La valeur ajoutée »)
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La folle ronde des autorités de surveillance
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L'Europe se rassure. L'Europe bouge. A la mode française, dès qu'il y a un problème, au lieu de le régler, on crée des institutions qui le régleront. A l'échelon européen, pour éviter une nouvelle crise financière systémique, pas moins de quatre institutions ont été mises en place : le Comité européen du risque systémique (CERS), l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité de surveillance des entreprises d'assurance et des pensions professionnelles (ASEA) et l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Elles constituent le Système Européen de Surveillance Financière (« SESF » dans les quatre règlements communautaires concernés), organe administratif complexe et presque inédit. Le mot « système » signifie principalement que les quatre institutions travaillent impérativement entre elles – c’est un impératif – mais aussi avec les autres autorités, communautaires ou nationales. Une obligation renforcée de collaboration aurait convenu : le « système » n’apporte aucun régime juridique propre et son abstraction égare.
L’Autorité européenne de surveillance est un autre fruit technocratique peu compréhensible. Née de trois règlements (et non de directives) qui se ressemblent, l’Autorité européenne de surveillance est abstraite mais comprend trois autorités concrètes (ABE, AEMF et AESAM). A n’en pas douter, rares seront ceux à critiquer ce Meccano à double étage (SESF et AES) qui cache des dispositions essentielles de régulation. Voilà la régulation de la finance, passons sur celle de la monnaie-banque : le CERS n'est pas, comme la BCE, une institution majeure du Traité de l'Union. Ce Petit Poucet va-t-il faire le travail que le titan qu’est la BCE n’a pas fait ou n’a pas su faire ?
Ces nouvelles institutions soulignent paradoxalement les défaillances des régulateurs nationaux tout en s'appuyant sur eux pour la nouvelle régulation. Il s'agit, en 200 pages denses de réglementation, de surveiller les autorités nationales de surveillance, tout en ayant ses propres mécanismes de surveillance de différents marchés (monétaire, bancaire, d'assurance et de finance). Il s'agit notamment de réguler le régulateur national ! Ne peut-on pas craindre dès lors une guerre des autorités ?
Le fonctionnement même de ces institutions nombreuses et complexes interroge. De leurs comités mixtes ou de leurs commissions de recours (qui en sont partie intégrante), jusqu’à leur conseil d'administration, leur président et leur directeur exécutif, il y a de quoi dire. Espérons que ces autorités ne se perdront pas dans leurs propres méandres administratifs pour donner des décisions illicites qui pourraient être sanctionnées par la Cour de Justice de l’UE ou une autre juridiction. A cet égard, les sanctions infligées à la France pour le fonctionnement de la Commission bancaire, désavouée par la Cour européenne des droits de l’homme, soulignent le danger. Plus la mécanique administrative est complexe, plus le risque de heurter un principe de droit est grand. Les règles se neutralisent entre elles : trop de droit tue le droit – et rendre ainsi inopérantes la mise en place de normes prudentielles, de contrôles et de poursuites au niveau européen, soulignant ainsi l’incapacité de l’Europe à réguler efficacement son secteur financier.
A ressasser la « stabilité financière » on comprend
que ces règlements ne fassent qu’effleurer le point juridique
névralgique que désigne la succession de crises financières.
Si tel était le cas, une grave crise politique devrait s’en suivre car toutes les populations verraient l’incapacité de "l'Europe". Lorsque la Banque centrale n’use pas des prérogatives réglementaires pour encadrer le système financier, personne ne le sait. En revanche, toutes les décisions de l’AES seront bien plus visibles. Une faillite de la régulation financière européenne imposerait de repenser l’entière machine bruxelloise.
Le SESF et l’Autorité européenne de surveillance, ensemble abstrait à trois têtes concrètes, risquent de se lancer dans une inquiétante folle ronde administrativo-politico-technocratique. "L'Europe" institue d’ailleurs diverses autorités, pierre dans le jardin des pouvoirs publics français qui, sur de hautes considérations, les ont réunies en un seul contrôleur, l'ACP. Ces quatre institutions doivent collaborer avec "toute l'Europe" : avec la Commission, le Conseil, le Parlement, la BCE (véritable autorité monétaire du Traité UE), inévitablement en pratique avec l'Eurogroupe, avec les banques centrales nationales des Etats membres et, enfin, avec les deux ou trois institutions nationales de régulation (soit probablement environ 90 institutions !). Est-ce bien raisonnable ? Le coût de fonctionnement de cet imbroglio, du moins si on y met les moyens, impressionnera le modeste citoyen. A défaut d'un solide staff, on doutera que ces institutions régulent significativement les quatre secteurs en cause. Cette collaboration renforcée prendra plus de temps qu’il n’en est donné en période de crise. Créer une série d’institutions et les obliger à collaborer ignore fondamentalement à quoi sert une institution administrative. Elle doit réunir ceux qui ont à opiner (leur représentant) afin de décider vite et bien ; si un comité de 5 est trop étroit, un comité de plusieurs dizaines de personnes qui doivent collaborer avec des dizaines d’autres c’est nettement trop large. L'interrogation ne détourne pas du réel et pur apport de technique juridique, au service de la régulation, des 200 pages de réglementation.
Au final, le pouvoir d’adoption de « normes techniques » (curiosité juridique à fort potentiel de régulation et de contestations) sera-t-il une véritable régulation ? Il faut souhaiter bien du courage aux « directeurs exécutifs » des autorités qui seront à l’œuvre (bénéficiaires d’une interdiction absolue de tout lobbying, c’est bien !). Ces décisions collectives (normes techniques), si elles ne prévenaient pas une crise, seraient suivies de décisions individuelles dans des cas graves et urgents. Dans ce dernier cas, une décision pourra s’appliquer à et à travers une autorité nationale inefficace – mécanisme juridique inédit. La double liberté conventionnelle et d’exploitation de l’établissement sera atteinte de plein fouet, suspendue. Certains professionnels tentent-ils déjà de déterminer jusqu'où ces Autorités peuvent aller dans la contrainte juridique ? Voient-ils mieux que les auteurs des règles leur sens et leur portée ?
A ressasser la « stabilité financière », sans savoir la mettre en forme juridique, on comprend que ces règlements ne fassent qu’effleurer le point juridique névralgique que désigne la succession de crises financières. Créer des institutions ne détermine pas toujours les problèmes et ne les règle que rarement.