Le titre transférable électronique est posé en équivalent des titres papiers, c'est l'une des phrases forte de la loi du 13 juin 2024 qui, en quatre articles, procède à une énième réforme de dématérialisation. L'inspiration vient de la loi type de la CNUDCI sur les documents transférables électroniques du 7 décembre 2017 .
L'idée est si simple et belle qu'elle séduit. Même si elle vise, avec la phrase citée, "le titre transférable" qui n'est pas du tout une expression connue en droit français (...). L'idée de l'équivalence entre la forme papier et la forme numérique a près de 50 ans. Elle prospère et revient périodiquement dans la loi. J'y ai passé une partie de mes plus belles années avec une partie de ma thèse... Cette idée est aussi un peu simpliste, et je rentre dans le dur du sujet par une remarque fondamentale qu'on trouve peu : cette idée d'équivalence ravale la technologie aux fonctions d'hier, à celle du papier.
Commençons par quelques mots sur cette équivalence, laquelle a encore été utilisée récemment pour légiférer sur la blockchain (dispositif d'enregistrement électronique partagé) et alors qu'elle était, entre autres, un pilier de la réforme sur le contrat électronique réglementé en plein cœur du code civil.
I. L'idée d'équivalence
Cela est en premier lieu et en soi contraire à l'idée de progrès inhérente à l'adoption de technologies récentes a priori plus performantes ;il est facile aujourd'hui de comprendre que l'écrit électronique permet bien plus de fonctions que le papier. L'observation n'était pas encore facile à formuler ou à propager lorsque la loi de 2004 a consacré le contrat électronique qui repose sur cette simplicité. A se passionner pour l'équivalence - mécanisme il est vrai intéressant - on en a parfois oublié l'avenir... les possibilités...
En second lieu, l'idée c'est vouloir s'attacher à une période de l'Histoire, à un épisode du droit qui a trois ou quatre siècles d'histoire, et de légitimité (ajoutons que nous adorons le papier et sa simplicité que l'on a relatés en explicitant la reconnaissance de dette et le billet au porteur : Droit bancaire et financier, mare & martin...). L'idée d'équivalence n'explique cependant pas - ni même ne relate - le fait électronique, la réalité informatique, numérique. A dématérialiser en visant le papier, ses fonctions, on se prive de connaître et utiliser des fonctions futures.
Nous ne sommes pas étonnés de ce que le législateur français soit inspiré d'une idéologie conservatrice inspirée par une école du droit qui a surtout le goût de la modernité pour affirmer que rien ne change. La continuité des choses, bien réelle, est un prétexte au confort intellectuel qui, notamment au motif du génie du droit romain, dispense d'inventer un droit européen moderne à sa hauteur.
II. L'inévitable dématérialisation des titres de paiement
Il était inévitable que les titres de paiement et de crédit quittent un jour le papier pour le support électronique, nous l'avons écrit il y a plus de 30 ans (Les titres négociables, Litec, 1993, XX). Ce fut long et laborieux, un comble quand on pense que les valeurs mobilières sont dématérialisées depuis 50 ans !!! Voilà qui est fait pour la lettre de change et pour le billet à ordre, et quelques autres (voir le 8° signalé plus bas).
La dématérialisation complète et parfaite de la lettre de change, c'est un événement dans l'histoire du Droit !
Nous sommes ravis que la loi vise, parfois pour les en exclure (ce qui prouve qu'ils avaient l'aptitude à cette dématérialisation...), divers titres, bien au delà de ceux qui servent à payer (connaissements, copies exécutoires, police d'assurance...) ; voilà qui prouve que le contrat négociable vit fort et bien dans les titres (assertion tellement personnelle !).
Cette perspective de dématérialisation passait par une redéfinition de l'écrit et de la signature. Sur ce plan, cela avait été fait en 2000 dans le Code civil, et de façon assez satisfaisante, même si le problème de la signature électronique idéale (sécurisée) n'a pas été un succès et qu'elle reste encore une difficulté. Or un titre ça se signe... L'évolution avait été confortée par la loi de 2004 qui consacrait le contrat électronique. Mais ces lois ne concernaient pas les titres de paiement et titres apparentés (le Dailly, l'hypothèque à ordre, le connaissement).
La loi de 2024 inspirée de la loi type de la CNUDCID a donc toute son utilité.
On notera la réversibilité de la forme. Le titre papier peut être converti en TTE et vice-versa (art. 16, II), le titre électronique pourra redevenir papier ! Cela n’est pas usuel dans les processus de dématérialisation.
III. L'identification abstraite des TTE
Avec la loi n° 20024-537 du 13 juin 2024, tout « écrit qui représente un bien ou un droit et qui donne à son porteur le droit de demander l'exécution de l'obligation qui y est spécifiée ainsi que celui de transférer ce droit » peut prendre la forme d’un titre transférable électronique (TTE) (L. n° 20024-537 du 13 juin 2024 art. 14, I).
La définition est une identification abstraite, générale, de TTE.
Cette définition provoque des doutes mais il est peu probable qu'elle nuise, pas plus qu'elle n'apporte. Le concept de représentation ne sert probablement à rien, qui supplante formellement la fonction probatoire du titre qui, elle, nous semble traditionnelle. L'idée dominante et commune nous semble être que le titre constate un droit à un bien soit un autre doit, ce qui est toujours un droit... Que le titre constate signifie que le titre prouve. On verra dans un quart de siècle si le verbe "représente" aura servi à quelque chose de concret. Toujours est-il qu'il a fallu que des alinéas précisent les titres accessibles au statut, à la forme, des TTE.
IV. L'identification concrète des TTE
La définition légale est insuffisante à comprendre les titres visés. Le législateur s'en est persuadé alors qu'il veut raccourcir les lois, ses précisions prouvent la faiblesse de la définition. La loi n'est pas seulement un acte intellectuel, elle est aussi un acte d'autorité : le défaut d'autorité impose des longueurs.
La loi a donc dû expressément exclure divers titres du domaine des TTE (art. 15, I) : les instruments financiers, chèques, bons de caisse, titres spéciaux de paiement (art. L. 525-4, CMF), certains titres à ordre (art. L. 143-18, C. com.), reçus d'entreposage et copies exécutoires de créances hypothécaires à ordre.
L'insuffisance de la définition légale conduit aussi à citer les titres concernés par la forme du TTE, certains sont au cœur du droit bancaire et financier :
1° Les lettres de change et les billets à ordre ; 2° Les récépissés et les warrants ; 3° Les connaissements maritimes à ordre ou au porteur du code des transports ; 4° Les connaissements fluviaux négociables ; 5° Les polices d'assurance de dommages et de personnes à ordre ou au porteur régies par le chapitre II du titre Ier du livre Ier du code des assurances ; 6° Les polices d'assurance maritime, aérienne et aéronautique, fluviale et lacustre, sur marchandises transportées… lorsqu'elles ont été convenues à ordre ou au porteur ; par tous modes et les polices d'assurance de responsabilité civile spatiale régies par le titre VII du même livre Ier ; 7° Les bordereaux de cession ou de nantissement de créances professionnelles, du moins les Dailly à ordre ; 8° Tout autre écrit, à ordre ou au porteur, répondant à la définition prévue au premier alinéa du présent I, à l'exception de ceux mentionnés au II. (art. 15, II).
On a un coupé quelques mots dans certains de ces 8 alinéas, pour les alléger, et rendre le paragraphe lisible.
Ayons une pensée pour les étudiants qui devront disserter sur le TTE et que devront recopier cette liste en ayant une explication pour chaque titre. Ayant une pensée spéciale pour l'étudiant qui devra expliquer le 8° qui semble ouvrir la porte de la forme du TTE à nombre de titres ! "Tout autre écrit, ..." est une formule pouvant pousser à la dépression.
L'idée est si simple et belle qu'elle séduit. Même si elle vise, avec la phrase citée, "le titre transférable" qui n'est pas du tout une expression connue en droit français (...). L'idée de l'équivalence entre la forme papier et la forme numérique a près de 50 ans. Elle prospère et revient périodiquement dans la loi. J'y ai passé une partie de mes plus belles années avec une partie de ma thèse... Cette idée est aussi un peu simpliste, et je rentre dans le dur du sujet par une remarque fondamentale qu'on trouve peu : cette idée d'équivalence ravale la technologie aux fonctions d'hier, à celle du papier.
Commençons par quelques mots sur cette équivalence, laquelle a encore été utilisée récemment pour légiférer sur la blockchain (dispositif d'enregistrement électronique partagé) et alors qu'elle était, entre autres, un pilier de la réforme sur le contrat électronique réglementé en plein cœur du code civil.
I. L'idée d'équivalence
Cela est en premier lieu et en soi contraire à l'idée de progrès inhérente à l'adoption de technologies récentes a priori plus performantes ;il est facile aujourd'hui de comprendre que l'écrit électronique permet bien plus de fonctions que le papier. L'observation n'était pas encore facile à formuler ou à propager lorsque la loi de 2004 a consacré le contrat électronique qui repose sur cette simplicité. A se passionner pour l'équivalence - mécanisme il est vrai intéressant - on en a parfois oublié l'avenir... les possibilités...
En second lieu, l'idée c'est vouloir s'attacher à une période de l'Histoire, à un épisode du droit qui a trois ou quatre siècles d'histoire, et de légitimité (ajoutons que nous adorons le papier et sa simplicité que l'on a relatés en explicitant la reconnaissance de dette et le billet au porteur : Droit bancaire et financier, mare & martin...). L'idée d'équivalence n'explique cependant pas - ni même ne relate - le fait électronique, la réalité informatique, numérique. A dématérialiser en visant le papier, ses fonctions, on se prive de connaître et utiliser des fonctions futures.
Nous ne sommes pas étonnés de ce que le législateur français soit inspiré d'une idéologie conservatrice inspirée par une école du droit qui a surtout le goût de la modernité pour affirmer que rien ne change. La continuité des choses, bien réelle, est un prétexte au confort intellectuel qui, notamment au motif du génie du droit romain, dispense d'inventer un droit européen moderne à sa hauteur.
II. L'inévitable dématérialisation des titres de paiement
Il était inévitable que les titres de paiement et de crédit quittent un jour le papier pour le support électronique, nous l'avons écrit il y a plus de 30 ans (Les titres négociables, Litec, 1993, XX). Ce fut long et laborieux, un comble quand on pense que les valeurs mobilières sont dématérialisées depuis 50 ans !!! Voilà qui est fait pour la lettre de change et pour le billet à ordre, et quelques autres (voir le 8° signalé plus bas).
La dématérialisation complète et parfaite de la lettre de change, c'est un événement dans l'histoire du Droit !
Nous sommes ravis que la loi vise, parfois pour les en exclure (ce qui prouve qu'ils avaient l'aptitude à cette dématérialisation...), divers titres, bien au delà de ceux qui servent à payer (connaissements, copies exécutoires, police d'assurance...) ; voilà qui prouve que le contrat négociable vit fort et bien dans les titres (assertion tellement personnelle !).
Cette perspective de dématérialisation passait par une redéfinition de l'écrit et de la signature. Sur ce plan, cela avait été fait en 2000 dans le Code civil, et de façon assez satisfaisante, même si le problème de la signature électronique idéale (sécurisée) n'a pas été un succès et qu'elle reste encore une difficulté. Or un titre ça se signe... L'évolution avait été confortée par la loi de 2004 qui consacrait le contrat électronique. Mais ces lois ne concernaient pas les titres de paiement et titres apparentés (le Dailly, l'hypothèque à ordre, le connaissement).
La loi de 2024 inspirée de la loi type de la CNUDCID a donc toute son utilité.
On notera la réversibilité de la forme. Le titre papier peut être converti en TTE et vice-versa (art. 16, II), le titre électronique pourra redevenir papier ! Cela n’est pas usuel dans les processus de dématérialisation.
III. L'identification abstraite des TTE
Avec la loi n° 20024-537 du 13 juin 2024, tout « écrit qui représente un bien ou un droit et qui donne à son porteur le droit de demander l'exécution de l'obligation qui y est spécifiée ainsi que celui de transférer ce droit » peut prendre la forme d’un titre transférable électronique (TTE) (L. n° 20024-537 du 13 juin 2024 art. 14, I).
La définition est une identification abstraite, générale, de TTE.
Cette définition provoque des doutes mais il est peu probable qu'elle nuise, pas plus qu'elle n'apporte. Le concept de représentation ne sert probablement à rien, qui supplante formellement la fonction probatoire du titre qui, elle, nous semble traditionnelle. L'idée dominante et commune nous semble être que le titre constate un droit à un bien soit un autre doit, ce qui est toujours un droit... Que le titre constate signifie que le titre prouve. On verra dans un quart de siècle si le verbe "représente" aura servi à quelque chose de concret. Toujours est-il qu'il a fallu que des alinéas précisent les titres accessibles au statut, à la forme, des TTE.
IV. L'identification concrète des TTE
La définition légale est insuffisante à comprendre les titres visés. Le législateur s'en est persuadé alors qu'il veut raccourcir les lois, ses précisions prouvent la faiblesse de la définition. La loi n'est pas seulement un acte intellectuel, elle est aussi un acte d'autorité : le défaut d'autorité impose des longueurs.
La loi a donc dû expressément exclure divers titres du domaine des TTE (art. 15, I) : les instruments financiers, chèques, bons de caisse, titres spéciaux de paiement (art. L. 525-4, CMF), certains titres à ordre (art. L. 143-18, C. com.), reçus d'entreposage et copies exécutoires de créances hypothécaires à ordre.
L'insuffisance de la définition légale conduit aussi à citer les titres concernés par la forme du TTE, certains sont au cœur du droit bancaire et financier :
1° Les lettres de change et les billets à ordre ; 2° Les récépissés et les warrants ; 3° Les connaissements maritimes à ordre ou au porteur du code des transports ; 4° Les connaissements fluviaux négociables ; 5° Les polices d'assurance de dommages et de personnes à ordre ou au porteur régies par le chapitre II du titre Ier du livre Ier du code des assurances ; 6° Les polices d'assurance maritime, aérienne et aéronautique, fluviale et lacustre, sur marchandises transportées… lorsqu'elles ont été convenues à ordre ou au porteur ; par tous modes et les polices d'assurance de responsabilité civile spatiale régies par le titre VII du même livre Ier ; 7° Les bordereaux de cession ou de nantissement de créances professionnelles, du moins les Dailly à ordre ; 8° Tout autre écrit, à ordre ou au porteur, répondant à la définition prévue au premier alinéa du présent I, à l'exception de ceux mentionnés au II. (art. 15, II).
On a un coupé quelques mots dans certains de ces 8 alinéas, pour les alléger, et rendre le paragraphe lisible.
Ayons une pensée pour les étudiants qui devront disserter sur le TTE et que devront recopier cette liste en ayant une explication pour chaque titre. Ayant une pensée spéciale pour l'étudiant qui devra expliquer le 8° qui semble ouvrir la porte de la forme du TTE à nombre de titres ! "Tout autre écrit, ..." est une formule pouvant pousser à la dépression.
Conclusion . Sur l'équivalence, l'erreur de légistique était inévitable en l'état de la réflexion doctrinale. Il était impossible de renouveler la vision des titres (en outre le contexte de la loi ne le permettait guère). Reprenons l'affirmation d'un seul mot, qui cependant signe la difficulté.
"...les mêmes effets..." peut vouloir dire les "seuls" effets connus et reconnus, et seulement ceux-là.
"...les mêmes effets..." peut vouloir dire au moins les effets connus et reconnus, sans en interdire de nouveaux (qui certes ne devraient pas altérer les anciens effets ou anciennes fonctions.
Bon, tous ces éléments sont une récitation nécessaire, mais pour véritablement saisir l'évolution, il faudra le décret d'application (art. 16, III). Seul lui permettra de voir comment un TTE se crée concrètement, et se négocie, et se signe, et se remet...
Enfin, pour le moyen terme, vous retrouverez les TTE, avec toute la problématiques des titres, de paiement ou d'un autre type, dans ma prochaine édition de Droit bancaire et financier de 2025.
"...les mêmes effets..." peut vouloir dire les "seuls" effets connus et reconnus, et seulement ceux-là.
"...les mêmes effets..." peut vouloir dire au moins les effets connus et reconnus, sans en interdire de nouveaux (qui certes ne devraient pas altérer les anciens effets ou anciennes fonctions.
Bon, tous ces éléments sont une récitation nécessaire, mais pour véritablement saisir l'évolution, il faudra le décret d'application (art. 16, III). Seul lui permettra de voir comment un TTE se crée concrètement, et se négocie, et se signe, et se remet...
Enfin, pour le moyen terme, vous retrouverez les TTE, avec toute la problématiques des titres, de paiement ou d'un autre type, dans ma prochaine édition de Droit bancaire et financier de 2025.