Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

Le financement participatif (par "cagnottes"), les avocats, le Barreau... et la compliance du Code monétaire et financier ?



La belle "Lettre Dalloz" signale une analyse de l'excellent "Dalloz.actualité" où est traitée de la question d'un assez grand intérêt du financement par le public, qui peut passer par ce que la loi appelle le financement participatif (FP). On vous livre le début de l'analyse pour vous inviter à la lire :

" Financement participatif de la défense d’un « Gilet jaune » : les euros de la colère
AFFAIRES | AVOCAT
ADMINISTRATIF | Droit fondamental et liberté publique
Par Julien Zanatta le 24 Janvier 2019

"L’actualité récente a été marquée par le lancement d’une cagnotte de soutien à Christophe Dettinger, surnommé le « boxeur de gendarme »1 par une partie des médias. Cette cagnotte, dont le montant a atteint 146 000 € avant qu’elle soit clôturée par la direction de la plateforme Leetchi, avait pour objectif de financer la défense de l’intéressé, mis en cause lors de l’une des manifestations parisiennes du mouvement dit des « Gilets jaunes ».

Quelques mois plus tôt, c’est une autre cagnotte similaire qui retenait l’attention des médias, celle destinée à payer les frais de justice de l’islamologue suisse Tariq Ramadan. La campagne, menée à l’initiative de la famille de l’intéressé, a ainsi réuni plus de 74 000 € auprès de 1 500 donateurs
2."

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Nous avions discuté de cette question à partir de l'affaire du boxeur. L'intérêt était alors de dire que quelques arrêts de la Cour de cassation, s'agissant de financements, ont eu une conception large de la cause ou de l'objet du contrat pour les dire illicites. Bien entendu, il s'agissait de cas exceptionnels, de faits singuliers! Les financements peuvent être des crédits mais l'idée de financement s'applique aussi aux apports (capital social) et aux dons, ce qui est peu dit en doctrine (la notion de financement est peu examinée).

Quelques mots sur le financement participatif, mots inspirés de l'affaire du boxeur

L'analyse de Julien Zanatta est très intéressante, précise et pertinente.

Cependant, le financement participatif (FP) est le terrain naturel de la question . Or son statut et ses conditions ne sont pas examinés dans son analyse.

L’oubli du code monétaire et financier (CMF)

Le regret peut être atténuée car le don, s'il peut être pratiqué par une plateforme agréée et régulée, ne l'est pas systématiquement ; un appel ponctuel peut s'imaginer. En revanche, un appel selon un mode professionnel relève du statut, même si ce n'est que pour solliciter des dons. Les autres formes de financement (prêts, actions, obligations, minibons) exigent obligatoirement de passer par un intermédiaire du FP (IFP ou CFP), on n'imagine personne être intermédiaire pour de telles opérations sans statut professionnel le lui permettant.

Malgré ce, l'objection de l'existence d'un intermédiaire soumis au CMF n'est pas un détail ni théorique ni pratique, même pour le cas du don. Les intermédiaires qui ont le plus d'audience et qui permettent d'assurer un financement sont des professionnels soumis au CMF et qui... le respectent. Ils respectent de façon générale la loi (et tout le droit du numérique). Ils sont en conséquence au coeur du débat : ils n'ont aucun intérêt à porter un financement qui puisse être vu comme illicite. Et je pourrais être bien plus précis grâce au CMF...

En effet, si l'intermédiaire soumis au CMF lance un financement par don (le mot "cagnotte" est infantile), il demeure intermédiaire les règles de bonne conduite de ce code. Elles fixent l'ensemble de sa conduite professionnelle ! En voilà des règles importantes qui, avec les principes du FP (exigences de modèles de contrats, d'un site transparent, de respect du droit ), sont de nature à régler par anticipation les difficultés.

Plus que quiconque, les plateformes de financement participatif ne peuvent pas initier des financements illicites !

Il y a presque une maladie du monde judiciaire à ne pas exploiter les dispositions légales spéciales, et c'est fort étonnant quand ces règles proviennent de transpositions indiquant des règles de l'Union européenne. La défiance à l'Europe est parfois sourde... Le débat judiciaire pose trop souvent le problème de l'ignorance des règles spéciales (et, on le répète, légales, et souvent européennes).

Le juge du droit lui-même n'a pas recours à des règles de (bonne) conduite qui sont des règles civiles et non des règles formant le mirage ou le nuage de l'éthique... aussi intéressante qu'insuffisante (on pourrait en faire un livre...).

Bon, pour être à la mode, et convaincre plus largement, quoique la ficelle soit un peu grosse, on dira que le FP doit répondre à une exigence de conformité !

La conformité c'est, à 90 %, bien connaître et appliquer son droit. Il serait curieux que, lorsque des principes sont posés, par exemple dans le CMF, avec des règles assez détaillées, et que le tout témoigne de l'idée de conformité, on les oublie. C'est bien pourtant ce qui se passe... Devrons-nous inventer la conformité de la conformité ?! Tomber dans un piège diabolique ?

Le public, les avocats, les professionnels, les journalistes ne peuvent pas négliger les règles détaillées que les pouvoirs publics adoptent – du reste à grands frais : les institutions ont un coût.

L’exigence de principe se complète d’une raison de fond, l’idée de conformité fait parfois pivoter la façon dont il faut voir la règle. On a pu ainsi montrer comment le juge judiciaire est pratiquement et mécaniquement exclu des grandes évolutions du droit – sans doute victime du sommeil dogmatique que nous dénoncions dans une note récente.
Il serait curieux de mettre à la poubelle le beau paquet cadeau, pas même encore ouvert, renfermant le droit de la compliance.




Extrait CMF de Légifrance


Article L. 548-1

Créé par Ordonnance n°2014-559 du 30 mai 2014 - art. 17

L'intermédiation en financement participatif consiste à mettre en relation, au moyen d'un site internet, les porteurs d'un projet déterminé et les personnes finançant ce projet dans les conditions suivantes :

1° Les personnes morales et les personnes physiques agissant à des fins professionnelles peuvent obtenir les crédits mentionnés au 7 de l'article L. 511-6, des prêts sans intérêt et des dons ;

2° Les personnes physiques souhaitant financer une formation initiale ou continue peuvent obtenir les crédits mentionnés au 7 de l'article L. 511-6, des prêts sans intérêt sous réserve que les prêteurs n'agissent pas dans un cadre professionnel ou commercial, et des dons ;

3° Les personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels peuvent obtenir des prêts sans intérêt, sous réserve que les prêteurs n'agissent pas dans un cadre professionnel ou commercial, et des dons.

Au sens du présent chapitre, un projet consiste en un achat ou un ensemble d'achats de biens ou de prestations de service concourant à la réalisation d'une opération prédéfinie en termes d'objet, de montant et de calendrier.

Les organismes mentionnés au 5 de l'article L. 511-6 peuvent être bénéficiaires de prêts sans intérêt dans les conditions prévues à ce même article, et de dons.

Un décret fixe les plafonds respectifs du prêt avec intérêt et du prêt sans intérêt, consentis par prêteur, ainsi que le montant total du prêt qui peut être souscrit par chaque porteur de projet.

Le cumul des encours de prêts souscrits sous forme de financement participatif ne peut excéder pour un même projet le plafond du montant total du prêt consenti mentionné à l'alinéa précédent.

L'intermédiaire en financement participatif recueille auprès du porteur de projet tout élément permettant de s'assurer que ce dernier remplit cette condition. Toute information fournie par le porteur de projet erronée ou susceptible d'induire l'intermédiaire en financement participatif en erreur engage la responsabilité du porteur de projet.







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