L’INTRODUCTION DE L’EURO
EN DROIT FRANÇAIS
Avant-propos de janvier 2006
Le texte aujourd’hui mis en ligne n’est pas repris ni remanié. Il n’est qu’une partie d’un cours de droit bancaire fait il y a quelques années. Il fut interrompu sans véritable volonté de ma part, cette interruption ayant quasiment interrompu ma recherche. Ce cours n’a pas été dactylographié à partir du « C - Caractères de l’Euro », mais il a cependant été enseigné. Ce document n’était qu’un support de cours donné aux étudiants après l’enseignement afin de faciliter leur travail et le lecteur aura l’amabilité de le considérer comme tel. Son intérêt réside ans diverses amorces de discussions inédites (par exemple la date de création de la nouvelle monnaie). Il est néanmoins fort incomplet.
Les dernières années semblent montrer que la question du choix de la monnaie (III) et, notamment, des erreurs qui en découlent, n’ont pas suscité une jurisprudence notable. Nos concitoyens et les entreprises n’ont guère été étourdis et, ou, les erreurs ont été réparées à l’amiable. Cette question est cependant fort intéressante car l’erreur sur la monnaie est nécessairement une erreur sur la valeur… puisque la monnaie est instituée pour être l’expression de « toute » valeur. Le « IV » reste le point le moins intéressant de ce cours, sauf à souligner le concept de la conversion auquel aucun juriste n’a attaché son nom et qui, loin s’en faut, ne concerne pas la monnaie.
J’éprouve le besoin, au fond, de dire simplement deux choses puisque je ne suis pas systématiquement la question monétaire ; ces observations ne sont nullement des commentaires du texte qui suit ( mes considérations actuelles seraient sans doute sévères…). Je constate que le phénomène monétaire primaire échappe encore aux juristes : la question de la monnaie centrale, née des rapports entres les banques et l’institut d’émission n’est pas traitée. Or c’est là actuellement « une » monnaie essentielle, une façon de battre monnaie qui domine toutes les autres.
Cette monnaie centrale, fruit d’une « activité contractuelle », montre que l’inscription en compte monétaire se distingue des instruments financiers (I.F.). Leur inscription en compte n’est qu’un instrument de preuve dont la disparition n’implique pas la disparition des droits, notamment du porteur de valeurs mobilières. Si monnaie et I.F. peuvent être qualifiés, de façon autoritaire, d’actifs financiers, leur régime de fond est très différent, quoique certaines des règles soient communes ou proches, ainsi que le démontre leur circulation dans les systèmes informatiques inter-bancaires. L’enlisement de la discussion sur la dématérialisation des valeurs mobilières, ponctuée de querelles picrocholines, dont il n’est rien sorti malgré les efforts doctrinaux aussi vain que curieux de certaines institutions publiques financières, n’aura pas permis d’entrevoir cette thématique. C’est ainsi qu’on en viendrait à dire que la monnaie est négociable, détournant le sens traditionnel et en vérité moderne du terme, ce qui conduit à l’utiliser ensuite pour tous les biens ce qui n’est pas loin de l’ineptie (n’est-ce pas le cas quand tout est tout ou quand tout est dans tout ?). Les biens peuvent être cédée en raison d’un statut constitutionnel et légal, et désormais supra-constitutionnel, qui n’a rien à voir avec la négociabilité, forme subtile de transmission des droits. Autant en emporte le partiel des recherches en droit commercial.
Le porte-monnaie électronique montre lui aussi le caractère essentiel de la monnaie scripturale. La monnaie électronique en est finalement une forme, tout en étant une forme authentique de monnaie : perdez votre carte à jamais et les unités monétaire de « monéo » seront perdues. La valeur est incorporée par un effet lege, d’ordre public (monétaire), dans les inscriptions faites dans le silicium. La monnaie est une incorporation d’autorité, parfaite et d’ordre public du droit à la chose. L’Union européenne est à cet égard aussi régalienne que l’État français le fut au cours des derniers siècles. Sans cette règle technique que serait la monnaie ? Un certificat représentant des droits à faire valoir contre l’institut d’émission ? En définissant la monnaie électronique comme une créance, l’ensemble des autorités monétaires commettent une grossière erreur sur les concepts. De quoi penser que l’étude juridique de la monnaie est sans doute à reprendre et le document qui suit pourrait inspirer quelques jeunes chercheurs plus enclin à la découverte scientifique qu’à la répétition académique.
HC, le 8 janvier 2006.
L’INTRODUCTION DE L’EURO
EN DROIT FRANÇAIS
Cours de DEA de Droit privé de l’économie de l’Université de REIMS
(années 1999 / 2000 et 2000 / 2001)
Par
Hervé CAUSSE
INTRODUCTION
I. Les concepts monétaires
A- Définition de la monnaie
1) Désignation de la monnaie
2) Définitions inspirées de la législation
a- Les instruments monétaires
a : les pièces métalliques, ou la monnaie dite divisionnaire
b : les billets de banque
c : les comptes de dépôt bancaire, monnaie scripturale
d : les instruments de paiement, instruments de fonction monétaire
b- L’unité monétaire
a : nature de la monnaie
b : le P-me, « moyen de paiement » et instrument monétaire
B- Les qualités de la monnaie
1) Les qualités intrinsèques de la monnaie
2) Les qualités extrinsèques de la monnaie
C- La logique économique de la monnaie
1) Distribution et circulation de la monnaie
2) Appréciation et dépréciation de la monnaie
II. L’Euro, monnaie atypique
A- Le nom de la monnaie
B- Le dispositif d’introduction
1) Le Traité
2) Le règlement n° 11-03 du 17 juin 1997
3) Le règlement n° 974 du 3 mai 1998
4) La loi du 2 juillet 1998
C- Caractères de l’Euro
1) Monnaie de compte… et de paiement
2) Cours légal et cours forcé de l’Euro
III. L’Euro au moment de la formation du contrat
A- Le choix de la monnaie
1) Abandon du recours nécessaire au Franc
a : avant 1999
- clauses sur la monnaie de paiement
- clauses sur la monnaie de compte
b : situation en 1999
- le Franc et l’Euro dans les relations internes en 1999
- le Franc et l’Euro dans les relations internationales en 1999
2) Recours facultatif à l’Euro
a : préliminaire sur le facultatif et l’impératif
b : le principe du caractère facultatif
c : modalités du caractère facultatif
B- L’erreur sur la monnaie
1) L’ancienne erreur sur le Franc
a : l’erreur sur l’unité monétaire
- conflit entre erreur sur la substance et erreur sur la valeur
- rejet de l’idée d’erreur sur la valeur
b : l’erreur sur la substance de l’unité monétaire
2) Les futures erreurs sur l’Euro
IV. La monnaie au stade de l’exécution du contrat
A- Le principe de continuité des contrats
1) Continuité au plan interne
a : les contrats ordinaires
b : les contrats financiers
2) Continuité au plan externe
B- La technique de conversion des sommes
1) L’idée même de conversion
a : le concept de conversion
b : le moment de la conversion
2) La mathématique juridique de la conversion
a : expression purement mathématique
b : expression purement juridique
AVERTISSEMENT (aux étudiants)
Ce cours a été voulu pour trois raisons, outre le fait qu’il convient parfaitement à l’orientation du DEA vers le droit privé de l’économie. La première tient à l’année où il a été pour la première fois enseigné. En 1999, l’euro existait et personne ne le voyait. La réflexion devait donc répondre à un besoin de l’actualité : l’euro existe-t-il ? La seconde raison tient à une relative rareté des réflexions sur la monnaie, idée qui mérite nuance, sauf quand il s’agit de l’étude conceptuelle de la monnaie qui, elle, est effectivement rare.
Quoi de plus séduisant, pour des juristes qui se préparent à l’exercice de la thèse, que d’étudier une notion que tant d’aînés n’ont pas osé entreprendre ? La troisième raison est la diversités des problèmes et des angles de recherches qui peuvent – et doivent – être envisagés. Tous les secteurs de la vie, de l’économie, sont concernés ; toutes les opérations, des plus simples au plus complexes sont à sonder ; tous les rapports, publics, privés, institutionnels, personnels sont en cause. Apprendre (ou au moins voir) l’immensité de l’analyse requise m’est apparu comme une belle exigence à montrer.
Toutefois, en se focalisant, après les premières réflexions, sur les aspects conventionnels de l’introduction de l’euro, ce cours permet de revenir à un secteur classique plus apprécié de la majorité des juristes. Puissent ces raisons en avoir été de bonnes et ainsi, ce cours, avoir contribué à la formation à la recherche de ceux qui ont eu à le subir. Il auront en outre compris que l’élasticité de la matière a conduit, parfois, à un discours qui n’est pas dans le style juridique le plus strict ; ils auront su puiser ailleurs les exemples de cette exigence et auront compris que le caractère inédit de ce cours en faisait, nécessairement, une recherche en cours. Les tâtonnements ou manque de rigueur, s’ils en ont vu, en sont l’expression. La perfection n’atteint que les œuvres empreintes de certitudes et de vérités qui ont peu à voir avec la recherche.
H. C.
INTRODUCTION
« Soyez seuls, et arrivez par quelque accident chez un peuple inconnu, si vous voyez une pièce de monnaie, comptez que vous êtes arrivé chez une nation policée ». A s’en tenir à cette seule phrase, on comprend que Montesquieu, dans L’Esprit des lois, (Livre 18, Chapitre XV, Des peuples qui connaissent de l’usage de la monnaie), tenait en haute estime les peuples pourvus d’une monnaie, en en faisant ainsi un critère des peuples évolués. D’autres extraits de L’Esprit des lois, écrit en 1743, ne font que confirmer le fait : les propos sont même parfois désobligeants à l’égard de certains peuples que l’on dirait aujourd’hui primitifs.
En tout cas Montesquieu n’a pas manqué de traiter de la monnaie dans un ouvrage qui entendait évoquer le système des lois utiles et nécessaires aux Etats. Le propos est renforcé quand on constate que l’auteur n’a pas cité la monnaie par souci d’exhaustivité, mais qu’il a analysé celle-ci, ce sur quoi nous reviendrons.
Plus proche de nous et dans notre actualité juridique un auteur rappelle l’importance de la monnaie. Le Doyen Jean Carbonnier (Droit et passion du droit, Flammarion, 1996 p. 185) écrit ceci : « lorsque Bonaparte fonda un nouvel ordre politique dont le Code civil faisait partie au même titre que la Constitution de l’An VIII, il jugea indispensable de le compléter par un nouveau système monétaire : ce fut l’objet de la loi de Germinal (17 Germinal An XI) ». Tirons les leçons de la phrase : Bonaparte conçut l’Etat sur trois choses : la constitution civile (le Code civil), la constitution politique et le système monétaire.
Il faut immédiatement tirer une conséquence de ce propos : la monnaie n’est pas un objet juridique ordinaire, ou pour être prudent peut-être faut-il dire que la monnaie n’est pas un instrument juridique ordinaire. Pourquoi ? Parce que la monnaie est indissociable de l’idée de système monétaire et qu’aucune nation, aucun Etat, aucune économie ne peut vivre sans monnaie, pas plus qu’il ne peut se passer de constitution politique ou civile. C’est dire que la monnaie ne relève sans doute qu’en partie de l’ordre politique ou de la loi civile : la plus éclatante actualité monétaire semble le démontrer puisque la Banque Centrale Européenne bat monnaie de façon indépendante, tant vis-à-vis des Etats membres de la Communauté que vis-à-vis de la Communauté européenne elle-même.
La monnaie participe donc intensément de l’économie, et nous l’envisagerons ici plutôt du point de vue du droit privé de l’économie. Le « plutôt » s’impose car une conception relativement unitaire du monde juridique nous fait penser que le droit privé est ici relativement indissociable de trois choses : d’abord le droit public, ensuite le droit international économique, enfin l’économie financière. C’est un point important qui n’est pas toujours reçu : ainsi le Professeur Dominique Carreau ( Recueil des cours de l’Académie de Droit international, 1998, T. 274, p. 319 et spécialement p. 390) fait le reproche à un ouvrage récent, malgré sa très grande qualité, de ne faire aucune allusion au droit international ou comparé et d’être fort théorique (il s’agit de la théorie du droit privé) en perdant parfois de vue les fonctions économiques et financières de toute monnaie.
Ce dernier reproche n’est en définitive pas très surprenant puisque les auteurs de droit privé qui s’intéressent au sujet sont, en définitive, assez rares (voir toutefois Jean Carbonnier, Les Biens, PUF).
Ce défaut d’intérêt tient peut-être pour partie à la rareté du contentieux relatif à la monnaie. Si une périodicité devait être donnée, on estimerait que la monnaie pose un problème aux mécanismes du droit privé, ou aux personnes privées, tous les cinq ou dix ans. Selon cette périodicité, la Cour de cassation rend une décision qui, de par sa publication, attirera l’attention des juristes de droit privé.
Les choses ont changé depuis ces dernières années. L’ordonnance du 14 décembre 2000 instituant un code monétaire et financier en est l’aboutissement. Résultat des engagements communautaires de la France, la commission supérieure de codification a fait une mise au clair et une mise à jour. L’article L. 111-1 prévoit, avant même que l’euro soit en la forme fiduciaire : « La monnaie de la France est l’euro. Un euro est divisé en cent centimes » ((L’éditeur privé, Dalloz, offre après le texte une parenthèse renvoyant aux articles 1er , 2, 3 et 6 du règlement CE du 3 mai 1998 pour « expliquer » cette formulation qui, naturellement, n’existait dans aucun texte interne. Le renvoi est utile mais l’étude de la création de l’euro montrera qu’il est probablement insuffisant)).
D’abord sous sa forme et sous son nom d’écu, ensuite sous sa nouvelle forme et sous son nouveau nom d’euro (code monétaire et financier, art. L. 113-8, mais là règle communautaire suffisait) la monnaie européenne a imposé aux juristes de droit privé de la considérer. On est passé de la rareté des publications à leur prolifération, à tel point qu’il est fastidieux de dresser une bibliographie – d’autant plus qu’il conviendrait de citer de nombreuses thèses qui examinent quelques questions spéciales ((Le Dictionnaire permanent Droit européen des affaires en comprend une en permanence mise à jour ; nous y renvoyons en précisant que malheureusement de nombreux articles ne sont que des reprises de réalités juridiques élémentaires en ce qu’il y a simple mise en forme des règlements communautaires et des dispositions internes. Par exemple, sur les thèses : S. Torck, Essai d’une théorie générale des droits réels sur choses fongibles, th. Paris II, déc. 2001)).
L’introduction de l’Euro en droit français est donc un thème à la mode, mais il est également un thème fondamental. D’abord parce que la monnaie n’est pas une composante ordinaire et docile de l’ordre civil ou de l’ordre politique, on vient de le dire. Ensuite parce que, du point de vue du droit privé, la plupart des rapports économiques sont influencés et susceptibles d’être modifiés par le jeu de la nouvelle monnaie. Enfin, parce que l’introduction de l’Euro suscite des réflexions sur l’organisation étatique. Cette réalité conduit à une observation de méthode.
Il est impossible, fastidieux et inutile de prétendre dresser un tableau à grandes cases (droit des obligations, droit de la famille, droit des sociétés…) et à petites cases (contrat de vente, contrat de bail, contrat de rente viagère…, liquidation de régime matrimonial, liquidation des successions…, modalités de formation du capital social, problème de nominal de valeurs mobilières, monnaie de cotation des titres…). Bref, il est impossible d’envisager cas par cas les applications de la monnaie ; mais alors, que faire ?
Faute de pouvoir faire du cas par cas, la réflexion peut s’orienter vers une réflexion générale (pour ne pas dire théorie) relative au sujet : l’euro, lequel est une monnaie. L’introduction de quelques textes monétaires dans le Code monétaire et financier valide cette démarche. Sans idée d’autonomie, ce qui serait bien malvenu s’agissant de la monnaie qui intéresse tous les pans du droit, on peut parler d’un droit monétaire. Le nouveau code y consacre un premier livre. Cela signifie qu’envisager l’euro c’est d’abord envisager une monnaie, ce qui naturellement aide à résoudre les problèmes dans les cas marginaux((RTDCiv. 1998, 801 où est relaté la question des systèmes d’échanges locaux dits « SEL »)). Ainsi, résoudre les problèmes de droit privé relatifs à la monnaie suppose en préalable de comprendre parfaitement les concepts monétaires (I). Le concept – spécifique ? - de la monnaie européenne peut alors être étudié, l’euro est une monnaie atypique (II).
Ensuite un choix peut être fait entre les questions d’introduction de l’euro dans les situations juridiques institutionnelles ou quasi institutionnelles (mariage, successions, droit des sociétés…) et les situations que les parties maîtrisent davantage : les situations conventionnelles. La réflexion s’orientera vers ces dernières. Dans ce cas, en effet, les parties ont la faculté mais également courent le risque de stipulations litigieuses. Il n’y a toutefois pas d’exclusion des situations institutionnelles : l’étude des normes relatives à l’introduction de l’euro amènera à évoquer le capital social qui, figure de l’institution qu’est la société, constitue également l’expression des apports des associés qui, par ces apports, exécutent la promesse et l’engagement contractuel pris de devenir associé. Voilà expliqué le choix de l’étude de l’introduction de l’Euro dans les contrats.
Comment mener cette étude ? Il a déjà été dit qu’envisager chaque contrats spéciaux était fastidieux ; ce serait de surcroît vraisemblablement inutile : comme il y a une théorie générale des obligations, on peut soutenir qu’il existe une théorie générale de la monnaie, voire, ce qui peut davantage plaire aux juristes de droit privé, que la théorie générale des obligations tient compte de la monnaie. Dans un cas comme dans l’autre, les différentes séquences du contrat permettent d’étudier les problèmes liés à l’introduction de l’euro. Ceux liés à l’extinction du contrat ne paraissent pas comprendre de problèmes spécifiques liés à la monnaie. Il en va différemment s’agissant de l’influence de l’Euro au moment de la formation du contrat (III) et de la question de l’Euro lors de l’exécution du contrat (IV).
I. Les concepts monétaires
Très classiquement et pour poser les choses, nous envisagerons la définition de la monnaie, retardant ainsi l’examen de l’euro lui-même, mais qui ne sait qu’il est une monnaie ? En vérité cette définition sera complétée par l’énumération, peu élégante convenons-en, des qualités de la monnaie. Ces dernières expliquent au plus près, selon une méthode qui emprunte à l’empirisme et à l’observation, ce qu’est concrètement, socialement, économiquement, la monnaie. Pour bien marquer que le droit privé ne saurait être détaché des savoirs économiques et financiers nous brosserons rapidement, et sans compétence particulière (faut-il le dire ?), ce que peut être la logique économique de la monnaie ; procéder à cet examen en troisième lieu s’explique : le discours est juridique et non économique, en outre un état des lieux des notions juridiques admises n’exige pas en préalable une étude économique, de surcroît la description de la monnaie sous l’angle juridique permettra aux juristes de mieux appréhender sa dimension économique d’autant que cette dernière ne sera à aucun moment totalement ignorée. Tel est le cas des définitions.
A- Définition de la monnaie
La monnaie est phénomène économique. Nous écouterons donc comment les économistes définissent la monnaie. Pour ce faire, il la désigne sous ses divers aspects en observateur de la réalité sociale et non de la norme sociale. De la monnaie ils tirent plusieurs monnaies. La désignation linguistique suit ce penchant.
1) Désignation de la monnaie
Désignation économiques
Selon M. P. Berger (La monnaie, PUF, 1983, p. 5), définir la monnaie se heurte à quelques difficultés. L’entreprise serait selon l’auteur nécessairement empirique qui ne pourrait occulter sa fonction essentielle qui est de permettre un règlement. Du coup l’auteur présente une énumération : « élément de patrimoine, la monnaie présente trois caractéristiques essentielles : elle permet de régler toute dette ou tout achat ; elle est admise en toutes circonstances et par tous les créanciers ou vendeurs, sur toute l’étendue d’un territoire donné ; la remise de ce pouvoir d’achat entraîne immédiatement l’extinction totale et définitive de la dette. ». Bref, la monnaie permet un paiement dont la remise ne peut être refusée sur un territoire donné, elle éteint toute dette. La définition voudrait être économique, elle apparaît tout autant juridique, ses caractéristiques étant ramenées à ses fonctions.
D’emblée une question de méthode surgit car un postulat occupe l’esprit (des juristes) : il n’y aurait qu’une monnaie. Est-ce sûr ? La question autorise à encore égrener des définitions.
Regarder l’index d’un ouvrage économique en fait douter (et la même impression se formerait à l’observation d’un ouvrage juridique). Dans Les circuits financiers (Dalloz, 1989), l’économiste et Professeur Paul-Jacques Lehmann établit un index qui renvoie à divers numéros pour le seul mot monnaie et ajoute des références pour les idées de « monnaie centrale », « monnaie divisionnaire », « monnaie électronique », « monnaie fiduciaire » et « monnaie scripturale ». La même observation peut être faite au vu de l’ouvrage de l’économiste et Professeur Michelle De Mourgues (Economica, 1988) : elle distingue de surcroît la « monnaie centrale empruntée » de la « monnaie centrale non-empruntée », ajoutant la « monnaie centrale scripturale », la « monnaie externe », la « monnaie interne », la « monnaie internationale », la « monnaie légale », la « monnaie privée ».
Le constat, certes élémentaire et simple, n’est pas pour autant neutre ; l’observation ne saurait pour cette simple raison de simplicité signifier que l’observation qu’il y aurait plusieurs monnaies est inexacte.
Le Professeur Paul-Jacques Lehmann mais, il est vrai, dans un ouvrage consacré aux circuits financiers, ne s’attache pas de façon générale à définir la monnaie. La chose paraît très intéressante. D’abord elle accrédite l’idée qu’il y a peut-être plusieurs définitions de la monnaie ou, au moins, des manifestations physiques, économiques et juridiques tellement différentes de la monnaie qu’en définitive il est difficile (voire inutile) de la définir de façon unitaire. L’auteur s’intéresse ainsi à toute l’organisation bancaire et financière (mots à distinguer) qu’implique la monnaie, laquelle nous semble ainsi devenir l’épicentre d’un « phénomène monétaire ».
Le Professeur de Mourgues se refuse, elle aussi, à définir la monnaie de façon unitaire ou, plutôt, sa définition unitaire est sibylline : « on peut définir la monnaie comme une institution caractérisant l’économie d’échange ». On pourrait ici engager une discussion sur la notion d’institution, mais nous oserons imposer l’idée que s’agissant du droit privé l’idée d’institution n’emporte pas d’idée (technique) juridique très précise qui permette de régler des litiges entre particuliers ((L’un des débats récurrents du droit privé, la question de la société comme institution, ne permet pas de réviser cette position pessimiste (voyez les efforts de J. Paillusseau, Les apports du droit de l’entreprise au concept de droit, D. 1997, chron. 97 ). Ainsi il nous a déjà été donné de dire que la qualification de la société en institution était, certes sous l’angle de vue de la question des valeurs mobilières, peut susceptible d’aider à leur qualification et à leur compréhension.)) … L’auteur continue : « il est également possible de la présenter en insistant sur ses fonctions spécifiques, soit sur les propriétés qu’elle doit nécessairement remplir pour jouer complètement son rôle. Ces trois méthodes sont complémentaires et chacune d’elle met l’accent sur certains aspects du phénomène monétaire… ». Bref, les meilleurs économistes préfèrent décrire la monnaie que la définir, méthode que nous avons ici choisie (confer infra B). Toutefois la difficulté ne doit pas faire renoncer, et une réflexion sur le terme monnaie aboutit, pour le juriste, à la définition des instruments monétaires et de l’unité monétaire.
Désignations linguistiques
Le terme monnaie est le terme noble (C. m. et fin., art. L. 111-1), technique, de cette chose particulière qui est sinon ordinairement appelée « argent » ((L’argent et le droit, Arch. de ph. du droit, t. 42, 1998)). La chose est encore désignée sous d’autres vocables, parfois plus précis, tel celui qui amène à parler « des espèces » (C. m. et fin., art. L. 113-5). Dans ce dernier cas il semble que soit davantage visées « les » choses matérielles ou monnaie métallique et monnaie papier qui représentent physiquement la monnaie. Mais, néanmoins, les espèces désignent bien l’argent, soit de la monnaie. Le législateur n’est pas très fixé puisqu’il utilise également les mots « sommes » ou « sommes d’argent » (C. civ., art 829, 1843-3, al. 5). L’article L. 511-1 du code de commerce, qui précise les mentions de la lettre de change, parle de « somme déterminée », comme le fait l’article L. 131-2 code monétaire et financier pour le chèque. La normalité y retrouve son compte quand est en cause la « somme d’argent » L. 131-53), mais y perd à nouveau quand, par extension, est seulement visé le « montant » (art. 131-52). Souvent encore le législateur vise « les fonds » (C. m. et fin., art. 133-1 et s.) ou encore le « numéraire » (C. m. et fin., L. 121-1).
La diversité des appellations aboutit à l’implicite. La monnaie est tellement consubstantielle aux économies occidentales que le législateur la vise parfois de façon implicite. Dans le même code monétaire et financier, à propos de la définition des « systèmes de règlements interbancaires », la monnaie est encore implicitement visée (art. L. 330-1). Même dans les textes pénaux le mot peut être implicite sauf à parler, à propos de peines, des « fonds » (pour l’implicite relativement à l’infraction de blanchiment : C. pén., art. 324-1 et 324-3 pour l’emploi du mot – rédaction de la loi du 13 mai 1996).
La diversité des expressions visant la monnaie conduit vite à une langue relâchée : le fric, le pognon… Cette diversité n’a pas grand intérêt, sinon celui de souligner l’importance de l’argent tant au plan général qu’au plan particulier. A l’inverse, la langue technique l’emporte quand sont visés, afin que la Banque de France s’empare de la fausse monnaie pour l’étudier, « les signes monétaires » (C. m. et fin., 162-2). Tout à l’inverse parler de « l’unité » (C. m. et fin., L. 113-1, 113-3 et 113-6) laisse son abstraction à la monnaie qu’elle perd un peu dans le net pléonasme « devises étrangères » (C. m. et fin., L. 141-9, al. 2).
Pas davantage le nom de la monnaie (le Franc, aujourd’hui l’Euro) ne paraît déterminant pour une définition générale de la monnaie. Sauf à observer que la dénomination est un moyen de tirer de l’abstraction la monnaie et que, jusqu’à plus ample informé, une monnaie doit disposer d’un nom. En revanche le fait de parler de façon générale du Franc fait immédiatement comprendre que la monnaie ne se réduit pas à des instruments monétaires. La loi permet de poursuivre l’analyse en retrouvant un discours plus juridique.
2) Définitions inspirées de la législation
Le fait que l’Euro s’écroule, ou que le Franc soit stable, ne vise nullement les instruments monétaires. La monnaie est ainsi douée de duplicité : elle désigne les instruments monétaires (a) et l’unité monétaire (b).
a) Les instruments monétaires
Les instruments monétaires sont connus de tous. Pourtant il est en définitive difficile de confronter les idées juridiques sur cette notion puisque seul le Doyen Carbonnier explicite, dans un ouvrage à jour en l’an 2000, la nature et les fonctions de ces instruments. Toutefois, dans Recherches sur la monnaie en droit privé, M. Rémy Libchaber (LGDJ, 1992) présente les instruments monétaires en les distinguant des supports monétaires. Cela oblige à s’arrêter sur cette dernière idée. Selon l’auteur, les supports monétaires seraient des « supports naturels », le billet de banque et la monnaie scripturale. La distinction ainsi paraît justifiée dans son principe : la notion de support mérite d’être soulignée en tant que telle. Le support est un préalable à la création d’un instrument, préalable nécessaire mais insuffisant. Toutefois, l’énumération des supports faite par M. Libchaber n’emporte pas la conviction au moins sur la monnaie scripturale. Reprenons les trois supports présentés.
Le premier support présenté est appelé, par l’auteur, support naturel. L’auteur souligne là le fait historique : « un bâtonnet de sel peut être un support monétaire au même titre qu’une once de métal précieux. Ces systèmes premiers ne diffèrent en effet d’autres plus élaborés que par le nom de l’unité : au lieu du Franc, ce sera le coquillage, ou la livre de poivre ». La chose est entendue, à défaut d’appréhension du phénomène monétaire par un pouvoir politique, les échanges économiques conduisent les agents économiques à conférer une fonction monétaire à toutes sortes d’objets, lesquels deviennent des instruments monétaires. Il range dans ces mêmes supports les métaux précieux en faisant une fine analyse de la transmutation de la fonction du métal. Si initialement « la monnaie est le métal » la fonction monétaire en se renforçant détache le concept de monnaie du métal : « elle n’y est plus ensuite que rattachée ».
Le second support présenté est le billet de banque qui, enseigne l’auteur, proviennent des billets que les bijoutiers faisaient circuler en lieu et place du métal. La chose est intéressante, ainsi que le constat que le billet de banque conserva longtemps la qualification de créance jusqu’à l’instauration du cours forcé. Il y a alors inconvertibilité du billet contre tout autre bien : l’émetteur du billet, la Banque centrale, ne remet rien en échange d’un billet qu’un citoyen lui apporterait. Mais cela éloigne de la question du support car, le billet n’est fondamentalement qu’une feuille de papier (imprimée). La chose n’est peut-être pas très intéressante sauf que, à ce titre, le support papier n’est, avec le temps (pièces sans métal précieux), ni moins ni plus que le métal à l’origine de la monnaie ou que le coquillage support primitif de monnaie. De ce point de vue là, il y a une ressemblance entre les deux processus de l’emploi du métal et du billet ; l’essentiel semble reposer dans la marque apposée, à moment donné, sur le métal ou sur le billet. A partir de là, quand métal et billet de banque n’offrent plus aucune convertibilité, ils deviennent de purs instruments monétaires. Dans ces circonstances, il n’est peut-être pas certain que la distinction qui souligne le concept de support monétaire soit déterminante pour les analyses actuelles. En tout cas, elle a le mérite de souligner l’histoire de la monnaie et d’engager une discussion sur la monnaie scripturale.
De la monnaie scripturale, M. Libchaber dit qu’elle est « la monnaie de la troisième génération ». Il ajoute immédiatement que l’on a souvent désigné, à tort selon lui, les chèques et virements comme constitutifs de cette monnaie. Il vise là la position du Doyen Carbonnier et cela est une critique fondée. Mais l’on hésite à suivre l’auteur lorsqu’il affirme que chèques et virements sont « des instruments monétaires, et non des supports ». A notre sens, la chose sera reprise (cf. infra), chèques et virements (ordres de virements) ne sont ni des instruments monétaires, ni des supports monétaires, mais des « instruments de paiement ». Le code monétaire et financier ne donne raison à personne : un Titre III s’intitule « Les instruments de la monnaie scripturale ». L’hésitation est alimentée d’une autre réalité, celui du déficit conceptuel de la notion d’effets de commerce, finalement passivement enregistré par la doctrine commercialiste ces dernières années. Les manuels traitant du chèque, de la lettre de change, et du billet à ordre s’intitulent désormais « Instruments de paiement » (M. Jeantin et P. Le Cannu ; F. Pérochon et R. Bonhomme-Juan ; J. Devèze et P. Pétel ; Y. Chaput). Mais l’hésitation se résorberait si l’on était certain que l’idée d’instruments monétaires ne risquait pas de se confondre avec l’idée même de monnaie. Ces observations faites, voyons si la monnaie scripturale est un support monétaire.
A reprendre cette dernière phrase, l’idée ne s’entend pas : la monnaie scripturale est ou pas de la monnaie ; si elle est de la monnaie, ce que nous croyons comme Messieurs Rives-Lange et Libchaber l’ont cru, la monnaie scripturale ne peut pas avoir pour support… la monnaie scripturale ! En vérité, le support de la monnaie scripturale, sauf le discernement d’auteurs plus imaginatifs, peut être constitué par deux séries de choses. Le support peut d’abord être considéré comme la matière sur laquelle le banquier tient ses comptes (livres bancaires hier, informatique aujourd’hui). A nouveau, dans cette simple vision matérielle du support, ce dernier est en définitive relativement neutre. C’est alors davantage vers le mécanisme juridique qui l’entoure que l’attention est portée. Cette fois-ci, trois choses paraissent se confondre avec le support de la monnaie scripturale. D’abord, la monnaie scripturale paraît résider dans le solde disponible des comptes bancaires, soit dans l’inscription qui récapitule les opérations du client de la banque. La doctrine majoritaire réduit la monnaie scripturale à cette « partie » du compte. Mais alors, le support de la monnaie peut être vu directement dans l’inscription que constitue ce solde, c’est-à-dire dans l’écriture (mais le solde est lui aussi une écriture ?). Finalement, c’est peut-être le compte bancaire lui-même qui mérite d’être considéré comme support de la monnaie scripturale. Le compte bancaire, même s’il n’a pas de statut juridique légalement détaillé, est une notion unanimement reçue ((La loi du 11 décembre 2001, dite loi Murcef, ne change rien au propos quoiqu’elle détaille les obligations du banquier qui signe une convention de compte)). Dans ces circonstances une analyse de conciliation peut être faite. Le compte bancaire est le support de la monnaie scripturale, laquelle prend sa forme juridique achevée, efficiente et permanente grâce aux inscriptions, mais encore grâce à la récapitulation qui en est faite à travers le solde du compte.
Toutes ces considérations nous ont éloignés de notre préoccupation première qui était de présenter les instruments monétaires. En vérité, et le dernier développement le montre, l’évocation du concept de support permet de mieux cerner les instruments monétaires. La classification qui va être présentée s’en trouve, pensons-nous, améliorée. En effet, la monnaie scripturale paraît mieux se comprendre quant à son support, a priori c’est le compte. En conséquence, nous ne présenterons pas la monnaie scripturale comme étant un support monétaire, comme le fait M. Libchaber, ni comme un instrument monétaire. La monnaie scripturale est de la monnaie (nous avancerons une explication fondamentale plus loin, infra) ; mais naturellement comme toute monnaie, la monnaie scripturale a besoin de support et d’instruments pour être une monnaie, si l’on peut dire, de plein exercice.
Il nous est enfin donné de présenter, de façon très classique, ce qui justifie la rapidité, les instruments monétaires.
a : les pièces métalliques, ou la monnaie dite divisionnaire :
Les pièces de monnaie, pièces métalliques, paraissent être aujourd’hui et en vérité depuis quelques siècles, un phénomène universel. La rareté de certains métaux précieux a permis l’avènement de la monnaie métallique telle que nous la connaissons, c’est-à-dire sans aucune valeur (ou presque) du métal les constituant. Il est ici inutile de rappeler cette ancienne correspondance. Le Doyen Jean Carbonnier rappelle « que le Franc a été successivement défini comme 5 g d’argent au titre de 9/10 (Franc de Germinal), puis comme 65,5 mg d’or au titre de 900/1000e (Franc Poincaré, loi du 25 juin 1928, art. 2) ». Le Doyen Carbonnier souligne que cette définition « a été supprimée par la loi du 1er octobre 1936 ». Il en tire la conséquence que « nous continuons à avoir une unité monétaire qui n’a pas de définition légale ». Cette description mérite une totale approbation et a l’avantage de souligner le besoin de définition de la monnaie. L’affirmation selon laquelle le Franc n’a pas de définition légale peut, sous d’autres angles, être discutée. Il est néanmoins incontestable que la correspondance entre une pièce métallique fabriquée par l’Etat français, marquée par un chiffre et de l’appellation « Franc », peut participer à la définition de la monnaie. L’absence de définition légale qui est soulignée par le Doyen Carbonnier ne paraît pas devoir être confondue avec la question de savoir si, hier ou aujourd’hui, il est possible ou pas de définir la monnaie métallique.
En effet, et la remarque constitue une préoccupation de méthode, définir juridiquement la monnaie est toujours une entreprise possible (et souhaitable pour la compréhension de diverses sciences sociales). Simplement, en l’absence de définition légale, le juriste doit interpréter avec les seuls éléments légaux et factuels dont il dispose. Que ceux-là soient peu nombreux rend l’entreprise de définition sans doute très délicate, mais ne permet pas de se décharger de cette tâche.
S’agissant non pas de l’idée en générale de monnaie, mais des instruments monétaires, l’effort de définition à fournir est tout de même moindre. La définition passe par la simple description et énumération des diverses pièces que l’Etat accepte de mettre en circulation. Le travail est identique que l’on ait à décrire les instruments monétaires Franc ou les futurs instruments monétaires Euro.
La caractéristique essentielle de ces pièces, remarque qui vaut par anticipation pour les billets, est que la livraison de ces objets permet de réaliser un paiement, dès lors du moins que l’obligation a été stipulée en argent (être juridiquement rigoureux amènerait à parler de stipulation d’unité monétaire). Le droit commun impose, pour que le paiement soit valablement fait, d’être « propriétaire de la chose donnée en payement, et capable de l’aliéner » (C. civ., art. 1238 ). Du point de vue du droit des obligations, ces instruments paraissent disposer d’un monopole en tant qu’objets de paiement. Il n’en est rien, puisque l’objet de l’obligation est déterminé par les parties et que, force obligatoire oblige, le créancier ne peut être contraint de recevoir autre chose que ce qui a été prévu à la convention (C. civ., art. 1243).
Ce point n’est pas infirmé par le fait que la réparation d’une inexécution contractuelle se règle par la condamnation et la remise d’une somme d’argent (c’est ce que dit l’article 1142 du Code civil en prévoyant que toute inexécution « se résout en dommages et intérêts »). L’affirmation reste encore vraie lorsque l’on considère les modes de réparation de la faute délictuelle qui sont, dans l’immense majorité des cas, opérés par le paiement d’une somme d’argent, mais ce n’est pas une exclusive (une remise en état peut être ordonnée). En revanche, l’utilisation de la monnaie est exclusive s’agissant des dommages et intérêts moratoires : « dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal… » (art. 1153). La monnaie, comme à l’article 1144, est désignée sous le terme « somme » ; cette somme d’argent est égale au montant du taux d’intérêt légal pour un an appliqué à la créance. Il existe un lien étroit – il faudrait y réfléchir – entre l’intérêt et l’argent, le premier offrant un véritable dédale de règles ((Annales des loyers, Guide juridique et fiscal des intérêts, par B. Pays, 1999, n°9, p. 1001)).
La monnaie divisionnaire métallique connaît au moins encore une originalité. Le décret du 22 avril 1790, relatif aux dettes du clergé, aux assignats et aux revenus des domaines nationaux dispose en son article 7 : « pour éviter toute discussion dans les paiements, le débiteur sera toujours obligé de faire l’appoint et par conséquent de se procurer le numéraire d'argent nécessaire pour solder exactement la somme dont il sera redevable ». La disposition est de droit positif et elle s’impose à l’usager d’un parcmètre ((Crim. 27 octobre 1993, Bull. crim., n° 317 ; On notera l’expression « numéraire d’argent » ; le mot seul numéraire étant d’usage considéré comme un équivalent des termes argent et monnaie.)). Le « codificateur » de l’an 2000 a traduit la disposition : « en cas de paiement en billets et pièces, il appartient au débiteur de faire l’appoint » (C. m. et f., art. L. 112-5).
b : les billets de banque :
Les billets de banque sont sans doute appelés ainsi en raison de la qualité de leur émetteur : les banques centrales. Les banques centrales, également appelées instituts d’émission, sont les personnes qui ont reçu des autorités constituées (le pouvoir politique) le pouvoir d’émettre des instruments monétaires. Elles émettent ainsi les pièces et les billets. Ceux ci ne sont que des feuilles de papier imprimées mais qui, dans tous les pays du monde, ressemblent au moins à un titre de créance par les signatures qu’ils comportent. Généralement doubles ou triples, ce sont celles des responsables de la banque centrale, voire de l’Etat. Si les billets de banque sont aujourd’hui perçus comme détachés de toute convertibilité, il furent longtemps des titres de créance sur la banque centrale. Cette dernière ne porte pas mal son nom puisqu’on peut la regarder comme occupant une place centrale dans le système financier ou dans le système monétaire (sur ces idées de système cf. Dominique Carreau, article préc., p. 319, n°3).
Les billets de banques sont encore appelés monnaie fiduciaire puisque, dès lors origine, et à la différence des pièces métalliques faites en tout ou partie de métaux précieux, ils n’ont jamais incorporé une quelconque valeur. Aussi ne sont-ils que des instruments de « confiance », c’est-à-dire que leur vocation monétaire ne peut s’accomplir si une majorité des agents économiques lui voue leur défiance. Des billets de banque qu’une majorité de ressortissants (d’un Etat donné) ne voudraient pas utiliser comme moyen d’échange économique entraîneraient une forte dévaluation de la monnaie qu’ils incarnent la vouant vraisemblablement au remplacement. Mais en vérité, l’expression de monnaie fiduciaire convient dans nos systèmes économiques actuels aussi bien aux billets qu’aux pièces métalliques qui ne contiennent qu’exceptionnellement quelques grammes de métaux précieux.
D’autres éléments relatifs aux billets seront ultérieurement apportés, mais l’identité de rôle de la banque centrale pour ces deux instruments monétaires est déjà une indication précieuse de leur nature juridique. La monnaie est marquée du pouvoir et de la volonté étatique. Même si elles sont à certains égards anecdotiques, quelques jurisprudences récentes abondent en ce sens ((Ass. Plén. 18 juin 1999, Droit et patrimoine, octobre 2000, n° 86, p. 48 : Mme Monnet, pour une reproduction qu’elle jugeait illicite, entend dire la cour que le juge judiciaire ne peut connaître du litige qui met en cause une prérogative de puissance publique. Paris 1ere ch. A 10 nov. 1999, Dalloz affaires, 2000, n° 14, p. 322, note P. Boudry : une reproduction de billet ne peut être critiquée sur le fondement de droits de propriété intellectuelle ; c’est l’idée de puissance publique qui chasse le droit privé)). On pourrait croire qu'il en est autrement pour la monnaie scripturale, ce qui nous semble-t-il est majoritairement enseigné et ce sur quoi la discussion s’ouvre.
c : les comptes de dépôt bancaire, monnaie scripturale.
Diverses observations ont déjà été faites sur la nécessité de distinguer le concept de monnaie scripturale de celui de compte bancaire, voire d’inscriptions en compte bancaire et de solde de compte bancaire ; nous n’y reviendrons pas. Pour des raisons en définitive diverses, et pour ne citer qu’eux, l’idée de monnaie scripturale paraît être reçue notamment par les Professeurs Carbonnier, Rives-Lange et Libchaber. De l’ensemble de ces travaux nous ne pouvons pas même faire la synthèse car chacune imposerait un long exposé pour respecter la pensée de ces trois auteurs. En revanche, leur réflexion invite à essayer d’aller un peu plus loin dans la réflexion, comme l’a fait Mme Christine Lassalas en proposant de parler de « propriété scripturale » ((En dernier lieu, de cet auteur : La monnaie scripturale, Mélanges AEDBF, 2001, p. 235 et sa thèse.)).
Sur l’existence même de la monnaie scripturale, il faut sans doute avouer qu’elle vient chez les juristes après s’être formée chez les économistes. La monnaie scripturale est pour les économistes une réalité incontestable. Du point de vue de la méthode, le juriste se trouve face à un dilemme. La question qui se pose à lui et celle de savoir s’il doit considérer comme un fait acquis l’existence de cette monnaie ou s’il peut la contester.
La difficulté de méthode ne se pose que rarement à l’état pur : ce cas supposerait que le juriste puisse qualifier une institution ou un mécanisme économique en lui donnant ainsi un régime juridique tout à fait satisfaisant sur le plan de la pratique économique. En l’espèce, nier le phénomène de monnaie scripturale semble conduire à une impasse : le paiement par virement ne serait plus un paiement de somme d’argent, les dépôts bancaires ne seraient plus de la monnaie et les mesures d’exécution forcée ne pourraient être menées à bien… Un argument de politique juridique impose de reconnaître l’existence de la monnaie scripturale. L’argument paraîtra à certains nettement insuffisant. Ainsi, le Professeur Grua s’est attaché à démontrer que les comptes n’établissaient jamais qu’une créance du titulaire du compte contre l’établissement de crédit ((Qu’est-ce qu’un compte en banque ? D. 1999, chron. 256)). Heureusement, l’argumentaire peut être complété par un argument technique pour l’heure délaissé.
Les juristes ont, pour l’essentiel, singulièrement dans le champ du droit privé, observé la monnaie scripturale à travers le cas des comptes bancaires des agents économiques ordinaires (particuliers, entreprises commerciales et industrielles…) ((Par exemple : P. Didier, Droit commercial, t. 3, La monnaie, Les valeurs…, PUF, 1999, p. 3 à 8)). Pourtant, la monnaie scripturale connaît une autre manifestation à travers le phénomène appelé « monnaie centrale ». Le concept est unanimement reçu chez les économistes et l’on peut ainsi n’en citer qu’un. Pour Paul-Jacques Lehmann, la monnaie centrale constitue un agrégat très important dans la mesure où elle se comporte à la fois comme une « matière première » et un « service après vente » indispensable à toute institution financière pour lui permettre de faire face aux trois fuites auxquelles elle peut être soumise : en billets et en pièces dans la mesure où tout détenteur d’un compte à vue peut demander à tout moment la conversion de son dépôt en monnaie légale ; vers d’autres établissements financiers (mécanisme de la compensation en réserves obligatoires).
L’auteur, cité ici en substance, poursuit de la sorte : la monnaie centrale est composée de deux grands ensembles :
- les monnaies fiduciaires et divisionnaires qui constituent à la fois de la monnaie légale (pour l’ensemble des agents économiques) et de la monnaie centrale (pour les seuls agents financiers) créées exclusivement soit par la Banque de France, soit par le Trésor ;
- les comptes courants des établissements auprès de la Banque de France.
L’observation peut être faite par simple référence à la dernière phrase plus simple d’approche pour le juriste. De quoi s’agit-il ? La monnaie centrale n’est rien d’autre que la position de chaque établissement financier à l’égard de la banque centrale (d’où vraisemblablement le nom de monnaie centrale). C’est dire que la monnaie centrale est naturellement et systématiquement une monnaie scripturale. Elle est matérialisée par les soldes de comptes des établissements de crédits (et autres agents financiers en correspondance avec l’institut d’émission). Récemment, un auteur a vu la chose et n’a pas manqué de s’en servir pour distinguer cette monnaie centrale de l’autre monnaie scripturale (S. Torck, th. préc.) et tenter de disqualifier la seconde ; il en ressort au moins que la première est une véritable monnaie.
C’est notamment par ces comptes que les établissements de crédits se « refinancent », c’est-à-dire qu’ils se procurent les unités monétaires nécessaires à l’équilibre de leurs comptes après avoir prêté de l’argent à des particuliers et entreprises. Ainsi, les établissements de crédit créent certes de la monnaie par ces prêts mais, dans la même période de temps (un peu avant ou un peu après), se procurent des unités monétaires auprès de l’institut d’émission. Pour cette opération on parlait en France du taux d’escompte, désignant curieusement l’opération par son seul taux d’intérêt. Ce taux a disparu avec la BCE. La BCE accorde d’abord des concours jusqu’à trois mois contre garanties. Au jour le jour, elle prend en dépôt les excédents (à environ 3, 5 %) ; à deux points d’intérêt au-dessus, elle prête au jour le jour, on parle de prêt marginal, il est contre garanties. Entre ces deux taux, par le taux dit de « REFI » (pour refinancement), la BCE prête en contrepartie de pensions courtes (15 jours). C’est ce dernier taux qui est dit taux directeur de la BCE ((Ph. Jurgensen, Le guide de l’euro pour tous, éd. O. Jacob, 2001)). Naturellement, le refinancement peut se faire auprès d’autres établissements financiers qui, banque ou établissement assimilés, procèdent avec leurs confrères à une opération de la même nature. La chose se révèle ainsi être d’une extrême importance. La monnaie centrale est la première des monnaies scripturales, elle conditionne directement ou indirectement la création monétaire « inférieure » (pour cela les deux nous apparaissent relativement indivisibles).
Ce phénomène peut apparaître comme étranger au droit privé de l’économie. Ce serait une grave erreur de le penser. La loi de 1993 r
EN DROIT FRANÇAIS
Avant-propos de janvier 2006
Le texte aujourd’hui mis en ligne n’est pas repris ni remanié. Il n’est qu’une partie d’un cours de droit bancaire fait il y a quelques années. Il fut interrompu sans véritable volonté de ma part, cette interruption ayant quasiment interrompu ma recherche. Ce cours n’a pas été dactylographié à partir du « C - Caractères de l’Euro », mais il a cependant été enseigné. Ce document n’était qu’un support de cours donné aux étudiants après l’enseignement afin de faciliter leur travail et le lecteur aura l’amabilité de le considérer comme tel. Son intérêt réside ans diverses amorces de discussions inédites (par exemple la date de création de la nouvelle monnaie). Il est néanmoins fort incomplet.
Les dernières années semblent montrer que la question du choix de la monnaie (III) et, notamment, des erreurs qui en découlent, n’ont pas suscité une jurisprudence notable. Nos concitoyens et les entreprises n’ont guère été étourdis et, ou, les erreurs ont été réparées à l’amiable. Cette question est cependant fort intéressante car l’erreur sur la monnaie est nécessairement une erreur sur la valeur… puisque la monnaie est instituée pour être l’expression de « toute » valeur. Le « IV » reste le point le moins intéressant de ce cours, sauf à souligner le concept de la conversion auquel aucun juriste n’a attaché son nom et qui, loin s’en faut, ne concerne pas la monnaie.
J’éprouve le besoin, au fond, de dire simplement deux choses puisque je ne suis pas systématiquement la question monétaire ; ces observations ne sont nullement des commentaires du texte qui suit ( mes considérations actuelles seraient sans doute sévères…). Je constate que le phénomène monétaire primaire échappe encore aux juristes : la question de la monnaie centrale, née des rapports entres les banques et l’institut d’émission n’est pas traitée. Or c’est là actuellement « une » monnaie essentielle, une façon de battre monnaie qui domine toutes les autres.
Cette monnaie centrale, fruit d’une « activité contractuelle », montre que l’inscription en compte monétaire se distingue des instruments financiers (I.F.). Leur inscription en compte n’est qu’un instrument de preuve dont la disparition n’implique pas la disparition des droits, notamment du porteur de valeurs mobilières. Si monnaie et I.F. peuvent être qualifiés, de façon autoritaire, d’actifs financiers, leur régime de fond est très différent, quoique certaines des règles soient communes ou proches, ainsi que le démontre leur circulation dans les systèmes informatiques inter-bancaires. L’enlisement de la discussion sur la dématérialisation des valeurs mobilières, ponctuée de querelles picrocholines, dont il n’est rien sorti malgré les efforts doctrinaux aussi vain que curieux de certaines institutions publiques financières, n’aura pas permis d’entrevoir cette thématique. C’est ainsi qu’on en viendrait à dire que la monnaie est négociable, détournant le sens traditionnel et en vérité moderne du terme, ce qui conduit à l’utiliser ensuite pour tous les biens ce qui n’est pas loin de l’ineptie (n’est-ce pas le cas quand tout est tout ou quand tout est dans tout ?). Les biens peuvent être cédée en raison d’un statut constitutionnel et légal, et désormais supra-constitutionnel, qui n’a rien à voir avec la négociabilité, forme subtile de transmission des droits. Autant en emporte le partiel des recherches en droit commercial.
Le porte-monnaie électronique montre lui aussi le caractère essentiel de la monnaie scripturale. La monnaie électronique en est finalement une forme, tout en étant une forme authentique de monnaie : perdez votre carte à jamais et les unités monétaire de « monéo » seront perdues. La valeur est incorporée par un effet lege, d’ordre public (monétaire), dans les inscriptions faites dans le silicium. La monnaie est une incorporation d’autorité, parfaite et d’ordre public du droit à la chose. L’Union européenne est à cet égard aussi régalienne que l’État français le fut au cours des derniers siècles. Sans cette règle technique que serait la monnaie ? Un certificat représentant des droits à faire valoir contre l’institut d’émission ? En définissant la monnaie électronique comme une créance, l’ensemble des autorités monétaires commettent une grossière erreur sur les concepts. De quoi penser que l’étude juridique de la monnaie est sans doute à reprendre et le document qui suit pourrait inspirer quelques jeunes chercheurs plus enclin à la découverte scientifique qu’à la répétition académique.
HC, le 8 janvier 2006.
L’INTRODUCTION DE L’EURO
EN DROIT FRANÇAIS
Cours de DEA de Droit privé de l’économie de l’Université de REIMS
(années 1999 / 2000 et 2000 / 2001)
Par
Hervé CAUSSE
INTRODUCTION
I. Les concepts monétaires
A- Définition de la monnaie
1) Désignation de la monnaie
2) Définitions inspirées de la législation
a- Les instruments monétaires
a : les pièces métalliques, ou la monnaie dite divisionnaire
b : les billets de banque
c : les comptes de dépôt bancaire, monnaie scripturale
d : les instruments de paiement, instruments de fonction monétaire
b- L’unité monétaire
a : nature de la monnaie
b : le P-me, « moyen de paiement » et instrument monétaire
B- Les qualités de la monnaie
1) Les qualités intrinsèques de la monnaie
2) Les qualités extrinsèques de la monnaie
C- La logique économique de la monnaie
1) Distribution et circulation de la monnaie
2) Appréciation et dépréciation de la monnaie
II. L’Euro, monnaie atypique
A- Le nom de la monnaie
B- Le dispositif d’introduction
1) Le Traité
2) Le règlement n° 11-03 du 17 juin 1997
3) Le règlement n° 974 du 3 mai 1998
4) La loi du 2 juillet 1998
C- Caractères de l’Euro
1) Monnaie de compte… et de paiement
2) Cours légal et cours forcé de l’Euro
III. L’Euro au moment de la formation du contrat
A- Le choix de la monnaie
1) Abandon du recours nécessaire au Franc
a : avant 1999
- clauses sur la monnaie de paiement
- clauses sur la monnaie de compte
b : situation en 1999
- le Franc et l’Euro dans les relations internes en 1999
- le Franc et l’Euro dans les relations internationales en 1999
2) Recours facultatif à l’Euro
a : préliminaire sur le facultatif et l’impératif
b : le principe du caractère facultatif
c : modalités du caractère facultatif
B- L’erreur sur la monnaie
1) L’ancienne erreur sur le Franc
a : l’erreur sur l’unité monétaire
- conflit entre erreur sur la substance et erreur sur la valeur
- rejet de l’idée d’erreur sur la valeur
b : l’erreur sur la substance de l’unité monétaire
2) Les futures erreurs sur l’Euro
IV. La monnaie au stade de l’exécution du contrat
A- Le principe de continuité des contrats
1) Continuité au plan interne
a : les contrats ordinaires
b : les contrats financiers
2) Continuité au plan externe
B- La technique de conversion des sommes
1) L’idée même de conversion
a : le concept de conversion
b : le moment de la conversion
2) La mathématique juridique de la conversion
a : expression purement mathématique
b : expression purement juridique
AVERTISSEMENT (aux étudiants)
Ce cours a été voulu pour trois raisons, outre le fait qu’il convient parfaitement à l’orientation du DEA vers le droit privé de l’économie. La première tient à l’année où il a été pour la première fois enseigné. En 1999, l’euro existait et personne ne le voyait. La réflexion devait donc répondre à un besoin de l’actualité : l’euro existe-t-il ? La seconde raison tient à une relative rareté des réflexions sur la monnaie, idée qui mérite nuance, sauf quand il s’agit de l’étude conceptuelle de la monnaie qui, elle, est effectivement rare.
Quoi de plus séduisant, pour des juristes qui se préparent à l’exercice de la thèse, que d’étudier une notion que tant d’aînés n’ont pas osé entreprendre ? La troisième raison est la diversités des problèmes et des angles de recherches qui peuvent – et doivent – être envisagés. Tous les secteurs de la vie, de l’économie, sont concernés ; toutes les opérations, des plus simples au plus complexes sont à sonder ; tous les rapports, publics, privés, institutionnels, personnels sont en cause. Apprendre (ou au moins voir) l’immensité de l’analyse requise m’est apparu comme une belle exigence à montrer.
Toutefois, en se focalisant, après les premières réflexions, sur les aspects conventionnels de l’introduction de l’euro, ce cours permet de revenir à un secteur classique plus apprécié de la majorité des juristes. Puissent ces raisons en avoir été de bonnes et ainsi, ce cours, avoir contribué à la formation à la recherche de ceux qui ont eu à le subir. Il auront en outre compris que l’élasticité de la matière a conduit, parfois, à un discours qui n’est pas dans le style juridique le plus strict ; ils auront su puiser ailleurs les exemples de cette exigence et auront compris que le caractère inédit de ce cours en faisait, nécessairement, une recherche en cours. Les tâtonnements ou manque de rigueur, s’ils en ont vu, en sont l’expression. La perfection n’atteint que les œuvres empreintes de certitudes et de vérités qui ont peu à voir avec la recherche.
H. C.
INTRODUCTION
« Soyez seuls, et arrivez par quelque accident chez un peuple inconnu, si vous voyez une pièce de monnaie, comptez que vous êtes arrivé chez une nation policée ». A s’en tenir à cette seule phrase, on comprend que Montesquieu, dans L’Esprit des lois, (Livre 18, Chapitre XV, Des peuples qui connaissent de l’usage de la monnaie), tenait en haute estime les peuples pourvus d’une monnaie, en en faisant ainsi un critère des peuples évolués. D’autres extraits de L’Esprit des lois, écrit en 1743, ne font que confirmer le fait : les propos sont même parfois désobligeants à l’égard de certains peuples que l’on dirait aujourd’hui primitifs.
En tout cas Montesquieu n’a pas manqué de traiter de la monnaie dans un ouvrage qui entendait évoquer le système des lois utiles et nécessaires aux Etats. Le propos est renforcé quand on constate que l’auteur n’a pas cité la monnaie par souci d’exhaustivité, mais qu’il a analysé celle-ci, ce sur quoi nous reviendrons.
Plus proche de nous et dans notre actualité juridique un auteur rappelle l’importance de la monnaie. Le Doyen Jean Carbonnier (Droit et passion du droit, Flammarion, 1996 p. 185) écrit ceci : « lorsque Bonaparte fonda un nouvel ordre politique dont le Code civil faisait partie au même titre que la Constitution de l’An VIII, il jugea indispensable de le compléter par un nouveau système monétaire : ce fut l’objet de la loi de Germinal (17 Germinal An XI) ». Tirons les leçons de la phrase : Bonaparte conçut l’Etat sur trois choses : la constitution civile (le Code civil), la constitution politique et le système monétaire.
Il faut immédiatement tirer une conséquence de ce propos : la monnaie n’est pas un objet juridique ordinaire, ou pour être prudent peut-être faut-il dire que la monnaie n’est pas un instrument juridique ordinaire. Pourquoi ? Parce que la monnaie est indissociable de l’idée de système monétaire et qu’aucune nation, aucun Etat, aucune économie ne peut vivre sans monnaie, pas plus qu’il ne peut se passer de constitution politique ou civile. C’est dire que la monnaie ne relève sans doute qu’en partie de l’ordre politique ou de la loi civile : la plus éclatante actualité monétaire semble le démontrer puisque la Banque Centrale Européenne bat monnaie de façon indépendante, tant vis-à-vis des Etats membres de la Communauté que vis-à-vis de la Communauté européenne elle-même.
La monnaie participe donc intensément de l’économie, et nous l’envisagerons ici plutôt du point de vue du droit privé de l’économie. Le « plutôt » s’impose car une conception relativement unitaire du monde juridique nous fait penser que le droit privé est ici relativement indissociable de trois choses : d’abord le droit public, ensuite le droit international économique, enfin l’économie financière. C’est un point important qui n’est pas toujours reçu : ainsi le Professeur Dominique Carreau ( Recueil des cours de l’Académie de Droit international, 1998, T. 274, p. 319 et spécialement p. 390) fait le reproche à un ouvrage récent, malgré sa très grande qualité, de ne faire aucune allusion au droit international ou comparé et d’être fort théorique (il s’agit de la théorie du droit privé) en perdant parfois de vue les fonctions économiques et financières de toute monnaie.
Ce dernier reproche n’est en définitive pas très surprenant puisque les auteurs de droit privé qui s’intéressent au sujet sont, en définitive, assez rares (voir toutefois Jean Carbonnier, Les Biens, PUF).
Ce défaut d’intérêt tient peut-être pour partie à la rareté du contentieux relatif à la monnaie. Si une périodicité devait être donnée, on estimerait que la monnaie pose un problème aux mécanismes du droit privé, ou aux personnes privées, tous les cinq ou dix ans. Selon cette périodicité, la Cour de cassation rend une décision qui, de par sa publication, attirera l’attention des juristes de droit privé.
Les choses ont changé depuis ces dernières années. L’ordonnance du 14 décembre 2000 instituant un code monétaire et financier en est l’aboutissement. Résultat des engagements communautaires de la France, la commission supérieure de codification a fait une mise au clair et une mise à jour. L’article L. 111-1 prévoit, avant même que l’euro soit en la forme fiduciaire : « La monnaie de la France est l’euro. Un euro est divisé en cent centimes » ((L’éditeur privé, Dalloz, offre après le texte une parenthèse renvoyant aux articles 1er , 2, 3 et 6 du règlement CE du 3 mai 1998 pour « expliquer » cette formulation qui, naturellement, n’existait dans aucun texte interne. Le renvoi est utile mais l’étude de la création de l’euro montrera qu’il est probablement insuffisant)).
D’abord sous sa forme et sous son nom d’écu, ensuite sous sa nouvelle forme et sous son nouveau nom d’euro (code monétaire et financier, art. L. 113-8, mais là règle communautaire suffisait) la monnaie européenne a imposé aux juristes de droit privé de la considérer. On est passé de la rareté des publications à leur prolifération, à tel point qu’il est fastidieux de dresser une bibliographie – d’autant plus qu’il conviendrait de citer de nombreuses thèses qui examinent quelques questions spéciales ((Le Dictionnaire permanent Droit européen des affaires en comprend une en permanence mise à jour ; nous y renvoyons en précisant que malheureusement de nombreux articles ne sont que des reprises de réalités juridiques élémentaires en ce qu’il y a simple mise en forme des règlements communautaires et des dispositions internes. Par exemple, sur les thèses : S. Torck, Essai d’une théorie générale des droits réels sur choses fongibles, th. Paris II, déc. 2001)).
L’introduction de l’Euro en droit français est donc un thème à la mode, mais il est également un thème fondamental. D’abord parce que la monnaie n’est pas une composante ordinaire et docile de l’ordre civil ou de l’ordre politique, on vient de le dire. Ensuite parce que, du point de vue du droit privé, la plupart des rapports économiques sont influencés et susceptibles d’être modifiés par le jeu de la nouvelle monnaie. Enfin, parce que l’introduction de l’Euro suscite des réflexions sur l’organisation étatique. Cette réalité conduit à une observation de méthode.
Il est impossible, fastidieux et inutile de prétendre dresser un tableau à grandes cases (droit des obligations, droit de la famille, droit des sociétés…) et à petites cases (contrat de vente, contrat de bail, contrat de rente viagère…, liquidation de régime matrimonial, liquidation des successions…, modalités de formation du capital social, problème de nominal de valeurs mobilières, monnaie de cotation des titres…). Bref, il est impossible d’envisager cas par cas les applications de la monnaie ; mais alors, que faire ?
Faute de pouvoir faire du cas par cas, la réflexion peut s’orienter vers une réflexion générale (pour ne pas dire théorie) relative au sujet : l’euro, lequel est une monnaie. L’introduction de quelques textes monétaires dans le Code monétaire et financier valide cette démarche. Sans idée d’autonomie, ce qui serait bien malvenu s’agissant de la monnaie qui intéresse tous les pans du droit, on peut parler d’un droit monétaire. Le nouveau code y consacre un premier livre. Cela signifie qu’envisager l’euro c’est d’abord envisager une monnaie, ce qui naturellement aide à résoudre les problèmes dans les cas marginaux((RTDCiv. 1998, 801 où est relaté la question des systèmes d’échanges locaux dits « SEL »)). Ainsi, résoudre les problèmes de droit privé relatifs à la monnaie suppose en préalable de comprendre parfaitement les concepts monétaires (I). Le concept – spécifique ? - de la monnaie européenne peut alors être étudié, l’euro est une monnaie atypique (II).
Ensuite un choix peut être fait entre les questions d’introduction de l’euro dans les situations juridiques institutionnelles ou quasi institutionnelles (mariage, successions, droit des sociétés…) et les situations que les parties maîtrisent davantage : les situations conventionnelles. La réflexion s’orientera vers ces dernières. Dans ce cas, en effet, les parties ont la faculté mais également courent le risque de stipulations litigieuses. Il n’y a toutefois pas d’exclusion des situations institutionnelles : l’étude des normes relatives à l’introduction de l’euro amènera à évoquer le capital social qui, figure de l’institution qu’est la société, constitue également l’expression des apports des associés qui, par ces apports, exécutent la promesse et l’engagement contractuel pris de devenir associé. Voilà expliqué le choix de l’étude de l’introduction de l’Euro dans les contrats.
Comment mener cette étude ? Il a déjà été dit qu’envisager chaque contrats spéciaux était fastidieux ; ce serait de surcroît vraisemblablement inutile : comme il y a une théorie générale des obligations, on peut soutenir qu’il existe une théorie générale de la monnaie, voire, ce qui peut davantage plaire aux juristes de droit privé, que la théorie générale des obligations tient compte de la monnaie. Dans un cas comme dans l’autre, les différentes séquences du contrat permettent d’étudier les problèmes liés à l’introduction de l’euro. Ceux liés à l’extinction du contrat ne paraissent pas comprendre de problèmes spécifiques liés à la monnaie. Il en va différemment s’agissant de l’influence de l’Euro au moment de la formation du contrat (III) et de la question de l’Euro lors de l’exécution du contrat (IV).
I. Les concepts monétaires
Très classiquement et pour poser les choses, nous envisagerons la définition de la monnaie, retardant ainsi l’examen de l’euro lui-même, mais qui ne sait qu’il est une monnaie ? En vérité cette définition sera complétée par l’énumération, peu élégante convenons-en, des qualités de la monnaie. Ces dernières expliquent au plus près, selon une méthode qui emprunte à l’empirisme et à l’observation, ce qu’est concrètement, socialement, économiquement, la monnaie. Pour bien marquer que le droit privé ne saurait être détaché des savoirs économiques et financiers nous brosserons rapidement, et sans compétence particulière (faut-il le dire ?), ce que peut être la logique économique de la monnaie ; procéder à cet examen en troisième lieu s’explique : le discours est juridique et non économique, en outre un état des lieux des notions juridiques admises n’exige pas en préalable une étude économique, de surcroît la description de la monnaie sous l’angle juridique permettra aux juristes de mieux appréhender sa dimension économique d’autant que cette dernière ne sera à aucun moment totalement ignorée. Tel est le cas des définitions.
A- Définition de la monnaie
La monnaie est phénomène économique. Nous écouterons donc comment les économistes définissent la monnaie. Pour ce faire, il la désigne sous ses divers aspects en observateur de la réalité sociale et non de la norme sociale. De la monnaie ils tirent plusieurs monnaies. La désignation linguistique suit ce penchant.
1) Désignation de la monnaie
Désignation économiques
Selon M. P. Berger (La monnaie, PUF, 1983, p. 5), définir la monnaie se heurte à quelques difficultés. L’entreprise serait selon l’auteur nécessairement empirique qui ne pourrait occulter sa fonction essentielle qui est de permettre un règlement. Du coup l’auteur présente une énumération : « élément de patrimoine, la monnaie présente trois caractéristiques essentielles : elle permet de régler toute dette ou tout achat ; elle est admise en toutes circonstances et par tous les créanciers ou vendeurs, sur toute l’étendue d’un territoire donné ; la remise de ce pouvoir d’achat entraîne immédiatement l’extinction totale et définitive de la dette. ». Bref, la monnaie permet un paiement dont la remise ne peut être refusée sur un territoire donné, elle éteint toute dette. La définition voudrait être économique, elle apparaît tout autant juridique, ses caractéristiques étant ramenées à ses fonctions.
D’emblée une question de méthode surgit car un postulat occupe l’esprit (des juristes) : il n’y aurait qu’une monnaie. Est-ce sûr ? La question autorise à encore égrener des définitions.
Regarder l’index d’un ouvrage économique en fait douter (et la même impression se formerait à l’observation d’un ouvrage juridique). Dans Les circuits financiers (Dalloz, 1989), l’économiste et Professeur Paul-Jacques Lehmann établit un index qui renvoie à divers numéros pour le seul mot monnaie et ajoute des références pour les idées de « monnaie centrale », « monnaie divisionnaire », « monnaie électronique », « monnaie fiduciaire » et « monnaie scripturale ». La même observation peut être faite au vu de l’ouvrage de l’économiste et Professeur Michelle De Mourgues (Economica, 1988) : elle distingue de surcroît la « monnaie centrale empruntée » de la « monnaie centrale non-empruntée », ajoutant la « monnaie centrale scripturale », la « monnaie externe », la « monnaie interne », la « monnaie internationale », la « monnaie légale », la « monnaie privée ».
Le constat, certes élémentaire et simple, n’est pas pour autant neutre ; l’observation ne saurait pour cette simple raison de simplicité signifier que l’observation qu’il y aurait plusieurs monnaies est inexacte.
Le Professeur Paul-Jacques Lehmann mais, il est vrai, dans un ouvrage consacré aux circuits financiers, ne s’attache pas de façon générale à définir la monnaie. La chose paraît très intéressante. D’abord elle accrédite l’idée qu’il y a peut-être plusieurs définitions de la monnaie ou, au moins, des manifestations physiques, économiques et juridiques tellement différentes de la monnaie qu’en définitive il est difficile (voire inutile) de la définir de façon unitaire. L’auteur s’intéresse ainsi à toute l’organisation bancaire et financière (mots à distinguer) qu’implique la monnaie, laquelle nous semble ainsi devenir l’épicentre d’un « phénomène monétaire ».
Le Professeur de Mourgues se refuse, elle aussi, à définir la monnaie de façon unitaire ou, plutôt, sa définition unitaire est sibylline : « on peut définir la monnaie comme une institution caractérisant l’économie d’échange ». On pourrait ici engager une discussion sur la notion d’institution, mais nous oserons imposer l’idée que s’agissant du droit privé l’idée d’institution n’emporte pas d’idée (technique) juridique très précise qui permette de régler des litiges entre particuliers ((L’un des débats récurrents du droit privé, la question de la société comme institution, ne permet pas de réviser cette position pessimiste (voyez les efforts de J. Paillusseau, Les apports du droit de l’entreprise au concept de droit, D. 1997, chron. 97 ). Ainsi il nous a déjà été donné de dire que la qualification de la société en institution était, certes sous l’angle de vue de la question des valeurs mobilières, peut susceptible d’aider à leur qualification et à leur compréhension.)) … L’auteur continue : « il est également possible de la présenter en insistant sur ses fonctions spécifiques, soit sur les propriétés qu’elle doit nécessairement remplir pour jouer complètement son rôle. Ces trois méthodes sont complémentaires et chacune d’elle met l’accent sur certains aspects du phénomène monétaire… ». Bref, les meilleurs économistes préfèrent décrire la monnaie que la définir, méthode que nous avons ici choisie (confer infra B). Toutefois la difficulté ne doit pas faire renoncer, et une réflexion sur le terme monnaie aboutit, pour le juriste, à la définition des instruments monétaires et de l’unité monétaire.
Désignations linguistiques
Le terme monnaie est le terme noble (C. m. et fin., art. L. 111-1), technique, de cette chose particulière qui est sinon ordinairement appelée « argent » ((L’argent et le droit, Arch. de ph. du droit, t. 42, 1998)). La chose est encore désignée sous d’autres vocables, parfois plus précis, tel celui qui amène à parler « des espèces » (C. m. et fin., art. L. 113-5). Dans ce dernier cas il semble que soit davantage visées « les » choses matérielles ou monnaie métallique et monnaie papier qui représentent physiquement la monnaie. Mais, néanmoins, les espèces désignent bien l’argent, soit de la monnaie. Le législateur n’est pas très fixé puisqu’il utilise également les mots « sommes » ou « sommes d’argent » (C. civ., art 829, 1843-3, al. 5). L’article L. 511-1 du code de commerce, qui précise les mentions de la lettre de change, parle de « somme déterminée », comme le fait l’article L. 131-2 code monétaire et financier pour le chèque. La normalité y retrouve son compte quand est en cause la « somme d’argent » L. 131-53), mais y perd à nouveau quand, par extension, est seulement visé le « montant » (art. 131-52). Souvent encore le législateur vise « les fonds » (C. m. et fin., art. 133-1 et s.) ou encore le « numéraire » (C. m. et fin., L. 121-1).
La diversité des appellations aboutit à l’implicite. La monnaie est tellement consubstantielle aux économies occidentales que le législateur la vise parfois de façon implicite. Dans le même code monétaire et financier, à propos de la définition des « systèmes de règlements interbancaires », la monnaie est encore implicitement visée (art. L. 330-1). Même dans les textes pénaux le mot peut être implicite sauf à parler, à propos de peines, des « fonds » (pour l’implicite relativement à l’infraction de blanchiment : C. pén., art. 324-1 et 324-3 pour l’emploi du mot – rédaction de la loi du 13 mai 1996).
La diversité des expressions visant la monnaie conduit vite à une langue relâchée : le fric, le pognon… Cette diversité n’a pas grand intérêt, sinon celui de souligner l’importance de l’argent tant au plan général qu’au plan particulier. A l’inverse, la langue technique l’emporte quand sont visés, afin que la Banque de France s’empare de la fausse monnaie pour l’étudier, « les signes monétaires » (C. m. et fin., 162-2). Tout à l’inverse parler de « l’unité » (C. m. et fin., L. 113-1, 113-3 et 113-6) laisse son abstraction à la monnaie qu’elle perd un peu dans le net pléonasme « devises étrangères » (C. m. et fin., L. 141-9, al. 2).
Pas davantage le nom de la monnaie (le Franc, aujourd’hui l’Euro) ne paraît déterminant pour une définition générale de la monnaie. Sauf à observer que la dénomination est un moyen de tirer de l’abstraction la monnaie et que, jusqu’à plus ample informé, une monnaie doit disposer d’un nom. En revanche le fait de parler de façon générale du Franc fait immédiatement comprendre que la monnaie ne se réduit pas à des instruments monétaires. La loi permet de poursuivre l’analyse en retrouvant un discours plus juridique.
2) Définitions inspirées de la législation
Le fait que l’Euro s’écroule, ou que le Franc soit stable, ne vise nullement les instruments monétaires. La monnaie est ainsi douée de duplicité : elle désigne les instruments monétaires (a) et l’unité monétaire (b).
a) Les instruments monétaires
Les instruments monétaires sont connus de tous. Pourtant il est en définitive difficile de confronter les idées juridiques sur cette notion puisque seul le Doyen Carbonnier explicite, dans un ouvrage à jour en l’an 2000, la nature et les fonctions de ces instruments. Toutefois, dans Recherches sur la monnaie en droit privé, M. Rémy Libchaber (LGDJ, 1992) présente les instruments monétaires en les distinguant des supports monétaires. Cela oblige à s’arrêter sur cette dernière idée. Selon l’auteur, les supports monétaires seraient des « supports naturels », le billet de banque et la monnaie scripturale. La distinction ainsi paraît justifiée dans son principe : la notion de support mérite d’être soulignée en tant que telle. Le support est un préalable à la création d’un instrument, préalable nécessaire mais insuffisant. Toutefois, l’énumération des supports faite par M. Libchaber n’emporte pas la conviction au moins sur la monnaie scripturale. Reprenons les trois supports présentés.
Le premier support présenté est appelé, par l’auteur, support naturel. L’auteur souligne là le fait historique : « un bâtonnet de sel peut être un support monétaire au même titre qu’une once de métal précieux. Ces systèmes premiers ne diffèrent en effet d’autres plus élaborés que par le nom de l’unité : au lieu du Franc, ce sera le coquillage, ou la livre de poivre ». La chose est entendue, à défaut d’appréhension du phénomène monétaire par un pouvoir politique, les échanges économiques conduisent les agents économiques à conférer une fonction monétaire à toutes sortes d’objets, lesquels deviennent des instruments monétaires. Il range dans ces mêmes supports les métaux précieux en faisant une fine analyse de la transmutation de la fonction du métal. Si initialement « la monnaie est le métal » la fonction monétaire en se renforçant détache le concept de monnaie du métal : « elle n’y est plus ensuite que rattachée ».
Le second support présenté est le billet de banque qui, enseigne l’auteur, proviennent des billets que les bijoutiers faisaient circuler en lieu et place du métal. La chose est intéressante, ainsi que le constat que le billet de banque conserva longtemps la qualification de créance jusqu’à l’instauration du cours forcé. Il y a alors inconvertibilité du billet contre tout autre bien : l’émetteur du billet, la Banque centrale, ne remet rien en échange d’un billet qu’un citoyen lui apporterait. Mais cela éloigne de la question du support car, le billet n’est fondamentalement qu’une feuille de papier (imprimée). La chose n’est peut-être pas très intéressante sauf que, à ce titre, le support papier n’est, avec le temps (pièces sans métal précieux), ni moins ni plus que le métal à l’origine de la monnaie ou que le coquillage support primitif de monnaie. De ce point de vue là, il y a une ressemblance entre les deux processus de l’emploi du métal et du billet ; l’essentiel semble reposer dans la marque apposée, à moment donné, sur le métal ou sur le billet. A partir de là, quand métal et billet de banque n’offrent plus aucune convertibilité, ils deviennent de purs instruments monétaires. Dans ces circonstances, il n’est peut-être pas certain que la distinction qui souligne le concept de support monétaire soit déterminante pour les analyses actuelles. En tout cas, elle a le mérite de souligner l’histoire de la monnaie et d’engager une discussion sur la monnaie scripturale.
De la monnaie scripturale, M. Libchaber dit qu’elle est « la monnaie de la troisième génération ». Il ajoute immédiatement que l’on a souvent désigné, à tort selon lui, les chèques et virements comme constitutifs de cette monnaie. Il vise là la position du Doyen Carbonnier et cela est une critique fondée. Mais l’on hésite à suivre l’auteur lorsqu’il affirme que chèques et virements sont « des instruments monétaires, et non des supports ». A notre sens, la chose sera reprise (cf. infra), chèques et virements (ordres de virements) ne sont ni des instruments monétaires, ni des supports monétaires, mais des « instruments de paiement ». Le code monétaire et financier ne donne raison à personne : un Titre III s’intitule « Les instruments de la monnaie scripturale ». L’hésitation est alimentée d’une autre réalité, celui du déficit conceptuel de la notion d’effets de commerce, finalement passivement enregistré par la doctrine commercialiste ces dernières années. Les manuels traitant du chèque, de la lettre de change, et du billet à ordre s’intitulent désormais « Instruments de paiement » (M. Jeantin et P. Le Cannu ; F. Pérochon et R. Bonhomme-Juan ; J. Devèze et P. Pétel ; Y. Chaput). Mais l’hésitation se résorberait si l’on était certain que l’idée d’instruments monétaires ne risquait pas de se confondre avec l’idée même de monnaie. Ces observations faites, voyons si la monnaie scripturale est un support monétaire.
A reprendre cette dernière phrase, l’idée ne s’entend pas : la monnaie scripturale est ou pas de la monnaie ; si elle est de la monnaie, ce que nous croyons comme Messieurs Rives-Lange et Libchaber l’ont cru, la monnaie scripturale ne peut pas avoir pour support… la monnaie scripturale ! En vérité, le support de la monnaie scripturale, sauf le discernement d’auteurs plus imaginatifs, peut être constitué par deux séries de choses. Le support peut d’abord être considéré comme la matière sur laquelle le banquier tient ses comptes (livres bancaires hier, informatique aujourd’hui). A nouveau, dans cette simple vision matérielle du support, ce dernier est en définitive relativement neutre. C’est alors davantage vers le mécanisme juridique qui l’entoure que l’attention est portée. Cette fois-ci, trois choses paraissent se confondre avec le support de la monnaie scripturale. D’abord, la monnaie scripturale paraît résider dans le solde disponible des comptes bancaires, soit dans l’inscription qui récapitule les opérations du client de la banque. La doctrine majoritaire réduit la monnaie scripturale à cette « partie » du compte. Mais alors, le support de la monnaie peut être vu directement dans l’inscription que constitue ce solde, c’est-à-dire dans l’écriture (mais le solde est lui aussi une écriture ?). Finalement, c’est peut-être le compte bancaire lui-même qui mérite d’être considéré comme support de la monnaie scripturale. Le compte bancaire, même s’il n’a pas de statut juridique légalement détaillé, est une notion unanimement reçue ((La loi du 11 décembre 2001, dite loi Murcef, ne change rien au propos quoiqu’elle détaille les obligations du banquier qui signe une convention de compte)). Dans ces circonstances une analyse de conciliation peut être faite. Le compte bancaire est le support de la monnaie scripturale, laquelle prend sa forme juridique achevée, efficiente et permanente grâce aux inscriptions, mais encore grâce à la récapitulation qui en est faite à travers le solde du compte.
Toutes ces considérations nous ont éloignés de notre préoccupation première qui était de présenter les instruments monétaires. En vérité, et le dernier développement le montre, l’évocation du concept de support permet de mieux cerner les instruments monétaires. La classification qui va être présentée s’en trouve, pensons-nous, améliorée. En effet, la monnaie scripturale paraît mieux se comprendre quant à son support, a priori c’est le compte. En conséquence, nous ne présenterons pas la monnaie scripturale comme étant un support monétaire, comme le fait M. Libchaber, ni comme un instrument monétaire. La monnaie scripturale est de la monnaie (nous avancerons une explication fondamentale plus loin, infra) ; mais naturellement comme toute monnaie, la monnaie scripturale a besoin de support et d’instruments pour être une monnaie, si l’on peut dire, de plein exercice.
Il nous est enfin donné de présenter, de façon très classique, ce qui justifie la rapidité, les instruments monétaires.
a : les pièces métalliques, ou la monnaie dite divisionnaire :
Les pièces de monnaie, pièces métalliques, paraissent être aujourd’hui et en vérité depuis quelques siècles, un phénomène universel. La rareté de certains métaux précieux a permis l’avènement de la monnaie métallique telle que nous la connaissons, c’est-à-dire sans aucune valeur (ou presque) du métal les constituant. Il est ici inutile de rappeler cette ancienne correspondance. Le Doyen Jean Carbonnier rappelle « que le Franc a été successivement défini comme 5 g d’argent au titre de 9/10 (Franc de Germinal), puis comme 65,5 mg d’or au titre de 900/1000e (Franc Poincaré, loi du 25 juin 1928, art. 2) ». Le Doyen Carbonnier souligne que cette définition « a été supprimée par la loi du 1er octobre 1936 ». Il en tire la conséquence que « nous continuons à avoir une unité monétaire qui n’a pas de définition légale ». Cette description mérite une totale approbation et a l’avantage de souligner le besoin de définition de la monnaie. L’affirmation selon laquelle le Franc n’a pas de définition légale peut, sous d’autres angles, être discutée. Il est néanmoins incontestable que la correspondance entre une pièce métallique fabriquée par l’Etat français, marquée par un chiffre et de l’appellation « Franc », peut participer à la définition de la monnaie. L’absence de définition légale qui est soulignée par le Doyen Carbonnier ne paraît pas devoir être confondue avec la question de savoir si, hier ou aujourd’hui, il est possible ou pas de définir la monnaie métallique.
En effet, et la remarque constitue une préoccupation de méthode, définir juridiquement la monnaie est toujours une entreprise possible (et souhaitable pour la compréhension de diverses sciences sociales). Simplement, en l’absence de définition légale, le juriste doit interpréter avec les seuls éléments légaux et factuels dont il dispose. Que ceux-là soient peu nombreux rend l’entreprise de définition sans doute très délicate, mais ne permet pas de se décharger de cette tâche.
S’agissant non pas de l’idée en générale de monnaie, mais des instruments monétaires, l’effort de définition à fournir est tout de même moindre. La définition passe par la simple description et énumération des diverses pièces que l’Etat accepte de mettre en circulation. Le travail est identique que l’on ait à décrire les instruments monétaires Franc ou les futurs instruments monétaires Euro.
La caractéristique essentielle de ces pièces, remarque qui vaut par anticipation pour les billets, est que la livraison de ces objets permet de réaliser un paiement, dès lors du moins que l’obligation a été stipulée en argent (être juridiquement rigoureux amènerait à parler de stipulation d’unité monétaire). Le droit commun impose, pour que le paiement soit valablement fait, d’être « propriétaire de la chose donnée en payement, et capable de l’aliéner » (C. civ., art. 1238 ). Du point de vue du droit des obligations, ces instruments paraissent disposer d’un monopole en tant qu’objets de paiement. Il n’en est rien, puisque l’objet de l’obligation est déterminé par les parties et que, force obligatoire oblige, le créancier ne peut être contraint de recevoir autre chose que ce qui a été prévu à la convention (C. civ., art. 1243).
Ce point n’est pas infirmé par le fait que la réparation d’une inexécution contractuelle se règle par la condamnation et la remise d’une somme d’argent (c’est ce que dit l’article 1142 du Code civil en prévoyant que toute inexécution « se résout en dommages et intérêts »). L’affirmation reste encore vraie lorsque l’on considère les modes de réparation de la faute délictuelle qui sont, dans l’immense majorité des cas, opérés par le paiement d’une somme d’argent, mais ce n’est pas une exclusive (une remise en état peut être ordonnée). En revanche, l’utilisation de la monnaie est exclusive s’agissant des dommages et intérêts moratoires : « dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages et intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal… » (art. 1153). La monnaie, comme à l’article 1144, est désignée sous le terme « somme » ; cette somme d’argent est égale au montant du taux d’intérêt légal pour un an appliqué à la créance. Il existe un lien étroit – il faudrait y réfléchir – entre l’intérêt et l’argent, le premier offrant un véritable dédale de règles ((Annales des loyers, Guide juridique et fiscal des intérêts, par B. Pays, 1999, n°9, p. 1001)).
La monnaie divisionnaire métallique connaît au moins encore une originalité. Le décret du 22 avril 1790, relatif aux dettes du clergé, aux assignats et aux revenus des domaines nationaux dispose en son article 7 : « pour éviter toute discussion dans les paiements, le débiteur sera toujours obligé de faire l’appoint et par conséquent de se procurer le numéraire d'argent nécessaire pour solder exactement la somme dont il sera redevable ». La disposition est de droit positif et elle s’impose à l’usager d’un parcmètre ((Crim. 27 octobre 1993, Bull. crim., n° 317 ; On notera l’expression « numéraire d’argent » ; le mot seul numéraire étant d’usage considéré comme un équivalent des termes argent et monnaie.)). Le « codificateur » de l’an 2000 a traduit la disposition : « en cas de paiement en billets et pièces, il appartient au débiteur de faire l’appoint » (C. m. et f., art. L. 112-5).
b : les billets de banque :
Les billets de banque sont sans doute appelés ainsi en raison de la qualité de leur émetteur : les banques centrales. Les banques centrales, également appelées instituts d’émission, sont les personnes qui ont reçu des autorités constituées (le pouvoir politique) le pouvoir d’émettre des instruments monétaires. Elles émettent ainsi les pièces et les billets. Ceux ci ne sont que des feuilles de papier imprimées mais qui, dans tous les pays du monde, ressemblent au moins à un titre de créance par les signatures qu’ils comportent. Généralement doubles ou triples, ce sont celles des responsables de la banque centrale, voire de l’Etat. Si les billets de banque sont aujourd’hui perçus comme détachés de toute convertibilité, il furent longtemps des titres de créance sur la banque centrale. Cette dernière ne porte pas mal son nom puisqu’on peut la regarder comme occupant une place centrale dans le système financier ou dans le système monétaire (sur ces idées de système cf. Dominique Carreau, article préc., p. 319, n°3).
Les billets de banques sont encore appelés monnaie fiduciaire puisque, dès lors origine, et à la différence des pièces métalliques faites en tout ou partie de métaux précieux, ils n’ont jamais incorporé une quelconque valeur. Aussi ne sont-ils que des instruments de « confiance », c’est-à-dire que leur vocation monétaire ne peut s’accomplir si une majorité des agents économiques lui voue leur défiance. Des billets de banque qu’une majorité de ressortissants (d’un Etat donné) ne voudraient pas utiliser comme moyen d’échange économique entraîneraient une forte dévaluation de la monnaie qu’ils incarnent la vouant vraisemblablement au remplacement. Mais en vérité, l’expression de monnaie fiduciaire convient dans nos systèmes économiques actuels aussi bien aux billets qu’aux pièces métalliques qui ne contiennent qu’exceptionnellement quelques grammes de métaux précieux.
D’autres éléments relatifs aux billets seront ultérieurement apportés, mais l’identité de rôle de la banque centrale pour ces deux instruments monétaires est déjà une indication précieuse de leur nature juridique. La monnaie est marquée du pouvoir et de la volonté étatique. Même si elles sont à certains égards anecdotiques, quelques jurisprudences récentes abondent en ce sens ((Ass. Plén. 18 juin 1999, Droit et patrimoine, octobre 2000, n° 86, p. 48 : Mme Monnet, pour une reproduction qu’elle jugeait illicite, entend dire la cour que le juge judiciaire ne peut connaître du litige qui met en cause une prérogative de puissance publique. Paris 1ere ch. A 10 nov. 1999, Dalloz affaires, 2000, n° 14, p. 322, note P. Boudry : une reproduction de billet ne peut être critiquée sur le fondement de droits de propriété intellectuelle ; c’est l’idée de puissance publique qui chasse le droit privé)). On pourrait croire qu'il en est autrement pour la monnaie scripturale, ce qui nous semble-t-il est majoritairement enseigné et ce sur quoi la discussion s’ouvre.
c : les comptes de dépôt bancaire, monnaie scripturale.
Diverses observations ont déjà été faites sur la nécessité de distinguer le concept de monnaie scripturale de celui de compte bancaire, voire d’inscriptions en compte bancaire et de solde de compte bancaire ; nous n’y reviendrons pas. Pour des raisons en définitive diverses, et pour ne citer qu’eux, l’idée de monnaie scripturale paraît être reçue notamment par les Professeurs Carbonnier, Rives-Lange et Libchaber. De l’ensemble de ces travaux nous ne pouvons pas même faire la synthèse car chacune imposerait un long exposé pour respecter la pensée de ces trois auteurs. En revanche, leur réflexion invite à essayer d’aller un peu plus loin dans la réflexion, comme l’a fait Mme Christine Lassalas en proposant de parler de « propriété scripturale » ((En dernier lieu, de cet auteur : La monnaie scripturale, Mélanges AEDBF, 2001, p. 235 et sa thèse.)).
Sur l’existence même de la monnaie scripturale, il faut sans doute avouer qu’elle vient chez les juristes après s’être formée chez les économistes. La monnaie scripturale est pour les économistes une réalité incontestable. Du point de vue de la méthode, le juriste se trouve face à un dilemme. La question qui se pose à lui et celle de savoir s’il doit considérer comme un fait acquis l’existence de cette monnaie ou s’il peut la contester.
La difficulté de méthode ne se pose que rarement à l’état pur : ce cas supposerait que le juriste puisse qualifier une institution ou un mécanisme économique en lui donnant ainsi un régime juridique tout à fait satisfaisant sur le plan de la pratique économique. En l’espèce, nier le phénomène de monnaie scripturale semble conduire à une impasse : le paiement par virement ne serait plus un paiement de somme d’argent, les dépôts bancaires ne seraient plus de la monnaie et les mesures d’exécution forcée ne pourraient être menées à bien… Un argument de politique juridique impose de reconnaître l’existence de la monnaie scripturale. L’argument paraîtra à certains nettement insuffisant. Ainsi, le Professeur Grua s’est attaché à démontrer que les comptes n’établissaient jamais qu’une créance du titulaire du compte contre l’établissement de crédit ((Qu’est-ce qu’un compte en banque ? D. 1999, chron. 256)). Heureusement, l’argumentaire peut être complété par un argument technique pour l’heure délaissé.
Les juristes ont, pour l’essentiel, singulièrement dans le champ du droit privé, observé la monnaie scripturale à travers le cas des comptes bancaires des agents économiques ordinaires (particuliers, entreprises commerciales et industrielles…) ((Par exemple : P. Didier, Droit commercial, t. 3, La monnaie, Les valeurs…, PUF, 1999, p. 3 à 8)). Pourtant, la monnaie scripturale connaît une autre manifestation à travers le phénomène appelé « monnaie centrale ». Le concept est unanimement reçu chez les économistes et l’on peut ainsi n’en citer qu’un. Pour Paul-Jacques Lehmann, la monnaie centrale constitue un agrégat très important dans la mesure où elle se comporte à la fois comme une « matière première » et un « service après vente » indispensable à toute institution financière pour lui permettre de faire face aux trois fuites auxquelles elle peut être soumise : en billets et en pièces dans la mesure où tout détenteur d’un compte à vue peut demander à tout moment la conversion de son dépôt en monnaie légale ; vers d’autres établissements financiers (mécanisme de la compensation en réserves obligatoires).
L’auteur, cité ici en substance, poursuit de la sorte : la monnaie centrale est composée de deux grands ensembles :
- les monnaies fiduciaires et divisionnaires qui constituent à la fois de la monnaie légale (pour l’ensemble des agents économiques) et de la monnaie centrale (pour les seuls agents financiers) créées exclusivement soit par la Banque de France, soit par le Trésor ;
- les comptes courants des établissements auprès de la Banque de France.
L’observation peut être faite par simple référence à la dernière phrase plus simple d’approche pour le juriste. De quoi s’agit-il ? La monnaie centrale n’est rien d’autre que la position de chaque établissement financier à l’égard de la banque centrale (d’où vraisemblablement le nom de monnaie centrale). C’est dire que la monnaie centrale est naturellement et systématiquement une monnaie scripturale. Elle est matérialisée par les soldes de comptes des établissements de crédits (et autres agents financiers en correspondance avec l’institut d’émission). Récemment, un auteur a vu la chose et n’a pas manqué de s’en servir pour distinguer cette monnaie centrale de l’autre monnaie scripturale (S. Torck, th. préc.) et tenter de disqualifier la seconde ; il en ressort au moins que la première est une véritable monnaie.
C’est notamment par ces comptes que les établissements de crédits se « refinancent », c’est-à-dire qu’ils se procurent les unités monétaires nécessaires à l’équilibre de leurs comptes après avoir prêté de l’argent à des particuliers et entreprises. Ainsi, les établissements de crédit créent certes de la monnaie par ces prêts mais, dans la même période de temps (un peu avant ou un peu après), se procurent des unités monétaires auprès de l’institut d’émission. Pour cette opération on parlait en France du taux d’escompte, désignant curieusement l’opération par son seul taux d’intérêt. Ce taux a disparu avec la BCE. La BCE accorde d’abord des concours jusqu’à trois mois contre garanties. Au jour le jour, elle prend en dépôt les excédents (à environ 3, 5 %) ; à deux points d’intérêt au-dessus, elle prête au jour le jour, on parle de prêt marginal, il est contre garanties. Entre ces deux taux, par le taux dit de « REFI » (pour refinancement), la BCE prête en contrepartie de pensions courtes (15 jours). C’est ce dernier taux qui est dit taux directeur de la BCE ((Ph. Jurgensen, Le guide de l’euro pour tous, éd. O. Jacob, 2001)). Naturellement, le refinancement peut se faire auprès d’autres établissements financiers qui, banque ou établissement assimilés, procèdent avec leurs confrères à une opération de la même nature. La chose se révèle ainsi être d’une extrême importance. La monnaie centrale est la première des monnaies scripturales, elle conditionne directement ou indirectement la création monétaire « inférieure » (pour cela les deux nous apparaissent relativement indivisibles).
Ce phénomène peut apparaître comme étranger au droit privé de l’économie. Ce serait une grave erreur de le penser. La loi de 1993 r