Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE
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L'emprunteur sénior : sa décision de partir en retraite implique une mise en garde de la banque ou de l'organisme financier. Sérieusement ? (Cass. com., 27 mars 2024, 22-13.124)



Une personne obtient des prêts et,18 mois plus tard, prend une retraite anticipée. Le retraité se trouve fort dépourvu car il n'avait pas anticipé sa retraité anticipée.

Le banquier non plus imaginez-vous, car la demande de retraite est un droit très spécial et très personnel. Les prêts étaient de longue durée, 22 ans. Voilà qui, selon les statistiques de vie des hommes (H), conduisait probablement le client vers de la fin de sa vie. C'est audacieux mais après tout, tant que la vie est là on peut payer, quand elle part l'assurance prend en charge... On ne peut pas interdire les gens de 60 ans d'envisager des opérations avec un brin d'optimisme.

En outre, et depuis fort longtemps, il est su :

- que l'activité professionnelle doit être prolongée pour sauver notre - formule consacrée - système de retraite ;
- et que la durée de vie, si elle n'augmente plus guère, a bien augmenté durant trois décennies.

Il n'est pas possible de faire vivre les gens jusqu'à 90 ans et de les enterrer socialement en leur refusant un prêt à 57 ou 60 ans.

Le jeune retraité (à moins de 60 ans c'était un jeune retraité...), après avoir pris / demandé sa retraite, ne parvient plus après quelques années à rembourser ses emprunts.

Assigné en justice en paiement, il réplique en reprochant un défaut de mise en garde pour obtenir des dommages et intérêts, autant d'argent qui serait compensé, s'il gagnait, avec la créance de la banque. Sa thèse est simple. La banque aurait dû le mettre en garde.

De quoi ? Du fait que s'il prenait sa retraite ses revenus baisseraient (nettement) et que sa situation financière serait différente ?
Voire tendue ? Ben oui !

C'est l'arrêt. C'est ce qui est dit.

Comme l'arrêt ne le dit pas, et qu'il n'existe pas d'argent magique, les juges peuvent eux y croire (...), précisons que ledit retraité verra une large partie de ses prêts payés par les clients de la banque, par les salariés de la banque et par ses actionnaires.

La mise en garde devait être formulée pour cette hypothèse de retraite, pour ce qui est surtout une réalité sociale que chacun a parfaitement à l'esprit. Mettre en garde pour ce qui est connu de tous... Il n'y a pas d'objet de mise en garde pour un risque qui est connu de tous. Enfin, jusqu'alors.

La banque n'a pas à faire, selon nous, la liste de tous les événements que le client peut provoquer ou qui peuvent lui arriver pour, ainsi, lui adresser une mise en garde pour autant de sujets ou points ou événements de vie ! On va mettre en garde pour risque de surendettement pour 7, 10, 15 raisons ou possibilités... qui dépendent des choix des clients ? A vouloir dilater la mise en garde on va la tuer, voilà ce à quoi aboutira cette "politique jurisprudentielle". Le fait que la mise en garde soit devenue légale, l'affaire est antérieure, ne change pas radicalement les choses ; dans tous les cas il faut avoir une conception de la mise en garde qui ne peut pas être extensible à l'infini.

Prévenir le client pour un crédit inadapté qu'il rend lui même inadapté par sa décision, par sa seule décision, et du reste très rapide, décision qui par nature à un effet sur ses capacités financières, cela doit étonner. Et les lignes qui suivent coulent sans plan, le modèle n'est donc pas à suivre pour les étudiants.

Prévenir le client pour un risque d'endettement, autre cause qui justifie et crée l'obligation de mise en garde, n'est pas plus logique. La seule idée sonne faux quand on nomme ce risque : le risque de retraite ? Voilà de quoi faire hurler les jeunes générations qui se demandent si elles auront un jour une retraite. Sur ce seul aspect cet arrêt (jurisprudence ?) peut être considéré comme irresponsable.

La Cour d'appel n'a pas jugé que le prêteur avait une obligation de mise en garde, et le retraité a été débouté. Il forme un pourvoi qui donne lieu à l'arrêt précité du 27 mars 2024. La Cour de cassation ne casse pas pour violation de la loi, le juge du fond n'a pas clairement contredit ou méconnu le droit positif. Elle casse pour défaut de base légale, elle entend que la motivation soit plus précise et explicite si tant est que cela puisse être le cas.

Il est vrai que les faits suscitent une interrogation. A 57 ans, en principe, on est plus proche de la retraite que de son début de carrière. Avec un engagement de 22 ans, la question de la capacité financière du retraité se pose. L'arrêt se permet donc de parler " risque prévisible d'endettement excessif", la retraite étant en effet prévisible ; le prévisible et ici manifestement prévisible fait se dire que la mise en garde est inutile, on va le préciser ; mais ce mot prévisible ajuste de façon dangereuse la position de la Cour de cassation qui juge d'ordinaire que la capacité financière est appréciée au jour du contrat.

Le problème se concrétise en divers problèmes que l'arrêt de cassation n'a pas (dans la tradition du sobre contrôle de cassation) à évoquer mais qui se posent.

1°) Prendre une retraite anticipée implique souvent de renoncer à un meilleur revenu de retraite ; partie à 58 ans et demi, ou partir à 65 ans, change l'affaire : le montant de la retraite n'est souvent pas du tout le même ; en outre, pendant plus de 5 ans, vous avez encore les revenus d'un actif, généralement plus haut que ceux du retraité.

Autrement dit, le problème de surendettement est repoussé à au moins 6 ans plus tard - les soldes dus ne sont alors déjà plus les mêmes. Le problème peut même être anéanti si, en travaillant 6 ans de plus, vous avez des centaines d'euros de plus de retraite.

2°) Socialement, familialement, on peut souvent et encore avoir des enfants à charge, ou en partie à charge, à 57 ans, c'est plus rare à 65 ans, ces charges disparaissent ; d'autres charges peuvent aussi avoir été purgées, parfois un crédit ; ainsi, le fait de passer un cap de 4, 5 ou 6 ans change votre capacité financière et ainsi la vie du crédit.

Tout cela pour dire plus radicalement que pour 90 % des gens qui concluent un crédit, la cessation (volontaire) de leur activité professionnelle (ce qu'est la retraite), impliquera, à suivre cet arrêt, une difficulté rétrospective au banquier. La poussée pratique des fantasmes doit être prise en compte. La légèreté est dans de nombreuses têtes. Il faut par exemple noter que les jeunes ingénieurs qui sortent des meilleurs écoles et commencent un carrière brillante sont parfois prêts à rompre avec la société pour aller se coller la main sur une autoroute pour protester contre le monde moderne. Celui-là fera-t-il peser sur le banquier une part de son désastre financier au motif qu'il fallait envisager l'arrêt subit d'une carrière prometteuse ? Le banquier doit-il informer le polytechnicien que s'il arrête de travailler à 35 ans il ne pourra pas payer ses échéances de crédit ?

Par analogie avec la retraite, à chaque crédit, le prêteur professionnel doit-il mettre le client en garde le client sur le fait que s'il arrête de travailler il n'aura plus de revenus, et qu'il ne pourra plus rembourser, et qu'il y a un risque !?

Le lecteur appréciera la part de ridicule de la situation.


L'emprunteur sénior : sa décision de partir en retraite implique une mise en garde de la banque ou de l'organisme financier. Sérieusement ? (Cass. com., 27 mars 2024, 22-13.124)
Le théoricien ajoutera que l'organisme financier (souvent banque) qui accorde un crédit, confiance (laquelle a un côté arlésienne...)* au client ; il n'est donc pas question, dans les prévisions raisonnables des parties, qu'il arrête de travailler pour faire le tour du monde, élever des chèvres sur le Larzac ou partir en un lieu isolé jouer à la pétanque ! Faudra- t-il aussi faire des mise en garde contre ces "rues" ?! Sans même parler du petit job que tout retraité peut reprendre après avoir pris sa retraite... Ah mais attendez pour 400 euros par mois je veux bien faire n'importe quel petit job, cela me rappellera mes 20 ans !

Revenons sur la retraite pour dire qu'elle est aussi une période où certaines économies peuvent être faites - parce que le temps c'est de l'argent ; certains frais professionnels sont parfois évités ; on recourt moins à des entreprises ; on négocie mieux ses contrats ; parfois on hérite de ses vieux parents ; la retraite n'est pas seulement signe de diminutions de revenus, quoique cela joue à la marge. Mais marge + marge + marge = quelque chose. La banque va également devoir évaluer cela ? Car s'il faut être rigoureux soyons le "jusqu'au bout".

C'est au client de montrer que son crédit était inadapté, on le lit mal dans l'arrêt. A jouer il faut un "crédit parfait", la banque sera mal placée pour apprécier ces petits avantages qui participent aussi de la retraite... On lui reprochera de s'inviter dans la vie du contractant. La banque doit-elle maintenant demander les "projections" de revenus de retraité, du client, et sur 10 ou 15 ans, pour analyser le risque de crédit ?

Enfin, au fond et en pur droit, la retraite est-elle une cause d'inadaptation du crédit aux capacités financières ou est-elle un risque d'endettement ? Nous ne sommes pas sûr que l'arrêt de cassation soit très clair sur ce point. Ces deux branches étant sa jurisprudence.

Il sera utile que le juge du fond examine de façon bien séparée ces deux perspectives, ce qui sera respecter la jurisprudence de 2005/2007 qui a instauré l'obligation de mises en garde (très spéciale, très précise) ; ce sera utile de façon à ne pas tenter la Cour de cassation de juger, sur un second pourvoi, dans des termes de circonstances vagues.

Le juge du droit sera obligé de donner au contraire une décision en pur droit, au mot près, décision qui sera profitable à tous (organismes financiers et clients). La mise en garde est exigée pour un emprunteur non averti à raison de ses capacités financières limitées "ou" du risque d'endettement (le "ou" est bien pratiqué et clairement : Com. 30 août 2023, n° 22-11.711 ; mais voyez l'attendu juste in fine qui utilise la conjonction de coordination "et").

Il sera utile pour tous de savoir si, pratiquement, la Cour de cassation entrave les crédits aux séniors. En effet, si le banquier doit être le tuteur des gens de 60 ans, il est probable que les banquiers ne leur prêteront moins ! Ertes la mise en garde est en la forme libre, et il y a longtemps que les banquiers aurait dû la systématiser et viser, "n disant "notamment", divers risques. La loi pousse aux papiers, le juge pousse au papiers... eh bien faisons des papiers et quand nous seront tous étouffés par les papiers nous constaterons notre légèreté collective.

Les organismes prêteurs doivent aussi améliorer la forme de la mise en garde, sujet jamais traité en doctrine quand le thème a été exploité 500 fois... alors que, si elle est a priori simple à formuler, la mise en garde appelle tout de même des précisions. La décision appelle à y réfléchir : la mise en garde doit-elle citer toutes les attitudes néfastes que le client peut adopter ?

Dans un autre arrêt d'appel, un juge s'indigne de l'absence de mise en garde, il s'offusque que la banque ose résister. Pour notre part, nous nous indignons qu'une cour d'appel puisse ne pas s'expliquer sur le risque en cause, car nous ne le voyons pas. La pure volonté du client, prendre sa retraite, est un droit personnel et non un risque. Il y a heureusement des cours d'appel qui voient les choses ainsi, au risque de voir leur arrêt cassé.

Il y a deux points à juger, quoique ces points semblent se superposer...

Ainsi, le juge d'appel de renvoi pourrait en outre juger (motiver) sur le point de savoir si "le risque d'endettement de la retraite n'est pas une cause d'inadaptation du crédit prouvant une capacité financière insuffisante" ; oui, le juge du fond, toujours celui d'Aix-en-Provence, pourrait motiver, dans une troisième motivation, en réunissant les deux causes de la mise en garde. Si du moins il persiste dans sa vue première que la mise en garde n'était pas une obligation de la banque.

En conclusion, selon nous, il serait un peu étonnant que la jurisprudence fasse peser sur la banque un risque, et demain des risques (?), que l'emprunteur déclenche en exerçant un droit ; l'arrêt rapporté en prend le chemin alors que le (prétendu) risque mais qui consiste en l'avantage de ne plus travailler. Cependant, la retraite est parfois un droit exercé alors que l'on y est en réalité contraint, voire obligé ; si ce cas devrait être consacré il devrait répondre à des circonstances exceptionnelles de cessation d'activité. En tout cas, on attend la suite.

En pratique, le banquier ne doit pas se faire des nœuds au cerveau. Il lui suffit de faire des mises en garde. Une fois que la jurisprudence aura poussé à faire des mises en garde sur tout, le client devant en lire autant que de clauses illisibles et donc jamais lues..., la jurisprudence aura tué son bébé.

Pour finir plus positivement, après un arrêt qui pose plus de questions qu'il ne donne de réponses, on citera le bel attendu (façon de dire) d'un arrêt du 8 novembre 2023 (Cass. com., 8 novembre 2023, 22-13.750, Publié) qui rappelle les solides piliers de la jurisprudence sur la mise en garde :

"L'obligation de mise en garde à laquelle peut-être tenu un établissement de crédit à l'égard d'un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l'inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l'emprunteur et sur le risque de l'endettement qui résulte de son octroi, et ce, que le prêt soit remboursable par échéances ou en une seule fois à la fin."



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* La confiance ... on en parle souvent comme d'une évidence mais elle est absorbée par divers mécanismes juridiques, elle est présente en droit sans toujours y être pleinement et même quand la doctrine l'évoque ou l'invoque ; sur ce constat et pour quelques explications (vous trouerez dans ce PDF de 500 pages avec la fonction recherche) :

Voyez : Le droit sous le règne de l'intelligence artificielle, sur HAL

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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 27 mars 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 168 F-D

Pourvoi n° V 22-13.124

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 MARS 2024

1°/ M. [H]
  • ,
    2°/ Mme
[Z] [V], épouse
  • ,

    tous deux domiciliés
[Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° V 22-13.124 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-3), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Crédit lyonnais, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], agissant par son mandataire,

2°/ à la société Crédit logement, société anonyme, dont le siège est direction du recouvrement, service recouvrement pour compte tiers, [Adresse 2], agissant pour le compte du Crédit lyonnais,

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Fèvre, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. et Mme
  • , de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat des sociétés Crédit lyonnais, agissant par son mandataire, et Crédit logement, agissant pour le compte du Crédit lyonnais, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 février 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Fèvre, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Mamou, greffier de chambre,

    la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

    Faits et procédure

    1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 novembre 2021), le 19 mai 2008, la société Crédit lyonnais (la banque) a consenti à M. et Mme
  • trois prêts immobiliers remboursables en 22 ans, pour financer l'achat de leur résidence principale.

    2. Le 1er octobre 2009, M.
  • , salarié de la banque et né le
[Date naissance 4] 1951, a demandé à bénéficier du dispositif de départ anticipé de fin de carrière mis en place par l'accord d'entreprise du 18 juillet 2007. Il a pris sa retraite le 31 décembre 2009.

3. Des échéances étant restées impayées depuis 2014, la banque a prononcé la déchéance du terme le 24 avril 2016 puis a assigné en paiement M. et Mme
  • , lesquels ont, à titre reconventionnel, demandé le paiement de dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde.

    Examen du moyen

    Sur le moyen, pris en sa troisième branche

    Enoncé du moyen
    4. M. et Mme
  • font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages et intérêts, alors « que la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti est tenue à son égard, lors de la conclusion du contrat, d'un devoir de mise en garde en considération des charges du prêt, de ses capacités financières et des risques de l'endettement né de l'octroi du prêt ; que pour rejeter la demande des emprunteurs fondée sur l'octroi au mois de mai 2008 d'un crédit excessif remboursable sur vingt-deux ans, l'arrêt retient que la mise à la retraite au 31 décembre 2009 de M.
  • , qui avait seul une activité professionnelle au sein du couple, relevait "d'un choix personnel" qui ne pouvait être pris en considération pour apprécier les diligences de la banque ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs impropres à établir l'adaptation des prêts aux capacités financières des emprunteurs et l'absence de risque prévisible d'endettement, quand les emprunteurs faisaient valoir que la durée de remboursement s'élevait à vingt-deux ans et que M.
  • serait, dans le cadre du dispositif de départ anticipé de fin de carrière LCL prévu par l'accord d'entreprise du 18 juillet 2007, à la retraite quand il resterait encore de nombreuses annuités à rembourser, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

    Réponse de la Cour

    Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

    5. Il résulte de ce texte que la banque, tenue de mettre en garde l'emprunteur non averti sur le risque d'endettement excessif né de l'octroi d'un prêt inadapté à ses capacités financières au moment de la conclusion du contrat mais aussi de celles qui seront les siennes dans un avenir prévisible en cas de départ à la retraite pendant la durée de remboursement du prêt, prive cet emprunteur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.

    6. Pour rejeter la demande de dommages et intérêts de M. et Mme
  • , l'arrêt relève que M.
  • produit un unique document, daté du 25 novembre 2009, duquel il résulte qu'il a demandé, par une lettre du 1er octobre 2009, à cesser son activité professionnelle et à bénéficier du dispositif anticipé de fin de carrière prévu par l'accord d'entreprise du 18 juillet 2007, et que les parties ont convenu d'un départ à la retraite au 31 décembre 2009. Il retient que la décision de partir à la retraite dix huit mois après la souscription des emprunts est ainsi un choix personnel de M.
  • et qu'il est postérieur à la conclusion des trois prêts qui ont été remboursés jusqu'en 2014. Il en déduit que, faute pour M. et Mme
  • d'établir l'inadéquation des prêts à leurs capacités financières ou d'un risque d'endettement né de l'octroi des prêts, la banque n'était pas tenue à leur égard d'un devoir de mise en garde.

    7. En se déterminant par des motifs impropres à établir l'adaptation des prêts aux capacités financières des emprunteurs et l'absence de risque prévisible d'endettement excessif, quand les emprunteurs faisaient valoir que la durée de remboursement était de 22 ans tandis que M.
  • , seul emprunteur ayant une activité salariée, âgé de 57 ans au moment de l'octroi des prêts, serait prochainement à la retraite, peu important que ce soit au titre du dispositif de départ anticipé prévu par l'accord d'entreprise ou au titre de l'âge légal, dans le cadre légal, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

    PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

    CASSE ET ANNULE,
    mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il rejette la demande de dommages et intérêts de M. et Mme
  • et les condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

    Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;javascript:void(0)

    Condamne les sociétés Crédit lyonnais, agissant par son mandataire, et Crédit logement, agissant pour le compte du Crédit lyonnais, aux dépens ;
L'emprunteur sénior : sa décision de partir en retraite implique une mise en garde de la banque ou de l'organisme financier. Sérieusement ? (Cass. com., 27 mars 2024, 22-13.124)


_____________________________

Le retraité ou la retraitée et la mise en garde on connaît surtout quand l'intéressé (e) est caution, mais pas dans la configuration du retraité qui se plaint des revenus de la retraite qu'il a prise après son emprunt ; s'il y a un précédent, il ne ressort pas de l'examen rapide d'une centaine d'arrêts ; le retraité n'a pas droit à la mise en garde comme il au automatiquement droit à la carte vermeil (la carte sénior de la SNCF), au contraire son expérience risque de plaider contre lui ; dans l'arrêt ci-dessous, la patrimoine dela caution retraitée n'a pas été considérée, la cassation s'en suit pour qu'on juge qu'il est averti ; on a mis aussi en gras l'alternative capacités financières ou risque d'endettement, puisqu'on évoque ce "ou" dans notre brève analyse :


COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 24 mars 2021
Cassation
M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 268 F-D
Pourvoi n° S 19-17.525
Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme Q..., épouse D....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 9 septembre 2019.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 24 MARS 2021

La société Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) [...], société coopérative à capital et personnel variables, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° S 19-17.525 contre l'arrêt rendu le 24 janvier 2019 par la cour d'appel d'Orléans (chambre commerciale, économique et financière), dans le litige l'opposant à Mme P... Q..., épouse D..., domiciliée [...] , défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de ...
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 24 janvier 2019), par un acte du 27 novembre 2009, la société Crédit agricole [...] (la banque) a consenti à la société Artefix un prêt de 45 000 euros, garanti par le cautionnement solidaire de M. et Mme D.... La société Artefix ayant été mise en liquidation judiciaire, la banque a assigné M. et Mme D... en exécution de leurs engagements. Mme D... s'est opposée aux demandes de la banque, en sollicitant sa condamnation à lui payer des dommages-intérêts, notamment pour manquement à son obligation de mise en garde.

Examen du moyen

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

2. La banque fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à son l'obligation de mise en garde envers Mme D..., alors « que le banquier n'est pas débiteur d'une obligation de mise en garde envers la caution dont l'engagement est adapté à ses capacités financières, étant précisé que quiconque s'est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ; que la cour d'appel constate que Mme D... était propriétaire, à la date où elle s'est engagée et aujourd'hui encore, d'un immeuble dont la valeur lui permet de faire face aux conséquences du cautionnement qu'elle a souscrit ; qu'en énonçant, dans ces conditions, "que l'engagement de caution que la banque a fait souscrire à Mme D... était inadaptée à ses capacités financières", la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses constatations, a violé les articles 1147 ancien, 1231-1 actuel et 2284 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

3. Il résulte de ce texte que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

4. En statuant ainsi, sans prendre en compte la valeur de l'immeuble appartenant à Mme D..., cependant que l'adaptation du cautionnement aux capacités financières de cette dernière, condition de l'existence de l'obligation de mise en garde du banquier dispensateur de crédit, devait être appréciée en considération de l'ensemble de ses biens et revenus, ainsi que de ses charges, la cour d'appel a violé le texte sus-visé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE,b[

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__________________________________________


Voilà un cas et un problème qui va nourrir ma nouvelle édition de Droit bancaire et financier, disponible j'espère en octobre, c'est que pour les "après boomers", les boomers c'est avant 1960..., la retraite à 57 ans ça n'existe pas, se sera en général 66 ou 67 ans...

L'emprunteur sénior : sa décision de partir en retraite implique une mise en garde de la banque ou de l'organisme financier. Sérieusement ? (Cass. com., 27 mars 2024, 22-13.124)

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