Humanisme et raison juridique, #directdroit par Hervé CAUSSE

De la donation faite par une procuration sur compte bancaire (Cass. 3 mai 2006, publié)... par le titulaire d’une procuration à lui-même



De la donation faite par une procuration sur compte bancaire (Cass. 3 mai 2006, publié)... par le titulaire d’une procuration à lui-même
Un arrêt du 3 mai 2006, publié, de la première chambre civile de la Cour de cassation, applique une solution inévitable. Elle met en scène, dans un décors de banquier teneur d’un compte bancaire, un donateur et un donataire prétendus.

Le donataire a d’abord, au premier chef et en droit, la qualité de mandant parce qu’il a un jour donné mandat à un mandataire que l’on appelle, en pratique, le titulaire de la procuration. Le donateur a un rôle passif et le donataire est en revanche, lui très actif. Il est un mandataire qui exécute le mandat. Il l’exécute même à son profit exclusif. Bref le mandataire retire un jour de l’argent pour soutenir un autre jour, quelques années après le cas échéant, que le retrait exprimait une donation.

Cette situation est une figure qui se voit périodiquement. Elle ne pose pas véritablement un problème de droit bancaire, encore qu’il puisse s’agir d’un « abus de mandat » (?), mais un problème de pur droit civil. La donation manuelle, je donne de la main à la main, prouve tout, et vaut parfait acte de donation entre vifs car la simple dépossession en dit long sur les intentions de celui qui, de son propre chef, se dépouille.

Quand, en revanche, le titulaire d’une procuration retire de l’argent pour le garder, le geste ne prouve rien de l’intention profonde du titulaire du compte. Cette opacité ne permet pas de dire que l’élément de qualification de l’intention libérale, qui conditionne la validité de la donation, soit possible. Un retrait par le titulaire d’une procuration n’est pas une dépossession significative.

La Cour dit à peu près cela le 3 mai 2006 : « la procuration sur un compte bancaire, n'entraînant pas la renonciation du mandant à la propriété des fonds retirés à l'aide de celle-ci, n'opère pas de ce fait tradition et qu'il appartient à celui qui a obtenu dans ces conditions les sommes provenant du compte d'établir l'intention libérale qui aurait animé le mandant ». La réserve marquée in limine doit être reprise.

En effet, la Cour pose dans une apposition que la procuration sur un compte bancaire « n'entraînant pas la renonciation du mandant à la propriété des fonds retirés à l'aide de celle-ci ». Cela veut-il dire quelque chose ? L’argent qui circule le fait sous le bénéfice de la règle de l’article 2279 dont on sait la force. Même au profit d’un mandataire. Imaginez le partir avec l’argent et le dépenser… que veut alors dire la phrase de la Cour de cassation ? La propriété est effectivement perdue et ne reste, le cas échéant, qu’une créance.

En vérité, l’emprunt à l’idée de propriété, via celle de « renonciation du mandant à la propriété des fonds », vient seulement rappeler que le donateur, de principe, est celui qui abdique sa propriété : celui qui y renonce, au profit d’un tiers. En foi de quoi la phrase poursuit logiquement pour souligner qu’il n’y a pas de transfert de propriété.

La fin de l’attendu est sans équivoque, la situation impose au prétendu donataire, pour les sommes ainsi retirées, « d'établir l'intention libérale qui aurait animé le mandant », entendez : prouvez la donation monsieur le prétendu donataire ! Sur cette fine exigence, celui qui a parfois dépensé toute la « donation », devra en répondre. C’est-à-dire la remettre dans l’actif de la succession. Car la plupart du temps ces affaires ressortent lorsque les héritiers reprennent, calculette en main, le cours du compte de dépôt bancaire.

Les morts sont ainsi parfois troublés, soit qu’ils aient mal donné en laissant quelqu'un qu'ils aimaient bien user d’une procuration qui... n’est pas un instrument pour donner, ce qui est maladroit, soit qu’ils aient mal donné mandat (à quelqu’un qui a trompé leur confiance par des retraits personnels et exagérés). Le banquier ne peut rien à tout cela, je veux dire à ce qui se fait (les retraits par procuration) et ce qui se défait (un jugement constatant qu’il n’y a pas eu donation). La jurisprudence protège ainsi les héritiers du danger que représente le mandataire qui "a la signature sur un compte » (comme l’on dit).

Fermez le rideau !

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