Consentement à l'insigne "opération de paiement" : un ordre de paiement et sa mystérieuse falsification (Cass. com., 1er juin 2023, n° 21-19.289)



Le droit des services de paiement lave plus blanc que blanc ! Il blanchit nombre de notions et d’actes juridiques, dont l’opération de paiement. Elle doit être plus blanche que blanche. Parfaite, sans tache ou ombre : immaculée.

C’est que cette "opération de paiement", cet imposant « détail » du Code monétaire et financier, définie depuis en droit français par la DSP*, peut être vue comme l’essentiel de la transposition de cette directive. Elle est bien plus que quelques dizaines d'articles qui établissent son régime juridique, elle est son pilier.

Le législateur a fait de cette opération – l’opération de paiement - un beau morceau des services de paiement. Elle commence avec un ordre (initié de façon variée (CMF, art. L. 133-3, II)* et se termine avec une exécution : une connexion ou correspondance informatique de compte à compte, ce qui est spécialement décrit dans les livres à l’occasion du virement. En vérité cette correspondance est commune à la plupart des opérations de paiement.

Cet ordre de paiement est au cœur de la « pyramide des services de paiement » que nous avons pu pouvoir décrire pour relater l’œuvre de la DSP (il nous faut faire ds progrès en architecture antique...).

Cet ordre est un droit pour l’utilisateur, le client, et une obligation pour le prestataire (EP ou banque ou quelques autres). Ce droit, prérogative subjective, se traduit par l’exigence du consentement du client (art. L. 133-7, al. 1er : "Le consentement est donné sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement."). A défaut, l’opération n’est pas autorisée (art. L. 133-7, al. 3), elle n’a pas à être exécutée ou, si elle l’est, elle doit être annulée (répétée, contrepassée).

L’ordre de paiement importe donc dans le droit moderne du compte, qui n'est plus un compte bancaire, mais surtout un compte de paiement. Le Chapitre III du CMF en cause s’intitule « Les règles applicables aux autres instruments de paiement et à l'accès aux comptes ». L’opération est directement l’objet est régie par une dizaine d’articles (CMF, articles L. 133-1 à L. 133-14, puis L. 133-18 et s.), les dispositions suivantes la régissent indirectement, notamment à travers les instruments de paiement).

Les comptes (dont ceux bancaires) doivent respecter le droit des services de paiement qui n’a parfois plus rien à voir avec le traditionnel « droit bancaire ». Un ordre de paiement donné sur un compte bancaire peut ainsi se faire avec un simple et seul « identifiant unique », soit un numéro de compte. Cet exemple mentionné au-dessus de la décision rapportée n’est pas anodin.

C’est avec un ordre de virement (est-il un instrument de paiement ? Question sournoise…) que la présente affaire advient.

Le virement est l'occasion d'expliciter, dans le discours juridique classique, les jeux d'écritures entre comptes du donneur d'ordre et compte du bénéficiaire, tenus par des professionnels. La façon interroge.En effet, toutes les opérations de paiement impliquent ce jeu d'écritures entre comptes, y compris les plus classiques, le chèque, la lettre de change domiciliée, les cartes...

L’ordre en tant qu’instrument (de paiement ?) est un peu oublié. C'est un sujet en soi, et un peu théorique. Passons.

Le Droit des services de paiement a tellement redistribué les questions, les angles de vues, retaillé les notions, inventé des techniques, rationalisé des définitions (instruments, opérations...), que l'on pouvait s'attendre à une définition plus précise et matérielle de l'ordre, voire de sa remise ou circulation.

L’arrêt du 1er juin 2023 juge que l’ordre remis à un prestataire, qui est ensuite falsifié, ne peut pas servir à une opération valable : le client n’a pas consenti au paiement exécuté. En soi, la solution peut être approuvée. Le remboursement doit s'en suivre (art. L. 133-18). Le flou sur les faits trouble légèrement la décision.

Dans cette décision, la Cour de cassation (au moins son service de la documentation) joue de l’ambiguïté en citant, en "précédent", un arrêt de 2013. Un arrêt rendu sous l'empire d'un droit (ancien) peut-il être un précédent jurisprudentiel d'une décision appliquant un droit nouveau ? Sans doute pour les annotations de certains éditeurs qui accumulent les informations, mais pour le Bulletin des arrêts de la Cour ? On en doute alors que la Cour applique de façon intéressante et pertinente la DSP. **

Ainsi, la Cour applique pour la première fois (je crois) la DSP à un ordre de virement falsifié. Point de fait.
Là aussi nous ferons une petite critique. Cette falsification est bien mystérieuse !

La Cour de cassation ne rejuge pas les faits qu'elle résume, mais parfois trois mots relatant mieux les faits est utile (le lecteur n'a pas à aller trier dans la décision attaquée). La Cour laisse entendre (faiblement, mais les fraudeurs ont de grandes oreilles) que la falsification sera toujours considérée comme imputable au professionnel. Elle dit bien, il est vrai, que la falsification a eu lieu après la remise de l'IBAN (ou identifiant unique), mais sans attirer l'attention sur ce point, essentiel poir apprécier la portée de la décision.

En outre, si la falsification peut largement opérer, la forme électronique interroge. Quand les IBAN sont téléchargés par le site du PSP (et lu automatiquement) qu’est-ce que cela peut être une falsification ? Seul un hacker peut falsifier.

Il y a une troisième petite imperfection dans cette décision ou au moins une place pour l'interrogation.

La Cour reprend le juge d'appel qui semble ignorer que seul importe le numéro dit identifiant unique (ou IU ?) (art. L. 133-26) ; elle évoque le nom du bénéficiaire. Ce dernier importe peu dans le Droit des services de paiement. La Cour de cassation a certes le droit de reprendre les phrases de la cour d'appel pour opérer son contrôle, mais elle aurait pu marquer ce point de droit d’une nuance (point jugé dès 2018). Certains qui lisent vite les arrêts vont engager des actions s'il y a une difficulté sur le nom du bénéficiaire l'IBAN transmis. Or ces actions sont a priori vaine. La logique de la chose est profonde.

En effet, pour accéder au système - aux systèmes, la révolution du numérique - il suffit d'utiliser l'IU ! Le système ne connait que des IU, non des personnes. C'est inhumain, mais c'est le prix des virements magiques et désormais instantanés. Et, finissons, la Cour de cassation doit suivre la DSP, sans créer des obligations ou devoirs comme au bon vieux temps du droit bancaire, par exemple en troublant l'affaire avec le nom du bénéficiaire. La Cour doit appliquer les règles nouvelles comme elle a parfaitement commencé de le faire, sinon elle sera contredite par la CJUE.

Les établissements doivent peut-être mieux informer la clientèle que seul l'IU compte - c'est le cas de dire. Mais le problème est peut-être "juste" un problème de personnel. A qui l'on ne doit pas laisser de marge pour falsifier...





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* Article L. 133-6
I. – Une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.
Toutefois, le payeur et son prestataire de services de paiement peuvent convenir que le payeur pourra donner son consentement à l'opération de paiement après l'exécution de cette dernière.
II. – Une série d'opérations de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à l'exécution de la série d'opérations, notamment sous la forme d'un mandat de prélèvement.

** Du reste et après tout, pourquoi ne pas motiver en signalant dans l'arrêt une continuité de sens mais une nouveauté du droit ? Les arrêts doivent se porter et se soutenir seuls, sans communication ou communiqué ou autre. Les institutions doivent exister pour ce qu'elles font, non pour ce qu'elles disent qu'elles font. La force de la Jurisprudence (J) tient à la valeur du délibéré, non à la communication postérieure.


Consentement à l'insigne "opération de paiement" : un ordre de paiement et sa mystérieuse falsification (Cass. com., 1er juin 2023, n° 21-19.289)


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Cass. com., 1er juin 2023, n° 21-19.289, publié


I – 1°/ M. [Z] [I],
2°/ Mme [N] [J], épouse [I],
domiciliés tous deux [Adresse 2] (Belgique),

ont formé le pourvoi n° A 21-19.289 contre un arrêt rendu le 10 mars 2021 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant :

1°/ à la société ING Belgique, société anonyme de droit belge, dont le siège est [Adresse 3] (Belgique),

2°/ à la société la Banque postale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

II – La Société ING Belgique, a formé le pourvoi n° P 21-21.831 contre le même arrêt rendu, dans le litige l’opposant :

1°/ à M. [Z] [I],

2°/ à Mme [N] [J], épouse [I],

3°/ à la société la Banque postale,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs aux pourvois n° A 21-21.289 et P 21-21.831 invoquent, à l’appui de chacun de leur recours, deux moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société ING Belgique, de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de M. et Mme [I], de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société la Banque postale, après débats en l’audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 21-19.289 et P 21-21.831 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 10 mars 2021), le 4 juillet 2015, M. et Mme [I] ont rempli, signé et adressé par lettre simple à la société la Banque postale deux ordres de virement de, respectivement, 14 000 euros et 86 000 euros, à exécuter à partir de leur compte-joint ouvert dans les livres de cette banque.

3. Les ordres de virement mentionnaient Mme [I] comme bénéficiaire et comportaient les coordonnées de son compte détenu auprès de la société ING Belgique.

4. Le 29 juillet 2015, M. et Mme [I] ont constaté que les fonds virés n’avaient pas été crédités sur le compte détenu auprès de la société ING Belgique et ont appris de la société la Banque postale qu’ils avaient été versés sur un compte tiers à la suite d’une modification du numéro IBAN figurant sur les ordres de virement.

5. Le 23 décembre 2015, M. et Mme [I] ont assigné la société la Banque postale en remboursement, laquelle a appelé en garantie la société ING Belgique.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi n° A 21-19.289 et les premier et second moyens du pourvoi n° P 21-21.831

6. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen du pourvoi n° A 21-19.289

Enoncé du moyen

7. Par leur premier moyen, M. et Mme [I] font grief à l’arrêt de les débouter de leur demande de remboursement de la somme de 100 000 euros par la société la Banque postale, alors « qu’aux termes de l’article L. 133-18 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l’ordonnance n° 2017/1252 du 9 août 2017, « en cas d’opération de paiement non autorisée signalée par l’utilisateur dans les conditions prévues à l’article L. 133-24 dudit code, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l’opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu » ; que ce texte ne distingue pas selon que l’opération non autorisée consiste en un ordre de virement faux ab initio ou en un ordre de virement falsifié ; qu’en retenant en l’espèce qu’un virement falsifié après sa rédaction régulière ne constitue pas un virement non autorisé au sens de ce texte et en réservant en conséquence le bénéfice du droit légal à remboursement prévu par celui-ci aux seuls ordres de virement faux ab initio, soumettant, en revanche, les ordres de virement falsifiés à un régime de responsabilité pour faute du banquier, la cour d’appel a violé l’article L. 133-18 du code monétaire et financier, dans sa rédaction, applicable en la cause, antérieure à l’ordonnance n° 2017/1252 du 9 août 2017, tel qu’il doit s’interpréter au regard des articles 54 et 60 de la directive n° 2007/64/CE du 13 novembre 2007. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 133-3, L. 133-6 et L. 133-18 du code monétaire et financier, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 :

8. Il résulte des deux premiers de ces textes qu’une opération de paiement initié par le payeur, qui donne un ordre de paiement à son prestataire de service de paiement, est réputée autorisée uniquement si le payeur a également consenti à son bénéficiaire.

9. Aux termes du dernier, en cas d’opération de paiement non autorisée signalée par l’utilisateur dans les conditions prévues à l’article L. 133-24 du code monétaire et financier, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l’opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu, sauf, dans le cas d’une opération réalisée au moyen d’un instrument de paiement doté de données de sécurité personnalisées, si la responsabilité du payeur est engagée en application de l’article L. 133-19 du même code.

10. Pour rejeter la demande de condamnation de la société la Banque postale à rembourser la somme de 100 000 euros à M. et Mme [I], l’arrêt retient que, dans l’hypothèse d’un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais ultérieurement falsifié, notamment par la modification du nom ou du numéro de compte du bénéficiaire, il n’y a pas de virement non autorisé, de sorte que la responsabilité de la société la Banque postale ne peut être recherchée que pour faute. Il ajoute que la modification du numéro IBAN et l’existence d’un grattage ne se révélant que par un examen particulièrement minutieux des documents et sous une lumière puissante, il ne peut être reproché à la société la Banque postale de ne pas avoir décelé une telle falsification et que, justifiant des diligences entreprises pour tenter de récupérer les fonds dès qu’elle a été informée de la malversation, sa responsabilité n’est pas engagée.

11. En statuant ainsi, alors qu’un ordre de virement régulier lors de sa rédaction mais dont le numéro IBAN du compte destinataire a été ultérieurement modifié par un tiers à l’insu du donneur d’ordre ne constitue pas une opération autorisée, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant le jugement, elle déboute M. et Mme [I] de leur demande de remboursement de la somme de 100 000 euros par la société la Banque postale et de leur demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, l’arrêt rendu le 10 mars 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

Consentement à l'insigne "opération de paiement" : un ordre de paiement et sa mystérieuse falsification (Cass. com., 1er juin 2023, n° 21-19.289)

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