Bordereau Dailly, une cour d’appel n'a pas à calculer le montant des créances en cause (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-14.619)



Tout bordereau de cession de créance(s) professionnelle(s) est un acte entre un créancier et une banque ou établissement assimilé, cessionnaire. La situation juridique articule toujours ce schéma de droit et de fait avec des originalités, on passe coupablement sur les faits. L'arrêt cité pousse à dire tout de suite sa solution qui serait probablement plus claire avec une phrase de plus.

S'agissant d'un bordereau Dailly, une cour d’appel ne peut pas déduire les créances en cause, c'est-à-dire les créances cédées, de calculs ; la Cour de cassation casse donc l'opération mathématique faite, non pas qu'elle soit fausse, et non pas directement.

Le problème qui est posé n'est pas sur ce plan.

La difficulté est que le juge n'a pas à calculer, il a à prendre en compte les créances identifiées par (ou sur) le bordereau. Inscrites ! Le bordereau reste un titre formel et il doit se comprendre de sa seule lecture littérale. Une facture numérotée et un montant suffisent en général (et malgré cette exigence qui déjà semble minimale la Cour de cassation a parfois été plus compréhensive dès lors que la créance s'identifie...). Cela suffit mais cela est nécessaire.

En l'espèce, le montant d'un marché, d'un contrat global (important), donnant lieu au tirage de diverses factures..., au fil de l'exécution du marché, a été porté au bordereau, avec un autre montant (une vraie créance ?), et constitue ainsi la source de la difficulté. Ce point juridico-factuel est essentiel pour saisir le piège dans lequel le juge d'appel est tombé ; entre un montant global, une facture et des cessions postérieures, le juge a identifié le ou les créances cédées par un calcul (lequel est une forme d'interprétation... des actes, et non une lecture littérale du titre formel pour une application sans la moindre équivoque). Or un acte formel imposant d'indiquer et identifier les créances ne permet pas de dire que, si cela est mal fait, on calcule, on interprète.

Si la créances cédées sont bien identifiées, et qu'il n'est pas plaidé qu'elles sont imaginaires..., le juge peut entrer en voie de condamnation de paiement.

Si tel n'est pas le cas, le juge ne peut pas condamner : le titre n'est pas régulier (ou il est insuffisant, voire peut-il perdre sa qualité de bordereau spécial).

Dans l'espèce (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-14.619), le juge a procédé à un calcul mais la Cour de cassation ne casse pas ce calcul (si on peut dire), elle reproche, en quelque sorte au plan supérieur, de ne pas avoir vérifié que les créances cédées ont été identifiées conformément à la loi (montant et origines - pour savoir de quoi on parle, soit sur quoi on a conclu une cession!).

Ce défaut d'analyse n'est ni vrai ni faux, il n'y a pas l'analyse voulue, ce qui justifie une cassation pour défaut de base légale. Le juge du fond pour juger valablement doit articuler précisément les faits et le droit pour appliquer la règle à une espèce, si l'un des deux manque le défaut de base légale est encouru.

Le repérage des créances de bordereau se pose dans le cadre d'un titre formel. Cette cession n'est pas une cession, un contrat, qui peut s'interpréter souverainement que les autres actes juridiques - sauf dénaturation. En effet, le juge du droit ne peut que contrôler la régularité des formes. Si la ou les créances ne sont pas nettement identifiées, le titre, le bordereau, acte de cession, n'est pas correctement établi.

Le droit bancaire et financier exige encore des juristes qu'ils ni n'oublient les formes ni ne mélangent toutes les obligations... la jurisprudence sur le Dailly nous épargne encore de l'embrouille de l'obligation de vigilance...

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Extrait de Légifrance.

Cour de cassation
M. GUÉRIN, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 34 F-D
Pourvoi n° D 20-14.619

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 19 JANVIER 2022

La société RF2A, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 20-14.619 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2020 par la cour d'appel de Montpellier (chambre commerciale (anciennement 2e chambre)), dans le litige l'opposant à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (CRCAM Sud Méditerranée), société coopérative à capital variable, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Fèvre, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de la société RF2A, de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2021 où étaient présents M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Fèvre, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 14 janvier 2020) et les productions, la société RF2A a, le 10 mars 2011, confié à la société Entreprise Cobo (la société Cobo) la réalisation de travaux pour un montant total de 383 057,27 euros.

2. Par un acte de cession de créances professionnelles du 16 octobre 2012, la société Cobo a cédé à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel Sud Méditerranée (la banque) une créance d'un montant total de 383 057,27 euros pour un montant retenu de 247 067,29 euros au titre d'une facture LJ 851 du même jour, alors exigible.

3. Par deux autres actes de cession de créances professionnelles des 30 novembre et 21 décembre 2012, la société Cobo a cédé à la banque une créance d'un montant de 16 867,43 euros au titre d'une facture LK 870 due par la société RF2A, puis une autre créance d'un montant de 93 821,42 euros au titre d'une facture LL 891.

4. Par une lettre du 1er février 2013 reçue le 6, la banque a informé la société RF2A de ce que la société Cobo lui avait cédé, le 16 octobre 2012, un marché de travaux d'un montant total de 383 057,27 euros et lui a demandé de lui payer cette facture en lui rappelant que le règlement devait impérativement être fait entre ses mains pour être libératoire.

5. A la suite d'une mise en demeure de payer restée infructueuse, la banque a assigné la société RF2A en paiement des sommes de 16 867,43 et 93 821,42 euros.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société RF2A fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la banque les sommes de 16 867,43 euros et 93 821,42 euros, alors « que le bordereau doit comporter la désignation ou l'individualisation des créances cédées ou données en nantissement ou des éléments susceptibles d'effectuer cette désignation ou cette individualisation, notamment par l'indication du débiteur, du lieu de paiement, du montant des créances ou de leur évaluation et, s'il y a lieu, de leur échéance, à défaut de quoi l'acte ne vaut pas cession de créances professionnelles et est inopposable au débiteur cédé ; qu'en affirmant néanmoins, pour décider que le bordereau du 16 octobre 2012 contenait les éléments susceptibles d'individualiser la créance cédée, que les énonciations de ce bordereau permettaient de conclure, d'une part, que le montant total de la créance cédée s'élevait à 383 057,27 euros, correspondant au prix total du marché, et d'autre part, que la seule créance exigible correspondait à la facture LJ 851 pour un montant de 247 067,29 euros, bien qu'aucune des mentions du bordereau n'ait permis d'affirmer que la somme de 383 057,27 euros correspondait à l'intégralité du marché de travaux, ni de déterminer laquelle de ces deux créances avait été cédée à la banque et dont la société RF2A aurait été débitrice, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que le bordereau comportait en lui-même les éléments susceptibles de désigner ou d'individualiser de façon certaine les créances cédées, a violé l'article L. 313-23 du code monétaire et financier, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2013-544 du 27 juin 2013. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 313-23 du code monétaire et financier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 27 juin 2013 :

7. Aux termes de ce texte, si tout crédit qu'un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d'un bordereau, à la cession, par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, ce bordereau doit comporter la désignation ou l'individualisation des créances cédées ou des éléments susceptibles d'effectuer cette désignation ou cette individualisation, notamment par l'indication du débiteur, du lieu de paiement, du montant des créances ou de leur évaluation et, s'il y a lieu, de leur échéance.

8. Pour accueillir la demande en paiement de la banque, l'arrêt retient que les énonciations du bordereau de créance du 16 octobre 2012 laissent conclure que le montant total cédé par la société Cobo à la banque s'élevait à 383 057,27 euros, soit le montant global du marché signé selon devis du 10 mars 2011, et que la seule créance alors exigible en exécution de ce marché était celle correspondant à la facture LJ 851 « 1re situation » du 16 octobre 2012 pour un montant de 247 067,29 euros, constituant la créance proposée à la cession et retenue par le cessionnaire dans ce même bordereau, pour en déduire que celui-ci contient les éléments susceptibles d'effectuer la désignation ou l'individualisation de la créance, notamment par l'évaluation de la créance globale cédée et l'indication du débiteur, et que les deux actes de cession de créance ultérieurs en date des 30 novembre et 21 décembre 2012 s'inscrivent dans la cession de créance afférente au marché cédé.

9. En se déterminant ainsi, sans relever que le bordereau litigieux comportait, outre le montant global d'un marché de travaux et celui d'une facture alors exigible, les indications nécessaires à l'identification et à l'individualisation précises des créances cédées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour,

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ; ...


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CA Nîmes, 14-09-2022, n° 22/00321 ; la cour de renvoi juge après cassation que le défaut d'indication de la ou des créances implique que le titre ne vaut pas bordereau Dailly (...?).

Il faudrait avoir ce bordereau sous les yeux !

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Le curieux commentaire qui prétend que comme le texte n'exige pas un individualisation précise la Cour de cassation casse... C'est l'inverse, elle casse car l'indivudualisation doit suffire et que l'on doit se tenir aux créances suffisamment identifiées.

https://blog.caselawanalytics.com/cession-dailly-attention-a-lindividualisation-des-creances/
Bordereau Dailly, une cour d’appel n'a pas à calculer le montant des créances en cause (Cass. com., 19 janvier 2022, n° 20-14.619)

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