Au secours ! "L'autonomie de l'Université" est de retour !



Les débats dits des "primaires", le machin qui ressemble à un radio-crochet sans musique, aurait pu dire le Général de Gaulle, ont des avantages. Ils forcent les candidats à se dévoiler bien avant de livrer un programme officiel. Ils donnent des orientations : on a un peu de temps pour y réfléchir sans être noyé sous les flots d'une campagne électorale présidentielle.

Dans la primaire de la droite et du centre, aux quelques (mais épais) problèmes de l'Université, la plupart des participants ont la même solution, le même mot : l'autonomie. La solution trouvée surprend. On croyait que la loi sur l'autonomie de l'Université avait déjà été votée, on croyait qu'on l'appelait la loi LRU ou Pécresse ; on le croyait d'autant plus qu'on se souvient que cette vaste ambition témoignait d'une réflexion approfondie (c'est comme ça aux States... je suis taquin).

A défaut de pouvoir afficher de francs succès en la matière, le gouvernement actuel n'a au moins pas bloqué l'Université pendant plusieurs mois comme ce fut le cas avec le projet Pécresse. L'autonomie n'était ni voulue ni comprise. Probablement parce qu'elle n'était pas bien pensée. Mais elle a été votée.

Eh bien non, manifestement l'autonomie tant vantée, et consacrée il y a à peine 6 ans, n'est pas la bonne. Il faut une nouvelle future autonomie, celle-là sera la vraie. L'autonomie d'hier, vantée dans et hors l'université, mais plus hors que dans, n'a pas il est vrai donné un bilan spectaculaire. Les rigidités sont toujours là... on ne gouverne pas par décret... mais avec un projet de fond, ici un projet pour la recherche et pour les étudiants.

Sous ce quinquennat, l'autonomie sera demeurée car elle simplifie probablement le dialogue entre les universités (le président) et le ministère, celui-ci renvoyant celles-là à leurs "responsabilités".

Certains pensaient qu'avec l'autonomie on allait voir fleurir les publications internationales, les fondations richissimes, les "partenariats" productifs, les méthode pédagogiques innovantes... Monter dans les classements internationaux. Ils étaient déconnectés des réalités administratives, des contextes et des réalités humaines. Le feu d'artifice politique de l'autonomie a surtout eu pour retombées (je simplifie à l'excès) une concentration des pouvoirs sur un hyper-président d'université (avec les défauts que cela emporte avec ce genre de système) et puis quelques 5 ou 6 quasi-faillites d'universités, Le Monde en parlait encore il y a quelques jours... mais l'autonomie n'a là été qu'un facteur.

L'autonomie de l'université que certains ont chanté a donné peu car elle était essentiellement de l'idéologie.

Pourquoi revient-elle aussi vite ?

Parce que justement elle reste essentiellement de l'idéologie, dont le message implicite est "débrouillez-vous", ce qui la rend facile à manier. Il suffit de dire autonomie pour exciter ceux qui croient avoir trouvé la clé universelle du fonctionnement du monde. Le libéralisme (en vérité, l'ultra libéralisme ; le libéralisme est lui souvent plein de vertus). Voilà, l'autonomie sert à bomber le torse, à cliver les opinions et mobilise quelques milliers d'esprits pour entrer en campagne. Voilà pourquoi le mot autonomie est réintroduit dans le débat public, parce qu'il est une idéologie. L'exact inverse de ce dont procède et que produit l'esprit scientifique et de ce qu'est la science qui est au cœur de l'Université et du métier d'universitaire.

Ainsi, après avoir mis la panique dans l'institution en en faisant un mille-feuille administratif incroyable, enrichi sous tous les gouvernements, après n'avoir pas parlé aux enseignants-chercheurs depuis des décennies et ne parler aux étudiants que lorsqu'ils défilent aux portes des ministères, le futur pouvoir politique a un programme pour l'Université : l'autonomie.

Voilà un bon moyen pour le personnel politique de se débarrasser de la question - du moins le temps d'un quinquennat. Certes on ajoute que les droits d'inscription seront augmentés : oui il faut passer à un mode alternatif de financement dès lors qu'il est raisonnable et tient compte des situations sociales difficiles. Mais cela est-il un problème d'autonomie ? La politique nationale doit plutôt respecter l'égalité entre bacheliers d'une région et ceux d'une autre, voilà une tâche qui lui incombe, alors surtout que les universités sont déjà dotées de moyens inégaux, on voit mal l'autonomie opérer sur ce point (sauf à la voir consacrée toute crue : certaines universités seront à 600 euros et d'autres à 6 000...).


Ah, l'autonomie c'est peut-être cela : laisser chaque université avec son problème de droits d'inscription, en espérant que l'étalement du problème empêche les étudiants de se mobiliser. L'incapacité des gouvernements à gérer un service public national aboutit peut-être à cela : le découper pour le laisser à la charge de quelques départements et des régions. Mais c'est une stratégie politique médiocre. L'université c'est, à 90 %, de la matière grise, du personnel qui cherche (trouve et publie) et enseigne. Or ce personnel est sous statut national.

10 ans aux moins d'études supérieures (souvent 12 en pratique, 5 ans de master et 6 ans de thèse et post-thèse) pour commercer à 1750 € nets pour un maître de conférences débutant ?! A défaut de pouvoir / savoir défendre leurs salaires, les enseignants-chercheurs ne pourront que défendre les piliers de leur statut :

- un nombre d'heures d'enseignements limité pour ...
- ... exercer la recherche de façon libre...
- ... conformément au principe constitutionnel d'indépendance qui les régit
.

La lutte sera acharnée sur ces trois points car, si on y touche, il n'y a plus de statut. Sachant que le métier est déjà difficile à exercer car on est vite noyé sous les tâches administratives (dont les emails), ce qui prive le statut de sa substance. Pour le moment les attaques ont été subreptices ; certains peuvent sans nuance considérer que les enseignants-chercheurs sont des "fonctionnaires", ce qu'ils ne sont pas véritablement (pas plus que les magistrats par exemple). Leur liberté est consubstantielle à ce statut, ils ne sont pas aux ordres. Or, justement...

Vouloir l'autonomie c'est vouloir instituer ou renforcer un management qui joue les chefs ce qui, en vérité, contredit le statut, autant sur le plan de la recherche que de l'enseignement. Le statut à d'autres conséquences et porte d'autres droits. Ainsi, le rabotage budgétaire qui aboutit à mettre les moyens de recherche à zéro ou à presque rien, soi au plan collectif soit au plan de chaque enseignants-chercheurs, revient à renier le statut.

Or le statut, qui est national et légal, doit être assumé par l'Etat, directement (traitements) et indirectement (moyens de la recherche). Des universités un peu plus autonomes demain ne pourront pas en interne (délibérations de l'organe de direction) porter atteinte au statut constitutionnel des enseignants-chercheurs sans changer profondément l'institution universitaire. Pour cela, il faudra plus que le mot autonomie. Plus qu'une primaire et même plus qu'une élection - serait-elle même triomphale.

Bon, le débat est compliqué.

Toujours est-il que l'autonomie qui a bloqué l'université pendant plusieurs mois sous le mandat de Nicolas SARKOZY est la même qui bloquera le pays sous son second mandat ou sous celui d'un autre... Certains candidats ont du mal à saisir la situation, précisons-là : on peut voter en mai JUPPE et, en juin, défiler dans les rues contre sa politique universitaire consignée dans une ordonnance...

Toute la communauté universitaire doit réfléchir à la question de son statut, aux ambitions possibles et aux pratiques à renouveler. En effet, il ne semble pas que les gouvernements soient en capacité de le faire. Que la base (comme l'on dit) universitaire donne quelques pistes ou solutions serait très souhaitable.

Le professeur de droit des affaires et de droit bancaire et financier doit ainsi (encore) trouver des solutions après s'être demandé, par exemple : comment insérer les étudiants de master dans la vie professionnelle (je crois le faire avec mon équipe pédagogique, mais nous pouvons progresser), comment financer des opérations de recherche, comment professionnaliser les étudiants... tout ceci sans dépendre des grandes entreprises, des banques ou autres institutions financières et encore moins d'une en particulier, et pas même d'une institution publique : BCE, AMF, banque de France...). Et tout ceci en dirigeant des thèses (et des mémoires) car sans renouvellement des connaissances l'Université disparaitra en moins d'une génération (ubérisée à la vitesse grand U).


La mission et le devoir de ce professeur, son droit aussi, et en vérité son honneur (ringardise ?), c'est de pouvoir critiquer toute institution, sans qu'elle menace son Université de retirer un partenariat ou une assistance, un stage ou un emploi. Dans l'intérêt général que représente la connaissance du secteur et de l'enseignement qu'on en fait aux étudiants (1).

Tout cela n'a vraiment rien à voir avec les féodalités étriquées et népotiques que l'autonomie est susceptible de porter...

Sur ces questions essentielles, qui dépassent un simple mot idéologique, les idéologues de l'autonomie, on ne les entend plus... Ni les autres du reste. or on ne peut pas ignorer que les meilleures recherches mondiales peuvent être affectées par des scandales montrant qu'elles sont fondées sur des supercheries !

Le scandale qui affecte un comité des Prix Nobel, cliquez pour lire Science et Avenir

Voilà une bonne raison pour les enseignants-chercheurs de prendre la parole.

Voire, en vérité, de reprendre la main par diverses initiatives.







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NB, cette chronique en forme d'éditorial pourrait être jonchée de références aux lois et décrets en cause ; le fond n'en serait pas changé ; l'affaire est donc juridique et s'insère parfaitement sur un site juridique dont une chronique accueille les réflexions touchant au droit public.

1) Ce point essentiel prend des proportions existentielles dans certains secteurs quand il faut mobiliser des millions pour un équipement de recherche. Il est moins essentiel dans les matières où la recherche individuelle a encore du poids (recherche n'exigeant pas un matériel lourd). Malgré ce, l'Université qui rend les armes à un secteur professionnel pourra largement faire la différence avec un autre (financement par affectation de taxe, envois de collaborateurs dans la formation, financement des associations étudiantes ; ajoutées les unes aux autres, ces ressources permettront à une équipe de recherche ou à une Faculté de briller par rapport aux autres).




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