La chambre commerciale fait appliquer l'article 511-34 du code de commerce. Difficile pour une communauté de juristes qui ne sait dire, pour les titres négociables, civilistes et commercialistes unis dans le dogme, répété sans bien savoir pourquoi : "incorporation du droit dans le titre".
On a beau expliquer que cette image ne correspond finalement pas au droit positif, elle demeure comme le principe de ce que l'on appelle, également de façon exagérée, "le droit du change" (y compris à la Cour de cassation ; l'abus est général "droit de la vente" est courant...). L'incorporation du droit dans le titre est parfois même vue comme "le" principe des "effets de commerce" ; au point que l'on confond parfois des instruments de paiement avec la monnaie (l'instrument monétaire, lui, incorpore bien le droit-valeur qu'est l'unité monétaire établie par la loi). Ainsi, dès lors que le droit est dans le titre (quittant le seul rôle de titre de preuve), le juge peut considéré que la lettre perdu fait s'évaporer le droit. Comment pourrait-il dès lors, lui, seul, réinventer un droit.
Voilà l'effet néfaste d'une culture juridique reposant sur une expression sans doute mal choisie, sauf à la réduire juste après son emploi, ce qui n'est pas fait puisque l'expression est prise en une explication (finale) de certaines situations juridiques (une explication n'est bien sûr jamais finale, un peu d'épistémologie l'apprend, on ne s'arrête pas sur ce point). Dans ce contexte culturel, il est logique qu'un juge d'appel soit tenté par la solution, face à une demande de porteur de lettre, consistant à ne pas accepter ou reconnaître un titre substitutif - fût-il judiciaire.
Heureusement dans cet arrêt du 21 juin 2021 la chambre commerciale...
Note et notes légèrement énigmatiques et notamment pour de bonnes raisons pédagogiques : les cours sont indispensables.
____________________________
Aujourd'hui, le Code monétaire et financier (CMF) entretient à sa façon la confusion entre les titres négociables et la monnaie, par une coordination doublement infondée, en premier lieu parce que la lettre de change de change n'a pas à être rattachée aux instruments de monnaie scripturale (voyez l'intitulé du Titre) et, en second lieu, parce que la coller dans un livre du CMF sur la monnaie ne peut qu'amplifier les confusions de jeunes lecteurs.
Extrait du PDF du CMF :
Livre Ier : La monnaie
Titre III : Les instruments de la monnaie scripturale
Chapitre II : La lettre de change et le billet à ordre
Article L132-1
La lettre de change est régie par les articles L. 511-1 à L. 511-81 du code de commerce.
Article L132-2
Le billet à ordre est régi par les articles L. 512-1 à L. 512-8 du code de commerce.
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On a beau expliquer que cette image ne correspond finalement pas au droit positif, elle demeure comme le principe de ce que l'on appelle, également de façon exagérée, "le droit du change" (y compris à la Cour de cassation ; l'abus est général "droit de la vente" est courant...). L'incorporation du droit dans le titre est parfois même vue comme "le" principe des "effets de commerce" ; au point que l'on confond parfois des instruments de paiement avec la monnaie (l'instrument monétaire, lui, incorpore bien le droit-valeur qu'est l'unité monétaire établie par la loi). Ainsi, dès lors que le droit est dans le titre (quittant le seul rôle de titre de preuve), le juge peut considéré que la lettre perdu fait s'évaporer le droit. Comment pourrait-il dès lors, lui, seul, réinventer un droit.
Voilà l'effet néfaste d'une culture juridique reposant sur une expression sans doute mal choisie, sauf à la réduire juste après son emploi, ce qui n'est pas fait puisque l'expression est prise en une explication (finale) de certaines situations juridiques (une explication n'est bien sûr jamais finale, un peu d'épistémologie l'apprend, on ne s'arrête pas sur ce point). Dans ce contexte culturel, il est logique qu'un juge d'appel soit tenté par la solution, face à une demande de porteur de lettre, consistant à ne pas accepter ou reconnaître un titre substitutif - fût-il judiciaire.
Heureusement dans cet arrêt du 21 juin 2021 la chambre commerciale...
Note et notes légèrement énigmatiques et notamment pour de bonnes raisons pédagogiques : les cours sont indispensables.
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Aujourd'hui, le Code monétaire et financier (CMF) entretient à sa façon la confusion entre les titres négociables et la monnaie, par une coordination doublement infondée, en premier lieu parce que la lettre de change de change n'a pas à être rattachée aux instruments de monnaie scripturale (voyez l'intitulé du Titre) et, en second lieu, parce que la coller dans un livre du CMF sur la monnaie ne peut qu'amplifier les confusions de jeunes lecteurs.
Extrait du PDF du CMF :
Livre Ier : La monnaie
Titre III : Les instruments de la monnaie scripturale
Chapitre II : La lettre de change et le billet à ordre
Article L132-1
La lettre de change est régie par les articles L. 511-1 à L. 511-81 du code de commerce.
Article L132-2
Le billet à ordre est régi par les articles L. 512-1 à L. 512-8 du code de commerce.
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COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 juin 2021
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 537 F-B
Pourvoi n° X 19-20.175
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
Motifs
#1 ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 JUIN 2021
La société Banque Pouyanne, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 19-20.175 contre l'arrêt rendu le 13 mai 2019 par la cour d'appel de Limoges (chambre économique et sociale), dans le litige l'opposant à la société BLS location, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Banque Pouyanne, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société BLS location, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mai 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
#2 1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 13 mai 2019), la société Yachting France production a cédé à la société Banque Pouyanne (la banque), auprès de laquelle elle détenait un compte courant professionnel, divers effets de commerce, dont une lettre de change relevé magnétique tirée sur la société BLS location pour un montant de 100 619,48 euros, à échéance du 30 juin 2013.
2. Faisant valoir que l'exemplaire papier de la lettre de change avait été perdu, la banque a saisi, sur le fondement de l'article L. 511-34 du code de commerce, le président d'un tribunal de commerce, lequel, par une ordonnance du 25 février 2015, a ordonné la délivrance d'un nouvel effet, décision qu'il a rétractée par une ordonnance du 19 juin 2015. Cette dernière ordonnance a été infirmée par un arrêt du 25 février 2016 disant n'y avoir lieu à rétractation.
3. Le 19 mai 2017, la banque a assigné la société BLS location en paiement de la lettre de change.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. La société Banque Pouyanne fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :
#3 « 1°/ qu'en cas de perte d'une lettre de change, le bénéficiaire de cette lettre peut, dans les conditions prévues à l'article L. 511-34 du code de commerce, solliciter du président du tribunal de commerce la délivrance d'une ordonnance supplétive se substituant en tant qu'instrumentum à l'exemplaire égaré et valant titre ; que cette ordonnance, une fois rejeté le recours en rétractation exercé par le débiteur tiré, constitue un titre opposable à ce dernier constatant l'existence d'une lettre de change et permettant au porteur d'agir contre le débiteur tiré ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que du fait de la perte de la lettre de change que la société Yachting France production avait escomptée à son bénéfice, la société Banque Pouyanne avait obtenu du président du tribunal de commerce de Limoges la délivrance d'une ordonnance supplétive, qui était devenue définitive après le rejet du recours en rétractation exercé à son encontre par la société BLS Location, débiteur tiré ; qu'en jugeant que la société Banque Pouyanne ne justifiait pas de l'existence même d'une lettre de change lui permettant d'agir à l'encontre de la société BLS Location et qu'elle ne pouvait à cet effet se prévaloir de l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges au motif inopérant que cette décision était dépourvue de l'autorité de la chose jugée au principal, quand l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce, qui était devenue définitive suite à l'expiration des voies de recours ouvertes à son encontre, constituait un titre opposable au débiteur tiré, la cour d'appel a violé l'article L. 511-34 du code de commerce ;
2°/ que la voie de recours ouverte aux tiers intéressés à l'encontre des décisions rendues sur requête par le président du tribunal de commerce est le recours-rétractation de l'article 496 du code de procédure civile, lequel doit être porté devant le juge ayant rendu l'ordonnance contestée, saisi comme en matière des référés ; que l'ordonnance rendue à l'issue d'un tel recours, de même que l'arrêt rendu sur appel de cette décision, ont autorité de la chose jugé relativement aux contestations qu'ils tranchent, conformément à l'article 492-1 du code de procédure civile ; qu'il résultait en l'espèce de l'ordonnance du 19 juin 2015, rendue sur le recours exercé par la société BLS location à l'encontre de l'ordonnance délivrée le 25 février 2015 par le président du tribunal de commerce de Limoges, que le président du tribunal de commerce, statuant comme en matière de référé, avait précisément été saisi d'un recours tendant à la « rétractation » de ladite ordonnance ; que cette « rétractation » avait en outre été ordonnée au visa des articles 493 et suivants du code de commerce, avant que cette décision ne soit infirmée par la cour d'appel de Limoges par un arrêt du 25 février 2016 ayant définitivement rejeté la demande de rétractation formée par la société BLS location ; qu'en jugeant que dans ces décisions, le président du tribunal de commerce, et par suite la cour d'appel de Limoges n'avaient pas statué comme en matière de référé et que ces décisions étaient par conséquent dépourvues de toute autorité de chose jugée quant à l'existence même d'une lettre de change émise au bénéfice de la société Banque Pouyanne, la cour d'appel a dénaturé l'ordonnance du 19 juin 2015 rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges ainsi que l'arrêt du 25 février 2016 rendu par la cour d'appel de Limoges, méconnaissant ainsi le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 511-34 du code de commerce :
#4 5. L'ordonnance du juge accueillant, en cas de perte d'une lettre de change, la demande formée sur le fondement de ce texte a pour objet de se substituer au titre égaré et de permettre à celui qui l'a obtenue de la présenter au paiement, le tiré pouvant refuser de payer dans les mêmes conditions que s'il s'agissait de la lettre de change. Cette ordonnance peut être une ordonnance sur requête, laquelle, tant qu'elle n'est pas rétractée, constitue le titre supplétif remplaçant l'effet perdu.
6. Pour confirmer le jugement qui constatait que les conditions de l'article L. 511-34 du code de commerce n'étaient pas satisfaites et rejeter la demande de la banque, l'arrêt retient que l'arrêt rendu le 25 février 2016 disant n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 25 février 2015 a été rendu en référé et qu'il n'est pas assorti de l'autorité de chose jugée relativement à l'existence de la lettre de change, qu'il appartient donc à la banque d'établir.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « que si dans le courrier du 13 janvier 2014 qu'elle avait adressé au liquidateur de la société Yachting France production, la société BLS location avait reproché à la société Yachting France production une absence de livraison de certains bateaux, celle-ci n'avait aucunement contesté la livraison des bateaux à l'origine des créances cédées à la société Banque Pouyanne ; qu'à l'égard de ces navires, la société BLS location se bornait à faire état de menues « non-conformités » qu'elle aurait prétendument constatées sur certains navires ; qu'en jugeant que la société Banque Pouyanne avait contesté l'existence même de la livraison intervenue par un courrier du 13 janvier 2014, la cour d'appel a dénaturé ce courrier et méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
9. Pour rejeter la demande de la banque, l'arrêt relève encore qu'elle se prévaut d'une facture datée du 5 juin 2013 concernant la livraison de dix bateaux, que la société BLS location a contestée par lettre adressée le 13 janvier 2014 au mandataire liquidateur du tireur et qu'aucune des pièces versées aux débats n'établit, de sorte que la créance alléguée n'est pas démontrée.
10. En statuant ainsi, alors que, dans sa lettre du 13 janvier 2014, la société BLS location se bornait, relativement à la facture du 5 juin 2013, à se plaindre de défauts de conformité de sept bateaux sans contester la livraison, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;
Condamne la société BLS location aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BLS location et la condamne à payer à la société Banque Pouyanne la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Annexe
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Banque Pouyanne.
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR constaté que les conditions d'application de l'article L. 511-34 du Code de Commerce n'étaient pas satisfaites, d'AVOIR constaté que la créance servant de titre à la prétendue lettre de change, objet d'une cession égarée, n'était pas fondée en son principe, et d'AVOIR en conséquence débouté la société Banque Pouyanne de son action en paiement d'une lettre de change égarée.
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Aux termes de l'article L. 511-34 du code de commerce si celui qui a perdu la lettre de change, qu'elle soit acceptée ou non, ne peut représenter toute suivante, il peut demander le paiement de la lettre de change perdue et l'obtenir par l'ordonnance du juge en justifiant de sa propriété par ses livres et en donnant caution. Au visa de ce texte et statuant sur l'appel d'une ordonnance de référé, la cour, par arrêt du 25 février 2016, a considéré que la SA BANQUE POUYANNE rapportait la preuve de l'existence de la lettre de change et de sa cession au profit de la banque et qu'il n'y avait pas lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête du 25 février 2015 ordonnant la délivrance d'un nouvel effet tiré sur la SAS BLS LOCATION. Toutefois, en application des dispositions de l'article 488 du code de procédure civile l'ordonnance de référé n'ayant pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, la SA BANQUE POUYANNE ne peut opposer à la SAS BLS LOCATION l'autorité de la chose jugée découlant de l'arrêt du 25 février 2015, qui n'a pas statué sur une décision du juge des référés statuant lui-même dans les formes prévues par l'article 492-1 du code de procédure civile, selon lequel lorsqu'il est prévu que le juge statue comme en matière de référé ou en la forme des référés, la demande est formée, instruite et jugée dans les conditions suivantes : 1° Il est fait application des articles 485 à 487 et 490 ; 2° Le juge exerce les pouvoirs dont dispose la juridiction au fond et statue par une ordonnance ayant l'autorité de la chose jugée relativement aux contestations qu'elle tranche ; 3° L'ordonnance est exécutoire à titre provisoire, à moins que le juge en décide autrement. Par conséquent la SA BANQUE POUYANNE doit établir d'une part l'existence de la lettre de change dont elle réclame paiement et, d'autre part, le cas échéant, son caractère fondé. A cet égard, sur le premier point, la SA BANQUE POUYANNE produit la convention d'escompte de créances professionnelles signée le 15 mai 2012 par la SARL YFP, un acte de cession de créance valant cession à la SA BANQUE POUYANNE de quatre créances représentées par des lettres de change relevé (LCR) magnétiques pour un total de 204 418,88 euros, dont une créance à échéance du 30 juin 2013 sur la SAS BLS LOCATION pour un montant de 100 619,48 euros, deux documents informatiques soit, la LCR magnétique pour cette créance et le bordereau informatique retraçant l'opération d'escompte valeur. Si la lettre de change relevé est un instrument dématérialisé qui permet de réaliser des opérations de paiement et d'escompte, éventuellement combinées avec une cession de créance professionnelle, son émission suppose l'agrément préalable du tireur, du tiré, de la banque du tireur remettant, de la banque du tiré ou banque domiciliataire, l'effet papier devant par ailleurs porter les mentions obligatoires du titre cambiaire en conformité aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de commerce et étant conservé par la banque du tireur-remettant qui procède à la dématérialisation du titre. Or en l'occurrence les pièces produites par la SA BANQUE POUYANNE, qui soutient que la SARL YFP a remis à la SAS BLS LOCATION une lettre de change papier que celle-ci a accepté avant de la renvoyer à son fournisseur qui l'a transformé en lettre de change relevé magnétique qu'elle a fait escompter auprès de la banque, ne constituent pas preuve suffisante que tel a bien été le cas et qu'en tout état de cause que la SAS BLS LOCATION, ainsi que sa banque, ont bien accepté l'émission d'une lettre de change relevé magnétique pour le montant de la créance dont le tiré conteste aujourd'hui l'exigibilité, alors au surplus qu'en principe la SA BANQUE POUYANNE devrait être détentrice du titre papier qui fonde la LCR magnétique pour en justifier en cas d'incident. Il s'en déduit qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'existence de la lettre de change qui fonde sa créance, Il conviendra d'observer par ailleurs que la SAS BLS LOCATION produit une attestation et deux attestations sur l'honneur émanant de la comptable, dont aucune des pièces de la procédure ne permet de douter de la sincérité, qui indiquent qu'aucune traite en faveur de la SARL YFP à hauteur de 100 619,48 euros n'a été établie et aucune lettre de change acceptée par le dirigeant de la SAS BLS LOCATION pour cette somme, celle-ci n'étant par principe acceptée qu'après réception d'une facture conforme et régulière adressée par le fournisseur. Il sera rajouté que la SAS BLS LOCATION établit que le 27 juin 2013 la comptable a interrogé la SARL YFP à propos d'une traite de 1619,48 euros se présentant en banque au 1er juillet 2013 alors qu'elle n'avait pas de facture, qu'elle a reçu le même jour une facture datée du 5 juin 2013 pour la livraison de 10 bateaux alors qu'aucune des pièces produites aux débats ne démontre que cette livraison a bien été réalisée et que la SAS BLS LOCATION l'a contestée par courrier du 13 janvier 2014 adressé au mandataire liquidateur de la SARL YFP. Dans ces conditions, la SA BANQUE POUYANNE qui ne remplit pas la charge probatoire qui était la sienne de démontrer l'existence et le bien-fondé de la créance qu'elle revendique à l'encontre de la SAS BLS LOCATION, doit être déboutée de l'intégralité de ses demandes. Le jugement déféré sera donc confirmé. La SA BANQUE POUYANNE qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens et à payer à la SAS BLS LOCATION la somme de 2000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société YACHTING France PRODUCTION a ouvert auprès de la Banque POUYANNE un compte courant professionnel le 12/02/2012, que suivant acte en date du 12/04/2013 transmis par voir électronique, elle a cédé à la Banque POUYANNE divers effets de commerce dont une lettre de change tirée sur la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE pour un montant de 100 619.48 euros, que l'effet était à échéance du 30/06/2013 mais a été rejeté au motif « tirage contesté », que la Banque POUYANNE, régulièrement porteuse de l'effet reconstitué par application de l'article L. 511-34 du Code de Commerce, entend aujourd'hui obtenir condamnation de la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE au paiement de ladite somme, Attendu que le Tribunal retient que la Banque POUYANNE a saisi le Président du Tribunal de céans sur le fondement de l'article L. 511-34 du Code de Commerce aux fins de se voir délivrer un nouvel effet, le premier ayant été égaré, que l'ordonnance du 25/02/2015 a fait droit à sa demande, que celle-ci a été signifiée à Me [X] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL YACHTING France PRODUCTION suivant acte d'Huissier de Justice du 31/03/2015, qu'en réponse la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE a saisi en référé le Président du Tribunal de céans aux fins de voir rétracter ladite ordonnance, qu'il a été fait droit à sa demande par ordonnance de référé du 19/06/2015, que si la Banque a formé appel et que la Cour, par arrêt du 25/02/2016, a infirmé l'ordonnance entreprise, il ressort de l'article 488 du Code de Procédure Civile que « l'ordonnance de référé n'a pas au principal, autorité de la chose jugée », que de surcroît, la Cour de Cassation, au visa de ce texte, a récemment eu l'occasion de rappeler qu'une décision de Cour d'Appel en référé n'a pas non plus autorité de la chose jugée, l'une des parties à l'instance en référé ayant la faculté de saisir le juge du fond afin d'obtenir un jugement (Cass. Civ. 3e du 25/02/2016 n° 14-29760), que par conséquent la décision de référé de la Cour d'Appel de Limoges du 25/02/2016 n'a pas, au principal, autorité de la chose jugée et il entend dire et juger qu'il n'a pas à être lié par cette décision, Attendu que sur le caractère probant et pertinent des pièces produites par la Banque POUYANNE, le Tribunal retient que l'article 511-34 du Code de Commerce prévoit que « si celui qui a perdu la lettre de change, qu'elle soit acceptée ou non, ne peut présenter toute suivante, il peut demander le paiement de la lettre de change perdue et l'obtenir par l'ordonnance du juge en justifiant de sa propriété par ses livres et en donnant caution », que force est de constater que la Banque ne dispose d'aucun exemplaire ni de duplicata, ni d'acte émanant du débiteur de l'effet, ni d'un aveu du prétendu débiteur, établissant la réalité du support papier de la lettre de change, qu'au surplus, ni l'ancien dirigeant de la société YACHTING France PRODUCTION, ni son liquidateur ne confirment l'existence de cette prétendue lettre de change et de la prétendue cession de créance dont l'opération alléguée n'a jamais figuré dans la comptabilité de la société YACHTING France PRODUCTION, que les livres comptables de la Banque n'ont jamais été versés aux débats, que les seules pièces produites à l'appui de sa demande en paiement sont impropres à justifier de l'existence de la propriété de l'effet en question dont elle serait devenue propriétaire au moyen d'une cession de créance magnétique, qu'en effet les documents de cession de créance rédigés par la société YACHTING France PRODUCTION et transmis par la Banque POUYANNE ne prouvent absolument pas l'existence de l'effet de commerce pas plus que celle de la créance, que si les documents ont été établis et remplis sous la seule responsabilité de la société YACHTING France PRODUCTION donc de façon unilatérale, la Banque POUYANNE avait toutefois la possibilité de refuser la cession de créance si elle avait des doutes sur la véracité des documents transmis, que de surcroît elle avait également la possibilité, au moment de la cession de créance, de demander les effets papiers cédés, qu'en tout état de cause ni la société YACHTING France PRODUCTION, ni la Banque POUYANNE ne sont en mesure de prouver l'existence des effets papiers qui auraient été acceptés par la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE, que pour l'ensemble de ces raisons, le Tribunal entend dire et juger que les conditions d'application de l'article L. 511-34 du Code de Commerce ne sont pas satisfaites, Attendu que sur le bien-fondé de la créance, objet de la cession, le Tribunal retient, après lecture des pièces produites par la Banque POUYANNE, que la traite a été créée le 11/04/2013 alors même que la facture censée représenter le titre de créance de la société YACHTING France PRODUCTION est datée du 05/06/2013, qu'au surplus la lettre de change a fait l'objet d'une cession au profit de la Banque POUYANNE et son montant a été crédité sur le compte de la société YACHTING France PRODUCTION le 22/04/2013, soit avant l'émission de la facture, qu'au surplus cette facture datée du 05/06/2013 prévoit un règlement comptant le 05/06/2013, ce qui exclut donc toute possibilité de règlement par traite et toute cession de cette créance, qu'enfin aucun bon de commande ou de livraison signé prouvant la livraison des bateaux n'est versé aux débats, que le fait que la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE soit associé à hauteur de 30% du capital de la société YACHTING France PRODUCTION ne rapporte nullement la preuve qu'elle pouvait exercer une activité de gestion ou de dirigeant, que la société YACHTING France PRODUCTION était en réalité totalement autonome dans sa gestion et la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE n'avait pas connaissance de tous les actes de gestion quotidiens et notamment de la cession de créances de 100 619.48 euros, que le Tribunal entend ainsi dire et juger que la créance de 100 619.48 euros n'est pas fondée dans son principe ».
1°) ALORS QU'en cas de perte d'une lettre de change, le bénéficiaire de cette lettre peut, dans les conditions prévues à l'article L. 511-34 du code de commerce, solliciter du président du tribunal de commerce la délivrance d'une ordonnance supplétive se substituant en tant qu'instrumentum à l'exemplaire égaré et valant titre ; que cette ordonnance, une fois rejeté le recours en rétractation exercé par le débiteur tiré, constitue un titre opposable à ce dernier constatant l'existence d'une lettre de change et permettant au porteur d'agir contre le débiteur tiré ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que du fait de la perte de la lettre de change que la société Yachting France Production avait escomptée à son bénéfice, la Banque Pouyanne avait obtenu du président du tribunal de commerce de Limoges la délivrance d'une ordonnance supplétive, qui était devenue définitive après le rejet du recours en rétractation exercé à son encontre par la société BLS, débiteur tiré ; qu'en jugeant que la société Banque Pouyanne ne justifiait pas de l'existence même d'une lettre de change lui permettant d'agir à l'encontre de la société BLS et qu'elle ne pouvait à cet effet se prévaloir de l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges au motif inopérant que cette décision était dépourvue de l'autorité de la chose jugée au principal, quand l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce, qui était devenue définitive suite à l'expiration des voies de recours ouvertes à son encontre, constituait un titre opposable au débiteur tiré, la Cour d'appel a violé l'article L. 511-34 du code de commerce ;
2°) ALORS en outre QUE la voie de recours ouverte aux tiers intéressés à l'encontre des décisions rendues sur requête par le président du tribunal de commerce est le recours-rétractation de l'article 496 du code de procédure civile, lequel doit être porté devant le juge ayant rendu l'ordonnance contestée, saisi comme en matière des référés ; que l'ordonnance rendue à l'issue d'un tel recours, de même que l'arrêt rendu sur appel de cette décision, ont autorité de la chose jugé relativement aux contestations qu'ils tranchent, conformément à l'article 492-1 du code de procédure civile ; qu'il résultait en l'espèce de l'ordonnance du 19 juin 2015, rendue sur le recours exercé par la société BLS Location à l'encontre de l'ordonnance délivrée le 25 février 2015 par le président du tribunal de commerce de Limoges, que le président du tribunal de commerce, statuant comme en matière de référé, avait précisément été saisi d'un recours tendant à la « rétractation » de ladite ordonnance ; que cette « rétractation » avait en outre été ordonnée au visa des articles 493 et suivants du code de commerce, avant que cette décision ne soit infirmée par la Cour d'appel de Limoges par un arrêt du 25 février 2016 ayant définitivement rejeté la demande de rétractation formée par la société BLS Location ; qu'en jugeant que dans ces décisions, le Président du Tribunal de commerce, et par suite la Cour d'appel de Limoges n'avaient pas statué comme en matière de référé et que ces décisions étaient par conséquent dépourvues de toute autorité de chose jugée quant à l'existence même d'une lettre de change émise au bénéfice de la société Banque Pouyanne, la Cour d'appel a dénaturé l'ordonnance du 19 juin 2015 rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges ainsi que l'arrêt du 25 février 2016 rendu par la Cour d'appel de Limoges, méconnaissant ainsi le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ;
3°) ALORS en outre QUE si dans le courrier du 13 janvier 2014 qu'elle avait adressé au liquidateur de la société Yachting France Production, la société BLS Location avait reproché à la société Yachting France Production une absence de livraison de certains bateaux, celle-ci n'avait aucunement contesté la livraison des bateaux à l'origine des créances cédées à la société Banque Pouyanne ; qu'à l'égard de ces navires, la société BLS se bornait à faire état de menues « non-conformités » qu'elle aurait prétendument constatées sur certains navires ; qu'en jugeant que la Banque Pouyanne avait contesté l'existence même de la livraison intervenue par un courrier du 13 janvier 2014, la Cour d'appel a dénaturé ce courrier et méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ;
4°) ALORS en toute hypothèse QUE si le débiteur tiré est en droit d'opposer au bénéficiaire de la lettre de change l'ensemble les exceptions qu'il serait en droit d'opposer à son propre créancier, encore faut-il que le bien-fondé de cette exception, ainsi que son caractère exonératoire, soient dûment démontrés ; qu'en rejetant la demande en paiement présentée par la société Banque Pouyanne à l'encontre de la société BLS Location, sans constater que les griefs formulés par la société BLS Location dans son courrier du 13 janvier 2014 étaient démontrés et l'exonéraient, par leur nature et leur ampleur, de son obligation de régler les dettes contractées à ce titre auprès de la société Yachting France Production, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;
5°) ALORS QUE selon l'article L. 511-7 du code de commerce, il y a provision si, à l'échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour le compte de qui elle est tirée, d'une somme au moins égale au montant de la lettre de change ; qu'en rejetant la demande de paiement formée par la société Banque Pouyanne à l'encontre de la société BLS Location, débiteur tiré, au motif que la facture établie par la société Yachting France Production à l'égard de la société BLS Location portait une date postérieure à l'émission de la lettre de change, quand il lui appartenait simplement de vérifier si la créance de la société Yachting France Production sur la société BLS Location était devenue exigible à la date à laquelle la lettre de change était venue à échéance, la Cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-7 du code de commerce ;
6°) ALORS QUE le bénéficiaire d'une lettre de change, même non acceptée par le tiré, a un droit exclusif sur la provision, c'est-à-dire sur la créance que le tireur possède, au jour de l'échéance de l'effet contre le tiré ; qu'en se fondant dès lors sur la circonstance qu'aucune acceptation de la lettre de change par la société BLS Location n'était démontrée pour dénier tout droit à paiement de la société Banque Pouyanne, la Cour d'appel s'est à nouveau fondée sur un motif impropre à justifier le rejet de la demande en paiement formée par la société Banque Pouyanne à l'encontre de la société BLS Location ; qu'elle a ainsi privé derechef sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-7 du code de commerce ;
7°) ALORS en tout état de cause QU'en l'espèce, la société Banque Pouyanne faisait valoir qu'en toute hypothèse, la société Yachting France Production lui avait cédé la créance détenue sur la société BLS Location par bordereau de cession de créances professionnelles ; qu'en rejetant la demande de la société Banque Pouyanne au motif qu'elle n'apportait pas la preuve de l'existence d'une lettre de change émise à son bénéfice sans rechercher si, indépendamment de toute référence à l'existence d'une lettre de change et au régime qui lui était spécialement applicable, la société Banque Pouyanne ne justifiait pas d'une cession de créance professionnelle lui permettant d'agir à l'encontre de la BLS Location, fût-ce au titre de la cession d'une créance future, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 313-23 du code monétaire et financier.
Composition de la juridiction : Mme Mouillard (président), SCP Alain Bénabent, SCP Célice, Texidor, Périer
Décision attaquée : Cour d'appel Limoges 2019-05-13 (Cassation)
______________________
Audience publique du 16 juin 2021
Cassation
Mme MOUILLARD, président
Arrêt n° 537 F-B
Pourvoi n° X 19-20.175
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
Motifs
#1 ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 JUIN 2021
La société Banque Pouyanne, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 19-20.175 contre l'arrêt rendu le 13 mai 2019 par la cour d'appel de Limoges (chambre économique et sociale), dans le litige l'opposant à la société BLS location, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Boutié, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Banque Pouyanne, de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société BLS location, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mai 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Boutié, conseiller référendaire rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
#2 1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 13 mai 2019), la société Yachting France production a cédé à la société Banque Pouyanne (la banque), auprès de laquelle elle détenait un compte courant professionnel, divers effets de commerce, dont une lettre de change relevé magnétique tirée sur la société BLS location pour un montant de 100 619,48 euros, à échéance du 30 juin 2013.
2. Faisant valoir que l'exemplaire papier de la lettre de change avait été perdu, la banque a saisi, sur le fondement de l'article L. 511-34 du code de commerce, le président d'un tribunal de commerce, lequel, par une ordonnance du 25 février 2015, a ordonné la délivrance d'un nouvel effet, décision qu'il a rétractée par une ordonnance du 19 juin 2015. Cette dernière ordonnance a été infirmée par un arrêt du 25 février 2016 disant n'y avoir lieu à rétractation.
3. Le 19 mai 2017, la banque a assigné la société BLS location en paiement de la lettre de change.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. La société Banque Pouyanne fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :
#3 « 1°/ qu'en cas de perte d'une lettre de change, le bénéficiaire de cette lettre peut, dans les conditions prévues à l'article L. 511-34 du code de commerce, solliciter du président du tribunal de commerce la délivrance d'une ordonnance supplétive se substituant en tant qu'instrumentum à l'exemplaire égaré et valant titre ; que cette ordonnance, une fois rejeté le recours en rétractation exercé par le débiteur tiré, constitue un titre opposable à ce dernier constatant l'existence d'une lettre de change et permettant au porteur d'agir contre le débiteur tiré ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que du fait de la perte de la lettre de change que la société Yachting France production avait escomptée à son bénéfice, la société Banque Pouyanne avait obtenu du président du tribunal de commerce de Limoges la délivrance d'une ordonnance supplétive, qui était devenue définitive après le rejet du recours en rétractation exercé à son encontre par la société BLS Location, débiteur tiré ; qu'en jugeant que la société Banque Pouyanne ne justifiait pas de l'existence même d'une lettre de change lui permettant d'agir à l'encontre de la société BLS Location et qu'elle ne pouvait à cet effet se prévaloir de l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges au motif inopérant que cette décision était dépourvue de l'autorité de la chose jugée au principal, quand l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce, qui était devenue définitive suite à l'expiration des voies de recours ouvertes à son encontre, constituait un titre opposable au débiteur tiré, la cour d'appel a violé l'article L. 511-34 du code de commerce ;
2°/ que la voie de recours ouverte aux tiers intéressés à l'encontre des décisions rendues sur requête par le président du tribunal de commerce est le recours-rétractation de l'article 496 du code de procédure civile, lequel doit être porté devant le juge ayant rendu l'ordonnance contestée, saisi comme en matière des référés ; que l'ordonnance rendue à l'issue d'un tel recours, de même que l'arrêt rendu sur appel de cette décision, ont autorité de la chose jugé relativement aux contestations qu'ils tranchent, conformément à l'article 492-1 du code de procédure civile ; qu'il résultait en l'espèce de l'ordonnance du 19 juin 2015, rendue sur le recours exercé par la société BLS location à l'encontre de l'ordonnance délivrée le 25 février 2015 par le président du tribunal de commerce de Limoges, que le président du tribunal de commerce, statuant comme en matière de référé, avait précisément été saisi d'un recours tendant à la « rétractation » de ladite ordonnance ; que cette « rétractation » avait en outre été ordonnée au visa des articles 493 et suivants du code de commerce, avant que cette décision ne soit infirmée par la cour d'appel de Limoges par un arrêt du 25 février 2016 ayant définitivement rejeté la demande de rétractation formée par la société BLS location ; qu'en jugeant que dans ces décisions, le président du tribunal de commerce, et par suite la cour d'appel de Limoges n'avaient pas statué comme en matière de référé et que ces décisions étaient par conséquent dépourvues de toute autorité de chose jugée quant à l'existence même d'une lettre de change émise au bénéfice de la société Banque Pouyanne, la cour d'appel a dénaturé l'ordonnance du 19 juin 2015 rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges ainsi que l'arrêt du 25 février 2016 rendu par la cour d'appel de Limoges, méconnaissant ainsi le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 511-34 du code de commerce :
#4 5. L'ordonnance du juge accueillant, en cas de perte d'une lettre de change, la demande formée sur le fondement de ce texte a pour objet de se substituer au titre égaré et de permettre à celui qui l'a obtenue de la présenter au paiement, le tiré pouvant refuser de payer dans les mêmes conditions que s'il s'agissait de la lettre de change. Cette ordonnance peut être une ordonnance sur requête, laquelle, tant qu'elle n'est pas rétractée, constitue le titre supplétif remplaçant l'effet perdu.
6. Pour confirmer le jugement qui constatait que les conditions de l'article L. 511-34 du code de commerce n'étaient pas satisfaites et rejeter la demande de la banque, l'arrêt retient que l'arrêt rendu le 25 février 2016 disant n'y avoir lieu à rétractation de l'ordonnance du 25 février 2015 a été rendu en référé et qu'il n'est pas assorti de l'autorité de chose jugée relativement à l'existence de la lettre de change, qu'il appartient donc à la banque d'établir.
7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. La banque fait le même grief à l'arrêt, alors « que si dans le courrier du 13 janvier 2014 qu'elle avait adressé au liquidateur de la société Yachting France production, la société BLS location avait reproché à la société Yachting France production une absence de livraison de certains bateaux, celle-ci n'avait aucunement contesté la livraison des bateaux à l'origine des créances cédées à la société Banque Pouyanne ; qu'à l'égard de ces navires, la société BLS location se bornait à faire état de menues « non-conformités » qu'elle aurait prétendument constatées sur certains navires ; qu'en jugeant que la société Banque Pouyanne avait contesté l'existence même de la livraison intervenue par un courrier du 13 janvier 2014, la cour d'appel a dénaturé ce courrier et méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
9. Pour rejeter la demande de la banque, l'arrêt relève encore qu'elle se prévaut d'une facture datée du 5 juin 2013 concernant la livraison de dix bateaux, que la société BLS location a contestée par lettre adressée le 13 janvier 2014 au mandataire liquidateur du tireur et qu'aucune des pièces versées aux débats n'établit, de sorte que la créance alléguée n'est pas démontrée.
10. En statuant ainsi, alors que, dans sa lettre du 13 janvier 2014, la société BLS location se bornait, relativement à la facture du 5 juin 2013, à se plaindre de défauts de conformité de sept bateaux sans contester la livraison, la cour d'appel a violé le principe susvisé.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;
Condamne la société BLS location aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BLS location et la condamne à payer à la société Banque Pouyanne la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Annexe
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Banque Pouyanne.
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR constaté que les conditions d'application de l'article L. 511-34 du Code de Commerce n'étaient pas satisfaites, d'AVOIR constaté que la créance servant de titre à la prétendue lettre de change, objet d'une cession égarée, n'était pas fondée en son principe, et d'AVOIR en conséquence débouté la société Banque Pouyanne de son action en paiement d'une lettre de change égarée.
AUX MOTIFS PROPRES QUE : « Aux termes de l'article L. 511-34 du code de commerce si celui qui a perdu la lettre de change, qu'elle soit acceptée ou non, ne peut représenter toute suivante, il peut demander le paiement de la lettre de change perdue et l'obtenir par l'ordonnance du juge en justifiant de sa propriété par ses livres et en donnant caution. Au visa de ce texte et statuant sur l'appel d'une ordonnance de référé, la cour, par arrêt du 25 février 2016, a considéré que la SA BANQUE POUYANNE rapportait la preuve de l'existence de la lettre de change et de sa cession au profit de la banque et qu'il n'y avait pas lieu à rétractation de l'ordonnance sur requête du 25 février 2015 ordonnant la délivrance d'un nouvel effet tiré sur la SAS BLS LOCATION. Toutefois, en application des dispositions de l'article 488 du code de procédure civile l'ordonnance de référé n'ayant pas, au principal, l'autorité de la chose jugée, la SA BANQUE POUYANNE ne peut opposer à la SAS BLS LOCATION l'autorité de la chose jugée découlant de l'arrêt du 25 février 2015, qui n'a pas statué sur une décision du juge des référés statuant lui-même dans les formes prévues par l'article 492-1 du code de procédure civile, selon lequel lorsqu'il est prévu que le juge statue comme en matière de référé ou en la forme des référés, la demande est formée, instruite et jugée dans les conditions suivantes : 1° Il est fait application des articles 485 à 487 et 490 ; 2° Le juge exerce les pouvoirs dont dispose la juridiction au fond et statue par une ordonnance ayant l'autorité de la chose jugée relativement aux contestations qu'elle tranche ; 3° L'ordonnance est exécutoire à titre provisoire, à moins que le juge en décide autrement. Par conséquent la SA BANQUE POUYANNE doit établir d'une part l'existence de la lettre de change dont elle réclame paiement et, d'autre part, le cas échéant, son caractère fondé. A cet égard, sur le premier point, la SA BANQUE POUYANNE produit la convention d'escompte de créances professionnelles signée le 15 mai 2012 par la SARL YFP, un acte de cession de créance valant cession à la SA BANQUE POUYANNE de quatre créances représentées par des lettres de change relevé (LCR) magnétiques pour un total de 204 418,88 euros, dont une créance à échéance du 30 juin 2013 sur la SAS BLS LOCATION pour un montant de 100 619,48 euros, deux documents informatiques soit, la LCR magnétique pour cette créance et le bordereau informatique retraçant l'opération d'escompte valeur. Si la lettre de change relevé est un instrument dématérialisé qui permet de réaliser des opérations de paiement et d'escompte, éventuellement combinées avec une cession de créance professionnelle, son émission suppose l'agrément préalable du tireur, du tiré, de la banque du tireur remettant, de la banque du tiré ou banque domiciliataire, l'effet papier devant par ailleurs porter les mentions obligatoires du titre cambiaire en conformité aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de commerce et étant conservé par la banque du tireur-remettant qui procède à la dématérialisation du titre. Or en l'occurrence les pièces produites par la SA BANQUE POUYANNE, qui soutient que la SARL YFP a remis à la SAS BLS LOCATION une lettre de change papier que celle-ci a accepté avant de la renvoyer à son fournisseur qui l'a transformé en lettre de change relevé magnétique qu'elle a fait escompter auprès de la banque, ne constituent pas preuve suffisante que tel a bien été le cas et qu'en tout état de cause que la SAS BLS LOCATION, ainsi que sa banque, ont bien accepté l'émission d'une lettre de change relevé magnétique pour le montant de la créance dont le tiré conteste aujourd'hui l'exigibilité, alors au surplus qu'en principe la SA BANQUE POUYANNE devrait être détentrice du titre papier qui fonde la LCR magnétique pour en justifier en cas d'incident. Il s'en déduit qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'existence de la lettre de change qui fonde sa créance, Il conviendra d'observer par ailleurs que la SAS BLS LOCATION produit une attestation et deux attestations sur l'honneur émanant de la comptable, dont aucune des pièces de la procédure ne permet de douter de la sincérité, qui indiquent qu'aucune traite en faveur de la SARL YFP à hauteur de 100 619,48 euros n'a été établie et aucune lettre de change acceptée par le dirigeant de la SAS BLS LOCATION pour cette somme, celle-ci n'étant par principe acceptée qu'après réception d'une facture conforme et régulière adressée par le fournisseur. Il sera rajouté que la SAS BLS LOCATION établit que le 27 juin 2013 la comptable a interrogé la SARL YFP à propos d'une traite de 1619,48 euros se présentant en banque au 1er juillet 2013 alors qu'elle n'avait pas de facture, qu'elle a reçu le même jour une facture datée du 5 juin 2013 pour la livraison de 10 bateaux alors qu'aucune des pièces produites aux débats ne démontre que cette livraison a bien été réalisée et que la SAS BLS LOCATION l'a contestée par courrier du 13 janvier 2014 adressé au mandataire liquidateur de la SARL YFP. Dans ces conditions, la SA BANQUE POUYANNE qui ne remplit pas la charge probatoire qui était la sienne de démontrer l'existence et le bien-fondé de la créance qu'elle revendique à l'encontre de la SAS BLS LOCATION, doit être déboutée de l'intégralité de ses demandes. Le jugement déféré sera donc confirmé. La SA BANQUE POUYANNE qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens et à payer à la SAS BLS LOCATION la somme de 2000 ? au titre de l'article 700 du code de procédure civile » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société YACHTING France PRODUCTION a ouvert auprès de la Banque POUYANNE un compte courant professionnel le 12/02/2012, que suivant acte en date du 12/04/2013 transmis par voir électronique, elle a cédé à la Banque POUYANNE divers effets de commerce dont une lettre de change tirée sur la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE pour un montant de 100 619.48 euros, que l'effet était à échéance du 30/06/2013 mais a été rejeté au motif « tirage contesté », que la Banque POUYANNE, régulièrement porteuse de l'effet reconstitué par application de l'article L. 511-34 du Code de Commerce, entend aujourd'hui obtenir condamnation de la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE au paiement de ladite somme, Attendu que le Tribunal retient que la Banque POUYANNE a saisi le Président du Tribunal de céans sur le fondement de l'article L. 511-34 du Code de Commerce aux fins de se voir délivrer un nouvel effet, le premier ayant été égaré, que l'ordonnance du 25/02/2015 a fait droit à sa demande, que celle-ci a été signifiée à Me [X] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL YACHTING France PRODUCTION suivant acte d'Huissier de Justice du 31/03/2015, qu'en réponse la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE a saisi en référé le Président du Tribunal de céans aux fins de voir rétracter ladite ordonnance, qu'il a été fait droit à sa demande par ordonnance de référé du 19/06/2015, que si la Banque a formé appel et que la Cour, par arrêt du 25/02/2016, a infirmé l'ordonnance entreprise, il ressort de l'article 488 du Code de Procédure Civile que « l'ordonnance de référé n'a pas au principal, autorité de la chose jugée », que de surcroît, la Cour de Cassation, au visa de ce texte, a récemment eu l'occasion de rappeler qu'une décision de Cour d'Appel en référé n'a pas non plus autorité de la chose jugée, l'une des parties à l'instance en référé ayant la faculté de saisir le juge du fond afin d'obtenir un jugement (Cass. Civ. 3e du 25/02/2016 n° 14-29760), que par conséquent la décision de référé de la Cour d'Appel de Limoges du 25/02/2016 n'a pas, au principal, autorité de la chose jugée et il entend dire et juger qu'il n'a pas à être lié par cette décision, Attendu que sur le caractère probant et pertinent des pièces produites par la Banque POUYANNE, le Tribunal retient que l'article 511-34 du Code de Commerce prévoit que « si celui qui a perdu la lettre de change, qu'elle soit acceptée ou non, ne peut présenter toute suivante, il peut demander le paiement de la lettre de change perdue et l'obtenir par l'ordonnance du juge en justifiant de sa propriété par ses livres et en donnant caution », que force est de constater que la Banque ne dispose d'aucun exemplaire ni de duplicata, ni d'acte émanant du débiteur de l'effet, ni d'un aveu du prétendu débiteur, établissant la réalité du support papier de la lettre de change, qu'au surplus, ni l'ancien dirigeant de la société YACHTING France PRODUCTION, ni son liquidateur ne confirment l'existence de cette prétendue lettre de change et de la prétendue cession de créance dont l'opération alléguée n'a jamais figuré dans la comptabilité de la société YACHTING France PRODUCTION, que les livres comptables de la Banque n'ont jamais été versés aux débats, que les seules pièces produites à l'appui de sa demande en paiement sont impropres à justifier de l'existence de la propriété de l'effet en question dont elle serait devenue propriétaire au moyen d'une cession de créance magnétique, qu'en effet les documents de cession de créance rédigés par la société YACHTING France PRODUCTION et transmis par la Banque POUYANNE ne prouvent absolument pas l'existence de l'effet de commerce pas plus que celle de la créance, que si les documents ont été établis et remplis sous la seule responsabilité de la société YACHTING France PRODUCTION donc de façon unilatérale, la Banque POUYANNE avait toutefois la possibilité de refuser la cession de créance si elle avait des doutes sur la véracité des documents transmis, que de surcroît elle avait également la possibilité, au moment de la cession de créance, de demander les effets papiers cédés, qu'en tout état de cause ni la société YACHTING France PRODUCTION, ni la Banque POUYANNE ne sont en mesure de prouver l'existence des effets papiers qui auraient été acceptés par la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE, que pour l'ensemble de ces raisons, le Tribunal entend dire et juger que les conditions d'application de l'article L. 511-34 du Code de Commerce ne sont pas satisfaites, Attendu que sur le bien-fondé de la créance, objet de la cession, le Tribunal retient, après lecture des pièces produites par la Banque POUYANNE, que la traite a été créée le 11/04/2013 alors même que la facture censée représenter le titre de créance de la société YACHTING France PRODUCTION est datée du 05/06/2013, qu'au surplus la lettre de change a fait l'objet d'une cession au profit de la Banque POUYANNE et son montant a été crédité sur le compte de la société YACHTING France PRODUCTION le 22/04/2013, soit avant l'émission de la facture, qu'au surplus cette facture datée du 05/06/2013 prévoit un règlement comptant le 05/06/2013, ce qui exclut donc toute possibilité de règlement par traite et toute cession de cette créance, qu'enfin aucun bon de commande ou de livraison signé prouvant la livraison des bateaux n'est versé aux débats, que le fait que la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE soit associé à hauteur de 30% du capital de la société YACHTING France PRODUCTION ne rapporte nullement la preuve qu'elle pouvait exercer une activité de gestion ou de dirigeant, que la société YACHTING France PRODUCTION était en réalité totalement autonome dans sa gestion et la SAS BEAUBELIQUE LOCATION SERVICE n'avait pas connaissance de tous les actes de gestion quotidiens et notamment de la cession de créances de 100 619.48 euros, que le Tribunal entend ainsi dire et juger que la créance de 100 619.48 euros n'est pas fondée dans son principe ».
1°) ALORS QU'en cas de perte d'une lettre de change, le bénéficiaire de cette lettre peut, dans les conditions prévues à l'article L. 511-34 du code de commerce, solliciter du président du tribunal de commerce la délivrance d'une ordonnance supplétive se substituant en tant qu'instrumentum à l'exemplaire égaré et valant titre ; que cette ordonnance, une fois rejeté le recours en rétractation exercé par le débiteur tiré, constitue un titre opposable à ce dernier constatant l'existence d'une lettre de change et permettant au porteur d'agir contre le débiteur tiré ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a constaté que du fait de la perte de la lettre de change que la société Yachting France Production avait escomptée à son bénéfice, la Banque Pouyanne avait obtenu du président du tribunal de commerce de Limoges la délivrance d'une ordonnance supplétive, qui était devenue définitive après le rejet du recours en rétractation exercé à son encontre par la société BLS, débiteur tiré ; qu'en jugeant que la société Banque Pouyanne ne justifiait pas de l'existence même d'une lettre de change lui permettant d'agir à l'encontre de la société BLS et qu'elle ne pouvait à cet effet se prévaloir de l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges au motif inopérant que cette décision était dépourvue de l'autorité de la chose jugée au principal, quand l'ordonnance supplétive rendue par le président du tribunal de commerce, qui était devenue définitive suite à l'expiration des voies de recours ouvertes à son encontre, constituait un titre opposable au débiteur tiré, la Cour d'appel a violé l'article L. 511-34 du code de commerce ;
2°) ALORS en outre QUE la voie de recours ouverte aux tiers intéressés à l'encontre des décisions rendues sur requête par le président du tribunal de commerce est le recours-rétractation de l'article 496 du code de procédure civile, lequel doit être porté devant le juge ayant rendu l'ordonnance contestée, saisi comme en matière des référés ; que l'ordonnance rendue à l'issue d'un tel recours, de même que l'arrêt rendu sur appel de cette décision, ont autorité de la chose jugé relativement aux contestations qu'ils tranchent, conformément à l'article 492-1 du code de procédure civile ; qu'il résultait en l'espèce de l'ordonnance du 19 juin 2015, rendue sur le recours exercé par la société BLS Location à l'encontre de l'ordonnance délivrée le 25 février 2015 par le président du tribunal de commerce de Limoges, que le président du tribunal de commerce, statuant comme en matière de référé, avait précisément été saisi d'un recours tendant à la « rétractation » de ladite ordonnance ; que cette « rétractation » avait en outre été ordonnée au visa des articles 493 et suivants du code de commerce, avant que cette décision ne soit infirmée par la Cour d'appel de Limoges par un arrêt du 25 février 2016 ayant définitivement rejeté la demande de rétractation formée par la société BLS Location ; qu'en jugeant que dans ces décisions, le Président du Tribunal de commerce, et par suite la Cour d'appel de Limoges n'avaient pas statué comme en matière de référé et que ces décisions étaient par conséquent dépourvues de toute autorité de chose jugée quant à l'existence même d'une lettre de change émise au bénéfice de la société Banque Pouyanne, la Cour d'appel a dénaturé l'ordonnance du 19 juin 2015 rendue par le président du tribunal de commerce de Limoges ainsi que l'arrêt du 25 février 2016 rendu par la Cour d'appel de Limoges, méconnaissant ainsi le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ;
3°) ALORS en outre QUE si dans le courrier du 13 janvier 2014 qu'elle avait adressé au liquidateur de la société Yachting France Production, la société BLS Location avait reproché à la société Yachting France Production une absence de livraison de certains bateaux, celle-ci n'avait aucunement contesté la livraison des bateaux à l'origine des créances cédées à la société Banque Pouyanne ; qu'à l'égard de ces navires, la société BLS se bornait à faire état de menues « non-conformités » qu'elle aurait prétendument constatées sur certains navires ; qu'en jugeant que la Banque Pouyanne avait contesté l'existence même de la livraison intervenue par un courrier du 13 janvier 2014, la Cour d'appel a dénaturé ce courrier et méconnu le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents qui lui sont soumis ;
4°) ALORS en toute hypothèse QUE si le débiteur tiré est en droit d'opposer au bénéficiaire de la lettre de change l'ensemble les exceptions qu'il serait en droit d'opposer à son propre créancier, encore faut-il que le bien-fondé de cette exception, ainsi que son caractère exonératoire, soient dûment démontrés ; qu'en rejetant la demande en paiement présentée par la société Banque Pouyanne à l'encontre de la société BLS Location, sans constater que les griefs formulés par la société BLS Location dans son courrier du 13 janvier 2014 étaient démontrés et l'exonéraient, par leur nature et leur ampleur, de son obligation de régler les dettes contractées à ce titre auprès de la société Yachting France Production, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause ;
5°) ALORS QUE selon l'article L. 511-7 du code de commerce, il y a provision si, à l'échéance de la lettre de change, celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur, ou à celui pour le compte de qui elle est tirée, d'une somme au moins égale au montant de la lettre de change ; qu'en rejetant la demande de paiement formée par la société Banque Pouyanne à l'encontre de la société BLS Location, débiteur tiré, au motif que la facture établie par la société Yachting France Production à l'égard de la société BLS Location portait une date postérieure à l'émission de la lettre de change, quand il lui appartenait simplement de vérifier si la créance de la société Yachting France Production sur la société BLS Location était devenue exigible à la date à laquelle la lettre de change était venue à échéance, la Cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-7 du code de commerce ;
6°) ALORS QUE le bénéficiaire d'une lettre de change, même non acceptée par le tiré, a un droit exclusif sur la provision, c'est-à-dire sur la créance que le tireur possède, au jour de l'échéance de l'effet contre le tiré ; qu'en se fondant dès lors sur la circonstance qu'aucune acceptation de la lettre de change par la société BLS Location n'était démontrée pour dénier tout droit à paiement de la société Banque Pouyanne, la Cour d'appel s'est à nouveau fondée sur un motif impropre à justifier le rejet de la demande en paiement formée par la société Banque Pouyanne à l'encontre de la société BLS Location ; qu'elle a ainsi privé derechef sa décision de base légale au regard de l'article L. 511-7 du code de commerce ;
7°) ALORS en tout état de cause QU'en l'espèce, la société Banque Pouyanne faisait valoir qu'en toute hypothèse, la société Yachting France Production lui avait cédé la créance détenue sur la société BLS Location par bordereau de cession de créances professionnelles ; qu'en rejetant la demande de la société Banque Pouyanne au motif qu'elle n'apportait pas la preuve de l'existence d'une lettre de change émise à son bénéfice sans rechercher si, indépendamment de toute référence à l'existence d'une lettre de change et au régime qui lui était spécialement applicable, la société Banque Pouyanne ne justifiait pas d'une cession de créance professionnelle lui permettant d'agir à l'encontre de la BLS Location, fût-ce au titre de la cession d'une créance future, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 du code civil et L. 313-23 du code monétaire et financier.
Composition de la juridiction : Mme Mouillard (président), SCP Alain Bénabent, SCP Célice, Texidor, Périer
Décision attaquée : Cour d'appel Limoges 2019-05-13 (Cassation)