Le règlement du 20 février 2008 (ci-dessous en pièce jointe sous pdf) rénove la sécurité aérienne et l'Agence européenne pour la sécurité aérienne : http://www.easa.eu.int/
Les règles sont nombreuses et nous voudrions insister sur une qui est importante pour tous les agents et salariés du secteur aérien. Ils doivent pouvoir informer "qui de droit", sans risquer leur situation, des dangers de certaines situations affectant la sécurité des vols ou leur préparation au sol.
Immenses sont les ressources de la sécurité. Elle est une mine juridique… et politique. Elle inspire la législateur sous de multiples aspects et donne une grande force aux règles édictées en son nom. Lors même que les règles sont techniques et précises, leurs « racines » s’accrochent à des principes juridiques supérieurs trop peu étudiés. La sécurité qui est au cœur de ce nouveau règlement se rapproche de celle que nous avons pu rencontrer depuis de nombreux travaux en la matière. La sécurité est à la fois une idée juridique qui mériterait souvent d’être exprimée en principes, ce que les juristes ne savent pas faire, mais elle est aussi une réalité concrète que les juristes laissent trop à son état abstrait, au risque de la diluer pour n’en faire qu’un motif administratif quelconque.
Une des dernières illustrations de cette phénoménologie de la sécurité, que nous tentons de décrire depuis plusieurs années, est l’immunité communautaire des dénonciations (informations) relatives à la sécurité aérienne. Cette immunité est posée par le Règlement précité du 28 février 2008 relatif à la sécurité aérienne et à l’Agence européenne pour la sécurité aérienne qu’il ré-institue.
Assez large, nous allons le voir, cette immunité permet quasiment à toute personne de dénoncer une question de sécurité sans risquer sa position ou situation. Elle n’est pas présentée comme une immunité, mais, plus simplement, comme une « protection des sources d’information », intitulé de l’article 16 du règlement de 2008.
On peut en faire un rapide commentaire tout en notant que les personnes protégées ne sont pas réellement définies. La porte semble ouverte en grand. Toute personne qui a à informer et qui, de ce fait, risque sa position ou situation, est intéressée par ce texte. Les principes sont une belle chose, ils sont cependant souvent insuffisants quand il s’agit d’appliquer une «l’idée posée » à un cas concret.
La mise en œuvre de la dénonciation devra donc être faite avec précaution et selon, à notre sens, un canal professionnel. Nous n’en disons pas davantage ici, mais l’informateur doit se méfier de l’effet d’annonce de la disposition ici étudiée. En effet, le principe de l’immunité ne doit pas faire rêver. Si le dénonciateur est licencié, sanctionné, écarté, l’immunité ne pourra pas a posteriori le protéger. Elle ne lui fournira probablement qu’une action en responsabilité. Cette action sera civile si l’agent est sanctionné par une personne civile, elle sera administrative si la sanction est venue d’une autorité publique.
La protection est posée en 3 alinéas. Apparemment simples, ces cas sont plus subtils qu’on ne pourrait croire. Nous ne faisons pas un commentaire approfondi ; plus modestement, nous éclairons la disposition d’une faible lueur.
Paradoxalement, nous pouvons commencer par la fin. L’article 16, 4, indique « le présent article s'applique sans préjudice des règles nationales relatives à l'accès à l'information par les autorités judiciaires ». Ces dernières pourront en conséquence être informées de la teneur des informations. Assez certain quant à son jeu en matière pénale, cette dérogation l’est moins dans le domaine civil ou administratif. Est-il certain qu’un juge civil ou administratif (pour notre pays, le pays des mille juges…) ait à connaître d’une dénonciation ?
Reprenons les 3 premières dispositions qui voudraient protéger les informateurs.
Article 16, 1. : « Lorsque les informations visées à l'article 15, paragraphe 1, sont fournies volontairement par une personne physique à la Commission ou à l'Agence, la source de ces informations n'est pas révélée. Lorsque les informations ont été communiquées à une autorité nationale, la source de ces informations est protégée conformément à la législation nationale.
Cette première disposition crée un droit à l’anonymat, on sait déjà qu’il sera mis en œuvre dans le cadre pénal du pays membre. En France, le secret de l’instruction sera un début de protection. Plus loin, la coordination du droit communautaire et du droit pénal (plus exactement du droit de la procédure pénale) n’est pas aisée.
Article 16, 2. Sans préjudice des dispositions de droit pénal applicables, les États membres s'abstiennent d'intenter des actions en justice concernant des infractions à la loi commises de manière non préméditée ou involontaire, dont ils auraient connaissance uniquement parce qu'elles leur ont été signalées en application du présent règlement et de ses règles de mise en œuvre. La présente disposition ne s'applique pas aux cas de faute grave.
Ce dispositif neutralise l’action des administrations ou des autres personnes publiques qui n’en sont que des démembrements ou des représentations. Le comportement qui ne pourra pas asseoir de poursuites est décrit comme non prémédité ou involontaire. Un glose ne suffirait pas sur le premier qui, habituel en droit pénal, ne nous paraît pas très usuel en droit commun. Le comportement de l’agent ne doit pas non plus constituer une faute grave. A ces conditions, l’une positive, l’autre négative, l’agent qui informe ne pourra pas être sanctionné par son Etat membre. Ce droit est direct et il n’est pas besoin d’une disposition de transposition pour en jouir. Depuis ce nouveau règlement de 2008, ce droit à l’immunité existe à condition que les faits dénoncés permettent de régler une question de sécurité.
Article 16, 3. Sans préjudice des dispositions de droit pénal applicables, et conformément aux procédures prévues par leur législation et leurs pratiques nationales, les États membres veillent à ce que les employés qui fournissent des informations en application du présent règlement et de ses règles de mise en œuvre ne subissent aucun préjudice de la part de leur employeur. La présente disposition ne s'applique pas aux cas de faute grave.
Il ne sera pas facile d’exciper ce texte devant les conseils de prud’hommes, qui vivent sur le train-train de licenciements ordinaires n’impliquant que le droit national. Ce le sera d’autant moins qu’il faudra envisager la chose en référé afin d’essayer d’entarver un procédure de sanction. En effet, la première des vertus de l’immunité devrait être d’empêcher concrètement une sanction et non de seulement permettre une action ultérieure en responsabilité…
Les auteurs du règlement ont-ils assez de précautions pour que le film se déroule effectivement selon ce scénario ? Rien n'est moins sûr. Ils appartient à chacun, tous à notre place, sans bla-bla administratif ou technocrate, de mettre en oeuvre la sécurité qui ne peut être dévolue à aucune institution car elle nous regarde tous, ce que la dédicace qui suit rappelle de façon cruelle.
Je dédie ce modeste texte à Philippe FOUCHARD, professeur dijonnais puis parisien, grand spécialiste du droit international privé, disparu avec nombre des siens et les autres passagers du vol
du 3 janvier 2004, dans un accident d'avion sinistrement réputé, à Charm el-Cheikh en Égypte.
; voyez sur cet auteur : http://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique
En pièce jointe (tiré du JO CE) : RÈGLEMENT (CE) No 216/2008 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 20 février 2008 concernant des règles communes dans le domaine de l'aviation civile et instituant une Agence européenne de la sécurité aérienne, et abrogeant la directive 91/670/CEE du Conseil, le règlement (CE) no 1592/2002 et la directive 2004/36/CE.
Les règles sont nombreuses et nous voudrions insister sur une qui est importante pour tous les agents et salariés du secteur aérien. Ils doivent pouvoir informer "qui de droit", sans risquer leur situation, des dangers de certaines situations affectant la sécurité des vols ou leur préparation au sol.
Immenses sont les ressources de la sécurité. Elle est une mine juridique… et politique. Elle inspire la législateur sous de multiples aspects et donne une grande force aux règles édictées en son nom. Lors même que les règles sont techniques et précises, leurs « racines » s’accrochent à des principes juridiques supérieurs trop peu étudiés. La sécurité qui est au cœur de ce nouveau règlement se rapproche de celle que nous avons pu rencontrer depuis de nombreux travaux en la matière. La sécurité est à la fois une idée juridique qui mériterait souvent d’être exprimée en principes, ce que les juristes ne savent pas faire, mais elle est aussi une réalité concrète que les juristes laissent trop à son état abstrait, au risque de la diluer pour n’en faire qu’un motif administratif quelconque.
Une des dernières illustrations de cette phénoménologie de la sécurité, que nous tentons de décrire depuis plusieurs années, est l’immunité communautaire des dénonciations (informations) relatives à la sécurité aérienne. Cette immunité est posée par le Règlement précité du 28 février 2008 relatif à la sécurité aérienne et à l’Agence européenne pour la sécurité aérienne qu’il ré-institue.
Assez large, nous allons le voir, cette immunité permet quasiment à toute personne de dénoncer une question de sécurité sans risquer sa position ou situation. Elle n’est pas présentée comme une immunité, mais, plus simplement, comme une « protection des sources d’information », intitulé de l’article 16 du règlement de 2008.
On peut en faire un rapide commentaire tout en notant que les personnes protégées ne sont pas réellement définies. La porte semble ouverte en grand. Toute personne qui a à informer et qui, de ce fait, risque sa position ou situation, est intéressée par ce texte. Les principes sont une belle chose, ils sont cependant souvent insuffisants quand il s’agit d’appliquer une «l’idée posée » à un cas concret.
La mise en œuvre de la dénonciation devra donc être faite avec précaution et selon, à notre sens, un canal professionnel. Nous n’en disons pas davantage ici, mais l’informateur doit se méfier de l’effet d’annonce de la disposition ici étudiée. En effet, le principe de l’immunité ne doit pas faire rêver. Si le dénonciateur est licencié, sanctionné, écarté, l’immunité ne pourra pas a posteriori le protéger. Elle ne lui fournira probablement qu’une action en responsabilité. Cette action sera civile si l’agent est sanctionné par une personne civile, elle sera administrative si la sanction est venue d’une autorité publique.
La protection est posée en 3 alinéas. Apparemment simples, ces cas sont plus subtils qu’on ne pourrait croire. Nous ne faisons pas un commentaire approfondi ; plus modestement, nous éclairons la disposition d’une faible lueur.
Paradoxalement, nous pouvons commencer par la fin. L’article 16, 4, indique « le présent article s'applique sans préjudice des règles nationales relatives à l'accès à l'information par les autorités judiciaires ». Ces dernières pourront en conséquence être informées de la teneur des informations. Assez certain quant à son jeu en matière pénale, cette dérogation l’est moins dans le domaine civil ou administratif. Est-il certain qu’un juge civil ou administratif (pour notre pays, le pays des mille juges…) ait à connaître d’une dénonciation ?
Reprenons les 3 premières dispositions qui voudraient protéger les informateurs.
Article 16, 1. : « Lorsque les informations visées à l'article 15, paragraphe 1, sont fournies volontairement par une personne physique à la Commission ou à l'Agence, la source de ces informations n'est pas révélée. Lorsque les informations ont été communiquées à une autorité nationale, la source de ces informations est protégée conformément à la législation nationale.
Cette première disposition crée un droit à l’anonymat, on sait déjà qu’il sera mis en œuvre dans le cadre pénal du pays membre. En France, le secret de l’instruction sera un début de protection. Plus loin, la coordination du droit communautaire et du droit pénal (plus exactement du droit de la procédure pénale) n’est pas aisée.
Article 16, 2. Sans préjudice des dispositions de droit pénal applicables, les États membres s'abstiennent d'intenter des actions en justice concernant des infractions à la loi commises de manière non préméditée ou involontaire, dont ils auraient connaissance uniquement parce qu'elles leur ont été signalées en application du présent règlement et de ses règles de mise en œuvre. La présente disposition ne s'applique pas aux cas de faute grave.
Ce dispositif neutralise l’action des administrations ou des autres personnes publiques qui n’en sont que des démembrements ou des représentations. Le comportement qui ne pourra pas asseoir de poursuites est décrit comme non prémédité ou involontaire. Un glose ne suffirait pas sur le premier qui, habituel en droit pénal, ne nous paraît pas très usuel en droit commun. Le comportement de l’agent ne doit pas non plus constituer une faute grave. A ces conditions, l’une positive, l’autre négative, l’agent qui informe ne pourra pas être sanctionné par son Etat membre. Ce droit est direct et il n’est pas besoin d’une disposition de transposition pour en jouir. Depuis ce nouveau règlement de 2008, ce droit à l’immunité existe à condition que les faits dénoncés permettent de régler une question de sécurité.
Article 16, 3. Sans préjudice des dispositions de droit pénal applicables, et conformément aux procédures prévues par leur législation et leurs pratiques nationales, les États membres veillent à ce que les employés qui fournissent des informations en application du présent règlement et de ses règles de mise en œuvre ne subissent aucun préjudice de la part de leur employeur. La présente disposition ne s'applique pas aux cas de faute grave.
Il ne sera pas facile d’exciper ce texte devant les conseils de prud’hommes, qui vivent sur le train-train de licenciements ordinaires n’impliquant que le droit national. Ce le sera d’autant moins qu’il faudra envisager la chose en référé afin d’essayer d’entarver un procédure de sanction. En effet, la première des vertus de l’immunité devrait être d’empêcher concrètement une sanction et non de seulement permettre une action ultérieure en responsabilité…
Les auteurs du règlement ont-ils assez de précautions pour que le film se déroule effectivement selon ce scénario ? Rien n'est moins sûr. Ils appartient à chacun, tous à notre place, sans bla-bla administratif ou technocrate, de mettre en oeuvre la sécurité qui ne peut être dévolue à aucune institution car elle nous regarde tous, ce que la dédicace qui suit rappelle de façon cruelle.
Je dédie ce modeste texte à Philippe FOUCHARD, professeur dijonnais puis parisien, grand spécialiste du droit international privé, disparu avec nombre des siens et les autres passagers du vol
du 3 janvier 2004, dans un accident d'avion sinistrement réputé, à Charm el-Cheikh en Égypte.
; voyez sur cet auteur : http://www.cairn.info/revue-internationale-de-droit-economique
En pièce jointe (tiré du JO CE) : RÈGLEMENT (CE) No 216/2008 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 20 février 2008 concernant des règles communes dans le domaine de l'aviation civile et instituant une Agence européenne de la sécurité aérienne, et abrogeant la directive 91/670/CEE du Conseil, le règlement (CE) no 1592/2002 et la directive 2004/36/CE.